PROUST ET LE MIROIR DES EAUX ( ou le thème de l'eau dans "La Recherche du temps perdu" )
Pour quelle raison choisir de parler d'une oeuvre telle que celle de Proust en prenant l'eau comme thème de réflexion ? Parce que jusqu'à ce jour, je n'ai pas eu connaissance d'un ouvrage qui traitait de ce sujet, alors que l'eau me parait habiter cette oeuvre ou, plus précisément, la codifier. A la suite de cette constatation, il m'a semblé intéressant de m'interroger sur la place qu'elle tient dans le roman, sur le message qu'elle délivre, la force imaginante qu'elle anime. L'écrivain ne trouve-t-il pas dans l'eau substantielle l'équivalent à sa propre démarche, qui est de rendre au monde la vision de lui-même non déformée mais transformée ? Ainsi l'oeuvre, à l'égal de l'eau, participe-t-elle à ce que j'oserais appeler la liturgie de la rénovation. Proust n'envisage pas son roman autrement que comme un miroir tendu à son lecteur afin, qu'à travers lui, il ait accès à une réalité nouvelle, où la mémoire involontaire et le reflet jouent un rôle identique, introduisant le passé dans le présent et supprimant cette grande dimension du Temps où la vie ne cesse de se briser.
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Prix du Jury du Cercle Littéraire Proustien de Cabourg-Balbec en novembre 2007.
Par ailleurs, " Proust et le miroir des eaux" a inspiré au metteur en scène et directeur artistique coréen Choi Seo-ou un spectacle qui a pour titre " Le miroir des eaux" et dont la première a eu lieu à Séoul au Seoul Arts Center, théâtre Jayu, le 22 août 2010 avec le concours de l'Universal Ballet Company sur des musiques de Debussy, Ravel, Chausson, Duparc et Caplet. Chorégraphe : Yeonok Paek
Ce spectacle, qui combine film, arts visuels, musique et ballet, a donc puisé son inspiration grâce à deux écrivains français Roger Grenier et Armelle Barguillet Hauteloire et à leurs ouvrages respectifs " Le miroir des eaux" pour l'un et "Proust et le miroir des eaux" pour l'autre.
Ce même ouvrage a également inspiré une exposition à la Galerie Chantal CROUSEL à Paris. Voir en cliquant LA
Ce que la presse en dit :
Lecture et tradition, n° 362, avril 2007
L’œuvre de Marcel Proust est hantée par l’eau. Armelle Barguillet dresse une biographie originale à partir de ce thème pour tenter de nous faire comprendre sa personnalité.
Alain Sanders (Renaissance des hommes et des idées -Janvier/Février 2007)
Poète, (Profil de la nuit, Atelier Fol’fer), essayiste (Proust ou la recherche de la rédemption (Editions de Paris), auteur d’ouvrages pour la jeunesse, Armelle Barguillet-Hauteloire vit en Normandie. Dans le voisinage - et même le très proche voisinage - des lieux qui furent familiers et chers à Marcel Proust.
En consacrant une seconde étude à l’auteur de La Recherche du temps perdu, elle réaffirme qu’elle est, par son approche même d’un auteur à bien des égards insaisissable, l’un des meilleurs analystes de la magie proustienne. A première vue, pourtant, on peut être interpellé (comme on dit aujourd’hui) par le titre de son essai : Proust et le miroir des eaux. Pourquoi, à propos de Proust, qui était peut-être un peu canotier mais certainement guère marin, prendre l’eau comme thème de réflexion à son propos ?
Armelle Barguillet-Hauteloire s’en explique :
— Parce que l’eau me paraît habiter son œuvre ou, plus précisément, la parcourir ainsi que le ferait un ruisseau, une rivière, un fleuve, de même qu’elle la codifie et l’explique. Oui, cette Recherche, qui se referme sur elle-même, cet univers clos n’est pas sans évoquer la configuration d’un lac qui, lentement, déroulerait ses berges imaginaires dans une lumière déjà gagnée par les ombres du passé, temps retrouvé qui viendrait boucler le cercle parfait du temps perdu.
À partir de cette constatation - cette clef, pourrait-on dire - on se prend à relire Proust d’un autre œil. Et l’on se dit alors : « Mais c’est bien sûr ! Pourquoi personne, avant Armelle Barguillet-Hauteloire, n’y avait pensé ? » Avec, aussitôt, cet extrait des Plaisirs et des jours : « Quand j’étais enfant, le sort d’aucun personnage de l’Histoire sainte ne me semblait aussi misérable que celui de Noé, à cause du déluge qui le tient enfermé dans l’arche pendant quarante jours. Plus tard, je fus souvent malade, et pendant de longs jours, je dus rester dans « l’arche ». Je compris alors que jamais Noé ne put si bien voir le monde que de l’arche, malgré qu’elle fût close et qu’il fît nuit sur la terre. »
Les premières eaux contemplées par Proust furent celles de son enfance. Celles d’Illiers-Combray baigné par la Vivonne et de nombreux étangs. Il pêcha dans la Vivonne. Il se promena en barque sur les étangs (Du côté de chez Swann). Et puis il y eut Balbec et les eaux marines. Trouville, Cabourg, la Côte Fleurie (Sodome et Gomorrhe). La mer. Qu’il contemple des Frémonts et de l’hôtel des Roches noires (Les jeunes filles en fleurs). Eaux violentes, eaux troubles, eaux crépusculaires. Eaux réfléchissantes (La Prisonnière, Le Temps retrouvé).
« Proust, - écrit Armelle Barguillet-Hauteloire - n’envisage pas son roman autrement qu’un miroir tendu à son lecteur afin, qu’à travers lui, il ait accès à une réalité nouvelle, où la mémoire involontaire et le reflet jouent un rôle identique, introduisant le passé dans le présent et supprimant cette grande dimension du Temps où la vie ne cesse de se briser. » Un miroir qui, loin de déformer la vision du monde, la transforme. Proust dans un miroir et au-delà du miroir. Un double miroir. Qui se brise.
Enfin, quelques réflexions de lecteurs :
" Je ne pouvais pas rêver mieux que " Les eaux marines et violentes" de Belle-Ile-en-Mer pour essayer de vous dire ce que j'ai ressenti à la lecture de " Proust et le miroir des eaux". J'avais choisi votre livre intrigué par le titre - avec d'autres sur Proust - sans rien en savoir, ni en connaître l'auteur. J'en ai terminé une première lecture fin 2009 ; vous me l'aviez aimablement dédicacé, lorsque nous nous sommes rencontrés à Cabourg le 28/ 06/ 2009 au Grand-Hôtel - dîner de la Madeleine d'or. Je viens d'en terminer une seconde lecture, d'un trait, plume à la main.
En commençant " Proust et le miroir des eaux ", je me suis dit, dubitatif, encore un livre sur Proust, que va-t-il m'apporter ? J'y ai au fil des pages découvert un éclairage inattendu, quelque chose de nouveau, de subtil sur La Recherche qui m'a beaucoup séduit. Et cela pour plusieurs raisons : d'abord le style maitrisé, une langue riche et classique, d'où émergent une grande sensibilité proustienne et une poésie ... si vous permettez, fluvatile. Après avoir lu, de vous, quelques poèmes, je sais désormais pourquoi.
Vous avez su, de plus, avec un fin doigté y insérer de sublimes passages de La Recherche, choisis avec un grand bonheur : c'est une opération délicate, pour ne pas aboutir - comme trop souvent chez certains qui s'y essayent - à un placage maladroit qui ne fait que souligner la pauvreté du texte de l'auteur, jouxtant celui de Marcel Proust ; vous avez réalisé une osmose fluide entre les références à La Recherche et votre propre texte, où l'essentiel est ressenti, sans hiatus, une approche fluide profonde, intuitive ; l'autre approche universitaire, que j'expérimente aux conférences de Normale-Sup et du Collège de France où l'on dissèque tout, il ne doit pas manquer un bouton à la guêtre et la moindre inexactitude est rédhibitoire, d'où il ressort une certaine sécheresse, un manque de sensibilité.
Vous avez souligné la place primordiale de la musique dans La Recherche : " elle est cette âme paisible, désenchantée, mystérieuse et souriante qui survit à nos maux et semble supérieure à eux ". La Recherche, sans la réduire à la sonate de Vinteuil, bien entendu essentielle - car le phrasé chez Proust ne peut se comprendre sans sa connotation musicale, qui implique le rythme, tant à la lecture du livre que peut-être encore davantage à la lecture à haute voix, surtout si elle est faite par des artistes tels que Dussolier, Lonsdale, Lambert Wilson, Fabrice Lucchini ( je n'ai par contre, pas du tout apprécié Bernadette Lafont, même hors sujet dans le rôle de Madame Verdurin.
Comme vous l'explicitez page 45 " La Recherche est le roman de la création artistique, les personnages n'apparaissant et ne se répétant qu'à la manière des mouvements d'une symphonie où les rimes et assonances qui fractionnent un poème". Autre aspect essentiel, la circularité chez Marcel Proust : " L'auteur a l'ambition de faire de sa Recherche une oeuvre d'art total, si bien qu'il la circonscrit volontairement dans une structure close qui englobe toutes les autres : celle du cercle qui marque la fin du temps linéaire et le triomphe de l'art sur la vie ". Et plus loin : " Cette recherche, qui se referme sur elle-même, cet univers clos n'est pas sans évoquer la configuration d'un lac qui, lentement, déroulerait ses berges imaginaires dans une lumière déjà gagnée par les ombres du passé, temps retrouvé qui viendrait boucler le cercle parfait du temps perdu". Voilà une phrase dont j'aurais rêvé d'être l'auteur.
Vous avez, par ailleurs, une connaissance profonde de La Recherche acquise plus par le sentiment que l'intelligence - postulat très proustien - le coeur plus que la raison, réalisation d'un heureux équilibre entre le cerveau droit - la sensibilité - et le cerveau gauche - la raison. Vous avez certainement lu La Recherche, aimé, relu, oublié parfois, recherché, retrouvé l'essentiel que vous pensiez peut-être perdu dans l'érosion de l'oubli, mais qui était lové, si je puis dire, dans le disque dur de la mémoire ; vos réminiscences personnelles ( comme l'ont été dans La Recherche la madeleine, le tintement d'une cuillère, les pavés inégaux ) ont réanimé le passé enfoui sous les ans, comme le serait un château abandonné aux ronces et aux mûriers ( ce qui renvoie à Cocteau " La belle et la bête " que je revois encore avec un infini plaisir ) et ont conduit - grâce à votre talent certain et beaucoup de travail ( mais, miracle, qui ne se sent aucunement ) à ce miroir des eaux qui représente comme une glace réfléchissante que vous tendez au lecteur que je suis et dans lequel je devine des prolongements insoupçonnés, des fulgurances inédites qui confirment - à mes yeux - ce que disait Pessoa : " La littérature est la preuve que la vie n'est pas suffisante ".
Pour conclure, je me permettrai d'évoquer des passages de votre livre que j'ai tout particulièrement appréciés. Remarquable avant-propos : le décor est planté, la présentation est faite de ce qui va être développé le long du livre, à la limite tout est dit : " Selon Proust, la littérature est la seule vie digne d'être vécue, car la seule en mesure de conserver ce qui fût, d'atteindre à la vérité des êtres sous les mouvements changeants et mensongers des apparences et de faire remonter à la surface un équivalent spirituel " ( Page 10 et 11 )
Et la métaphore fondamentale de la profondeur abyssale inspirée par l'eau : " C'est avec la même incertitude que je me suis plu longtemps à me pencher sur la surface du temps écoulé" - citation de William Wordsworth que vous faites figurer page 8. Vous avez cité également L'eau et les rêves de Gaston Bachelard, livre qui m'a beaucoup marqué, il y a très, très longtemps. Je le relirai. " L'eau seule peut dormir en gardant sa beauté" - écrit-il. J'ajouterais et les enfants très jeunes. Je suis déjà assez prolixe : je ne puis citer tous les passages que j'ai aimés : les pages essentielles, à mes yeux, de votre livre ( pages 110 - 111 et 112 ), l'évocation de Dostoïevski qui écrit qu'il n'y a pas de création possible sans la perversité qui est l'envers de la pureté et votre phrase à propos de sa mère : " il n'avait jamais été autant son fils que depuis qu'elle était absente et qu'il consacrait la sienne à raconter et sublimer la leur, à l'ouvrir à cette éternité de l'art que les ferait perdurer ensemble ". Qu'en termes élégants ces choses-là sont dites...
Et aussi ( pages 118- 119 ), la beauté de Venise identifiée aux robes de Fortuny portées par Albertine ( et pour lesquelles, je crois, il a demandé conseil à Oriane de Guermantes ). Je ne puis que vous citer ( page 126 ) pour expliciter ce que vous avez développé sous les titres évocateurs " Les eaux printanières ( Combray ), Les eaux amoureuses ( Balbec ), Les eaux crépusculaires ( Venise ), Les eaux réfléchissantes ( l'oeuvre ) : " Ce sont dans ces eaux printanières, ces eaux ruisselantes ou tendrement assoupies que parle le mieux la nature-enfant, qui n'a pas encore pris conscience que tout être est mortel. (... ) L'enfant Proust, retenu dans ce royaume des eaux, ne voit pas seulement éclore à leur surface la beauté des fleurs aquatiques, mais trouve dans leur présence des accompagnatrices silencieuses, des eaux claires au doux murmure, une nature en train de se contempler. Ces eaux sont devenues son double. Elles renvoient le penseur à sa pensée, alors que le penseur retourne à l'eau ses propres chimères et, qu'en ces moments rares, il perçoit, dans cette intimité recueillie, le long plaidoyer des choses qui se sont tues ". ( page 17 ) Et page 126 : " Alors que la rêverie avait commencé devant l'eau courante d'un ruisseau, l'eau naïve d'un étang, s'était poursuivie devant les eaux silencieuses d'un lac, l'eau imprévisible, parfois violente de la mer, elle s'achève sous la treille assombrie au sein d'une eau ténébreuse qui transmet d'étranges et funèbres murmures ". C'est la découverte de Venise, le début de la descente aux enfers : " Venise hantée de spectres et de fantômes, concentre en elle toutes les douleurs ".
Ce que vous avez écrit sur Venise s'enchâsse avec bonheur dans les textes proustiens que vous citez. Dans ces eaux mêlées se détache pour moi le vue crépusculaire de Venise. Une digression, si vous permettez, le cinéma, avance-t-on, ne pouvait rendre en images la substantifique moëlle de La Recherche, Swann et Le Temps retrouvé sont, à mon avis, passés à côté de l'univers proustien. Un seul metteur en scène - lit-on - aurait pu rendre l'esprit et la sensibilité de Marcel Proust : Lucchino Visconti ; il s'y est essayé, comme vous le savez, en a même écrit le scénario, que l'on peut se procurer, mais n'est pas passé à la réalisation. Donc, si Visconti a abandonné son projet, aucun metteur en scène n'aurait pu le mener à bien - prétend-t-on. Je m'élève en faux. Visconti l'a fait ce film : c'est Mort à Venise, certes sur une nouvelle de Thomas Mann, mais qu'importe ! Il n'y a pas un film plus proustien que celui-ci, qui n'est pas, contrairement à ce qu'affirment certains, un film sur l'homosexualité, mais une réflexion sur la beauté, la vie, la mort. Pour moi, un chef-d'oeuvre, l'admirable composition de Dirk Bogarde dans cette Venise mortifère où cohabitent la beauté et la mort - avec Senso - ses deux plus grands films.
Je pourrais poursuivre sur les références philosophiques de Marcel Proust, plus proche de Schopenhauer que de Bergson, approfondir les similitudes d'analyse entre Proust et Dostoïevski. Sur le personnage d'Oriane de Guermantes si séduisant de prime abord à Combray, mais qui se délite peu à peu, devient lisse et transparent, comme asexué ; est elle-même belle, Oriane ?, avec cette couperose, dont l'assortit férocement le narrateur à la fin de La Recherche, comme il règle de façon générale ses comptes avec ses personnages.
Ce sur quoi je n'ai pas encore insisté - et pourtant essentiel - c'est que l'adulte Proust avait su garder un regard d'enfant, cet éclairage unique, passager, que toute notre vie - à tout le moins pour certains - nous recherchons, cette fraîcheur originelle, mélange de découverte, d'élan, de curiosité, de poésie naturelle.... Je reviens encore à votre miroir des eaux ( page 140 ) : " Il est remarquable qu'après tant d'années de sacrifice et de souffrance, cet homme si seul et si malade ait pu conserver intacte sa faculté d'émerveillement. Proust n'a jamais cessé d'être un enfant ébloui ".
Vous constaterez comme moi que je ne suis que laudatif sur Proust et le miroir des eaux. Après deux lectures, dont la seconde en prenant des notes, je n'ai aucune critique fondamentale à formuler, pas de déception ou d'attente déçue par rapport à ce que le titre pouvait me laisser espérer ou, plus précisément, rêver. J'en suis conscient, mais c'est ce qui est venu au fil de la plume sans créer une construction artificielle.
Gérard FONDIMARE
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