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28 décembre 2020 1 28 /12 /décembre /2020 10:10
La sainte entreprise de Pascale Cornuel

Pour une fois, je vous propose une lecture studieuse, à la fois une biographie et une page de l’histoire de France, de l’histoire des colonies, de la transition après l’esclavagisme, de la condition féminine et surtout l’aventure d’une femme d’exception qui a pris le voile pour fonder une congrégation religieuse consacrée aux soins aux malades et à l’enseignement à destination des moins favorisés.

 

Pascale Cornuel, agrégée de l’université, docteur ès lettres, a consacré sa thèse et l’ensemble de ses travaux à Anne Javouhey, sœur Anne-Marie en religion, fondatrice des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny au début du XIXe siècle. Elle a tiré de ses travaux le présent ouvrage dans lequel elle raconte la vie et l’œuvre de cette religieuse particulièrement déterminée qui, contre vents et marées, contre l’administration et le clergé quand ils s’opposaient à sa vocation, a fondé un ordre qui, aujourd’hui encore, est présent sur les cinq continents où il poursuit son œuvre d’enseignement et de soins aux malades.

 

Anne Javouhey est née en 1779, aux confins de la Bourgogne et de la Franche-Comté, dans un petit village à proximité de la bourgade de Seurre. Contrairement à ce qu’elle a souvent dit, sa famille était relativement aisée, son père était un paysan suffisamment fortuné pour posséder de belles terres qu’il pensait confier à Anne au moment de prendre sa retraite. Mais son vœu ne s’est jamais réalisé, sa fille, après des débats houleux avec lui, s’est enfuie pour entrer en religion. C’est ainsi qu’elle rencontre, à Besançon, Jeanne Antide Thouret la fondatrice des Sœurs de la Charité. Et c’est dans cette ville qu’elle eût une vision qui la montrait entourée d’enfants de toutes les couleurs auxquels elle enseignait la religion, la lecture et l’écriture et ce que l'on apprenait aux enfants à cette époque. Après moult voyages entre la France et la Suisse autant pour échapper aux sicaires de la Révolution que pour trouver l’ordre qui conviendrait le mieux à sa vocation, elle finit par fonder le sien,  les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny dans lequel elle entrainera ses trois sœurs, puis une nièce.

 

Rapidement, elle installe un établissement à Paris qui se fait remarquer de ceux qui avaient en charge les colonies et pensaient que les méthodes, qu’elle appliquait, pourraient y avoir de bons résultats. C’est donc à Saint Louis du Sénégal qu’elle conçut ce qui devait être sa grande œuvre, la Sainte Entreprise comme certains la dénommèrent rapidement. Elle voulait construire un village qui pourrait être reproduit à moult exemplaires, autant que nécessaire pour accueillir les esclaves libérés. Elle heurta de nombreux milieux, notamment les colons, qui supportaient mal d’être privés d’une main d’œuvre gratuite et n’admettaient pas que des Noirs puissent être considérés à l’égal des Blancs, que des femmes occupent des postes réservés aux hommes. Son projet, au regard des colons, n’avaient que des inconvénients, les esclaves libérés, installés au village noir de Mana, cultivaient ce dont ils avaient besoin et non des productions exportables et donc lucratives pour les maîtres. Le monde d’Anne Javouhey était un monde égalitaire où chacun pouvait manger à sa faim, recevoir un enseignement, être soigné correctement dans le respect de sa dignité. Mais c’était aussi, et même surtout, un monde catholique qui vénérait le Dieu des chrétiens, un monde qui pourrait produire son propre clergé, un monde qui pourrait se passer des Blancs. C’était la meilleure manière de se faire des ennemis particulièrement tenaces et féroces, sa vie fut donc une lutte perpétuelle contre ceux qui ne respectaient pas le sens de sa vocation.

 

Pour comprendre l’œuvre d’Anne Javouhey, il faut aussi se replonger dans son enfance, lorsque le choc révolutionnaire atteignit le fond des campagnes, lorsque les églises furent pillées, les prêtres martyrisés, les ordres religieux dispersés. Cette haine anticléricale attisa la foi de certains qui devinrent encore plus déterminés et, parfois même, intégristes dans leurs pratiques. Anne et sa famille combattirent aux côtés des catholiques pour sauver ce qui pouvait l’être et, plus tard, reconstruire un clergé régulier et séculier capable de réimplanter la religion chrétienne en France. En créant son ordre, elle a participé à la recréation du clergé français mais elle a aussi fourni de nombreuses sœurs hospitalières dont le pays, avec toutes les guerres qu’il menait, avait un urgent besoin. Son œuvre en gênait certains mais trouvait beaucoup d’encouragements auprès de ceux qui défendaient l’enseignement pour tous, des soins dignes même pour les fous et les lépreux souvent fort mal traités et, surtout, l’émancipation des esclaves afin qu’ils ne sombrent pas dans un statut encore plus contraignant que celui qu’ils quittaient. 

 

Jusqu’à son dernier souffle elle a lutté, parcourant la France et le monde pour visiter, mobiliser, restaurer, relever ses fondations mises à mal. Elle avait peut-être un défaut qui était, en définitive, sa plus grande qualité, elle n’acceptait aucune autorité qui fut contraire à sa mission divine. Son énergie, sa détermination, sa ténacité étaient immenses ; quand toutes et tous croyaient qu’il n’y avait plus de solution, elle s’en remettait à Dieu et les événements lui donnaient presque toujours raison. Le clergé ne fut pas son plus mince adversaire. De nombreux évêques et clercs acceptaient mal qu’une femme puisse avoir de si énormes responsabilités, qu’elle s’impose face à la hiérarchie cléricale, qu’elle punisse un homme ayant battu sa femme. Sa vision d’une société égalitaire, quelle que soit la condition sociale, l'origine ou le sexe, n’était pas acceptée par tous, mais nombre d’humanistes la soutinrent comme le poète Lamartine et elle fit preuve, en certaines circonstances, d’un réel œcuménisme. Si sa vision du monde ne fut pas acceptée par tous à son époque, elle est considérée aujourd’hui, sur bien des points, comme une pionnière. Elle n’était certes pas diplomate, pas bonne gestionnaire non plus, mais elle avait un objectif dont elle ne changeait jamais et ceci la rendait crédible. Elle savait où elle allait, sans savoir toujours comment elle pourrait y aller, mais la plupart du temps elle atteignait son but car vouloir est plus fort que savoir et pouvoir.

 

Saluons l'énorme travail qu’a accompli Pascale Cornuel. Son  livre n’est pas seulement une biographie extrêmement précise mais l’analyse, presque au jour le jour, de la mission à laquelle cette religieuse s’est consacrée et une formidable page d’histoire qu’on a un peu oubliée aujourd’hui : la reconstruction du clergé séculier et régulier après son anéantissement par la Révolution, la participation du clergé à la colonisation, le rôle du clergé dans l’émancipation des esclaves libérés, le rôle des sœurs dans la reconnaissance des compétences des femmes. N’ont-elles pas largement contribué à démontrer ce que le sexe, dit faible, était en mesure d’accomplir. Et, bien d’autres choses encore tant le champ de l’œuvre est vaste dans le temps, l’espace et la diversité des actions et des engagements. Et félicitations encore à l'auteure qui, en historienne avisée, n’est jamais tombée dans les pièges des différentes idéologies et courants de pensée … Son texte est d’une clarté absolue et d’une impartialité exemplaire.


Denis BILLAMBOZ


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L'auteure

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9 novembre 2020 1 09 /11 /novembre /2020 09:51
Mon grand frère de Thierry Radière

Pour Thierry Radière, la famille n’est pas une vulgaire association d’adultes qui veulent simplement vivre ensemble, c’est une institution fondée sur des sentiments forts comme l’amour et sur des valeurs qui permettent de construire un édifice solide. Dans ce texte, il évoque les relations filiales et les rapports fraternels.

 

 

                                                                    Mon grand frère

Thierry Radière (1963 - ….)

 

 

La famille, le couple, l’enfance, l’adolescence, tout ce qui conditionne la construction de l’adulte qui devra, à son tour initier un nouveau cycle pour perpétrer le lignage, est au centre de l’œuvre de Thierry Radière que je commence à bien connaître. Dans le présent ouvrage qu’il dédie plus particulièrement aux adolescents, il construit une famille qui pourrait couler des jours heureux si chacun faisait un petit effort, qui en travaillant un peu plus à l’école, qui en étant un peu plus tolérant, qui en étant un peu plus ferme…


 

Cette famille se compose d'un couple constitué d’un père autoritaire et intransigeant et d’une mère une peu trop faible et résignée et de deux enfants, des garçons, l’aîné qui sera bientôt majeur et le second qui n’a pas encore douze ans. Le petit frère adore son grand frère qui lui enseigne tout ce qu’un jeune doit savoir avant d’entrer dans la vie adulte. Il lui fait notamment découvrir des nouveaux groupes qui ne sont pas encore à la mode car il est lui aussi membre d’un groupe local qui croit autant en sa musique qu’en son avenir. La famille pourrait baigner dans le bonheur si le grand frère travaillait un peu plus à l’école et ne manquait pas systématiquement certains cours. Le père ne supporte pas un tel laisser aller et un si flagrant manque d’assiduité et de persévérance dans les études. Chaque vendredi soir quand le grand frère rentre à la maison pour le week-end, la comédie recommence avec sa cohorte d’engueulades et son enchaînement inévitable : reproches du père, arrogance du grand frère, colère du père, désolation de la mère et tristesse du petit frère qui raconte l’histoire et voudrait bien trouver une solution pour que tout le monde vive en harmonie.


 

C’est le schéma classique de la lutte des générations, le père n’aime pas la musique du fils, il ne supporte pas son comportement et son arrogance mais, au-delà de ces altercations, il y a une grande angoisse, l’angoisse que partage de nombreux parents : la peur de voir leur rejeton exclu du monde du travail, connaitre le chômage, puis  la dèche, où l’alcool et la drogue seront les seuls stimulants. Comme le livre s’adresse aux jeunes, il comporte une issue pour que ceux-ci  croient encore en leur destin et soient convaincus qu’ils ont un avenir à condition de s’en donner les moyens. Au passage, il conseille aux parents d’écouter leurs enfants et de leur laisser la liberté de se construire avec leurs envies, leurs moyens et même leur talent. Thierry connait bien le problème, il a  vu défiler un certain nombre d’adolescents plus ou moins talentueux, plus ou moins travailleurs, mais aussi, parfois, mal dans leur peau, mal dans leur famille, alors lisons ce texte avec attention.


Denis BILLAMBOZ


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12 octobre 2020 1 12 /10 /octobre /2020 08:48
Debussy pour toujours de Zoran Belacevic

En Serbie, le français est enseigné dès l’école primaire comme une langue obligatoire. Zora Belacevic a pu ainsi acquérir une belle culture française et, comme il aime la musique et surtout Debussy, il lui a consacré cet ouvrage qui évoque surtout celle qui fut son plus grand amour.

 

                              Debussy pour toujours

                                   Zoran Belacevic

 

Gabrielle Dupont, Gaby aux yeux verts pour le demi-monde parisien, a déjà soixante-dix-huit ans, elle vit à Orbec non loin de sa maison natale de Lisieux où elle est née quelques années avant Sainte Thérèse. Il ne naît pas que des saintes à Lisieux. Gaby se souvient quand elle avait vingt-cinq ans, qu’elle était belle, jeune, dynamique, débordante d’énergie, ambitieuse, prête à tout pour réussir à Paris. Réussir selon elle, qui n’avait aucune fortune, pas plus de culture et d’instruction, consistait à s’attacher un amant fidèle et fortuné qui pouvait lui procurer le train de vie digne d’une grande dame. Une entremetteuse lui a trouvé par chance un comte peu séduisant mais suffisamment riche pour qu’elle lui soutire de quoi se montrer à son avantage dans les soirées parisiennes. Mais un jour elle faillit à sa règle fondamentale en tombant amoureuse d’un compositeur parfaitement inconnu qui vivait misérablement dans une mansarde.

 

Ce compositeur, encore inconnu, n’était autre que Claude Debussy, qui travaillait sur ses premières compositions, vivant de quelques expédients : cours de piano, copies de partition, etc… Entre les deux jeunes gens, un amour charnel se noue, ils n’ont rien en commun, elle est pratique et pragmatique, il est rêveur et intuitif. Elle l’abandonne mais, à chaque fois, revient auprès de lui vivre de nouvelles galères, de nouvelles querelles, nourrir de nouvelles rancœurs : « Cependant, même dans les périodes les plus obscures, le sexe ne les abandonne pas. Il représente leur salut, leur opium, l’aimant qui les maintient ensemble ». Malgré de nombreux sacrifices et moult efforts, Gaby ne parviendra jamais à concilier son besoin charnel de son amant avec ses besoins matériels, son envie de paraître, son goût de luxe et de confort. Lui, « Pauvre Claude, il n’aura jamais d’argent. Il vivra toute sa vie dans les nuages. Pour lui, la musique aura toujours la première place ».

 

En filigrane de cette passion tumultueuse, tapageuse, parfois violente, remplie de conflits et de réconciliations sous la couette, qui durera presque une dizaine d’années, Debussy composera une bonne partie de ses œuvres maitresses à un rythme si lent qu’il désespérait ceux qui croyaient en son génie alors qu'il croupissait dans la misère. Peut-être que la belle aux yeux verts l’a inspiré pour certaines œuvres, la mélodie du Prélude à l’après-midi d’un faune lui serait venue brusquement lors d’un déjeuner sur l’herbe avec Gaby.

 

Zoran Belacevic, dans son avant-propos, rappelle que le français est, en Serbie, une des trois langues obligatoires à l’école primaire et que, par conséquent, la culture française y est très présente, d’ailleurs de nombreux artistes comme Debussy y sont  très connus. Lui-même a eu envie d’écrire ces pages de la vie du compositeur après avoir écouté et aimé ses œuvres mais surtout après avoir découvert cette intrigue amoureuse hors du commun. Elle était forte, déterminée, têtue ;  il était plutôt bon bougre et peu rancunier ;  ils aimaient les étreintes charnelles passionnées, ils avaient tout pour écrire une histoire d’amour explosive que Zoran a bien vite saisie. L’amour charnel peut-être dévastateur quand il rencontre des forces contraires mais il n’a jamais pu porter atteinte au talent de Debussy et à la qualité de son œuvre.


Denis BILLAMBOZ


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Claude Debussy

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28 septembre 2020 1 28 /09 /septembre /2020 07:53
L'Ecclésiaste

«Vanité, vanité, tout n’est que vanité». Cette maxime des millions de fois répétée, mille fois écrite, inusable, inoxydable, introduit L’Ecclésiaste, ce court texte inséré dans la Bible hébraïque dans le Ketouvim, parmi les « Cinq rouleaux », entre les Lamentations et le Livre d’Esther. La Bible est composée de textes différents rassemblés dans un même livre dont il existe plusieurs versions. A la lecture de « L’Ecclésiaste » on pourrait penser que ce texte avait pu être rédigé par le roi Salomon lui-même, « Moi, l’Ecclésiaste, qui fut roi d’Israël dans Jérusalem, je résolus de rechercher et d’examiner tout ce qui se passe sous le soleil… », mais le contenu et la forme ont orienté les exégètes vers d’autres hypothèses dont aucune, à ce jour, n’a pu être validée. L’Ecclésiaste reste donc un texte pseudépigraphe, attribué à un auteur dont le nom ne correspond vraisemblablement pas à son identité réelle.

 

L’Ecclésiaste, selon les datations, aurait été rédigé entre le IIIème et le Ier siècle avant notre ère. L’édition proposée par Louise Bottu Editions correspond à la traduction de Lemaistre de Sacy revue et corrigée par le préfacier  Frédéric Schiffter. Dans cette préface, il fait une lecture de L’Ecclésiaste en parallèle avec certains textes de Spinoza que je n’ai pas lus, je ne peux donc apporter aucune remarque à cette préface. Je pourrais seulement souligner que le préfacier a, chez ce même éditeur, publié « Le voluptueux inquiet », une réponse à « La lettre sur le bonheur » d’Epicure. On remarque donc qu’Epicure, le pseudo Ménécée et l’auteur de l’Ecclésiaste partagent une certaine vision de la vie sur terre.

 

L’Ecclésiaste estime que dans la vie tout est vanité, vanité au sens puérilité, futilité, vanité. «  J’ai trouvé que tout était vanité, à commencer par les actions des hommes qui ne sont que brassage d’air ». Tout au long de son texte, il répète que tout est vanité, l’argent, le pouvoir, les richesses matérielles. Le riche comme le pauvre décédera un jour. Même les efforts sont inutiles car les fruits, qu’ils porteront,  ne seront qu’éphémères. Le laborieux, le besogneux  ne seront pas récompensés de leurs efforts et n’auront pas une  meilleure fin que le fainéant et le profiteur. « On enterre le sage comme le fou ».

 

Selon L’Ecclésiaste, la vie ne serait qu’acceptation, résilience, mesure, sagesse. Il conviendrait, d’accepter le temps, et ce qu’il contient, comme il vient. L’auteur récuse les philosophes et les scientifiques qui ne peuvent en rien améliorer la vie sur terre. « J’ai constaté que même la philosophie n’épargnait pas l’accablement et, même, que la science accroissait la peine . (…)  Ne vaut-il pas mieux pour tout un chacun se contenter de manger, de boire  et de se satisfaire, mais seul, du fruit de ses travaux ? ».

 

La fatalité a accablé l’homme quand il est apparu sur terre. « Le seul péché dont les humains se rendent coupables génération après génération est celui de naître et leur châtiment celui de vivre ensemble ». L’homme ne changera  jamais son destin car tout a déjà été écrit et tout le sera à nouveau, le changement n’existe pas. « Pourtant ce qui s’est produit autrefois se produira à l’avenir, ce qui fut sera de nouveau ».

 

Ce qui m’étonne le plus dans ce court passage, ce sont la misanthropie et la misogynie affichées par l’auteur, même si on peut penser qu’autre temps autres mœurs.  « Entre mille hommes on en peut trouver un estimable ; mais, parmi toutes les femmes, pas une seule ». Et pourtant la femme est bien nécessaire à l’homme pour qu’il vive en harmonie avec les préceptes énoncés par l’auteur : « Voilà pourquoi il nous faut jouir de la vie passagère avec la femme que nous aimons, pendant tous les jours de notre vie passagère ».

 

J’ai trouvé dans ce texte des principes qui pourraient avoir été empruntés aux Epicuriens et mélangés avec d’autres puisés chez les Stoïciens, impression personnelle peut-être, mais ce qui est sûr c’est que ce texte semble bien peu religieux, il est surtout moral, conseillant de profiter de la vie en toute modération. « Profitons du bonheur quand il se présente et préparons-nous au malheur» car « Le seul bonheur que Dieu donne aux hommes sous le soleil, et dont ils doivent se contenter de la naissance à la mort, consiste à manger, boire, se réjouir, se reposer ». Certains trouveront que c’est peu mais c’est déjà beaucoup quand on considère toutes les calamités qui ont affligé, affligent encore, et affligeront  toujours, l’humanité.

« La tragédie des hommes est que le monde n’est pas fait pour eux et qu’il n’y en a pas d’autre… »


Denis BILLAMBOZ


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L'Ecclésiaste
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13 juillet 2020 1 13 /07 /juillet /2020 08:30
On ne coupe pas les ailes aux anges de Claude Donnay

Des jeunes gens à la recherche de leur véritable identité sexuelle et de leur avenir doivent affronter une bonne partie des nombreuses épreuves encombrant le monde actuel. Un roman initiatique qui dénonce les déviances qui altèrent notre société actuelle.

 

 

On ne coupe pas les ailes aux anges

Claude Donnay (1958 - ….)

 

 

Avec ce roman Claude Donnay a tenté de mettre en scène  les grandes calamités que notre jeunesse doit affronter en ce début de millénaire : homophobie, pédophilie, violences faites aux femmes et aux enfants, émeutes subversives et répression brutale, migration des peuples, radicalisations nationalistes, atteintes à la nature, changements climatiques … Un vrai catalogue des calamités qui frappent le début du  XXI siècle.

 

Arno, jeune garçon qui vit seul à Bruxelles avec sa mère, est amoureux de Bastian le fils de l’épicier, un homme brutal et sanguin qui le rudoie constamment car il n’apprécie pas sa part de féminité qu’il juge un peu trop envahissante. Il ne peut davantage compter sur l’affection de sa mère, une véritable harpie qui n’hésite pas à affronter son mari, sous le nez de l’enfant, dans des bagarres sauvages agrémentées de bordées de jurons et imprécations du plus haut cru. Pour son malheur, la route d’Arno croise un soir celle d’une bande de voyous patibulaires, homophobes qui lui infligent des sévices d’une violence inouïe. Hospitalisé, le jeune homme souffre atrocement et se referme sur lui-même pour ne pas revivre les traitements qu’il vient de subir.

 

Afin d’oublier sa douleur et ses bourreaux, Arno décide de fuguer en compagnie de son ami, car  il ne veut pas affronter ses parents une fois de plus. Et contrairement à ce qu’il a dit à sa mère, il n’emmène pas son ami vers la côte mais vers l’intérieur, vers les Ardennes où ils goûtent ensemble à un vrai contact avec la nature et rencontrent une fille originale qui leur raconte des choses étranges. Convaincus que leur fugue est vaine, ils reviennent dans la capitale où ils arrivent juste au moment où des émeutes enflamment la ville…

 

Du moins,  cette fugue leur a-t-elle révélé la réelle nature de leur relation, la possibilité de retrouver la paix et la quiétude loin de la ville et a provoqué la rencontre avec Mira la jeune femme mystérieuse et attirante. Ce livre, qui commence comme un roman d’amour entre deux garçons, vire au roman noir dès qu’Arno est violenté et violé par des loubards. La police entre alors en œuvre comme dans un vrai polard que Claude Donnay a épicé de textes intercalés dans le récit pour narrer une autre histoire enfouie tout au fond de la mémoire du policier chargé de retrouver les loubards sanguinaires.

 

Un texte dense qui répertorie ce qui risque d’arriver à des jeunes gens un peu différents, à des femmes ou à n’importe qui dans notre société radicalisée où  force et violence tiennent trop souvent lieu de  force loi. Mais Claude ne concède pas tout à la violence, il sait que l’amour peut surgir n’importe où, que Cupidon peut piquer quiconque de ses flèches et créer les couples les plus improbables afin de  faire renaître la vie et l’espoir.

 

Denis BILLAMBOZ


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Claude Donnay

Claude Donnay

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29 juin 2020 1 29 /06 /juin /2020 07:16
La défense et illustration de la langue française de Joachim Du Bellay

Il y a cinq cents ans, il fallait déjà défendre la langue française mais ce n’était pas pour la préserver contre une crise d’ignarerie généralisée comme aujourd’hui, mais pour la construire et en faire l’un de plus grands véhicules culturel, intellectuel et artistique de la planète.

 

 

La défense et illustration de la langue française

Joachim Du Bellay (vers 1522 – 1560)

 

 

Le 15 février 1549, Joachim Du Bellay adresse à son parent le Cardinal Du Bellay La Deffense, et illustration de la Langue Francoyse, un texte qu’il a rédigé dans le but de défendre cette langue vulgaire encore considérée comme une langue populaire à l’usage des gueux. Il précise que son entreprise n’a été motivée que par la seule affection naturelle qu’il éprouve envers la mère patrie. Avant de prendre connaissance de son texte, il est important de rappeler que les poètes de la Pléiade ont pris fait et cause pour la langue française dont François Ier a imposé, par l’édiction de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, la primauté et l’exclusivité pour la rédaction de tous les actes relatifs à la vie publique du Royaume de France. Ce texte est le plus ancien document législatif de la République française, ces articles concernant l’application de la langue vulgaire n’ont jamais été abrogés.

 

La langue française est, comme toutes les autres, née du besoin de communiquer qu’éprouvent tous les gens qui vivent ensemble, elle n’est pas plus barbare que les autres, même si elle n’a pas été suffisamment choyée par ceux qui en avaient la déposition. Elle a une grande marge d’amélioration par l’usage qu’on en peut faire en délaissant un peu le latin et le grec qui ne sont pas les seules langues à pouvoir exprimer les idées, les savoirs, et même la théologie si les hommes d'église n'ont rien à cacher.

 « Ainsi veulent-ils faire de toutes les disciplines, qu’ils tiennent enfermées dedans les livres grecs et latins, ne permettant qu’on les puisse voir autrement : ou les transporter de ces paroles mortes en celles qui sont vives, et volent ordinairement par les bouches des hommes ».

 

Le grec et le latin n’ont pas été langues riches et brillantes dès leur origine, elles le sont devenues par la pratique séculaire de nombreux savants, poètes et dramaturges. Les langues vulgaires, à l’image de l’italien, peuvent devenir elles aussi belles et riches quand elles auront été employées par de grands esprits qui l’enrichissent et la modèlent. D’où la nécessité de traduire en langue vulgaire les textes savants pour qu’ils soient accessibles à tous, sachant que cette pratique serait très favorable à l’amélioration des langues. Et aussi de puiser chez les grands anciens comme Guillaume du Lorris et Jean de Meung sans évoquer les amis et contemporains, notamment ceux de la Pléiade.

 

Du Bellay développe d’autres arguments encore, le temps que l’on perd à apprendre les langues étrangères pour accéder au savoir au lieu d’apprendre les sciences et, déjà, l’inesthétisme de certains parlers, ainsi  se moque-t-il  de ceux qui tordent la bouche pour parler des langues qui ne leur sont pas naturelles alors que le français ne requiert aucune grimace.

 

Pour faciliter l’usage de notre langue vulgaire à  ceux qui veulent écrire, l’auteur leur donne de précieux conseils tant sur le fond que sur la forme. Il invite  les auteurs en devenir à lire et relire ces beaux vieux romans comme un Lancelot ou un Tristan. Mais, conscient de la limite de la langue française, il les encourage à chercher, inventer, créer de nouveaux mots qui viendront enrichir leur champ lexical et celui de leurs suivants. Il les incite aussi à puiser chez les anciens des mots qui, déjà à cette époque, étaient devenus rares, des mots que « nous avons perdus par notre négligence ». « Pour conclure ce propos, sache lecteur, que celui sera véritablement le poète que je cherche en notre langue, qui me fera indigner, apaiser, éjouir, douloir, aimer, haïr, admirer, étonner : bref, qui tiendra la bride de mes affections, me tournant ça et là, à son plaisir. »

 

L’auteur ne cache pas que ce texte est aussi un plaidoyer pour qu’une France unie se constitue autour d’un roi méritant et vertueux comme le fut « le vieux François » dont il fait un éloge vibrant. Pour qu’un peuple s’unisse autour d’un ensemble de lois et de règlements, d’une culture et d’une envie de voir progresser les arts et les sciences, il lui faut un langage commun, une langue unifiée et non des jargons régionaux ou mêmes locaux. D’autres langues comme l’italien émergent déjà et pourraient s’étendre au royaume de France et l’attirer dans son aire de diffusion.

 

Quel enthousiasme pour moi de lire ce texte, de redécouvrir des décennies plus tard le langage que j’ai décrypté dans les chroniques que j’ai transcrites, de déguster cette belle langue qui chante bellement. J’ai fait le rêve que ce plaidoyer soit imposé dans toutes les écoles qui déforment ceux qui nous dirigent et ceux qui les critiquent…

 

Denis BILLAMBOZ


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27 avril 2020 1 27 /04 /avril /2020 08:03
L'esprit européen en exil de Stefan Zweig

Les Editions Bartillat ont publié ce recueil de textes de Stefan Zweig que Jacques Le Rider et Klemens Renoldner ont rassemblés : des discours, des entretiens, des interviews, des préfaces, …. toutes  sortes de textes que le maître a écrit entre 1933 et 1942 pour attirer l’attention de ceux qui dirigeaient le monde à cette époque en leur demandant de faire cesser le massacre de plus en plus inéluctable.

 

 

L’esprit européen en exil

Stefan Zweig (1881 – 1942)

 

 

Jacques Le Rider et Klemens Renoldner ont réuni ce que ce dernier détaille comme des « essais discours et entretiens de Zweig entre 1933 et 1942 », pour constituer ce recueil destiné à mieux comprendre les rapports du grand écrivain autrichien avec la politique, l’exil et le destin des juifs pendant cette période particulièrement cruciale pour le devenir de l’humanité entière. Dans sa préface Klemens Renoldner précise que l’année 1933 avec « la prise du pouvoir par Hitler en Allemagne et le début de la persécution systématique des Juifs » marque un tournant décisif dans l’œuvre de Stefan Zweig. « C’est ce qui marque le début de sa crise d’identité. Le présent recueil des essais, discours et entretiens tient compte de cette césure chronologique. »

 

L’ouvrage rassemble donc des échanges avec divers journalistes de l’Europe centrale à l’Amérique du Sud en passant par l’Europe occidentale, notamment la France et la Grande Bretagne où il a résidé un certain temps, l’Amérique du Nord où il a voyagé et séjourné et l’Amérique du Sud où il s’était établi mais où il mit rapidement fin à ses jours. Quelques-unes des nombreuses allocutions qu’il a prononcées suite aux sollicitations qu’il recevait, des réflexions sur les sujets d’actualité, des articles pour la presse, des propos introductifs à diverses manifestations, des conférences et autres propos de circonstance. Il faut bien comprendre que Zweig était déjà un auteur connu et reconnu dans ces années- là  et,  comme intellectuel juif, il a été très sollicité pour formuler un avis sur les sujets cruciaux de l'époque. Thomas Quinn Curtis, journaliste américain, dans un article publié dans Books Abroad, vol. 13 - 1939 - rapporte : « qu’une enquête menée récemment par la Société des Nations à propos de la littérature contemporaine a mis en évidence la popularité de Zweig lui-même. Il occupe aujourd’hui la première marche du podium. Il est l’auteur vivant le plus traduit et le plus lu ».

 

Dans sa préface, Klemens Renoldner écrit : « L’œuvre de Zweig est profondément marquée par les circonstances politiques de son époque, mais l’auteur affirme dans le même temps qu’il méprise la politique ». Tout le monde voulait obtenir l’avis de Zweig sur les événements  mais celui-ci détestait la politique, il craignait comme la peste la récupération et surtout l’interprétation de ses propos. Son lectorat était principalement germanophone, surtout au début de la période étudiée, et il ne voulait pas le perdre. Il prétendait aussi que la plainte de celui qui souffre passe vite pour une jérémiade et que la réprobation a beaucoup plus de poids quand d’autres la formulent. Hélas, les états et les religions n’ont pas compris son message et ont bien mal défendu la cause du peuple juif. Il a longuement plaidé l’idée d’une Europe unie, respectueuse des libertés individuelles de chacun mais le nationalisme était beaucoup trop fort à cette époque pour que cette idée ait la moindre chance de se concrétiser.

 

L’exil fut l’autre question importante à laquelle il dut moult fois répondre. Il prétendait être bien partout, aimait travailler dans les grandes bibliothèques françaises, anglaises et américaines, se plaisait partout où il résidait avec Lotte, sa seconde épouse, et se plaisait à croiser des intellectuels émigrés comme lui, arrachés à leur sol et souvent moins bien lotis car, grâce à sa réputation, il fut toujours bien accueilli par des éditeurs étrangers. A mon sens, ce n’est pas de l’exil dont il souffrait le plus mais du déracinement, de la coupure avec sa langue, de la distance avec ses lecteurs qui pouvaient le lire alors sans le truchement des interprètes en lesquels il avait une confiance limitée. Il aimait profondément Vienne et je ne suis pas sûr que Vienne l’aime tout autant aujourd’hui. En séjour dans cette ville en septembre dernier, j’ai été surpris qu’on nous parle de Mozart et des architectes qui ont façonné la ville mais jamais de Zweig, ni de Freud. De vieux démon auraient-ils survécu ?

 

Au-delà de la politique et de l’exil, la question, qui préoccupa peut-être le plus Zweig, est le sort des Juifs, leur devenir mais également leur responsabilité dans le destin fatal qui leur a été réservé. L'écrivain leur a toujours conseillé de rester éloigné des positions les plus exposées, de ne pas participer à la prise des décisions qui engagent les peuples, les états, les nations… de ne pas donner le bâton pour se faire battre. Et il a plaidé vigoureusement à travers le monde entier la cause du peuple juif martyrisé, de même qu'il a soutenu le sionisme comme solution, ou plutôt comme une partie de la solution. On le croyait fataliste, attaché à ses intérêts commerciaux, mais je crois qu’il avait très bien compris ce qui attendait le peuple juif. La passivité des Américains, notamment, a laminé ses derniers espoirs. Il n’aurait pas voulu d’une vie de sous homme, d’untermensch qui, selon ce qu’il pensait, allait être réservée à son peuple. Il avait déjà soustrait beaucoup de temps à son art, trop pour continuer ainsi.

 

Selon moi, Stefan Zweig est un immense écrivain installé au pinacle de mon panthéon littéraire, mais dans ce recueil on voit surtout un homme qui doit lutter pour exercer son art, pour rester en relation avec ses lecteurs, un homme engagé dans la lutte pour défendre ses congénères, même si certains d’entre eux n’ont pas compris la finesse de ses analyses. Pour conclure, j’ai emprunté ce propos à Thomas Quinn Curtis : « Il a réussi à échapper aux dangers de la grande célébrité. Il ne deviendra jamais un Grand Ancien. Sa rafraîchissante modestie lui a permis de rester jeune ». Devant l’Holocauste, il est difficile d’évoquer l’écrivain, on peut toutefois penser à ce qu’il aurait pu écrire dans d’autres circonstances.


Denis BILLAMBOZ


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L'esprit européen en exil de Stefan Zweig
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23 mars 2020 1 23 /03 /mars /2020 08:40
La renaissance de la liberté de Paul Valéry

Paul Valéry a connu la notoriété assez rapidement, il a donc été très vite sollicité pour fournir des textes de circonstance, ouvrir des manifestations, prononcer des discours, écrire des préfaces, tout un ensemble de propos dans lequel Michel Jarrety a puisé pour composer ce recueil évoquant l’esprit européen de Paul Valéry.

 

 

La renaissance de la liberté

Paul Valéry (1971 – 1945)

 

 

Ce recueil a été établi, présenté et annoté par Michel Jarrety. Dans sa préface, il explique l’objet de cette publication, ce qu’elle comporte et comment il a procédé pour l’établir. Comme son sous-titre «  Souvenirs et réflexions » l’indique de manière explicite, elle se compose de deux parties : une première regroupant des souvenirs que Paul Valéry a laissés dans ses nombreux écrits, la seconde comportant des réflexions formulées sur son œuvre, la littérature, le langage, l’Europe qui le préoccupait fort, surtout depuis qu’il faisait parti d’une commission de la Société des Nations. Pour présenter ce recueil, Michel Jarrety a regroupé quelques-uns des très nombreux textes de circonstance que Valéry a rédigés, parfois à la hâte, cédant à la pression de ses amis et autres personnalités qui jugeaient  utile d’user de sa gloire et de sa notoriété pour valoriser leurs œuvres ou leurs entreprises.

 

Dans cet ouvrage, le lecteur trouvera donc des préfaces, des contributions ou des introductions à des conférences, congrès ou autres manifestations culturelles, des hommages, des témoignages, des discours, mais aussi des articles, des courriers, des notes plus ou moins personnelles, des notules, etc… Certains de ces textes ont été repris, parfois à plusieurs reprises, dans des publications précédentes et d’autres sont restés parfaitement inédits, non pas parce qu’ils étaient inintéressants mais plutôt parce qu’il y avait surabondance de matière et qu’ils ont été écartés faute de place. Ceux-ci ne sont pas tous de  même qualité littéraire, certains, manifestement, ont été écrits à la hâte, juste pour ne pas dire non à un ami ou à un personnage important, d’autres comportent des passages dignes des grandes oeuvres de Valéry. Si bien qu’ils ne bénéficient pas tous du même intérêt, les uns n'abordent que des faits relativement banals, les autres sont de profondes réflexions, souvent très pertinentes, notamment quand l’auteur formule des projections sur l’avenir des lettres ou de l’Europe.

 

La première partie évoque, sous diverses formes, ses souvenirs dans un ordre chronologique ; elle commence par un billet sur Montpellier en 1890 où il a rencontré Pierre Louÿs qui n’était encore que Pierre Louis. Il parle  ensuite de ses divers séjours en Angleterre où il avait de la famille et où il rencontra de nombreuses personnalités du monde des lettres, notamment Joseph Conrad. Et ainsi de suite, de note en billet, de lettre en hommage, il évoque de très nombreux personnages, Rilke dans une lettre, Léon Paul Fargue dans une notule, tout un ensemble d’auteurs et gens de lettres gravitant dans le monde littéraire de la première moitié du XXe siècle en Europe. Paul Valéry croyait ferment à une culture européenne, vecteur de l’identité, du rayonnement et du développement de ce continent.

 

Dans la seconde partie consacrée à des réflexions formulées surtout à travers des interventions dans des manifestations culturelles, il aborde son œuvre, bien que ce ne soit pas son sujet de prédilection. De manière générale, il parle peu de lui et de sa vie privée. En contrepartie, il intervient plusieurs fois sur l’avenir de la littérature qu’il juge bien sombre face à la montée en puissance de la presse écrite et de la radiophonie. Il formule même des conjectures qui auraient encore un sens aujourd’hui en remplaçant presse et radio par réseaux sociaux, Internet, téléphones androïdes, etc… Il juge que les lecteurs « ne lisent en général que des journaux ; or, au point de vue des formes et au point de vue des idées, une culture fondée sur la lecture des journaux uniquement, est une culture finie ». Il est encore plus inquiet sur l’avenir du langage, véritable nourriture de la littérature. « Il y a une foule de mots français qui ont disparu dans l’espace d’une génération à peu près, des mots précis, d’origine populaire, généralement très jolis ; ils s’effacent devant la mauvaise abstraction, devant les termes techniques qui envahissent notre langue ». Là aussi son jugement était prémonitoire, bien qu’il ne connaissait pas encore la création d’un jargon international incapable de véhiculer une quelconque culture, seulement des éléments de technologie basiques.

 

Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire après la lecture de ces courts textes, on sait depuis longtemps que la forme courte permet de dire beaucoup en peu de mots, mais il faut laisser au lecteur le soin de découvrir lui-même les idées qui l’intéressent. Pour ma part, j’ai noté avec un réel intérêt ce que Paul Valéry pense des chroniqueurs qui ont lu ses œuvres et en parlent. Pour lui, l’auteur n’a que son propre point de vue sur son œuvre alors que les lecteurs peuvent  mettre en évidence beaucoup d’autres thèmes et susciter d’autres questions. La plupart du temps, le lecteur ne connait  l’auteur qu’à travers ce qu’il écrit et non en ce qu’il est réellement. « Entre l’auteur tel qu’il est et l’auteur que l’œuvre a fait imaginer au lecteur, il y a généralement une différence qui ne manque pas de causer les plus grands étonnements… ». Et Paul Valéry ajoute que l’auteur est souvent victime du message qu’il a voulu passer, oubliant certaines idées figurant  dans son texte. « En un certain sens on peut dire que l’auteur ignore son œuvre ; il l’ignore en tant qu’ensemble, il l’ignore en tant qu’effet ; il ne l’a éprouvée qu’à titre de cause, et dans le détail ». J’essaierai de ne pas oublier ces  sains principes quand je m’aventurerai encore à parler des écrits des autres.


Denis BILLAMBOZ


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La renaissance de la liberté de Paul Valéry
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9 mars 2020 1 09 /03 /mars /2020 10:13
Lettres à un jeune homme de Max Jacob

Le poète et peintre Max Jacob, né en 1876, est décédé à Drancy an 1944 alors que ses amis avaient réussi à le tirer des griffes des exterminateurs nazis. Hélas ! ils sont arrivés trop tard, Jacob était malade et trop faible pour vivre encore et continuer la correspondance qu’il avait entreprise en 1941 avec Jean-Jacques Mezure. Malgré les aléas de la guerre, certaines lettres ont été sauvées. Au printemps 1941, Jean-Jacques Mezure, terminait sa formation de céramiste à Vierzon lorsqu'un ami lui raconta sa rencontre avec Max Jacob. Le jeune homme décida alors de lui adresser une lettre pour lui exposer les préoccupations qui le tracassaient, espérant tout au plus une réponse de courtoisie. Mais le peintre et poète lui retourna une longue missive répondant point par point aux questions posées. Une longue correspondance venait de naître. Le jeune homme avait alors 19 ans, l’artiste 65. Jean-Jacques Mezure a conservé miraculeusement ces lettres reçues entre le 27 mai 1941 et le 20 janvier 1944. Elles ont été retirées des débris d’un bombardement, cinquante et une furent sauvées et ont pu faire l’objet d’une première publication  en 2009.  La publication, dont je vous parle,  est la troisième, elle a été établie par Patricia Sustrac.

 

Dans une note liminaire présentant cette correspondance, Patricia Sustrac précise les trois points principaux qui font l’objet de l’échange entre l’artiste âgé et le jeune homme à la recherche de son destin. Elle écrit : « Ainsi les trois piliers de sa vie, la peinture, l’écriture et la foi, entourèrent cet homme vieillissant » durant les dernières années de sa vie. L’amitié, l’affection, l’intimité qui se dégagent des lettres du peintre se sont progressivement développées entre les deux correspondants notamment quand ils ont échangé des avis concernant la vocation que le jeune homme pourrait avoir et que Max Jacob lui conseillait de ne pas suivre sans une certitude absolue. La foi et la piété semblent des questions fondamentales dans la vie du peintre, plus que la spiritualité que son mysticisme semble avoir quelque peu éludée. Juif converti au catholicisme, il était extrêmement pieux, d’une piété janséniste qui empiétait largement sur sa vie et sur son art.

 

Ainsi le poète et le jeune homme ont-ils échangé longuement sur l’art, la beauté et l’esthétique, l’aîné recommandant toujours au plus jeune de se méfier de ceux qui monnaient les œuvres d’art. D’ailleurs Max Jacob  parle davantage de littérature que de peinture qu’il évoque surtout comme une forme de travail et de moyen d’existence. Ensemble, ils évoquent assez peu la guerre, sauf quand elle contrarie leur désir mutuel de rencontre. Jacob à Saint-Benoît-sur-Loire, en retraite mystique, et le jeune homme travaillant à Vierzon  sont relativement proches l’un de l’autre, mais tout de même fort éloignés si l’on considère les moyens de locomotion existant à cette époque. Ils ne se rencontreront jamais, Mezure renoncera à sa vocation. Ils parleront alors plus d’art et de poésie.

 

La vie devenant de plus en plus contrainte par l’occupant et la pénurie, Max Jacob faiblit, il ne peut pas s’alimenter suffisamment. Il ne se plaint jamais, supporte la souffrance, l’appelle même. « Je souhaite les fléaux qui feront de moi un être doux et humble de cœur…. Je souhaite aussi la mort car ma vie est finie et je n’ai plus que troubles et angoisses et déséquilibre aussitôt que je cesse de fixer Dieu ». S’il ne craint pas la mort, il souffre de celle des siens. Du décès de son frère, de la déportation de sa famille … Sa piété lui permet de supporter la souffrance et la maladie avec une grande force d'âme et beaucoup de courage. « La maladie est une preuve et une épreuve. Dieu fait souffrir ceux qu’Il aime ».

 

En lisant ces lettres, on éprouve  l’envie d’admirer et même d’aduler cet homme de grand talent, d’immense culture, de profond humanisme, de grande générosité et de très forte piété, semblant toujours disponible pour son prochain et, pourtant, certains passages de ses lettres le rendent beaucoup moins sympathique. Il est profondément misogyne, quand Mezure lui parle de son mariage, il lui écrit : « Il n’y a pas de jours où je ne me félicite de ne pas m’être marié, c’est tout. A cause de la stupidité absolue de toutes les femmes, stupidité reconnue par tous les hommes supérieurs et par l’Eglise ». Des propos très durs et franchement inacceptables. De même, quand il évoque ceux qu’il estime être de mauvais chrétiens ou même des mécréants, il insiste :  « Ce sont des Parisiens, un peu trop parisiens, travailleurs et indécents dans leur propos et leurs gestes. Un vieux pécheur comme moi n’a pas à les condamner mais je pense que Dieu n’a pas raison d’éviter les malheurs à un peuple aussi peu respectueux de Sa Présence. Ah nous ne méritons pas mieux ! Il faut l’avouer ». Chacun aurait ainsi ce qu’il mérite !

 

Ces taches ne m’empêchent cependant pas de dire que cette correspondance est très poignante, émouvante, pleine de piété, de foi et surtout de l’affection que Max Jacob éprouve pour ce jeune garçon. C’est un excellent témoignage sur ce que fut cet artiste, sur l’esthétique telle qu’il la prônait, sur l’inspiration telle qu’il la concevait, sur sa conversion et sa vision de l’autre vie, celle d’après, et hélas aussi sur son déclin et sa fin tragique. Sa dernière lettre est datée du 20 janvier 1944, il serait décédé le 5 mars dans les prisons nazies alors que ses amis avaient obtenu sa libération pour le 7 mars. Certains crurent pendant un moment que cette libération était effective.


Denis BILLAMBOZ

 


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Max Jacob

Max Jacob

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24 février 2020 1 24 /02 /février /2020 08:45
Les fables de la Fontaine illustrées d'estampes japonaises

« Quand le Japon, après deux siècles de rigoureux enfermement sur lui-même, s’ouvrit enfin au monde en 1854, l’Occident vit peu à peu apparaître  un art qu’il ne connaissait quasiment pas, celui des estampes de l’ukiyo-e, images d’un monde flottant, c’est-à-dire éphémère ». Vers la fin du XIXe siècle, lorsque l’empereur eut repris son pouvoir confisqué pendant de longues années par le shôgun et ouvert son pays au monde, Hasagawa Takejirô fit traduire des contes japonais pour qu’ils se vendent mieux à l’étranger. Il avait aussi le projet d’exporter des estampes japonaises en France et confia à Pierre Barboutau, un Français qui séjourna longtemps au Japon, le soin de réaliser un ouvrage illustré d’estampes japonaises. L’objectif premier de cette publication était de faire connaître l’art de l’estampe et les plus grands maîtres de ce genre pictural : Sesshû, les Kamô, les Kôrin puis les Okia et les Utamaro, parfaitement méconnus en Occident.

 

 

Barboutau avait choisi de proposer aux artistes nippons d’illustrer des fables de La Fontaine sans qu’aujourd’hui encore on connaisse les raisons de son choix. On sait seulement comment il a sélectionné celles qu’il leur a proposées « Le choix des fables de La Fontaine, que nous offrons au public, est surtout basé sur la plus ou moins grande difficulté que nous avons rencontrée à traduire le sens de ces fables aux artistes Japonais ». Il semblerait que les estampeurs n’aient pas eu accès à la traduction des fables et que leur choix se soit plutôt fondé sur la connaissance qu’ils avaient de certains animaux très présents dans la mythologie et les légendes nippones : le renard, la grenouille, le rat, dont ils connaissaient bien le caractère et les caractéristiques qui leur sont attachés.

 

 

Ce recueil fut donc édité en 1894 ; une seconde édition fut publiée la même année et une nouvelle en 1904, c’est celle qui a servi de modèle pour cette édition reprise à l’occasion de la rentrée littéraire de l’automne 2019. L'ouvrage est absolument magnifique et comporte une trentaine de fables, pour certaines très connues du grand public - celles qu’on apprend en général sur les bancs de l’école, du moins quand je la fréquentais - pour d’autres moins, et pour le plus grand nombre absolument pas ; le choix ayant été fait, comme je l’ai dit ci-dessus, selon la capacité des illustrateurs à comprendre les desseins de l’auteur. Chacune des fables est accompagnée d’une estampe pleine page ou sur double page où le sujet de la fable est toujours mis en évidence dans un paysage souvent très épuré aux couleurs pastel comme on en voit dans les estampes japonaises. Ces illustrations dégagent un sentiment de paix, de quiétude, de sérénité, que les personnages de La Fontaine semblent venir perturber.

 

 

Ce travail éditorial, réalisé par les équipes de Philippe Picquier,  est un véritable ouvrage de collection qui offre l'occasion de contempler, et même pour certains de découvrir, les estampes japonaises. Je suis certain que les nombreux admirateurs de l’art pictural prendront, tout comme moi, un grand plaisir à redécouvrir, ou tout bonnement à découvrir, ces tout aussi magnifiques fables de Jean de La Fontaine. Un ouvrage à ranger dans le rayon où l’on serre les livres qu’on ne voudrait pas que des mains inexpertes manipulent au risque de les endommager.


Denis BILLAMBOZ


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