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12 juin 2015 5 12 /06 /juin /2015 09:26
La volupté des neiges de Vladimir Fedorovski
Catherine II et Potemkine
Catherine II et Potemkine

Catherine II et Potemkine

Voilà une lecture agréable dont le mérite est de nous transporter au pays des steppes et des neiges et l’intimité des grandes figures de la Russie éternelle évoquées par Vladimir Fedorovski, russe lui-même, qui eut la chance d’avoir accès à des archives confidentielles qui lui furent remises dans le mythique hôtel Metropol de Moscou par son ami Iakolev, il y a de cela 25 ans. Ainsi revivions-nous, grâce à lui, les grands  moments de l’histoire russe, voyons-nous se réanimer des personnages flamboyants, des amours passionnés, naître des jalousies féroces, souffrir des deuils poignants, s’enivrer de leur présence réciproque des hommes et femmes que rien se semblait devoir rapprocher. Le premier de ces cinq récits est celui de Catherine II et de Potemkine sur lequel je ne m’attarderai pas, tant il est connu, sinon que nous avons ici des détails intéressants sur les échanges épistolaires des deux protagonistes que leur goût du pouvoir, leurs personnalités hors du commun, leur amour de la Russie réunirent le plus souvent pour le meilleur. Potemkine fut pour Catherine un stratège hors pair qui joua un rôle capital dans les affaires d’Etat, peut-être le véritable inventeur de l’Empire russe. On sait que la tsarine eut beaucoup d’amants mais celui-ci reste sans égal, « bâtisseur de villes et de ports, fin diplomate, il conclut au nom de son impératrice toute une série d’accords qui garantissait de nouvelles conquêtes. »

 

Le second récit concerne le tsar Alexandre II qui avait accédé au trône en 1855, fut le plus libéral des souverains puisqu’il supprima le servage et s’apprêtait à signer l’instauration d’un régime constitutionnel de Russie, ce qui eût probablement changé la face de l’Histoire, car il garantissait le principe d’une représentation nationale. On connait malheureusement la suite. Alexandre II allait être assassiné par des terroristes et cette monarchie constitutionnelle remisée dans les oubliettes. Ses amours avec la jolie Katia Dolgorouki fera jaser toutes les cours d’Europe. Il est vrai qu’alors la délicieuse impératrice Marie, après la naissance de son huitième enfant et le danger d’une neuvième maternité, refusait l’entrée de sa chambre à son royal époux. De santé fragile, désemparée par la mort de son fils ainé, le tsarévitch Nicolas à l’âge de 21 ans, elle s’était réfugiée dans la religion et menait une vie recluse, ce qui affectait beaucoup l’empereur. C’est dans ces circonstances douloureuses qu’apparut la jeune Katia, une jeune fille de 18 ans qu’il rencontra lors d’une visite à l’Institut Smolny où elle était pensionnaire, comme d’autres fillettes de familles nobles mais peu fortunées. Cet amour durera jusqu’à l'assassinat avec une constance et une ferveur qui prouvent combien les liens étaient étroits et fusionnels. Car «  si Marie de Hesse avait la réputation d’être aussi timide au lit qu’effacée dans la vie, Catherine Dolgorouki avait un tempérament de feu." A la mort de Marie, l’empereur l’épousera, un mois après le décès de celle-ci, le 18 juillet 1880, faisant de Katia une altesse sérénissime et reconnaissant bien sûr les deux enfants qu’elle lui avait donnés. Le tsar avait alors 62 ans, elle bientôt 33 et leur bonheur était sans borne. Mais le tsar était devenu l’objet d’une chasse sans précédent dans l’histoire du terrorisme mondial. La mort l’attendait en ce 13 mai 1881 après qu’il eût assisté à la messe. « Une première bombe éclata près de la voiture impériale. Elle tua le terroriste, les cosaques de sa garde et un passant malchanceux. Mais plutôt que d’ordonner la fuite du carrosse, Alexandre II descendit pour adresser quelques mots de réconfort aux blessés. » Cela lui fut fatal. Une seconde bombe lui transperça le corps, lui arracha un pied et le couvrit de blessures. Il expira quelques heures plus tard. Exilée sans ménagement par la cour, la princesse Katia s’installa à Nice avec ses enfants. Lorsqu’elle mourut le 15 février 1922, sa disparition ne souleva aucune émotion en Russie, le grand amour du tsar n’avait nullement frappé le cœur du peuple attaché à la sage et fidèle impératrice Marie.

Alexandre II et Catherine Dolgorouki
Alexandre II et Catherine Dolgorouki

Alexandre II et Catherine Dolgorouki

 

Le troisième récit concerne Balzac, le plus russe des écrivains français, pour avoir été l’amant, et pour quelques mois l’époux, d’une aristocrate russe, la comtesse Evelina Hanska, mariée à un riche aristocrate polonais de vingt-cinq ans plus âgé. Il lui avait donné six enfants dont un seul avait survécu, une petite Anna, et vivait auprès d’elle dans un immense domaine où s’activaient 300 domestiques. Balzac, toujours à cours d’argent, avait l’impression d’entrer dans un rêve. Cette femme, qui dans sa première lettre avait signé « l’étrangère », n’était pas seulement jeune, belle, colossalement riche, éprise de littérature, admirative de ses romans, mais elle était supérieure par l’intelligence et le cœur. Balzac « qui n’imaginait pas l’amour ailleurs que dans les hauteurs » était tout simplement subjugué. Après un échange de missives, ils se rencontrèrent en Suisse, à Neufchâtel, au bord du lac et s’il fût d’emblée ébloui par son charme et son regard ; la jeune femme le sera beaucoup moins par son air paysan, son teint rouge, sa silhouette replète et son orgueil d’aristocrate quelque peu mis à mal par ce plébéien  sans le sou, courtaud et décoiffé par le vent. Mais qu’importait !, il était le plus grand écrivain du monde, il l’aimait, elle était son inspiratrice et le comte Hanski, bien que soupçonneux et jaloux, sera trompé sans vergogne. Cet amour sera d’abord et longtemps épistolaire mais, une fois veuve, la jeune femme finira par se laisser convaincre et épousera Balzac après que ses affaires de succession aient été réglées. Pour cela, il fallait obtenir l’autorisation impériale, ce que le tsar accepta, mais Eva hésitait encore, ne cessait de tergiverser et malgré une passion authentique et sensuelle, après 10 années d’attente, de projets avortés et pour Balzac de permanents soucis d’argent, elle continuait à verser le chaud et le froid, jusqu’au 14 mars 1850 où, enfin, elle accepta de convoler en juste noce avec son cher écrivain.  « Il y a trois jours, j’ai épousé la seule femme que j’ai aimée, que j’aime plus que jamais et que j’aimerais jusqu’à ma mort » - écrivait-il à la suite de cet événement, alors qu’épuisé par sa vie difficile, il était déjà dans l’antichambre de la mort. Il entra en agonie le 18 août 1850 et mourut à 23h30 après quelques mois d’une union à laquelle il avait aspiré pendant 18 ans.

Eveline Hanska
Eveline Hanska

Eveline Hanska

Tolstoï et ses amours sont déroutants car le grand écrivain fut toute sa vie tiraillé entre un tempérament sensuel et volcanique et une conscience acérée. Sa jeunesse fut particulièrement débauchée entre les femmes de petite vertu et les liaisons passagères, son appétit était sans limite. « Et que pouvait-il faire contre cette animalité exigeante qui le poussait à vivre des étreintes déchaînées et des prouesses charnelles » - nous dit Fédorovski. Jeune, il ne voyait dans la littérature qu’un art d’agrément mais, par chance, elle lui permit de donner sens à sa vie et, au fil du temps, d’apparaître à ses yeux bien davantage qu’un divertissement. Dans son journal où il se livre sans retenue, ni pudeur, il avoue que la luxure ne lui laisse pas une minute de répit. Ce, jusqu’à ce qu’il rencontre les Bers, qui avaient trois filles dont il finira, après bien des hésitations, à épouser la plus jeune car la plus amoureuse et la plus vive : Sonia. On sait ce que cette  femme sera pour son époux puisque elle-même a raconté sa vie auprès de ce génie qui lui fera treize enfants dont cinq moururent en bas âge, mais était-il possible de vivre à l’ombre d’un demi-dieu ? Sophie consacrera son existence à son mari, sera sa secrétaire, sa sœur, son amante, son enfant, et, malgré les vicissitudes de la vie, les exigences de la chair, la tyrannie de l’écriture, le couple ne cessera de s’aimer. Ils vécurent près de 50 ans l’un près de l’autre une dure existence de labeur dans leur vaste domaine d’Iasnaïa-Poliana.

Sonia jeune et le couple plus âgé
Sonia jeune et le couple plus âgé

Sonia jeune et le couple plus âgé

Le dernier récit est consacré à Anton Tchekhov et à Olga Knipper, une actrice charmante qui fut son grand amour et, qu’hésitant comme Léon Tolstoï, il mit beaucoup de temps à épouser. Il l’avait connue le 9 septembre 1898 lors d’un spectacle où elle chantait et où il l’avait trouvée magnifique, mais ce séducteur au charme fou n’entendait pas se mettre trop tôt le fil à la patte. Et puis le théâtre l’absorbait ; après la poésie, il avait trouvé sa voie de dramaturge. D’ailleurs, il le reconnaissait lui-même : « Un récit sans femmes, c’est comme une machine sans vapeur. D’ailleurs j’ai des femmes, mais pas d’épouse, ni de maîtresse. Mais je ne peux pas me passer de femmes ». Elles furent d’ailleurs le pivot et le charme de ses œuvres : « La Mouette », « Oncle Vania », « Les trois sœurs », « La Cerisaie ». Néanmoins, Olga et Anton se revirent car il ne pouvait l’oublier, mais les séparations étaient constantes pour la bonne raison qu’Olga demeurait à Moscou, où elle était actrice, et Anton le plus souvent à Yalta où le climat doux convenait à sa phtisie, il était tuberculeux depuis l’adolescence. Si bien que leur liaison fut presqu’essentiellement épistolaire comme celle de Balzac et d’Eva Hanska. On ne compte pas moins de cinq cents lettres qu’ils s’envoyèrent au fil des années, correspondance qui ne s’achèvera qu’à la mort du poète-dramaturge. Olga allait le rejoindre aussi souvent qu’elle le pouvait. La maladie s’aggravait et elle le savait, ne se berçant nullement d’illusions. Elle souhaitait seulement l’épouser et être à ses côtés, plus forte que la maladie, mais Anton restait indécis, irrésolu et fuyant et, en l’année 1901, la jeune femme ne cessait les allées et venues entre Moscou et Yalta. Enfin le 25 mai de la même année, voyant son désarroi, Anton se décida enfin à la prendre pour épouse. En avril 1902, elle perdait leur enfant à la suite de ses voyages en train ou sur les routes qu’il lui fallait subir pour le rejoindre. Grâce à ses lettres, Olga tentait autant que faire se peut d’installer une présence auprès d’Anton qui s’affaiblissait, se sentait de plus en plus triste et esseulé. En 1904, il se rendit malgré tout à Moscou pour assister à la première de « La Cerisaie » qu’il venait d’achever et où Olga était son interprète. Au moment des ovations finales, on le traîna sur la scène, déchaînant un tonnerre d’applaudissements. Mais Tchekhov était épuisé par deux crises cardiaques successives. Le 15 juillet, il éprouva une légère amélioration et demanda une coupe de champagne, heureux d’être auprès d’Olga et d’apprendre que ses pièces étaient jouées dans l’Europe entière avec succès. Tout à coup, il leva son verre, sourit et murmura « Je meurs ». Il avait 44 ans.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Anton Tchekhov et Olga Knipper
Anton Tchekhov et Olga Knipper

Anton Tchekhov et Olga Knipper

Anton et Olga

Anton et Olga

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commentaires

T
Je vais essayer de me procurer le livre. Cela me plaît toujours ces histoires d'amour vraies. Et puis vos photos nous donnent déjà une image de ces personnages qui se sont aimés et parfois quittés. Tous des hommes et femmes de talent.
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E
Et certainement j'aimerais lire ce livre. J'aime les histoires "d'amour" (on le sait ;) ) et encore assez jeune - pas encore vraiment adolescente - j'ai lu le récit des amours de Katia et du Tsar, il appartenait à ma mère et je trouvais ça extrêment romantique!
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A
Je pense qu'il vous plairait. C'est agréable à lire, bien documenté. Vladimir habite à Deauville avec pied-à-terre à Paris. Je le connais un peu grâce à une amie. Sa femme est charmante. Il donne très souvent des conférences au CID de Deauville, toujours très intéressantes avec des invités de marque. La dernière fois nous avons eu les frères Bolganov.
L
De Fedorovski, j' ai lu recemment son livre sur Poutine tres interessant. Au moins il sait de quoi il parle. Il devrait l'envoyer a Obama.
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