Dans ce magnifique livre que j’ai reçu par l’intermédiaire du Club Transfuge dont je fais partie, Oriane Jeancourt Galignani, Rédactrice en chef du magazine Transfuge, évoque le suicide de la poétesse Sylvia Plath, elle ne raconte pas comment elle s’est suicidée mais elle reconstitue, en s’appuyant sur ses écrits, la vie de souffrance et d’humiliation qui a amené cette femme à la dernière extrémité. Un très beau livre.
Mourir est un art comme tout le reste
Oriane Jeancourt Galignani
En Angleterre, par une nuit glacée de février 1963, Sylvia Plath organise méticuleusement son suicide tout en prenant soin que ses enfants puissent trouver quelque chose à manger quand ils se réveilleront orphelins. Oriane Jeancourt Galignani prend cette histoire à bras le corps pour reconstituer à sa façon la mort de cette poétesse adulée des féministes, délaissée par son mari, humiliée plus souvent qu’à son tour, mais aussi pour expliquer comment une femme jeune, belle et talentueuse peut arriver à cette ultime extrémité. « Ce roman s’est accordé toute liberté…. S’appropriant l’existence de personnalités réelles ».
En préparant son suicide Sylvia explore toutes les failles qui ont fissuré sa vie et qui se creusent de plus en plus la détruisant complètement : son avortement, l’accouchement de son fils, ses amours, son amour, son grand amour avec Ted Hughes, le poète chéri des médias, « imposteur en goguette », qui s’en va à vau l’eau. Ted conduit sa carrière au détriment de celle de sa femme qui accepte de vivre en retrait pour l’amour de son mari et de ses enfants. « Parce que ta vie restera l’officielle et la mienne l’officieuse ». Elle revoit aussi Bergman et son film, « Au seuil de la vie », sur l’accouchement, la maternité, l’avortement, la stérilité ; elle ressent encore l’humiliation qu’elle a éprouvé quand on lui a refusé ironiquement de publier « La cloche de détresse » ; elle ne peut oublier son père nazi à jamais, profondément antisémite, sa mère qui ne sait pas l’aimer, sa première tentative pour fuir vers un autres monde ; elle revit sa rupture avec la religion le jour des obsèques de son père, le jour du baptême des ses enfants ; elle n’arrive toujours pas à assumer ses origines allemandes, sa parentalité avec les auteurs de l’Holocauste. Toujours l’échec, l’humiliation, les hallucinations qui la pourchassent, elle ne croit plus en elle, elle se trouve laide, indésirable, incapable de séduire, mauvaise mère. Femme bafouée, poétesse dévaluée, mère accablée, fille hantée par les fantômes, sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue.
Oriane ne raconte pas la vie de Sylvia, elle la réinvente, elle s’infiltre sous la peau de la poétesse pour nous conduire au cœur du drame de cette femme mille fois humiliée car ce n’est pas seulement la folie qui a tué Sylvia, mais surtout la somme des humiliations et des frustrations qu’elle a dû subir. Elle veut, par ce procédé, nous faire ressentir ce que cette femme a subi, ce qu’elle n’a pas pu supporter, ce qu’elle a fui. Sylvia Plath était bipolaire, selon le diagnostique actuel, mais Oriane insiste surtout sur sa vie de fille, sa vie de femme, sa vie d’épouse avec tous les échecs qu’elle a rencontrés dans toutes ces vies. Mais ce livre est avant tout, à mon sens, un grand texte qui se suffirait certainement à lui-même s’il ne fallait pas un prétexte pour assembler les mots, les accorder en musique funèbre, un requiem pour toutes les femmes poussées vers l’extrême.
Une écriture riche, travaillée, léchée, un récit très maitrisé, vivant, sensuel, agréable à lire, un beau texte, étayé de multiples citations de l’œuvre de la poétesse, qui réinvente une Sylvia acculée à la dernière extrémité, dans un récit cheminant au gré des pensées que la victime a pu avoir tout en ourdissant son ultime plan. Un texte dans lequel Oriane pourrait conjuguer son talent avec celui de Sylvia, mais pour l’affirmer, il faut que désormais je lise « La cloche de détresse ».
Denis BILLAMBOZ
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