Cette fois encore, je ne renierai pas mon penchant pour les textes un peu datés, même s’ils sont parfois un rien désuets, j’aime leur saveur et leur justesse. La langue avait encore un sens à leur époque. Cependant je ne pensais pas que je me tournerais un jour vers Pierre Benoît, il a fallu un concours de circonstance heureux pour que j’ouvre un de ces livres. J’espère que vous allez partager mon enthousiasme.
Mademoiselle de la Ferté
Pierre Benoît (1886 – 1962)
Bucolique, diabolique, machiavélique, ce roman évoque Giono, mais un Giono assaisonné à la sauce William Wilkie Collins. Il trainait depuis des années au fond d’une de mes armoires, habillé d’une jaquette qui aurait certainement mieux convenu à un roman à l’eau de rose des années soixante, et c’est sans doute pour cette raison que je l’ai si longtemps boudé. Heureusement certains lecteurs avisés m’ont averti que ce récit n’était absolument pas ce que cette couverture pouvait laisser croire, que c’était là l'un des meilleurs titres de ce célèbre auteur. Et quel bonheur de découvrir un beau texte, certes un peu daté, mais tellement savoureux, rempli de ces mots gourmands et goûteux que nous avons trop souvent remplacés par un jargon abscons.
Mademoiselle de la Ferté, « épouse ou mère, eût été sans doute le modèle des mères et des épouses », mais la vie, ses parents, sa famille, les autres ne lui ont jamais rien donné, ils lui ont même tout pris. Son père, trop inconséquent, a dilapidé la fortune familiale dans des affaires pitoyables, sa mère, trop faible, n'a pas su se faire respecter, sa famille, enrichie dans le commerce du rhum à Bordeaux, ne la trouvait pas assez riche, pas bien élevée, les braves curés ne voyaient en elle qu’une sainte virginale et ceux qui l’entouraient ne l’ont jamais comprise. Surtout cette gentille et riche créole qui lui a enlevé le riche fiancé, qu’elle avait patiemment appâté pour l’entretenir décemment et redorer le portrait bien écorné de la famille.
Alors, quand le hasard voulut que cette belle créole devienne rapidement veuve, puis pulmonaire, et qu’elle se réfugie dans un coin de Chalosse, pas très éloigné de Dax, Mademoiselle de la Ferté a saisi tout le parti qu’elle pouvait tirer de la situation en se comportant aux yeux de tous comme la parfaite compagne dévouée corps et âme à son ex- rivale et désormais amie. Elle fomenta un plan impitoyable avec un cynisme glacial et un pragmatisme diabolique afin de reconquérir ce qu’elle pensait être son dû et, par la même occasion, pour se venger de ceux qui l’avaient méprisée et humiliée.
Voilà un grand texte campagnard et romantique qui se fonde dans le paysage avec un luxe de détails qui fait renaître cette région et ses habitants, gens, faune et flore, comme elle vivait à la fin du XIXe siècle, comme George Sand a fait revivre sous sa plume le Berry de son époque. Mais cette histoire n’est pas seulement une intrigue sophistiquée et savamment huilée, une peinture sociale fidèle, c’est également une exploration de ce mince espace qui sépare l’amour de la haine sous la funeste férule de la jalousie, du désir de vengeance et de la trahison.
Denis BILLAMBOZ
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