Au moment où la saison devient plus intime et que les lumières commencent à se voiler comme une lampe sous son abat-jour, j'avais envie d'une promenade en Normandie et pourquoi pas à Villequier où, dans une boucle harmonieuse de la Seine, la famille Vacquerie possédait une résidence entourée d'un jardin, lieu devenu plus romantique le jour où la famille Hugo s'était jointe à la leur à l'occasion des épousailles de la jeune Léopoldine, fille aînée de Victor, avec Charles Vacquerie. Marié en février 1843, le jeune couple se noie le 4 septembre de la même année lors d'une promenade en barque aux alentours de leur maison. Celle-ci, neuve et mal lestée, s'était retournée et Léopoldine ne savait pas nager. Malgré les efforts de son mari pour tenter de la sauver, ils sombrèrent tous les deux. Ce drame liera étroitement les deux familles et Madame Hugo viendra souvent séjourner auprès de ses amis avec ses quatre enfants, d'autant que Léopoldine et son mari sont enterrés dans le cimetière voisin. Hugo, dont c'était sans doute l'enfant préférée écrira :
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends,
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne,
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Ici, tout est beau. Le silence de ce petit village avec sa rue parallèle au fleuve ; la Seine, au loin, déroulant son lent et long ruban gris ou bleu selon les endroits, cela dans une immuable douceur de vivre ; son église avec sa nef en coque de navire et ses vitraux du XVIe siècle, enfin son cimetière qui la ceint comme une couronne et où reposent, non seulement Léopoldine et son époux, mais Adèle Foucher, la femme de Victor Hugo, et sa plus jeune fille morte en 1915 dans un asile où elle était internée depuis de longues années. On aime à s'attarder sur un banc pour voir couler le fleuve aux courbes paresseuses avec, à l'horizon, quelques falaises blanches et les hêtraies touffues appuyées à des vallons qui forment depuis la nuit des temps un paysage inchangé.
Non loin se trouve l'abbaye de Saint-Wandrille, haut lieu touristique, fondée au VIIe siècle par un ministre du roi Dagobert épris de solitude, qui souhaitait se retirer en un endroit propice au recueillement et à la prière. Il fixera son choix sur ce paysage de prairies et forêts où tout semble s'harmoniser pour transmettre à chacun la plus parfaite sérénité. Au XIIIe siècle, l'abbaye connut son apogée et il n'y avait pas moins de 300 moines à partager leur existence entre la prière, le travail manuel et culturel. (Aujourd'hui l'abbaye compte trente moines )
L'abbatiale, comme celle de sa voisine Jumièges, était alors une véritable cathédrale qui sera peu à peu démantelée à la Révolution par des hommes qui feront de cette merveille une carrière de pierre. Les moines en reprendront possession en 1894. En 1969, après bien des vicissitudes et des difficultés administratives, la communauté monacale acquiert une ancienne grange seigneuriale qui, démontée et remontée pièce par pièce, devient la nouvelle église, superbe par ses proportions et sa simplicité, où l'on peut admirer une descente de croix médiévale d'une extrême beauté. De même que le cloître, splendide dentelle de pierre mi-gothique, mi-Renaissance, dont les remplages assurent un décor toujours différent. Les lumières du soir donnent à ce paysage de pierre certi dans un décor bucolique une splendeur exceptionnelle qui incite à la contemplation. Il y a ainsi, autour de nous et proche de nous, des lieux élus qui nous rappellent qu'il arrive à l'homme de composer avec Dieu.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
Pour consulter la liste des articles de la rubrique ESPRIT DES LIEUX, cliquer ICI