Mon père aurait eu cent ans au début de juillet 2014. Signe du cancer, ascendant cancer, il était un homme posé et réfléchi, d’une sensibilité extrême, fou d’art et de littérature et d’une immense culture. C’est lui qui m’a initiée aux grands auteurs et m’a mise sur la voie de l’écriture toute jeune. La vie sans le secours de l’art lui paraissait impossible. Il s’y est immergé dès qu’il a eu quelques moyens financiers à y consacrer. Bibliophile et collectionneur, il a sans cesse été en quête d’œuvres rares et y passait volontiers ses loisirs. Il avait épousé une femme qui partageait ses goûts. Maman, élève au conservatoire de Nantes, avait une voix délicieuse de soprano colorature qui enchantait mon père. Il l’a d’ailleurs encouragée à donner des concerts et à enregistrer des disques qui, hélas, à l’époque, n’étaient pas d’une qualité irréprochable.
Leur amour a duré 61 ans sans un nuage ou presque. Maman est partie la première, un an après leurs noces de diamant. Il ne s’en est pas remis et n’a plus pensé qu’à la rejoindre. Ce qui fut fait 15 mois plus tard. Mon rôle auprès de lui, puisqu’il habitait une résidence voisine, a été de lui maintenir la tête hors de l’eau. Nous avons connu de ce fait une intimité à laquelle nous n’étions nullement préparés. Mon père n’avait jamais été occupé sentimentalement que de sa femme. Sa fille, il l’a découverte durant cette ultime année de sa vie et cela a créé les liens que l’on avait omis de tisser auparavant. Au milieu de ce couple uni et fusionnel, l’enfant unique que j’étais, se sentait un peu à l’écart, aussi m’étais-je entourée d’un monde qui n’appartenait qu’à moi et où m’accompagnaient des personnages imaginaires qui avaient vocation à me tenir chaud. Dès l’âge de 9 ans, j’écrivais des contes, de courts romans, des poèmes. Je m’étais investie dans l’univers des mots.
Mes parents se tenaient à jamais statufiés sur une sorte d’Olympe, comme des demi-dieux. Ils régnaient en silence car nous n’étions pas une famille bavarde. C’est dans notre maison de campagne que je m’épanouissais le mieux lors des petites et grandes vacances. Je nouais des amitiés avec des enfants du pays et nous consacrions notre temps libre à préparer des spectacles de danse et de comédie que nous proposions à nos familles dans une grande pièce, réservée à cet usage, fin septembre, avant la rentrée scolaire. Ceux-ci, bien qu’empreints de romantisme, n’étaient pas dépourvus d’humour et de dérision. Je ne dédaignais pas planter quelques banderilles dans cette vie austère.
Le retour dans la capitale était un déchirement. Il fallait me séparer de tout ce que j’aimais : les fleurs, les arbres, les animaux, les oiseaux surtout, la douce campagne qui borde la Loire. A Paris, je retrouvais l’institution où les horaires comme l’uniforme et l’enseignement étaient stricts. On ne s’évadait qu’en pensée. Pour le reste, on devait se plier à une discipline constante à laquelle je dois sans doute une certaine verticalité que je ne regrette pas aujourd’hui. On nous forgeait un caractère qui se montrait endurant devant l’effort, souvent l’épreuve.
Mariée jeune, car j’avais envie de connaître autre chose et qu’il y avait en moi une certaine appétence pour l’aventure, même conjugale, je suis restée attachée à ma famille et surtout à mes parents. On s’écrivait trois fois par semaine lorsque j’étais éloignée, ainsi nous tenions-nous au courant des joies et soucis quotidiens ; maman servait de trait d'union entre mon père, toujours un peu lointain, et moi. Ainsi ne me voyait-il qu' à travers elle…
C'est peu d'années avant leur disparition que je suis venue habiter auprès d’eux. Ils me l’avaient demandé et comme cela était possible pour mon mari comme pour moi, nous avons pris la décision de les rejoindre en Normandie et nous ne le regrettons pas. Mes parents ont vécu, dans cet environnement mer/campagne, les vingt plus belles années de leur vie ; nous vivons à notre tour une expérience semblable face au même paysage de la mer surprise entre l’arceau des arbres. Je leur dois d’avoir choisi un itinéraire géographique assez proche du leur et d’y avoir découvert des émotions et des joies identiques.
Oui, papa, tu aurais eu 100 ans. Ta vie entière fut gouvernée par deux impératifs : ton goût de la beauté et ton souci de rectitude. Le monde d’aujourd’hui ne te plairait guère. Attaché à tes convictions, chrétien converti sur le tard, tu avais une haute idée des devoirs de l’homme et détestais le mot «profit». De nos jours, les devoirs ont été relégués au second plan, le profit placé au tout premier. Alors, papa, repose en paix.
Armelle
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