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26 juillet 2024 5 26 /07 /juillet /2024 08:23

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Certains pensent que l'avenir est écrit d'avance. Les mythes les plus anciens et les cosmogonies définissent la cause des phénomènes qui font que le monde est ce qu'il est. L'homme s'interroge depuis toujours sur le sens de la vie dans le souci de comprendre le monde et ses semblables. Cosmos signifie ordre. D'où vient cet ordre ? Cette harmonie ? Les choses y paraissent déterminées. Aussi, dès la Grèce antique, a-t-on émis l'idée que la création et le créé avaient un destin. Les héros étaient soumis à l'autorité des dieux et une déesse du destin faisait son apparition sous le nom de Moira.

 

Chez Homère, les sentiments les plus importants étaient inspirés par les dieux et non par les héros. L'origine de l'action se situait en-dehors de lui. Cette action n'était donc pas le fait d'une vertu humaine quelconque mais d'une grâce reçue de l'au-delà. Le poète lui-même n'était qu'un vecteur inspiré par les Muses. L'homme était donc soumis à l'influence des dieux si nombreux dans l'Olympe. Sa seule contribution libre était d'accepter ou de refuser le destin qui lui était proposé.

 

Chez Eschyle, l'idée de destin domine complètement son théâtre. Il croit en la justice divine. Plus nuancé apparaît Sophocle. Les hommes peuvent le refuser puisqu'ils disposent de leur libre arbitre. Euripide va plus loin encore en prenant ses distances avec les divinités. L'homme, qu'il décrit, organise sa vie, forge son destin, mais reste la proie de ses passions. Chaque héros devient ainsi l'image d'un désastre causé par la passion. Celui d'Euripide est possédé par ses vices et ses pulsions et commet ainsi des actes qui échappent à la raison. Médée, figure de la passion insensée, ne s'écrie-t-elle pas : Je sens le forfait que je vais oser commettre...

 

Les stoïciens croyaient eux aussi au destin. Ils avaient une vision circulaire du temps qui voit périodiquement revenir des phases de dépérissement et de re-création selon le mythe de l'éternel retour. Mais, d'après eux, l'art de la divination ouvrait des fenêtres sur une possible connaissance de l'avenir. Ils admettaient deux sortes d'interprétation : l'artificielle et la naturelle.
L'artificielle qui passait par les mages et supposait une lecture subjective, ce qui était la porte ouverte à de nombreuses erreurs, étant donné que les mages risquaient de se fourvoyer.
La naturelle, qui émanait de l'oracle en prise directe avec le divin par la transe, et que l'on considérait comme exempte d'erreur. Il y avait également le songe dont les dieux gratifiaient certains hommes, chargés ainsi d'un message prophétique.

 

Cicéron va s'élever contre ces thèses qui font fi de la raison. Si on nie l'existence du hasard, on ignore les propriétés de la matière, car il n'y a, nulle part, de déterminisme absolu, disait-il. Comment un homme en transe verrait-il mieux qu'un sage ? Et les interprétation pouvaient être multiples et erronées. Même chose pour les songes qui ne donnent que des visions approximatives. Pour lui, aucune force divine n'intervenait chez l'oracle et dans les rêves. Il lui semblait  indigne que le divin ait recours à de tels subterfuges et  s'exprime dans un langage quasi incompréhensible et sujet à caution.

 

La question demeurait : Y avait-il une liberté individuelle ? Certainement, répondaient les philosophes. Bien que je ne sois pas maître de mon existence, je suis responsable de mes jugements. En effet, si se rebeller contre les lois du monde est vain, ce qui dépend de moi doit être voulu, cherché, désiré ; ainsi suis-je maître de mes pensées. Et à la question suivante : Qu'est qui est à moi ?, la réponse ne peut être que celle-ci : l'usage de mes idées. Si je n'ai pas de pouvoir sur les choses, je peux les juger et en tirer les conséquences qui interviendront sur l'orientation de ma vie. Le principe de mes actions m'est personnel.  Ma volonté, même Zeus, disait un philosophe antique, ne peut pas la vaincre. Ainsi les choses n'ont-elles sur moi que le pouvoir que je veux bien leur accorder. Je peux être libre dans la servitude, car il m'est loisible alors d'accepter cette servitude, non par résignation mais parce que cet acquiescement dépend de mon bon vouloir. J'exerce ainsi pleinement ma liberté. Les stoïciens acceptent ainsi  avec le sourire les épreuves de l'existence. C'est le supporte et abstiens-toi d'Epictète. Vivre conformément à la nature est la seule attitude raisonnable, pensaient-ils. Le plus important venant de nous, de notre regard et de notre jugement sur les choses. Quant aux avatars, ils font partis de l'ordre du monde, tel qu'il est immergé dans le temps et conditionné par sa finitude. Fatalité ? Les stoïciens acceptent et veulent le monde tel qu'il est. Nous sommes d'autant plus libres, professaient-ils, si nous adhèrons à notre destinée et coopérons avec l'événement. En quelque sorte, si nous harmonisons  notre volonté à la volonté divine. Les épicuriens s'opposeront vivement à cette interprétation  et élaboreront une théorie à l'opposé de la leur.

 

Dans son traité de la nature, seul ouvrage que nous possédions de lui, le philosophe et physicien Epicure insiste sur le hasard et la nécessité, causes fondamentales. Il rejette l'idée de destin. Pour lui, la nature est composée d'atomes et de vide ( il reprend ici la thèse atomiste de Démocrite ). Mais il ajoute aux corpuscules, le concept de pesanteur. Les atomes doivent être déviés pour se rencontrer, d'où l'idée d'un mouvement spontané lié au principe de pesanteur. (Atomes crochus qui se rejoignent en s'articulant les uns aux autres et sont indivisibles) L'infini diversité du monde est le résultat de ces assemblages d'atomes dûs aux chocs, à leur pesanteur et à leur mobilité dans le vide. Au hasard des rencontres s'ajoute donc la nécessité de leur assemblement. De ce fait, le hasard suffit à rendre impossible un déterminisme absolu.

 

L'homme peut agir en tant que cause initiale et initiante. L'être humain comprenant les lois de la nature augmente sa liberté. Il y a bonheur si nous nous délivrons de la crainte des dieux, de la mort et de la fatalité. Pous accéder au repos de l'esprit, il est urgent de se libérer des croyances fausses sur les dieux et sur le plaisir et de nos opinions erronées sur la douleur. Si les dieux existent, pensait Epicure, ils ne s'occupent absolument pas de nous. Ils ont autre chose à faire. Selon lui, l'âme était elle aussi constituée de matière et ne pouvait en aucune façon prétendre à une quelconque éternité. La mort ne nous concerne pas, affirmait-il, car tant que nous existons la mort n'est pas là. Et quand vient la mort, nous n'existons plus. Pourquoi ? Parce que les atomes de l'âme s'éparpillent de tous côtés après le décès. Considérer les choses ainsi apporte la paix intérieure, une absence de trouble pour le corps et l'esprit. C'est une sorte de plaisir en repos, le seul souhaitable. Car le plaisir en mouvement engendre le manque et l'inquiétude. Epicure résumait sa philosophie ainsi :


Nous n'avons rien à craindre des dieux.
La mort ne mérite pas qu'on s'en inquiète.
Le bien est facile à atteindre.
Le terrifiant est facile à supporter.

 

Dans la Rome populaire du IIe siècle, le destin fatum est lié aussi à l'ordonnance des astres. Ce sont les femmes qui ont répandu cette croyance en l'astrologie par une propension à la superstition peut-être plus grande que chez les hommes. Elles se sont mises à consulter des astrologues, éloignant ainsi le peuple crédule de la religion. Selon Juvénal, poète latin de l'époque, rien ne va plus ; on est passé, en quelque sorte, des dieux intelligibles aux dieux inférieurs, cédant à l'astrolâtrie et aux prédictions des augures pour le plus grand malheur de la cité.

 

Le chrétien peut accepter le destin comme décret de la Providence Divine. Dieu est la cause première qui détermine les causes secondes dans le sens du bien et du meilleur. Dans la religion chrétienne, il y a un début ( Au commencement était...) et une fin : l'Apocalypse. Cette Histoire suit un ordre où se déploie la Providence, mais le sens réel est caché dans les profondeurs du divin, disait Leibniz. Dieu a orienté l'Histoire dans un sens ascendant. Eusèbe de Césarée, évêque et écrivain de langue grecque, a écrit une Histoire ecclésiastique qui traite des trois premiers siècles du christianisme. Il entend prouver que certains faits ( le martyr par exemple) étaient nécessaires. Bossuet, évêque de Meaux, a rédigé - quant à lui - un discours sur L'Histoire Universelle, qui  montre le rôle capital joué par Dieu au sein de la vie des hommes. Il éclaire ainsi le destin providentiel et atteste que l'injustice du sort n'est qu'apparente. Quant aux Jansénistes, le salut dépendait de la volonté et de la grâce de Dieu. Le mérite humain n'avait pas une grande part dans l'affaire. L'homme, corrompu par le péché, ne disposait plus des moyens nécessaires pour gagner seul son salut. Il restait un être déchu tant qu'il n'était pas touché par la grâce divine. Dieu choisissait ainsi ceux qu'Il voulait sauver.

 

Kant va s'élever contre cette sorte de prédestination qui ne concerne que certains êtres et non d'autres. Le concept d'une assurance surnaturelle lui apparaissait dangereuse. Chacun ne doit-il pas compter sur son libre arbitre, assurait-il. C'est à nous de nous montrer vertueux et d'user de notre volonté pour progresser.

 

Leibniz préférait une providence générale. Dieu se serait contenté de créer le monde sans pour autant s'investir dans les affaires humaines. Ainsi l'homme pouvai-il se considérer comme une créature libre. En offrant à l'homme la volonté, Dieu l'élevait au niveau de Cause. Il était la cause de son propre destin et détenait, de ce fait, une part de la Volonté Divine. C'est la raison qui justifiait l'idée qu'il avait été créé à son Image. Même le péché pouvait alors être considéré comme une preuve de sa liberté.

 

D'après Leibniz, il existe trois sortes de maux : métaphysique ( le mal ), moral ( le péché ), physique ( la douleur ). Ils sont la condition de biens inestimables et l'origine de bienfaits nombreux, dans la mesure où l'homme s'emploie à les dominer, à les surmonter. La Création divine est donc conforme à la perfection de son Créateur, le possible étant antérieur au réel. Par conséquent, deux choses peuvent être possibles sans être forcément compatibles, si bien que la perfection de Dieu se matérialise par le choix de la meilleure combinaison. Tout est agencé pour le mieux et il faut considérer l'ensemble de la Création pour juger de son admirable ordonnance. Le mal métaphysique s'explique parce que la Création ne peut être parfaite, elle doit être avant tout  compatible. La possibilité de faire le mal permet aussi de faire le bien. Sans le mal, le bien n'existerait pas, car nous n'aurions plus de moyen de comparaison et notre jugement ne pourrait s'exercer. Le mal apparent se résout par un plus grand bien apparent. La douleur est la conséquence d'un bien voilé pour le monde. Elle a une valeur salvatrice et fortifie la volonté, sans laquelle l'homme ne saurait et ne pourrait agir. Et, puisque le monde ne peut être sans cataclysmes, Dieu ne permet le mal qu'en tant qu'élément direct d'un bien supérieur.

 

L'idée de fatalité et de destin se retrouve dans la religion musulmane. Inch Allah ! ( si Dieu le veut ! ) Egalement dans le fatum populaire. Le cours des choses serait marqué par une fatalité absolue. Evénement prévu et donné qui va se produire, qu'on le veuille ou non. La volonté de l'homme n'ayant plus le moyen d'intervenir, l'événement fatal ne peut être évité. Ce fatalisme abolit l'avenir. L'histoire est écrite d'avance et l'homme n'est alors qu'un pion sur l'échiquier tragique. L'irrationnel recouvre tout et il n'y a plus de liberté possible. Le hasard est lié à la multitude des causes. Or les événements obéissent à une nécessité conditionnelle et le déterminisme est associé à des clauses initiales. Pas d'effet sans cause. Rien ne peut venir de rien. Telle ou telle cause produit tel ou tel effet. Idée reprise par des théologiens chrétiens.

 

Ce principe de causalité est à l'origine des Sciences. Le savant tente de dégager des lois de probabilité. Si les phénomènes étaient sans causes, il n'y aurait pas de science possible. Le hasard, dans tout cela, est tributaire de la multitude des causes. Si le monde est déterminé, il n'est pas pour autant prévisible. Les effets demeurent toujours incertains, car ce qui peut s'accomplir peut aussi être empêché. Descartes disait qu'on ne peut nier qu'une chose peut cesser d'être dans chaque moment de sa durée. Une action porte le caractère de l'aléatoire. Il y a de l'imprévisible dans notre réalité. Il n'y a que le passé pour en être dispensé.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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24 juin 2024 1 24 /06 /juin /2024 08:09

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L'égalité, comment la décliner ? Et d'abord, de quelle égalité s'agit-il, à quel propos, dans quelles circonstances et à quelle fin l'envisager ? Aspirons-nous, en tant qu'hommes, à l'égalité ou bien nous en méfions-nous ? Bien qu'elle soit inscrite sur le fronton de nos édifices publics au côté de la liberté et de la fraternité, son sens ne nous apparait-il pas autrement ambigu ? Egalité des droits ? Oui, bien entendu. Chaque citoyen doit avoir accès aux mêmes droits au sein de sa nation, mais aussi aux mêmes devoirs : entre autre celui de payer ses impôts et de se plier aux lois. Egalité des sexes ? Parlons-en ! Cette égalité supposée fut sans doute la plus bafouée au cours des siècles et l'est encore aujourd'hui, où des femmes sont toujours réduites par la force (ou la misère) à la prostitution. Egalité des chances ? Chacun sait qu'elle est impossible, car aucun de nous ne vient au monde avec les mêmes atouts, la même vitalité, la même santé et dans les mêmes conditions... Et même, placés dans des conditions identiques, la chance ne fera jamais, comme à son habitude, que de tourner au gré des vents et de favoriser l'un au dépens de l'autre. A aucun moment, nos chances ne se révèlent égales. Paul Valéry a eu une phrase assez assassine à l'encontre des aspirations de la société contemporaine à cette égalité des individus qui, nécessairement et malheureusement, tend à les réduire " vers le modèle le plus bas". Le mot est enfin lâché. Cette forme d'égalité concerne davantage l'individu, c'est-à-dire le citoyen lambda que l'on aimerait niveler, façonner, conditionner, de manière à ce que les hautes instances du monde puissent obtenir de lui ce qu'elles souhaitent et qu'ainsi les sociétés soient soumises aux desiderata d'une poignée de gouvernants et de technocrates, oligarchie toute puissante, plutôt qu'à l'être humain en tant que personne. Cela ne fut-il pas déjà l'idéal imposé par des totalitarismes comme le nazisme et le communisme ; demain, peut-être, par le mondialisme ?



Car, par nature, la personne humaine est unique.  Contrairement à l'individu que l'on ne voit que comme une unité distincte dans une classification, comptant avec la communauté et... singulièrement innombrable, il en va autrement de la personne qui se définit traditionnellement par sa capacité à assumer ses responsabilités et à disposer de son libre arbitre. Si bien que dans cette perspective, aucun de nous n'est l'égal de l'autre, si ce n'est dans le respect qu'il inspire. Chacun est différent, non seulement dans son apparence, ses attitudes, sa voix, mais dans l'élaboration de son être, le développement intime de sa personne qui, selon la belle formule de Jean-Paul II n'a pas seulement le droit "d'avoir plus", mais "d'être plus". D'ailleurs, on parle de l'individu en général et de la personne en particulier. C'est ainsi que je puis être le proche, le frère de l'autre, mais  ne serai jamais l'autre. L'autre m'est inéluctablement autre et il est bien qu'il en fût ainsi, car chaque personne a, de ce fait, le privilège d'être soi.




Il est curieux de constater à quel point notre époque cultive les paradoxes. Alors qu'elle cède volontiers aux chants des sirènes égalitaires, dans le même temps elle prône avec vigueur le respect des différences. Alors acceptons bien volontiers ce prédicat de la différence, parce qu'il est à l'évidence celui de nos origines, de nos milieux, de nos formations, de nos choix, de nos sensibilités, de nos goûts, de notre identité, de nos caractères et de nos désirs. Mais rappelons-nous le danger qu'il y a, dans la majorité des régimes connus, à ce que les personnes, au lieu de cultiver le dialogue et la communication, soient tentées de se tourner ensemble vers l'oeuvre collective par incitation de l'Etat, enclin à prêcher dans ce sens. Néanmoins, pourrions-nous imaginer un seul instant un monde où régnerait l'uniformité, comme ce fut le cas dans la Russie soviétique des tsars rouges ? L'ennui en serait le sceptre et la couronne. Mais, par chance, Dieu (ou le Hasard) a voulu que multitude ne rime pas avec monotonie et que la Nature soit le premier exemple de la pluralité et de la diversité. L'égalité, je ne la vois belle et compréhensible que dans l'amour. Cet amour de l'autre qui n'en fait point mon égal, mais mon...semblable. En définitive, l'égalité reste une aspiration spirituelle et ne peut être envisagée que comme une ultime fiction. Comme le disait si bien  Madame de Staël : " Le Christianisme a véritablement apporté l'égalité devant Dieu, dont l'égalité devant la loi n'est qu'une image imparfaite". 
Si bien que le principe d'égalité - si proche de l'égalitarisme - risque fort au XXIe siècle de représenter un danger plutôt qu'un idéal, tant l'égalité sert bien la cause de toutes les formes possibles de totalitarisme, en faisant des êtres une multitude uniforme et conforme à leurs aspirations et à leurs voeux.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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10 juin 2024 1 10 /06 /juin /2024 07:57

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Si le paradoxe conserve son actualité, c'est bien parce qu'il a obéré notre capacité de jugement, agissant de telle sorte que le discernement et le bon sens semblent parfois déserter les préoccupations de nos sociétés contemporaines ; alors que discernement et bon sens restent des notions essentielles face à ce principe qui prend  le contre-pied des certitudes logiques de la vraisemblance. De par leur complémentarité, le discernement et le bon sens impliquent la réflexion, la méditation, l'expérience, la lucidité. Relevant du domaine de la spéculation abstraite, ces notions sont au coeur du raisonnement et du questionnement humain. Depuis la nuit des temps, de la maïeutique de Socrate, la théorie des Idées de Platon jusqu'au positivisme d'Auguste Comte, en passant par la logique cartésienne, il semble que discernement et bon sens soient allés de conserve.
 

Tout en accordant une valeur préférentielle au discernement que les sages et  les penseurs ont toujours envisagé comme la capacité supérieure de l'esprit, la faculté de synthèse et d'analyse en mesure de formuler le concept et de distinguer ce qu'il y a d'intelligible dans le sensible, ils n'ont pu éliminer les ressources du bon sens et faire l'impasse sur le paradoxe qui pose les assises de la contradiction, ainsi le paradoxe de Socrate : " subir l'injustice vaut mieux que de la commettre". Les premiers obstacles à franchir seront donc la crédulité naïve et le goût du confort intellectuel qui font préférer l'esprit de certitude à l'esprit de vérité. De là dérivent la mauvaise foi, le fanatisme et les violences. Le doute méthodique est donc une saine et souhaitable pratique si, faisant la part des choses, nous ne cédons pas à un scepticisme réactionnel. Il est bon de se rappeler que la vérité se montre davantage qu'elle ne se démontre et que l'homme la distingue fréquemment sans être capable de la prouver.
 

Quant au bon sens, il  apparaît comme un outil que le peuple, d'instinct, s'est plu à utiliser et dont il a fait bon usage en regard de ses expériences propres. Plus ressenti que pensé, il rejoint l'esprit logique et prémunit des dangers où les idéologues et utopistes risqueraient de l'entraîner. Il est donc un contre-poids nécessaire aux divagations abusives et perverses, car l'homme de bon sens perçoit naturellement ce qui est bon de ce qui est mal, ce qui est juste de ce qui ne l'est pas, guidé par cet instinct qui l'avertit des égarements toujours possibles de l'intelligence. C'est  ce qu'il conviendrait de nommer "le jugement droit".


Le paradoxe semble s'immiscer comme un dé-régulateur, un empêcheur de tourner en rond, un trouble-fête qui exploite à plaisir nos ambiguïtés, nos divergences, nos excès ; nécessaire, il mise sur l'objection pour nous obliger à remettre en cause le procédé de nos réflexions et combinaisons les plus élaborées.  Ainsi le paradoxe pose-t-il un doigt insidieux sur nos contradictions, se ressouvenant qu'il existe entre le concept et le jugement la même différence qu'entre l'intuition intellectuelle et  l'affirmation réfléchie. Par ailleurs, il a également son utilité lorsqu'il soumet à notre discernement des opinions qui vont à l'encontre de celles communément admises. Proust, en fin psychologue, ne craignait pas d'affirmer que  les paradoxes d'aujourd'hui seraient les préjugés de demain. 
 

 
En faisant obstacle au parti-pris, le paradoxe repose l'interrogation, en maniant et en jouant adroitement de la réfutation et de la protestation. Mais dans certaines circonstances, il nous accule, sans complaisance, jusque dans nos retranchements et peut alors nous conduire, si nous sommes faibles et influençables, à nous déjuger et, s'il est gouverné avec habileté et éloquence, à nous inciter à des compromis et à un désaveu regrettable. Tout dépend de nos certitudes. Arrivés à ce point de non retour, nous ne sommes plus seulement en phase avec le bon sens et le raisonnement, mais avec notre intime conviction, voire avec notre foi. Le domaine de l'évidence intellectuelle est étroit. Et la nature humaine si complexe qu'elle ne mène pas obligatoirement à des solutions simples et des réponses évidentes. Si aujourd'hui, le paradoxe sévit en permanence, il serait temps de lui adjoindre bon sens, discernement et conviction, que nous avons trop souvent laissés sur le bord du chemin. Ainsi retrouverons-nous la sérénité de jugement, ne serait-ce que pour combattre le nivellement de la pensée qui nous guette,  la désinformation qui nous assourdit, l'abêtissement qui nous menace. Les exemples sont légion, les convictions ont en urgence le droit de cité.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


 

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11 mars 2024 1 11 /03 /mars /2024 08:57

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L'esprit celte aime s'attacher à la mémoire des lieux. La ville de Glastonbury a beau se trouver en Angleterre, elle fait ancestralement partie du royaume celtique et fut assimilée au XIIe siècle avec l'île mythique d'Avalon. Elle a vu depuis sa renommée décupler, la légende arthurienne venant se greffer sur des traditions d'une remarquable pérennité religieuse.
Au sud-ouest de l'Angleterre, dans l'ancienne Domnonée des Bretons, une éminence naturelle, visible de très loin, frappe l'oeil : un tertre verdoyant surplombe la ville de Glastonbury. Ce relief énigmatique, qui domine la plaine basse des Somerset Levels, a pris le nom de tor, mot d'origine celtique désignant une colline ou une crête rocheuse. Au sommet de cette prédominance trône aujourd'hui la seule tour qui a survécu aux aléas des siècles.

 


De 10.000 à 8.000 avant J.C., sous l'effet du réchauffement climatique de la fin de la dernière glaciation, se produisit une formidable remontée des eaux océanes. Les plaines furent totalement submergées et, pendant cinq millénaires, Glastonbury compta parmi les rares îlots qui parvinrent à faire surface. Lorsque la mer commença de se retirer, une végétation de bois et de landes recouvrit la région marécageuse et permit peu à peu la formation de vastes tourbières. Vers 4.000 avant notre ère, des peuples chasseurs investirent les lieux et fondèrent des cités lacustres. Ce caractère singulier de sanctuaire naturel suscitera le sentiment du sacré que possédaient d'instinct les populations pré-indo-européennes du néolithique. Situé au centre d'un important maillage de sources d'eau souterraines et de lignes telluriques, le Tor connut très tôt  la ferveur cultuelle. Quand les Celtes s'installèrent en Bretagne insulaire durant le premier millénaire, l'île devint le foyer d'un collège druidique, comme le mentionneront plus tard les textes médiévaux des Triades galloises.
 


Au VIIe siècle de notre ère, les Saxons conquièrent le Somerset et poursuivent le drainage des terres, sans omettre d'ériger un oratoire au sommet du Tor. Ainsi Glastonbury devient-il le siège d'une importante abbaye. Bien que ruiné par les invasions des vikings danois du IXe siècle, des moines, venus d'Irlande, parviennent à exhumer le Tor de ses ténèbres, au point que le cimetière de Glastonbury abritera bientôt  les tombeaux des princes et des saints. C'est également à cette époque que l'on bâtit au sommet du Tor une église dédiée à Saint-Michel. Le culte de l'archange, protecteur de l'Occident, renoue avec le très ancien culte celtique du dieu de la Lumière.
Au moment de la conquête normande de 1066, le lieu est à son apogée et possède le plus riche monastère du pays. Cherchant à asseoir la réputation du saint lieu, les moines passent commande d'une histoire institutionnelle de la fondation de l'abbaye. L'île de verre des croyances anciennes correspondant aux descriptions de l'île d'Avalon, la ville de Glastonbury s'identifie à la résidence des rois de l'Autre Monde. Au même moment, le moine Caradoc de Llancarfan produit une Vie de saint Gildas.

 

 Pour la première fois, le roi Arthur est mis directement en relation avec Glastonbury. Arthur y serait venu délivrer Guenièvre, enlevée par Melwas, roi du Somerset, et retenue prisonnière dans la place forte du Tor. Plus tard, mortellement blessé à la bataille de Camlann, Arthur sera porté sur l'île d'Avalon pour y recouvrer la guérison. Son mythe est alors si fortement ancré dans la croyance populaire que le roi des Bretons est censé revenir d'Avalon pour mener les Celtes opprimés à la victoire contre l'envahisseur. Mais un dramatique incendie va totalement embraser l'abbaye en 1184, réduisant les bâtiments en cendres, abbatiale et cloître compris. Tout est à néant et le coût de la reconstruction s'annonce exorbitant. Les reliques étant compromises, le nombre des pèlerins diminuera fortement.

 

Au cours des travaux de restauration en 1191 survient un événement d'importance : les moines mettent à jour une ancienne sépulture. Celle-ci, profondément enfouie, est découverte entre les deux pyramides du cimetière. Il s'agit d'un sarcophage creusé dans un tronc de chêne, contenant les restes d'un prince guerrier couvert de blessures ; à ses côtés, repose son épouse dont la chevelure étend encore ses tresses d'or. Surmontant les dépouilles, une croix de plomb porte en creux l'inscription suivante :  Ici repose l'illustre roi Arthur dans l'île d'Avalon. La découverte de ces reliques va apporter à l'abbaye un prestige retentissant. La dynastie Plantagenêt met aussitôt à profit la légende. Arthur mort, il ne reviendra plus. C'est là mettre un terme à l'espoir breton de la survivance du souverain tutélaire et opérer, par la même occasion, un transfert de légitimité. Les restes d'Arthur et de Guenièvre sont solennellement remis en terre un siècle plus tard, en présence du roi Edouard Ier d'Angleterre. Glastonbury, transformé en sanctuaire de la royauté britannique, devient également la gardienne de la mémoire arthurienne.



Mais le 13 septembre 1275, de violentes secousses telluriques vont traverser le Tor, anéantissant l'église accrochée à sa cime. La rénovation s'avèrera de courte durée. En 1539, l'abbaye est rasée de nouveau sur ordre du roi Henri VIII. Rien ne subsistera des huit cents communautés catholiques de Grande -Bretagne ; le roi, ayant rompu son alliance avec le pape pour le motif que celui-ci se refusait à annuler son mariage avec Catherine d'Aragon, va provoquer un schisme d'où naîtra l'Eglise anglicane. La sépulture d'Arthur, profanée, disparait à jamais et, durant trois siècles, le Tor et l'illustre abbaye gisent lamentablement, abandonnés de tous. Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que l'on renoue avec l'histoire des lieux et que l'archéologue britannique Arthur Bulleid découvre les vestiges du village lacustre qui témoigne du peuplement celte de l'âge du fer, tandis que des érudits français entreprennent le difficile travail d'authentification des manuscrits fondateurs. Leurs recherches n'empêcheront pas le Tor de compter nombre d'interprétations fantaisistes, mais, désormais, Glastonbury va faire l'objet de nouvelles fouilles et ce patrimoine fabuleux susciter des études historiques, littéraires, archéologiques sérieuses. C'est ainsi que, puisant dans la nostalgie de son ascendance galloise, l'écrivain John Cowper Powys va insuffler au Tor la puissance d'une colline inspirée et placer le mythe du Graal au centre de son chef-d'oeuvre romanesque A Glastonbury romance ( Paris/Gallimard 1975-76 - 4 vol. ), renouant avec le fil jamais rompu des légendes qui hantent encore nos mémoires.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

Sources / Yann Le Gwalc'h - N.R.H.   et   Geoffrey Ashe ( The Story of Glastonbury )

 

 http://www.isleofavalon.co.uk/avalon-intro-fr.html

 

 

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4 mars 2024 1 04 /03 /mars /2024 09:02
L'homme standard sera-t-il l'homme de demain ?

Dans quelques décennies, lorsque des penseurs analyseront notre époque, en dehors des avancées positives de la science, sans doute parviendront-ils à la conclusion suivante : que nous avons pratiqué à l’envi la confusion. Et pourquoi ne pas l’admettre dès aujourd’hui ? En favorisant les métissages de toutes sortes, nous en sommes arrivés à perdre notre discernement et à privilégier ce qui n’est ni juste, ni bon, ni vrai. Et en abandonnant peu à peu nos valeurs et nos convictions, nous avons perdu notre autonomie et notre force, au point de gommer jusqu’à notre propre identité. Ceux qui s’y refusent sont traités de passéistes et de ringards et dûment moqués et ridiculisés. Je n’en veux pour preuve que l’aspiration à une politique mondialiste qui sous-entendrait une gouvernance planétaire, et à celle de l’homme nouveau qui déboucherait sur la promotion de l’homme standard, car la fusion des races est le passage obligé pour tout projet visant à la suppression de l’identité religieuse, ethnique et nationale. De même que les flux migratoires sont favorisés, et parfois provoqués, pour effacer le visage particulier et l’histoire fondatrice et formatrice de chaque pays. Plus de pays, plus de races, plus de cultures identitaires, plus d’individualité. A l'histoire serait préféré l’idéologie ; à la religion, l’occultisme et l’ésotérisme, au patrimoine national celui informel et universel qui, en appartenant à tous, n’appartiendrait à aucun. En quelque sorte, unifier, robotiser, simplifier, déshumaniser, niveler ; l’utopie parfaite de l’égalitarisme meurtrier.

 

 

Il faut reconnaître que l’homme a souvent eu ces sortes de folies. A une certaine époque, il eut le culte du surhomme et l’on sait où cela a conduit ; de nos jours, on envisagerait plus volontiers l’avènement du sous-homme, c’est-à-dire de l’homme réduit à sa plus simple expression, l’homme du super-marché, de la mal-bouffe, du prêt-à-penser, masse indistincte et consommatrice manipulée et asservie par la synarchie du nouvel ordre mondial, déjà à l’oeuvre, qui sait fort bien nous désinformer, nous décerveler, nous orienter, nous endoctriner. Croyez- moi, ils sauront nous dire ce que nous voulons entendre afin de mieux nous persuader de ce qu’ils veulent nous convaincre. Il suffit de remodeler nos consciences de façon à ce que nomenklatura, chapeauté par la Haute-Finance et les Multi-Nationales, nous impose les nouveaux archétypes de la production mondiale, contrôlant dans la foulée ce qui a trait à la recherche, l’exploitation, la répartition des produits et matières sur l’étendue de la planète.


 

Et ce monde de demain, ou d’après-demain, taillé sur un modèle uniforme, quel peut-il être ? Sans la pluralité des nations, des peuples, des coutumes, des croyances, des traditions, des styles, qu’adviendrait-il ? Si l’Europe n’était plus l’Europe, ni l’Afrique l’Afrique, ni les Amériques les Amériques, qu’est-ce qui nous dépayserait, nous enchanterait, nous captiverait ? Si de Singapour à Valparaiso, il y avait les mêmes usages, la même architecture, les mêmes modes, la même culture, c’est-à-dire plus de culture … la monotonie aurait raison du désir. L’homme mourrait d’ennui et le monde avec lui. Car imaginons, pour en mieux mesurer l’indigence, ce que serait la nature si elle était gagnée par ce genre de tentation : le monde végétal ne produisant plus qu’une seule fleur et un seul arbre ; le monde animal qu’une seule espèce ; le monde minéral qu’une seule gemme … quelle platitude, quelle désolation ! Et ne sourions pas. L’homme est sujet à des divagations de ce genre. La démence du pouvoir en a conduit plus d’un au bord du gouffre. Lorsque le bon sens nous quitte et que nous nous laissons gagner par la confusion des valeurs, les utopies les plus extravagantes peuvent séduire les esprits. Aussi ressaisissons-nous. Soyons des veilleurs attentifs, faisons appel à notre discernement, une valeur sûre, celle-là. A l’heure où notre environnement est en danger, nos nations en péril, la pauverté omniprésente, nos équilibres de plus en plus instables, ce qu’il convient d’envisager, ce n’est pas changer le monde, mais le SAUVER.

 

 

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1 février 2024 4 01 /02 /février /2024 09:45

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De retour d'un séjour à Venise, où tant de merveilles incitent à la méditation, comment ne pas être interpellé par cet héritage que la « Sérénissime » a légué au patrimoine de l'humanité. Nous le devons à cette république si particulière et unique en son genre qui a fait la preuve, dans la durée, de son efficacité. Une inégalable prospérité dans la longévité. Mille ans d'histoire grâce à son génie commercial, diplomatique et militaire. Si aucun système de gouvernement n'est parfait, celui-ci reste un exemple et un cas d'école. Située aux confins de l'Adriatique, dans une zone lagunaire et marécageuse, rien à priori, prédisposait ses premiers arrivants à bâtir une telle cité. Il fallait de l'audace pour oser construire sur pilotis une ville faite pour durer, en y conjuguant avec persévérance tant de talents. Lorsque Venise prend naissance au VIIIe siècle, qui aurait pu prédire que son rayonnement perdurerait jusqu'à la fin du XVIIIe ? À la veille d'une révolution en Europe occidentale, qui bouleversera le monde et contribuera à sceller son propre sort, n'est-ce pas déjà un de ses mérites d'avoir eu la sagesse de préférer une évolution positive à une révolution fatalement destructrice ? Le véritable acte de naissance de la Cité date de 8ll, lorsque le doge Agnello Partecipazio établit son palais dans le sestier ( quartier ) du Rialto. Venise est partagée en six sestiers. Saint Marc devient le patron de la ville afin de marquer l'affirmation d'une indépendance spirituelle vis- avis de l'Orient. Le pacte de Lothaire, après la paix de Nicéphore en 8I4, confirme l'autonomie de Venise entre les empires byzantin et franc. Une indépendance qui posera les bases de son essor. C'est peu après l'an mille que commencent à s'ériger de somptueuses demeures à proximité du palais ducal et du Grand Canal, conçues à la fois pour l'apparat et le commerce des quelques deux cents familles qui constitueront le noyau d'un système original de gouvernance, dont la stabilité contribuera à développer de fabuleuses richesses. Un patrimoine qui ne cessera de croître et agrémentera la cité des mers d'une oeuvre monumentale, lui valant son qualificatif de Sérénissime.

 

Mille ans d'une histoire presque sans nuages, quand on juge au résultat. Mais revenons aux faits marquants de son histoire, autrement dit ceux de sa République, comparable à aucune autre. Si tant de succès commerciaux et diplomatiques ont jalonné son passé, ce n'est pas un hasard ! La bulle d'or en 1082 signe les accords commerciaux avec l'opulente Constantinople. Sur le plan militaire, en 1084, les Vénitiens repoussent les invasions normandes ( et pas des moindres ) au prix de pertes considérables et de nombreux efforts. Mais la cohésion de laïcité démontre son efficacité. A l'ère des Croisades, le doge Ordelaf Falier crée l'embryon de l'Arsenal, une ruche qui emploiera jusqu'à quinze mille architectes, artisans et techniciens. La soumission de l'Istrie permet de contrôler l'Adriatique ; nous sommes dans les années 1150-1153, la Crète conquise en 1211 devient vénitienne jusqu'en 1669. Jacopo Tiepolo est l'initiateur de cette conquête, fait important même de nos jours, car lorsque l'on discute avec les Grecs du Péloponnèse où les Crétois, ils gardent le souvenir d'une époque constructive. Alors que les Turcs musulmans laissent en leur mémoire un cauchemar sans appel ! Constantinople tombe en 1204, l'empire byzantin s'écroule, Venise devient maîtresse du quart de cet empire. Désormais installée en Ionie, puis dans le Péloponnèse, en Crète, en Eubée, elle est présente aux portes de l'Orient.

 

Son système politique s'affirme comme une république aristocratique par la nomination permanente. Ainsi verrouillée, structurée, construite, elle peut agir dans la durée en évitant le risque d'oppositions néfastes. A partir de 1298, lorsque le doge Lorenzo Tiepolo est élu, les membres du conseil sont plus d'un millier et, à partir de 1323, la nomination devient héréditaire. Le 7 octobre 1571, la participation décisive des Vénitiens à la bataille de Lépante, infligeant une défaite aux Ottomans réputés invincibles, a un retentissement symbolique important sur les mentalités de l'Occident chrétien. L'originalité de cette République est précisément qu'elle n'est pas absolue mais collégiale, et encore moins tyrannique ou totalitaire. Les Vénitiens surent conserver durant dix siècles la paix à l'intérieur de leurs frontières, ce qui est aussi un cas unique. Alors que l'Occident et l'Europe connaissaient invasions, guerres féodales, guerres religieuses, luttes de pouvoir et de successions, divisions, occupations, incertitudes et fragilité des Empires et Royaumes, Venise tenait tête et faisait face aux velléités et ambitions de ses agresseurs. Elle sut protéger ses frontières, tirer partie de sa position géographique et stratégique, consciente de son ouverture sur la mer, elle acquit, par le choix d'une marine marchande et de guerre, le respect et la puissance que lui assurait sa flotte. Sa devise n'était-t-elle pas : « cultiver la mer et laisser la terre en friche » ?  C'est cette ouverture sur les mers qui va lui assurer la prospérité et la rendre maîtresse de la Méditerranée.

 

L'Arsenal fut l'outil qui l'autorisera à réaliser les ambitions de son économie, au demeurant envisagée de façon moderne. Au XVIe siècle, quadruplant ses capacités, l'Arsenal comptera plus de quinze mille charpentiers et ne cessera de réaliser des prouesses techniques depuis sa création en 1104 par le doge Ordelaf Falier. Flotte de guerre, mais aussi prodigieuse marine de commerce qui asseoit son hégémonie jusqu'aux contrées les plus lointaines. Innovatrice de l'export/import, elle cingle déjà sur la route des Indes et de la Chine. Libérale, dans le sens de liberté d'entreprendre, elle est incontestablement moderne avant l'heure. Les fabuleux exploits et récits de Marco Polo attestent des liens établis avec les comptoirs de l'Extrême-Orient, alors qu'il faudra attendre les XVIIe et XVIIIe siècles pour que l'attrait du Nouveau Monde et les progrès des marines européennes permettent des aventures commerciales comparables sur l'Atlantique. Telles les similaires compagnies des Indes, où les routes des épices et de la soie qui mettent en présence et concurrence Anglais, Espagnols, Hollandais et Français, les obligeant à des combats navals afin de planter des petits drapeaux dans des colonies maintes fois défendues et reprises ou des comptoirs éphémères. Certes l'Empire britannique ( la perfide Albion ) se taillera la part du lion, mais le lion de St Marc peut sourire la patte posée sur les Evangiles ! Car les richesses engrangées ont produit d'incomparables merveilles. Du XIIIe au XVIe siècles, la République de Venise avait déjà mis en oeuvre sur le plan financier le compte courant, la lettre de change, le crédit et le transfert de fonds. Cette puissance que confère l'argent serait incomplète si, bien avant le siècle du roi soleil, les riches Vénitiens n'avaient su jouir que du charme et des avantages de leurs palais et de leurs fêtes. Mais, par chance, une part importante de leurs fortunes sera investie dans l'Art et la beauté, tels qu'en témoignent les églises, musées, oeuvres d'architecture et de peintures que nous contemplons aujourd'hui encore avec un égal émerveillement. Legs prodigieux d'une multitude de génies et de talents qui bâtirent ce patrimoine pour la postérité et fierté d'une communauté qui s'appliqua à offrir aux générations ce ravissement des sens et cette élévation des esprits.

 

Certes nous savons que les civilisations sont mortelles, l'histoire est là pour nous le rappeler, aussi ne pouvait-il en être autrement pour Venise. Grandeur et décadence n'échappent pas à la règle, la chute n'en fut que plus brutale. Elle se produisit à la fin du XVIIIe siècle comme on le sait, à la suite de circonstances et d'évènements intérieurs et extérieurs. Venise sera touchée et n'échappera pas à l'ivresse des fête galantes, au vice qui corrompt une société, jusqu'alors préservée, lentement et sûrement, aux bouleversements du monde et des mondes, aux idées nouvelles qui franchissent les frontières. L'Amérique, par exemple, qui imprime une nouvelle conception civilisatrice basée sur le principe de démocratie. Et surtout l'Europe qui comprend que les centres d'intérêts commerciaux se sont déplacés. Les façades maritimes de l'Atlantique et de l'Atlantique nord vont saisir tout l'intérêt que propose à leur discernement l'exploitation méthodique de ces richesses prometteuses d'avenir.

 

L'industrialisation n'est pas loin, un basculement des centres d'intérêt va ravir à la Méditerranée sa suprématie commerciale, appauvrissant ainsi les monopoles dont Venise jouissait depuis plusieurs siècles. Pour ne rien arranger, Français et Autrichiens vont venir donner un coup de grâce à la Sérénissime. Napoléon, après le traité de Presbourg, s'empresse d'envahir Venise le 1er janvier 1806. S'ouvre alors une brèche définitive par laquelle s'engouffre la décadence inéluctable de la Cité des doges. Notre empereur jacobin s'appliquera à liquider couvents, églises, monastères, ces derniers vendus ou détruits, allant jusqu'au pillage des oeuvres d'art, les chevaux de St Marc quitteront Venise pour Paris et ne seront restitués qu'en 1815. Puis l'Autriche, prenant le relais jusqu'en 1866, sera incapable d'apporter un remède à sa proche voisine. Cependant, par un curieux clin d'oeil de l'histoire, après avoir fait chuter la République en 1797, la France se fera l'artisan du rattachement naturel de Venise à l'Italie. Un geste bénéfique pour les Vénitiens qui atténue les mauvais souvenirs que notre fougueux empereur avait laissés dans les esprits. Sans compter les liens séculaires qui ont uni nos deux peuples. Deux peuples dont les artistes ont contribué tour à tour à leur magnificence réciproque. La greffe a pris pour notre plus grand bonheur, si bien qu'aujourd'hui le tourisme mondial peut découvrir le témoignage d'un passé glorieux et impérissable. Et si l'on juge l'arbre à ses fruits, celui-ci fut fécond.

   



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28 janvier 2024 7 28 /01 /janvier /2024 09:19

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"La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent et si un citoyen pouvait faire ce qu'elles défendent, il n'aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir" - écrivait MONTESQUIEU.

 

"La liberté concrète est celle qui assume courageusement et joyeusement la loi de l'oeuvre qui est la loi du fini : donner forme, et en donnant forme, prendre forme, voilà la liberté".

Paul RICOEUR

 

 

Aussi posons-nous cette question : que signifie être libre ?

 

C'est tout d'abord la liberté de faire. Mais souvenons-nous que la liberté était autrefois un privilège réservé au maître par opposition à l'esclave. Il faudra attendre que le christianisme confirme les affirmations des stoïciens en faisant d'elle un principe spirituel et moral pour réaliser que la dignité de l'homme relevait de sa liberté. En effet, je ne suis libre d'agir que lorsque rien ni personne ne m'en empêche. Cette liberté est appelée la liberté d'action. Elle est la seule dont on ne puisse contester ni la réalité, ni le prix, bien qu'elle ne soit en aucune façon absolue. Par ailleurs est-on libre de vouloir ce que l'on veut ? C'est sans doute le problème le plus épineux, car puis-je n'être que moi ? Et étant moi, puis-je vouloir autrement que moi ? Il ne s'agit plus alors de la seule liberté d'action, mais de la liberté de décision ou de volonté. Volonté au sens où Epicure et Epictète la définissaient, c'est-à-dire liberté qui ne dépend que de moi puisque je suis libre de vouloir ce que je veux. Mais suis-je libre de vouloir autre chose que ce que je veux ? - pourrait ajouter malicieusement Diderot dans "Jacques le fataliste".

 

Cette liberté de la volonté suppose, en effet, que je puisse vouloir autre chose que ce que je désire, c'est ce que certains nomment la liberté d'indifférence ou le libre arbitre, liberté envisagée dans ce sens par des philosophes comme Descartes, Kant et Sartre. Elle suppose que ce que je fais n'est pas déterminé par ce que je suis. Selon Sartre l'existence précède l'essence et si l'homme est libre, c'est qu'il n'était rien à l'origine et n'est, en définitive, que ce qu'il se fait. Je ne suis libre qu'à la condition, certes paradoxale, de renoncer à être ce que je suis pour être ce que je ne suis pas, mais cela à condition de le définir moi-même. C'est ce que ce penseur considère comme liberté originelle. Elle précède tous les choix et tous les choix en dépendent. Cette liberté est absolue ou bien n'est pas. Elle est le pouvoir indéterminé de se déterminer soi-même. Car réfléchir, c'est déjà se libérer. "Il est impossible de concevoir une raison qui, en pleine conscience, recevrait pour ses jugements une direction du dehors"- confirme Kant. La loi morale intérieure, la conscience morale est l'acte de la raison, elle m'indique que je suis libre, puisque sans liberté je ne saurais me contraindre à agir bien. Et Kant ajoute : " Si la loi morale n'était d'abord clairement conçue dans notre raison, nous ne consentirions pas à admettre une chose telle que la liberté." C'est également la raison qui nous permet de nous libérer des pressions ou influences extérieures. Mon intelligence est un filtre qui m'autorise à user de mon libre-arbitre et d'agir selon ma détermination propre.

 

Ce troisième sens de la liberté, la liberté de pensée ou liberté de raison est envisagé comme compréhension et nécessité de nos choix. Etre libre de n'être soumis qu'à sa propre nécessité. Ces trois libertés, action, décision, raison ont en commun de n'exister qu'en relation les unes avec les autres, car on ne naît pas libre, on le devient. Que nous soyons libre ou que nous ne le soyons pas physiquement ou, de façon plus inquiétante psychiquement et moralement, cela ne peut nous dispenser, selon Nietzsche, de devenir ce que nous sommes. Alors réfléchissons à cela et lisons quelques maximes pour mieux nous éclairer sur le sens profond de la liberté, dont nous ne faisons pas toujours le meilleur usage:

 

Mais le tyran enchaînera...quoi ? ta jambe. Mais il tranchera...quoi ? ta tête. Qu'est-ce qu'il ne peut ni enchaîner, ni retrancher ? Ta volonté. EPITECTE

 

Et ainsi j'appelle libre un homme dans la mesure où il vit sous la conduite de la raison, parce que dans cette mesure même, il est déterminé à agir par des causes pouvant être connues adéquatement par sa seule nature, encore que ces causes le déterminent nécessairement à agir. La liberté, en effet, ne supprime pas, mais pose au contraire la nécessité de l'action.  SPINOZA

 

Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l'expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre l'oeuvre et l'artiste. BERGSON

  

La liberté n'est pas dans une indépendance rêvée à l'égard des lois de la nature, mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les mettre en oeuvre méthodiquement pour des fins déterminées. Cela est vrai aussi bien des lois de la nature extérieure que de celles qui régissent l'existence physique et psychique de l'homme lui-même. ( ... ) La liberté de la volonté ne signifie donc pas autre chose que la faculté de décider en connaissance de cause.  ENGELS

 

Que veut dire ce mot être libre ? Il veut dire pouvoir, ou bien il n'a point de sens ( ... ) Où sera donc la liberté ? Dans la puissance de faire ce qu'on veut ? Je veux sortir de mon cabinet, la porte est ouverte, je suis libre d'en sortir. Mais dites-vous, si la porte est fermée, et que je veuille rester chez moi, j'y demeure librement. La liberté sur laquelle on a écrit tant de volumes, n'est donc, réduite à ses justes termes, que la puissance d'agir. Dans quel sens faut-il prononcer ces mots : l'homme est libre ? Dans le même sens qu'on prononce les mots de santé, de force, de bonheur. L'homme n'est pas toujours fort, toujours sain, toujours heureux. Une grande passion, un grand obstacle, lui ôtent sa liberté, sa puissance d'agir. Le mot de liberté, de franc arbitre est donc un mot abstrait, un mot général comme beauté, bonté, justice. Ces termes ne disent pas que tous les hommes soient toujours beaux, bons et justes ; aussi ne sont-ils pas toujours libres.  VOLTAIRE

 

Les hommes se trompent en ce qu'ils se croient libres ; et cette opinion consiste en cela seul qu'ils ont conscience de leurs actions et sont ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés. Ce qui constitue donc leur idée de la liberté, c'est qu'ils ne connaissent aucune cause de leur action. SPINOZA

 

La vraie liberté, c'est pouvoir toute chose sur soi.  MONTAIGNE

  

Maintenant à chacun de se faire son opinion sur le sujet. C'est la liberté de raison. Alors bonne raison à tous.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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8 décembre 2023 5 08 /12 /décembre /2023 09:04
LIBRE ARBITRE OU LE MOMENT DU POSSIBLE

Dans le déroulement d’une existence, l’exercice de la liberté ou du libre arbitre est un moment du possible où nous effectuons un acte qui ne dépend que de nous-même et de la seule force de notre volonté, en quelque sorte un moment où nous prenons notre propre mesure et agissons en fonction de notre détermination. Tant d’actes avortent par faiblesse de l’âme, nous faisant retomber dans le marécage des opinions en vogue, des entrainements naturels ou sociologiques,  le tourbillon des idées et des opinions dominantes. Si le temps permet tout, rien n’est définitivement assuré. En cet instant du possible où mon libre arbitre s’exerce pleinement, son efficacité ne peut résider que dans la réflexion. C’est en toute connaissance de cause que je me refuse à céder à l’humeur passagère ou à la pression de l’affectif et de l’émotionnel. "Dans l’existence, la raison ne se sépare pas de la liberté, elle est générosité" - assurait Descartes, tandis que Jacques de Bourbon-Busset la nommait « la raison ardente », l’ardeur étant l’élément de base indispensable dans tout acte de courage. Cette ardeur, qui nous transcende, s’oppose alors à la tentation de céder à la facilité, à l’abandon, au renoncement.

 

 

Le mythe de la "Caverne" qui occupe « La République » de Platon – a pour ambition d’exposer une vérité sur l’homme chez qui la raison ne semble pas en état d’opérer un ralliement. D'autant que ce que je veux n’est pas obligatoirement ce que … je peux. Il y a parfois une marge immense qui sépare le désir de ma volonté et la volonté de mon désir. Bien sûr, tout choix exige des renoncements et la personnalité de chacun est toujours plus complexe que les choix proposés. Par ailleurs, notre caractère fluctue avec le temps et les conditions environnantes. Il serait irréaliste de nier les données événementielles auxquelles nous avons à faire, et tout aussi irréaliste de nier la nature humaine. Cependant notre liberté autorise certains aménagements et il est évident que nous évoluons avec le temps et selon les circonstances qui s'offrent à nous. Mais la faiblesse ne sera jamais une excuse.

 

 

Ce n'est qu'en tant que personne, dans ma singularité propre, que je suis apte à faire des choix déterminants et à conduire ma vie en usant de mon libre arbitre et de mon discernement. Sur quoi repose la notion de libre arbitre ? Deux points de vue s’opposent qui traversent l’histoire de la philosophie et subissent bien des atermoiements et des variantes. Du point de vue de la personne, c’est-à-dire du point de vue de la conscience, nul ne peut décider à ma place ; même ne pas décider est une décision et la moindre action digne de ce nom m’engage. Ne serait-ce que pour une chose aussi simple que lever le bras, il faut que je le décide, tout au moins faut-il que je le pense et que je le réalise. Le libre arbitre engage assurément ma responsabilité. Cela fait-il du libre arbitre, et du contrôle qu’il exige, une donnée essentielle ? Est-il si évident que nous soyons en mesure d'exercer une censure sur nos pensées et nos émotions ? La plupart de nos actions ne sont-elles pas des réactions mécaniques qui répondent à des facteurs divers (émotions, préjugés, éventualités, hasards) que nous ne maîtrisons pas davantage ? Certes, je suis à l’origine de mes choix, mais ai-je choisi d’être ce que je suis ? Pour que nos actions soient vraiment les nôtres, il faudrait que nous puissions nous choisir nous-même et cela n'est pas possible ? Peut-on revendiquer un choix absolu de soi-même, me suis-je choisi moi-même ? Alors, comment me considérer comme libre ? A n’en pas douter, ce n’est que dans une perspective spirituelle que la liberté, ma liberté intérieure, apparaît la plus évidente car je suis libre d’être, libre de me définir en fonction de mes exigences intimes, libre de m’engager dans des actes conformes à mes convictions, libre de réfléchir, de juger, de penser, libre de croire. Et cette liberté-là, personne ne pourra m’en priver.
 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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1 septembre 2023 5 01 /09 /septembre /2023 08:47
La fraternité est-elle une utopie ?

 

Fraternité, un mot qui orne les frontons de nos édifices publics, l'un des plus beaux de notre vocabulaire, mais, à dire vrai, que recouvre-t-il, qu'en est-il de la fraternité de nos jours ? Est-elle véritablement pratiquée de par le monde et l'a-t-elle jamais été, parvient-elle à fédérer les peuples, à polir les moeurs, à unir les hommes, où n'est-elle, hélas ! qu'une belle utopie ? Poser la question, c'est déjà tenter d'y répondre, aussi vais-je essayer de l'initier de mon mieux. 

 

Au commencement l'idée de fraternité était conjointe à l'idée de filiation. Nous étions frères parce que nous étions fils, les fils de Dieu. Pour la raison que nous étions les enfants d'une grande famille, une famille qui se déployait sur la terre, unie par un semblable destin, nous nous devions naturellement aide et secours. Le père, qui avait donné la vie, était le ciment de cette fraternité universelle. Les hommes bénéficiaient tous du même don à l'origine : leur nature humaine et sa dimension spirituelle. De là, la force particulière que prenait dans la pensée chrétienne les notions de dignité humaine et d'égalité entre les hommes. Non qu'on ne puisse nier les inégalités circonstancielles, mais ce qui unissait alors les sociétés était la recherche d'un bien commun, ce qui signifiait qu'une cité, qu'un pays se composait d'organisations unifiées par une finalité identique, à la fois celle de chacun et celle de tous. " La cité est une communauté de semblables, et qui a pour fin la vie la meilleure possible " - écrivait déjà Aristote dans Politique ( VIII, 7 ).

 

Le Nouveau Testament n'allait faire qu'amplifier le sentiment de respect et de sollicitude qu'il nous était recommandé de vouer à autrui, cet être qui ne devait pas être considéré comme autre mais comme proche, un prochain que l'on avait le devoir d'aimer comme soi-même. La notion de fraternité n'était donc pas limitée à la fratrie familiale mais à la fratrie humaine dans son ensemble, c'est-à-dire à tous les autres, eu égard à leur ressemblance avec nous-même. Nous n'étions plus seulement des semblables mais des proches. Ainsi la communauté humaine était-elle envisagée comme une communauté d'amour qui s'adressait, non plus à des individus, mais à des personnes. Puis, les temps ont changé et, du communautaire, nous sommes passés, après la Révolution française, au collectif. Dieu était mort ou moribond, et les fils, n'ayant plus de Père, n'avaient plus de frères, mais des contemporains, des égaux, des semblables. La société des hommes était relayée par la société des citoyens. Cependant, contre toute attente, le mot de fraternité fut conservé, bien que celui de solidarité eût mieux convenu et semblait mieux adapté à cette idée neuve de communautarisme, ce qui laissait sous-entendre que la vie de la personne devait progressivement s'effacer derrière le collectif. Au lieu d'être tournées les unes vers les autres, les sociétés portaient leur regard vers l'oeuvre commune, au point que la communauté d'amour devenait une communauté d'intérêt qui s'adressait à des individus et était, par la force des choses, plus sélective. Nous verrons d'ailleurs apparaître et fructifier les associations, les cercles, les groupes, les corporations, les confréries.

 

Néanmoins, l'idée de fraternité ne disparaitra jamais pour trois raisons : d'abord parce qu'elle est en soi une aspiration profonde de chacun vers cet autre qui peut être tout autant le semblable que le différent, l'inconnu que le familier, le proche que le lointain ; ensuite, parce qu'elle est le lien qui relie ce que la vie tente de séparer et, enfin, parce que ce qui fonde la fraternité n'est, ni plus, ni moins, ce que l'on partage : la famille, la patrie, les souvenirs, le passé. Nous savons tous qu'un peuple disparaît lorsqu'il n'a plus de mémoire, qu'un être meurt quand il n'a plus de souvenir. Davantage que sur un avenir possible, la fraternité s'établit, se construit, s'érige sur un passé commun. C'est la traversée du temps qui noue les liens et les renforce. Cette fraternité-là existera quoiqu'il arrive dans le temps et hors du temps. Elle sera, tour à tour, une fraternité de douleur ou une fraternité d'espérance, ni tout à fait utopique, ni tout à fait réelle.
 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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26 mai 2023 5 26 /05 /mai /2023 07:57
Au fil des jours et de la plume

 

Cette belle phrase de Michel Serres me semble particulièrement convenir en un moment où le monde se pose tant de questions essentielles et attend  tant de réponses  fondamentales : "Faisons la paix avec nous-même pour sauver le monde et faisons la paix avec le monde pour nous sauver nous-même." En été, c'est le soir que la mer est la plus belle. Elle a tant absorbé de lumière, qu'elle parait la restituer. Son miroir uniforme et lustré nous apparaît soudain brisé en mille éclats. Lorsque le soleil va se poser sur l'horizon, des flammèches  viennent mourir dans son flot, et avant de s'éteindre, tracent de longs sillages mauves. Sur le sable, le ciel compose déjà ses ombres et l'eau absente a creusé ses anses et ses golfes, terre presque aérienne qui oscille avec le vent. Des frissons d'eau la parcourent et ces lointaines vasières partagent en plusieurs zones leurs tranches d'humidité et de brume. On devine ici les vestiges d'un château de sable, là un seau abandonné ; la marée s'est retirée en même temps que celle des enfants rieurs. C'est l'heure où la plage, le ciel, la lumière n'appartiennent plus qu'aux oiseaux et à quelques rêveurs. J'aime ce moment où tout s'efface imperceptiblement. La nuit enténèbre ciel et mer qui reprennent leur confidentiel tête-à-tête.

 

   

Dans les années 50, alors que la Science paraissait bien armée pour la subversion intellectuelle - ne se voulait-elle pas seule vérité, car seule vérifiable - Sartre se demandait : "Pourquoi est-ce qu'il y a de l'être ?" - retournant comme un gant le questionnement d'Aristote : "Qu'est-ce qui fait qu'un être est ce qu'il est ? " Cependant Bergson, peu d'années auparavant, avait écrit courageusement, à l'exemple d'un Etienne Gilson et un Gabriel Marcel, des propos plus gratifiants : "Si la vie mentale déborde la vie cérébrale, alors la survivance devient si vraisemblable que l'obligation de la preuve incombera à celui qui nie". Il est vrai que ce qui occupe la métaphysique n'entre pas dans le domaine du vérifiable, c'est-à-dire du visible et de l'expérimental : Dieu, l'être, la liberté, l'immortalité. La reprise du questionnement s'avère donc urgente en un moment où les valeurs essentielles sont dévaluées, voire même corrompues. Pour ce faire, il est nécessaire d'élargir la réflexion, de frayer un chemin encore inexploré ou exploré partiellement, car reprendre va dans le même sens que poursuivre. De même que le montagnard ouvre une nouvelle voie sans être assuré d'aboutir, le penseur d'aujourd'hui doit tenter d'éclairer davantage et différemment et refonder une science du transcendental, sans laquelle l'homme risquerait de perdre jusqu'à sa trace.

 

 

Réveillée tôt ce matin, je suis allée sur le balcon regarder le jour se lever sur la mer. Tout d'abord  une ligne presque imperceptible qui trace son trait régulier à l'horizon, comme si elle tentait de soulever la lourde chape des ténèbres. Pas de couleur, mais une symphonie en noir et gris. Et puis, sans que l'on puisse voir comment, il semble que la lumière, encore discrète, se mette à boire - ainsi que le ferait un buvard - la surface du ciel et en dissipe les dernières ombres. Peu à peu les couleurs apparaissent, les reliefs se construisent, les objets prennent forme. Une journée neuve disperse ses clartés, assemble ses couleurs, diffuse ses vents et ses orages. Une journée à écrire et à vivre, en y glissant des instants de silence, d'attention, de recueillement, afin que rien ne se perde d'utile et de fécond.

 

 

De prime abord, dialoguer avec l'autre ne devrait faire obstacle à aucune croyance, à aucune conviction car, sans dialogue, pas de recherche de vérité possible, pas d'ouverture à de nouvelles cultures et civilisations. D'autant que penser ensemble, reconsidérer notre destinée, reformuler le sens de notre existence dans un monde en pleine mutation se présentent comme une perspective exaltante pour l'homme d'aujourd'hui. Nous vivons à une époque de pluralisme où civilisations et cultures, souvent hostiles ou indifférentes les unes aux autres, ont été subitement rapprochées par des moyens de communication amplifiés à l'extrême. Malheureusement, le dialogue si en vogue débouche le plus souvent sur un dialogue à l'état sauvage qui sombre dans l'affrontement, pire le bavardage stérile. L'humanité n'a que trop montré son immaturité à s'accomplir et ne parait que plus fragilisée, plus désorientée par la multiplicité des pôles d'urgence, plus affolée par une actualité foisonnante. L'essentiel, stabilisateur par vocation, qui concentre et unifie, est submergé par l'écume de l'éphémère. Ne l'est-il qu'occasionnellement ? On voudrait l'espérer. Mais il faut bien convenir que nous devons opérer des choix et, qu'en l'absence du spirituel, les hommes et femmes que nous sommes restons sceptiques. Dialoguer, certes, mais dans un esprit de ressourcement, en projetant sur l'avenir les lumières du passé, afin de remettre le monde dans la perspective de l'Histoire et, en fils prodigues, en retournant à nos pères.

 

 

Un correspondant me transmet à propos de la phrase de Saint-Augustin que j'avais citée dans l'un de mes articles, des extraits puisés dans  Les cahiers 1957 - 1972  de Cioran, relatifs à la passion, les voici :

"
 Il n'est guère que la passion et l'intérêt qui trouvent immédiatement le langage qu'il faut.  - Ce qui est écrit sans passion finit par ennuyer, même si c'est profond. Mais, à vrai dire, rien ne peut être profond sans une passion visible ou secrète. Secrète de préférence. Quand on lit un livre, on sent où l'auteur a peiné, où il s'escrime et invente ; on s'ennuie avec lui, mais dès qu'il s'anime, une chaleur bienfaisante, même s'il s'agit d'un crime, s'empare de nous. Il ne faudrait écrire que dans un état d'effervescence. - On fait une oeuvre avec de la passion, non avec de la neurasthénie, ni même avec du sarcasme. Même une négation doit avoir quelque chose d'exaltant, quelque chose qui vous relève, qui vous aide, vous assiste. - J'ai eu tort de saper mes passions ; on ne peut rien produire sans elles. Ce qu'on appelle la vie, ce sont elles et rien d'autre. - Dès qu'on écrit sans passion, on ennuie et on s'ennuie. Et c'est pourtant à froid qu'on devrait dire tout ce qu'on a à dire. Je m'y suis essayé en cultivant l'aphorisme, ce feu sans flamme. Aussi bien personne n'a été tenté de s'y réchauffer ."

De la part de Cioran, quelle lucidité à son propre égard ! N'est -ce pas en usant d'elle de cette façon que le philosophe nous parait le plus grand ?

 

 

Peu d'acte plus solitaire que l'écriture. Peu d'acte plus altruiste. On n'écrit rarement pour soi. On écrit pour l'autre. Pour le rencontrer ou le retrouver. L'écriture est un peu comme une échelle de corde que l'on déroulerait le long d'un donjon ou une quille de navire et sa finalité, celle de jeter un pont, tracer une voie, ouvrir une route, combler une absence. S'il lui arrive d'être savante ou embrouillée, pompeuse ou relâchée, hautaine ou suppliante, c'est simplement parce qu'elle nous ressemble. Alors sourions-lui et recevons-la. Il y a également celui qui écrit parce qu'il a quelque chose à dire, un savoir à transmettre. C'est le cas du philosophe, du scientifique, de l'historien. Il détient des connaissances qu'il estime devoir communiquer. Geste altruiste par excellence. Enfin il y a ceux qui écrivent pour guérir de soi ou des autres, parce qu'ils n'ont pu ou su ni s'aimer, ni se faire aimer. L'écriture, alors, n'est pas un don, un élan, une avancée, mais le cri que l'on pousse, l'alerte que l'on déclenche, les feux de détresse que l'on allume - à moins qu'elle ne soit pour le poète, encore attardé dans sa nuit inquiète, la dernière étoile que l'on recense.

  

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

  

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