Je suis heureux aujourd’hui d’exhumer un écrivain qui a manqué le Goncourt d’un rien et qui est aujourd’hui totalement oublié. D’autant plus que je partage avec lui deux passions, le sport et la littérature, qu’il a certes beaucoup mieux servies que moi, mais peut-être que cette proximité me permet de mieux le comprendre et de mieux vous le faire apprécier.
Les hommes forts
Georges Magnane (1907 – 1985)
Belle idée qu’a eue Le Dilettante de réveiller cet auteur profondément endormi dans le cimetière des écrivains oubliés, aujourd’hui, tout le monde ou presque ignore qui était Georges Magnane, un homme de lettres prolifique, un traducteur de romanciers anglophones, un sportif accompli et éclectique, un chercheur au CNRS, un ami des grands intellectuels de son époque. Il a notamment écrit ce roman publié pendant les jours les plus sombres de l’occupation, en 1942, qui raconte la vie parallèle de deux amis qui ont un profil assez semblable au sien : brillants athlètes et fins lettrés.
Le narrateur, qui pourrait-être l’auteur tant il lui ressemble, rencontre au cours des joutes sportives scolaires un rival brillant, fort et beau comme un dieu grec, qui lui fait de l’ombre mais finit par devenir son ami. La vie les sépare, la vie les rapproche, chaque fois les retrouvailles se font dans la joie mais cette joie s’altère davantage à chaque rencontre depuis que son ami vit avec une jeune et belle femme qui ne laisse pas le narrateur indifférent. Un jour, alors que le huit était en passe de remporter un important championnat national d’aviron, le bel athlète craque et fait perdre son embarcation. Depuis ce jour, à chaque nouvelle rencontre, les deux hommes s’éloignent inéluctablement l’un de l’autre, le narrateur ressentant avec de plus en plus de gêne les signes de faiblesse de son ami qui confinent progressivement à de la lâcheté.
Ce récit est un grand roman d’amour impossible, le narrateur ne peut décemment pas courtiser la belle qui le fait fondre car il ne veut pas trahir son ami et, quand celle-ci comprend que son mari n’est qu’un lâche qui la trompe sans vergogne, il ne peut pas se résoudre à n’être que la roue de secours de celui qu’il a tellement admiré avant qu'il ne le décoive à tout jamais. Un roman d’amour sous fond de pratique sportive, une vraie ode aux valeurs sportives à la mode à l’époque où l’hébertisme recommandait de fabriquer des hommes forts, utiles à la patrie. Georges Magnane était lui-même un sportif accompli et le regrettera en mourant dans la douleur d’un corps peut-être trop sollicité. On pourrait aussi se demander quel serait le regard de cet auteur, qui a commis un ouvrage de référence sur la sociologie du sport, devant le spectacle offert aujourd’hui par les sportifs professionnels. Lui qui dresse le portrait du sportif humble, pratiquant le sport pour le plaisir et la compétition saine, en opposition à celui du champion infatué, imbu de sa personne et convaincu de sa prétendue supériorité.
Pour publier en 1942, on se doute bien que Georges Magnane a dû slalomer entre les chicanes de la censure, il évite donc toutes les questions qui pourraient donner prétexte aux autorités de rejeter son texte ou même de lui chercher quelques noises. Toutefois, j’aurais tendance à croire que l’ami couard est un peu à l’image de tous ceux qui se sont couchés devant l’occupant, allant même jusqu’à l’accepter servilement. Quercy, le lâche, pourrait ainsi être la parabole du collabo trouillard caché sous le masque d’un flambeur courtisant les jeunes femmes.
Denis BILLAMBOZ
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