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13 avril 2024 6 13 /04 /avril /2024 08:51
Voyage en Polynésie française

 

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Mon mari et moi en rêvions depuis longtemps. S’envoler un jour vers ces îles lointaines qui semblent posées sur l’océan et serties comme des perles précieuses dans l’anneau émeraude des lagons, connaître la couleur du Pacifique, le parfum des fleurs de tiaré avec leurs corolles blanches et cireuses, celles du jasmin, de l’ylang-ylang et du frangipanier que les navigateurs d’autrefois respiraient avant même de discerner les contours des îles, comme une fragrance envoûtante. Puis, découvrir, ainsi qu’ils le faisaient, les paysages somptueux avec Mooréa au premier plan, Tahiti au fond, le bleu dur de la mer, le liserai d’écume qui ourle le littoral, surplombé par la masse sombre des montagnes, auxquelles s’accrochent les nuages, avant d’entrer en contact avec une population dont la légende veut qu’elle soit d’origine améridienne, arrivée en Polynésie à bord de pirogues depuis les rives sud-américaines, il y a de cela plusieurs millénaires. Aujourd’hui, il semble plus probable que cette population soit austronésienne, les Océaniens poursuivant leur lente avancée dans le Pacifique plus d’un millier d’années avant J.C. Excellents navigateurs, ils connaissaient déjà les ciels nocturnes et leurs moindres constellations et le langage de la houle et des vents. En un millénaire, ils s’implantèrent dans la Polynésie centrale et orientale, des îles Cook et de la Société à Hawaï et à l’île de Pâques. Oui, nous désirions connaître cela et, pour y parvenir, nous n’avons pas hésité à casser notre tirelire, d’autant plus que le franc pacifique, en cette année 1984, était le double du franc métropole. Aussi le voyage se ferait-il dans des hôtels ou pensions de famille au coût raisonnable, avec un seul repas par jour et les caboteurs chargés du courrier et du ravitaillement comme moyen de transport entre les îles, à l’exception de Bora-Bora, trop éloignée de Tahiti et, pour laquelle, nous serions tenus de prendre l’avion.

 

C’est un 21 juillet que nous avons décollé de Roissy pour Los Angeles dans un boeing 747. Douze heures de vol par le sud du Groenland, la baie d’Hudson et une partie des Etats-Unis, avec l’immensité des champs de céréales découpant géographiquement le sol en plaques de couleur. A Los Angeles, escale de 4 heures, ce qui paraît long en pleine nuit et ré-embarquement sur un DC 10 pour Papeete. Lorsque nous descendons de l’avion à Faa, je suis pieds nus, tant mes chevilles ont gonflé durant ces 22 heures de voyage. Le parcours en car depuis l’aéroport jusqu’à notre modeste hôtel, en pleine nuit, ne nous laissera aucun souvenir. Il faudra attendre le lever du soleil pour que nous découvrions les premiers paysages et au loin l’île de Mooréa se découpant dans la brume nacrée de l’aube. Pas question de dormir. Nous ne voulons pas passer au lit notre première matinée polynésienne. Une douche effacera les fatigues de ce long voyage. Le petit déjeuner avalé, nous nous enquérons d’une plage pour aller prendre notre premier bain dans le Pacifique. Mais les Maoris ne sont guère loquaces. Un battement de cil très fiu vous tiendra lieu d’explication. Comme il n’y a pas de truck le dimanche, nous voilà partis à pied vers une hypothétique plage que nous imaginons immaculément blanche. Mais il y a peu de belles plages à Tahiti, île volcanique. Par chance, nous sommes logés au sud de Papeete, non loin de Punaania qui est l’une des plus belles, frangée de bois de fer et de cocotiers. Ce premier bain dans le Pacifique n’en est pas moins décevant. Si la plage est sublime, la baignade est rendue difficile par les coraux qui abondent jusqu’aux abords du sable. Le réseau routier tahitien est limité au littoral, car l’intérieur des terres est occupé par le relief montagneux qui aligne ses flancs escarpés couverts d’une abondante végétation de pandanus, de bancouliers et de purau et que zèbrent une profusion de cascades. De là-haut les vues sont superbes mais difficilement accessibles, sinon à dos de mulet ou en 4x4 et cela coûte cher. Nous en serons réduits à quelques excursions pédestres, épuisantes par la chaleur, mais toujours récompensées par des points de vue d’une étonnante beauté.

 

C’est non loin de Punaania que Gauguin vécut de 1897 à 1901 et produisit une soixantaine de toiles dont  "D’où venons-nous" qui se trouve au musée de Boston. Dans les scènes familières, qu’il a croquées, comme "La sieste", "Le silence", "Le repos", l’artiste a su saisir les essences parfumées de l’île, les survivances des croyances ancestrales et l’insouciance lasse des femmes aux postures alanguies. Il est amusant de souligner que presque toutes les jeunes filles du coin disent descendre du peintre, leur grand-mère ayant été son modèle et son amante. Alors Dieu sait qu’il a dû en avoir !

 

Mais Tahiti ne parviendra pas à nous captiver, peut-être par son absence de chaleur humaine et les barrières infranchissables qui existent entre les diverses communautés : les Maoris, les Chinois et les Européens vivant les uns à côté des autres sans parvenir à dialoguer. Il n’y a qu’au marché de Papeete, le matin de bonne heure, que l’on est gentiment apostrophé par la gouaille des matrones qui vendent des chapeaux, des paréos, des fleurs, des multitudes de fruits et légumes, sans oublier les poissons aux écailles argentées. Il y a là une atmosphère bon enfant inoubliable, un parfum de vanille, des couleurs étincelantes et un petit quelque chose qui vous donne soudain l’impression d’être un peu moins loin de la mère patrie.

 

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                            Mooréa

 

Il faudra attendre Mooréa pour que nous ressentions le premier choc, lorsque le bateau, après un long travelling le long des côtes, approche de la merveilleuse baie de Cook (Pao Pao), d’une beauté à couper le souffle. Elle se détache majestueuse avec ses pitons rocheux comme d’altières sentinelles, dominant l’arc parfait d’une anse ceinturée de cocotiers d’un vert profond, rehaussée par l’intense indigo du la mer. Nous débarquons à Vaiare et retrouvons d’un coup le charme d’un univers paisible où défilent, dans le désordre, les plages d’or, les villages blottis à l’ombre des manguiers et des filaos, les églises coquettes, les taches vert-de-gris que font les plantations d’ananas ou celles plus sombres des forêts de calfata, heureusement égayées par les toits rouges des farés qui jettent leur éclat sur la fastueuse déclinaison des verts polynésiens. Mooréa, en 1984, était un véritable paradis, à l’abri du tourisme de masse et des laideurs commerciales et industrielles, dont le rythme de vie s’avérait lent et la population plus hospitalière. Ici, nous allons beaucoup marcher, afin de découvrir les coins propices à goûter la vie polynésienne dans ce qu’elle a de plus authentique. Empruntant les sentiers, nous aimions à accéder aux belvédères et apercevoir les baies se profilant dans de larges échancrures marines, contempler la montagne transpercée par la flèche de Pai ( Mont Mauaputa ), parcourir des lieux humanisés par les cultures soignées des vanilliers ou assister aux sorties des messes du dimanche lorsque les paroissiens s’échangent des nouvelles et des salutations et que les vaches se prélassent insouciantes dans les rues. Au loin, des pirogues dessinent leurs sillages blancs sur l’eau étale, tandis que l’air saturé du parfum enivrant de la fleur de tiaré vient à vous dans un souffle tiède et que quelques cumulus s’attardent à auréoler les sommets.

 

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                    BORA-BORA

 

Mais ce qui nous attend sera plus beau encore, bien qu'il ne soit plus possible, arrivé à ce degré, d’ajouter un superlatif au superlatif. Car l’île mythique par excellence, le havre de paix, la nature même du rêve dans sa perfection quasi indépassable, est sans aucun doute l’île de Bora-Bora. Il suffit de la survoler pour que les mots chargés de la décrire deviennent subitement impuissants. Oui, comment dépeindre cette merveille sortie des entrailles océanes et que l’on survole ébahi, avec l’impression d’apercevoir un territoire perdu dans l’immensité de l’océan, île nue comme devait l’être Vénus sortant de l’onde, paradis mis à l’abri  par un dieu protecteur, comme un saphir étincelant. Après l’avoir découverte d’avion, nous en ferons le tour à bicyclette, puis en pirogue, afin d’aller donner à manger aux requins dans les passes qui séparent les lagons de la mer et irons même passer une journée entière sur un motu mais, comme le paradis n’existe pas, nous y serons dévorés par les no-no, minuscules moustiques blancs très friands de chair humaine. A l’époque où nous y séjournions, Paul-Emile Victor résidait encore dans le sien, le motu Tane, avec sa femme et son fils, et les touristes étaient peu nombreux, surtout en juillet, qui est la basse-saison ( hiver ) en Polynésie. Aussi aucune affluence à déplorer et partout une tranquillité débonnaire qui nous sied à merveille. La seule chose, que nous redoutions, était de recevoir sur la tête une noix de coco, car toutes les routes de Bora-Bora sont ombragées de cocotiers, arbre emblématique par excellence. Ils sont tellement chez eux ici qu’ils parviennent à monter à l’assaut du Mt Pahia, festonnent les plages, ombrent les bungalows recouverts de pandanus et s’agitent, sous le moindre alizé, pareils aux longues chevelures des vahinés.
 

Vaitape, la capitale, semble sortir d’un conte de fée. On y entend sans cesse des rires, des chants, on surprend des couples en train de danser avec leurs couronnes de fleurs sur la tête, comme si la fête était l’occupation principale de cette population insouciante et enjouée. Sur la place du bourg ( car cette capitale n’est jamais qu’un délicieux petit bourg, du moins l'était-elle encore en 1984 ), un ahu évoque le souvenir du navigateur solitaire Alain Gerbault qui aima tant et tant l’endroit qu’il demanda à y être enterré. Ce qui fut fait. A Bora-Bora, nous n’aurons manqué ni les danses villageoises, ni le repas des requins, ni la douceur languissante d’une journée sur un motu, ni la vision des poissons multicolores qui se déplacent par bancs et font miroiter l’eau à chacun de leur passage, ni les couchers de soleil solennels et somptueux comme des apothéoses, ni les veillées la nuit pour voir le ciel se peupler de milliers d’étoiles, au point de ne plus savoir où commence le ciel et où finit la terre, ni ce qui relève du rêve ou de la simple réalité.  IA ORANA.

 

Armelle BARGUILLET

 

 

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Bora-Bora

Bora-Bora

Mooréa

Mooréa

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21 mars 2024 4 21 /03 /mars /2024 09:14
Vacances romaines et évasion napolitaine

 


Pourquoi ne pas programmer, en ce début de printemps, un voyage en Italie. En juin, le Sud offre des lumières particulièrement séduisantes. Aussi cet article se veut-il une invitation à visiter ou re-visiter la péninsule que presque chaque Français aime comme une seconde patrie. A noter toutefois, qu'en automne, période où nous l'avons fait, il y a de cela quelques années, les lumières plus tamisées sont tout aussi belles.


Ce samedi 23 septembre, arrivée à l'aéroport de Rome à 14 heures après un vol de deux heures. A 11.000 mètres d'altitude, la topographie de la terre est particulièrement celle de l'homme besogneux : ses routes, ses villes et villages, ses usines, ses champs s'y déploient de façon géométrique et presque touchante. On s'aperçoit que l'occupation des sols ne s'est pas faite au hasard. Elle s'est organisée à la manière d'un échiquier savant où se joue en permanence la survivance humaine. Première visite : Castel Gandolfo où le pape réside une partie de l'été. Cette petite ville de la Renaissance est située au-dessus d'un lac tranquille et abrite le palais d'été des papes depuis le XIIIe siècle. Le lendemain, dès 9 heures, nous sommes sur la grandiose place du Capitole, prêts à commencer la visite de la Rome antique, fondée selon la légende par Romulus en 753 av. J.C. Le Forum s'ouvre sous nos yeux avec ses plans successifs, ses lambeaux de passé comme une broderie endommagée par le temps. Il y a foule déjà et il émane de ces lieux ensoleillés une harmonie captivante. Le temps a superposé les villes comme des tranches de vie, des strates qui se sont emboîtées les unes au-dessus des autres : ainsi il y eut la Rome des Sabins, puis celle de Tarquin le Superbe, le dernier des sept rois de Rome, la Rome des censeurs et des tribuns, celle de César, puis celle d'Auguste qui fit de cette ville de brique une ville de marbre. Sous Néron, elle brûla en partie et fut reconstruite par Vespasien, Titus et Domitien. Vers 104 ou 110, Trajan réalisa le plus beau de tous les forums qu'embellirent encore Dioclétien et Constantin.

Aujourd'hui, il faut faire appel à son imagination pour tenter de recomposer cette capitale qui régnait sur le monde, enchâssée entre ses collines dont les noms nous bercent depuis l'enfance : le mont Palatin et l'Aventin, le Quirinal et l'Esquilin. Parce qu'il fût transformé en église au XIIe, le temple d'Antonin et de Faustine est le mieux conservé du Forum avec le Colisée qui fut inauguré par l'empereur Titus en 80 et entièrement achevé sous Domitien, ainsi que l'arc de Septime Sévère et celui de Titus. Il faut se rappeler qu'au temps de Constantin, soit au milieu du IVe siècle, Rome ne possédait pas moins de 37 portes, 423 quartiers, 9 ponts, 322 carrefours et 25 grandes voies suburbaines. On imagine les fastes de cette ville qui rayonnait sur un empire étendu de la Carthage d'Afrique à la Gaule narbonnaise et cisalpine, de l'Egypte à la Mésopotamie, de la Bythinie au Royaume de Pergame en Asie, cela avant Jésus Christ, parce qu'après il augmentera si considérablement qu'il sombrera sous le poids de sa grandeur.

Bien entendu le port d'Ostie était actif, la flotte importante, le commerce prospère. Vers Rome convergeaient l'étain de Cassitéride, l'ambre de la Baltique, les parfums d'Arabie, la soie de Chine, le fer fondu en Thrace et le blé d'Egypte. Cette Rome resplendissante d'or possédait les immenses richesses du monde qu'elle avait dompté. Déesse des continents et des nations, O Rome, que rien n'égale et rien n'approche ! -s'écriait le poète Martial, tandis qu'Ovide écrivait : Voici les places, voici les temples, voici les théâtres revêtus de marbre, voici les portiques au sol bien ratissé, voici les gazons du Champ de Mars tourné vers les beaux jardins, les étangs et les canaux et les eaux de la Vierge.  

Au Ve siècle, Rome sera pillée par les Vandales et les Wisigoths, mais elle renaîtra et elle est toujours là, intensément vivante, éternellement belle. Nous consacrerons l'après-midi à visiter la Rome baroque, ses innombrables places, ses fontaines, dont celle de Trévi imposante et immortalisée par le film La dolce vita, ses palais et le Panthéon qui lui n'est point baroque puisqu'il date de l'époque d'Hadrien, empereur éclairé, considéré comme le plus intellectuel de tous. La coupole de ce monument remarquable fut réalisée en une seule coulée de mortier sur un coffrage en bois. Par chance il est parvenu jusqu'à nous dans un état exceptionnel ; seul a disparu le bas-relief du fronton. Quant à Rome la nuit, avec ses monuments illuminés : le château Saint-Ange, le Quirinal, le Colisée, l'île Tiberine, les thermes de Caracalla, les rives du Tibre, ce n'est ni plus, ni moins, un spectacle féerique...

 

Lundi 25 septembre -

 

A 9 heures, sous un petit crachin breton, nous faisons la queue pour accéder au musée du Vatican. Deux heures sous le vélum coloré des parapluies avant de pénétrer dans le saint des saints : la chapelle Sixtine. Mais deux heures qu'est-ce, comparé aux trente années qu'aura duré l'attente de cet instant ? Que dire de ces lieux qui n'ait été mille fois rabâché ? Comment être original sur un tel sujet ? Il n'y a que l'émotion qui soit vraie et elle est bien présente. La chapelle est saturée par une foule admirative mais encombrante. On aimerait tant être seul ! Michel-Ange n'est pas seulement présent ici, il l'est partout dans Rome : escaliers, monuments, fresques, sculptures, il a tout tenté, tout imaginé et conçu avec une puissance inégalée. Le Jugement Dernier fit scandale à l'époque, parce que l'artiste débordait le sien comme il déborde encore le nôtre et toutes ceux à venir... Le génie suppose la violence. La nudité des personnages choqua l'Italie de Jules II, mais, heureusement, au cours de la récente restauration ( financée par les Japonais ), l'ensemble des fresques a été nettoyé et, lorsque cela était possible, libéré des rajouts pudibonds.                                                   

On ne peut pas dire que la basilique St Pierre vous incite au recueillement. Pour moi qui aime par-dessus tout l'art cistercien dépouillé à l'extrême, je ploie sous la pompe grandiose de la plus grande église du monde. Le monument a été conçu pour impressionner et il impressionne. L'homme est infiniment capable de se dépasser. Il a en lui, faible créature, une volonté de géant. Cependant, malgré cette restriction, je ne puis me refuser à admirer la perfection des proportions calculées par Bramante et revues par Michel-Ange. Le décor est l’œuvre du Bernin comme la remarquable colonnade extérieure qui semble étreindre la place Saint-Pierre et le Vatican tout entier. Statues, pavages, voûte, baldaquin, rien qui ne soit immense, somptueux, grandiose. J'admire sans être ni touchée, ni émue. Aussi ai-je préféré m'arrêter plus longuement devant la Piéta de Michel-Ange, dans la première chapelle latérale. Devant elle, on a simplement envie de s'agenouiller et de se taire.

 

Mardi 26 septembre -

 

Avons gagné Naples hier, en fin d'après-midi, après un itinéraire qui longe les Appenins, traverse cette campagne agricole riche en vignes, nommée la vallée latine, et s'étire entre Rome et Naples. Thomas d'Aquin était originaire de cette région et étudia à l'abbaye de Monte-Cassino fondée par Saint Benoît, avant de parfaire son éducation à Naples.

Ce matin, réveil à 6 heures pour nous rendre au sommet du Vésuve. Après quelques kilomètres depuis Herculanum, nous atteignons l'Observatoire situé à 608 m d'altitude, puis poursuivons l'ascension à pied en contemplant les admirables paysages qui se dégagent peu à peu des nuages et nous offrent une vue panoramique sur la baie de Naples. On imagine facilement ce qu'éprouvèrent les premiers navigateurs (sans doute des Phéniciens), lorsqu'ils découvrirent ce paysage fantastique : la baie dominée par une silhouette volcanique, source de phénomènes inconnus capables de laisser muet de stupeur. Depuis lors la silhouette du Vésuve a été reproduite à l'infini, en fresque, céramique, peinture, photographie. Il semble prouvé que le volcan a traversé une longue période de somnolence à partir du VIIIe siècle av. J.C., avant de se réveiller avec la violence que l'on sait en 79 de notre ère, ensevelissant dans ses laves et ses cendres Pompéi et Herculanum. Alors que le volcan atteignait les 2000 m, il culmine désormais à 1270 m et son cratère immense, d'où s'échappent quelques rares fumerolles dans un décor dévasté, plissé comme une peau de crocodile par la formation des résidus en cordée, contraste étrangement avec l'abondante végétation de pins divers, de châtaigniers, d'eucalyptus qui couvre ses pentes, sentinelle qui veille sur les vestiges ensevelis à ses pieds.

 

Après un déjeuner pris sur le pouce, nous nous présentons à 14 heures à l'entrée du site de Pompéi, où notre guide, une jeune italienne, nous attend. Dès le VIe siècle av. J.C., la ville était déjà un port ( depuis la mer s'est retirée à plus d'1 km ) et un carrefour commercial actif et connaissait l'opulence au point que les riches habitants n'hésitaient pas à se faire construire de vastes et luxueuses demeures qu'ils paraient de mosaïques, de fresques, de statues, de bas-reliefs. Cet art pompéien se caractérise par l'emploi de couleurs vives où prévalent les motifs fantastiques, accompagnés d'une ornementation qui reflète fidèlement le luxe et l'élégance souhaités par les patriciens. En parcourant le forum, en visitant le théâtre et l'amphithéâtre, en déambulant dans les rues et avenues, un peu de l'existence de cette ville morte, il y a deux millénaires, semble parvenir jusqu'à nous ; lorsque l'on pénètre dans les maisons et échoppes d'où la vie s'est retirée d'un coup, figeant les êtres et les choses dans leurs expressions les plus vraies et les plus humaines, quelque chose de l'atmosphère domestique subsiste. Et que dire de l'émotion qui vous étreint à la vue des moulages des corps des victimes qui rend palpable leur douleur et la violence du cataclysme, cataclysme qui permit néanmoins ce miracle de réanimer un passé vieux de vingt siècles et de le projeter dans le présent avec sa dramaturgie et son émouvante actualité.

 

Mercredi 27 septembre -

Journée toute entière consacrée à Capri. Mais avant de parvenir au port, encore fallait-il le matin traverser Naples et ses faubourgs encombrés d'une circulation anarchique. Tout est anarchique à Naples, ville bruyante, indisciplinée, qui ne cache même pas ses ulcères, banlieue lépreuse qui offense la baie sublime au bord de laquelle elle s'inscrit avec ses immeubles faits de bric et de broc, ses quartiers insalubres, ses décharges, ses rues encombrées d'immondices. Quel contraste avec le luxe et le raffinement que l'on rencontre dans les hôtels, les palais, les restaurants, les demeures privées, les lieux publics ! On sait les Italiens doués d'un goût inné, d'un sens aigu de l'harmonie ; il n'y a pour s'en persuader qu'à contempler leurs oeuvres d'art, leur mode, leur artisanat, autant de témoignages d'une culture que nous partageons et qui nous rend si proches d'eux. Aucun pays où je ne me sente mieux, presque chez moi, aussi ce laisser-aller napolitain me surprend-t-il...

 

Mais voilà Capri, celle île qui fit rêver les amants du monde, île de songe où tout est fait pour éblouir. Capri trop connue, trop vantée, trop louée, démériterait-elle à force d'être courtisée ? Eh bien non ! Posée sur une mer émeraude, elle séduit le touriste d'aujourd'hui comme l'empereur d'antan ou l'artiste d'hier. Tout s'assemble ici pour le bonheur de l’œil : les eaux azurées, les panoramas nombreux, les sentes recouvertes de treilles, les jardins odorants, la végétation dense et sauvage, les villas mauresques et les cloîtres et, au plus haut des belvédères, les vergers et les champs d'oliviers, les roches qui émergent des eaux et, au loin, la péninsule de Sorrente, Ischia, Procéda et même le relief des Appenins. Le coucher de soleil au retour sur la baie clôturera une journée inoubliable. 

 

Statue of Emperor Augustus Capri

 

Jeudi 28 septembre -

Balade le long de la côte amalfitaine pour notre dernier jour dans le Sud avant de regagner Rome et ensuite la France. Après Capri, il semblait difficile de trouver plus beau, plus harmonieux, plus parfait. Eh bien la côte amalfitaine démode tous les superlatifs ! Là, à flanc de montagne, court une route suspendue au-dessus de la mer qui va de Positano aux portes de Salerne au milieu d'un maquis unique pour sa variété et ses couleurs, traversant des villages aux maisonnettes serrées, plantées en à-pic sur des pentes rocheuses et escarpées, elles-même plongeant dans une mer au bleu profond. Le vertige vous prend plus d'une fois dans les tournants en épingles à cheveux en surplomb de falaises vertigineuses, et l'on se demande ce qui a bien pu inciter l'homme à rechercher à ce point la difficulté d'aller nicher sa maison en pareils lieux ? Ces routes présentent sur le plan technique une véritable prouesse. Mais la beauté n'a pas de prix et les habitants qui se réveillent chaque matin face à de tels panoramas doivent croire à la bienveillance de Dieu. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il y a profusion, tout au long de la côte, d'oratoires, de chapelles, d'églises et de monastères. Sur ces visions incomparables s'achève ma semaine italienne. 

 

 Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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7 février 2024 3 07 /02 /février /2024 09:27
La Crète entre réalité et légende

Ce qui frappe, tout d'abord, c'est la lumière, celle intense de la mer, cette Méditerranée qui a choisi d'être passionnément bleue, de ce bleu profond que l'on nommait autrefois le bleu roi. Car elle est royale, qu'on le veuille ou non, la mer qui a vu naître, au long de son littoral, les civilisations européenne, africaine, asiatique, mis au monde ce qu'il y a eu, au cours de toute l'histoire et de tous les temps, de plus raffiné, de plus abouti, de plus admirable, de plus puissant, de plus captivant. Arriver à Héraklion, ce n'est certes pas poser le pied sur une terre nouvelle mais sur la plus ancienne, un monde qui n'est autre que l'ancêtre du nôtre par l'écriture, la culture, si bien qu'on y vient pour remonter le cours de l'histoire, boire à la source, ré-écouter les légendes qui ont bâti des univers et fécondé des mondes, le nôtre en particulier. L'île ne se livre pas en quelques jours. Il faut du temps, de l'attention, de la curiosité. Ce n'est pas à la hâte que vous pourrez la connaître tant elle a de replis secrets, une si longue histoire, tant de blessures à cicatriser, mais également tant de merveilles à offrir. La Crète, il est nécessaire de l'aborder sans à-priori, d'y flâner, de s'y attarder, d'y méditer dans les sentiers muletiers qui découvrent sans cesse des panoramas surprenants, d'y contempler les jours autant que les nuits, les ciels autant que les terres, d'en gravir les roches et les collines, d'y réapprendre à vivre.


Il y a de cela très longtemps, une île avait jailli de nulle part au milieu de la mer. Les dieux l'avaient aussitôt polie de leurs mains, de leurs yeux, y avaient aimé des déesses et des reines, conçu des intrigues, élevé des palais dont les ruines constituent l'une des merveilles du monde. L'histoire de l'île s'est tissée à deux fils, celui de la légende et celui de la réalité, en un point si serré que l'on ne peut les dissocier l'un de l'autre. Pensez, les premières traces du peuplement humain remontent à 6000 ans av. J.C. Si un noyau primitif existait en des temps plus reculés, il est probable que le peuplement s'est accompli par l'apport de populations venues de l'extérieur. Les Phéniciens entre autres y apportèrent des éléments de leur civilisation. C'est en 2800 av. J.C. que la Crète entre dans une période florissante qui durera 15 siècles et sera d'un niveau de civilisation exceptionnel. A cette époque a lieu la construction du premier palais de Knossos, ainsi que ceux de Phaistos, Malia, Haghia, Triada qui témoignent tous d'une vie confortable et évoluée avec, notamment, des salles de bains et des systèmes de canalisation amenant l'eau potable de très loin. La vie artistique, quant à elle, révèle un niveau culturel élevé ; de même que l'apparition d'une première forme d'écriture hiéroglyphique. Par ailleurs, l'intensité des échanges commerciaux avec des pays proches ou lointains incitent les Minoens à accroître leur flotte et à devenir une importante puissance maritime. Les premiers palais seront détruits par une catastrophe naturelle, sans doute une série de séismes fréquents dans l'île, vers 1750 à 1700 av. J.C. Cependant, après cette catastrophe, les palais seront reconstruits et d'autres verront le jour à Tylissos, Praissos, Zakros et on assiste à une expansion économique sans précédent. Les villes se développent et se multiplient, l'écriture linéaire apparaît et l'influence de cette civilisation se répand sur l'ensemble des îles de la mer Egée et jusqu'au Péloponnèse. Et cette civilisation a cela de surprenant qu'elle pose, sur le monde qui l'entoure, un regard réjoui et émerveillé, qu'elle est subjuguée par la beauté et ne se lasse pas de l'exalter dans ses fresques et ses poteries. Ce ne sont, en effet, que débauche de coquillages, poissons, oiseaux, lys, papyrii ; un univers transcrit et magnifié fait d'ombelles, d'orbes, d'oves, de tentacules, de méandres, de spirales " comme un labyrinthe de tiges et de bras où la beauté est prise au piège" - écrit Jacques Lacarrière dans "L'été grec".


Et, il est vrai, que cet art est une ode à la vie dans la forme et la couleur et rend compte d'une philosophie et religion heureuses où les dieux ressemblent aux hommes, ce qui est attestée par leurs fantastiques hauts faits, dont beaucoup se situent en Crète même (rappelons-nous le minotaure, Ariane, Thésée, le géant Talos, Icare, Parsiphae, Phèdre etc.) D'autre part, c'est un monde spirituel complexe et organisé que nous dévoilent les sépultures, dont les trousseaux funéraires confirment une croyance en une vie supraterrestre, après une traversée assez longue de la mort qui nécessite l'aide des vivants (nourriture, vêtements) jusqu'au moment où le défunt, totalement détaché du monde terrestre, entre définitivement dans le monde divin. A la suite du premier tremblement de terre, l'ère mycénienne (1450-1100 av.J.C.) succède à l'ère minoenne, les populations venues du Péloponnèse n'ayant eu aucune difficulté à s'implanter et à conquérir les villes d'une Crète brutalement affaiblie et à se couler dans le prolongement de la civilisation minoenne qui l'avait largement influencée. Cette ère fut d'ailleurs pour l'île une période de splendeur et de puissance et c'est de ce temps-là que datent les récits épiques et les mythes relatés par Homère dans L'iliade et l'Odyssée. C'est également à ce moment qu'apparaît l'écriture linéaire.


Vers 1050 av. J.C., l'invasion de populations de souche dorienne marque la fin du mycénien et le début de la civilisation classique grecque. Occupant une position stratégique, la Crète poursuit ses relations avec l'Orient et les intensifie. Aussi est-ce chargée d'un potentiel remarquable de traditions qu'elle tombe, dès le 1er siècle av. J.C., aux mains des Romains, les nouveaux maîtres de la Méditerranée et que le consul Métellus place l'île sous la domination de la ville éternelle. A partir de là, l'île des dieux convoitée par tous les peuples, l'île heureuse entre dans une période plus confuse, entachée de perpétuelles agressions. Annexée comme le reste de la Grèce en 324 par l'empire byzantin, elle est conquise en 823 par les Arabes jusqu'à ce que la Sérénissime parvienne, à son tour, à la faire sienne. Sa longue mais prospère domination durera plus de 4 siècles (1204-1669). Afin de consolider sa conquête, Venise divise la Crète en 200 fiefs qu'elle distribue à de nobles vénitiens auxquels il incombe de la défendre mais aussi de livrer à la sérénissime République la quasi-totalité de sa production agricole. Pour cela, on met en place un statut juridique centralisé avec imposition de corvées, service obligatoire aux galères, sans parler d'une oppressante fiscalité qui ne vont pas tarder à susciter de vives résistances et contraindre Venise à des concessions. Mais les révoltes ne cesseront pas pour autant et aboutiront finalement (surtout lorsque se profilera le danger ottoman) à un rapprochement entre les archontes crétois et les autorités vénitiennes. Si bien que le 16e siècle voit le retour à la paix qui permet à l'île de connaître un grand moment de prospérité.


Mais la menace ottomane se fait de plus en plus inquiétante et les Vénitiens entreprennent, dès 1550, des travaux de défense. Les fortifications de Héraklion, de La Canée, de Réthymnon en sont les précieux vestiges. Cela a pour résultat de tenir les Ottomans en respect durant un certain temps, mais leur avance en Méditerranée est inexorable. Le 23 juin 1645, la Crète, dernière colonie vénitienne, est attaquée par l'armée du sultan Ibrahim qui débarque dans la baie de La Canée. L'année suivante, Réthymnon tombe à son tour et en 1647 les Ottomans se rendent maîtres du reste de l'île, à l'exception de la ville de Candie (l'actuelle Héraklion) qui résiste toujours. Son siège, célèbre par sa durée et l'émotion qu'il inspirera à l'Europe chrétienne, fera de nombreuses victimes. En 1669, l'armée ottomane parvient à investir la forteresse et les Crétois, malgré leur résistance héroïque, seront soumis à leurs impitoyables dominateurs qui auront tôt fait d'expédier enfants, jeunes filles et jeunes femmes à Constantinople pour y être vendus comme esclaves.

Comme est changeant le cours des choses ! / Il est pareil aux eaux d'un fleuve / qui s'écoulent et fuient / à jamais, sans retour, / il est pareil à la pluie qui tombe. / N'en cherchez pas loin les exemples : / qu'il vous suffise de songer aux calamités, / au châtiment que la Crète a subis / et de pleurer sur son sort.     Gérasime Palladas

                     
Hauts lieux de cette résistance, la grotte de Mélidoni et le monastère d'Arkadiou, que l'on ne peut visiter sans avoir la gorge nouée. A l'automne 1866, partisans et moines sont assiégés au monastère par l'armée ottomane. Un premier assaut est repoussé, mais un second pulvérise l'entrée du monastère. Plutôt que de se rendre, les assiégés préfèrent se donner la mort en détruisant leurs ultimes munitions auxquelles ils mettent le feu. L'explosion est connue dans le monde entier et nombreux sont ceux qui épousent la cause de l'indépendance crétoise, parmi lesquels Garibaldi et Victor Hugo. La grotte de Mélidoni est tout aussi émouvante. A la fin de septembre 1823, alors que la région est ravagée par l'armée turque commandée par Hussein pacha, 370 personnes y trouvent refuge, essentiellement des femmes, des enfants et des vieillards. Les assiégés, refusant de se rendre, l'entrée de la grotte est obstruée avec des broussailles auxquelles les assaillants mettent le feu, asphyxiant ainsi les malheureux rebelles. Les ossements des martyrs sont aujourd'hui conservés dans un ossuaire. Mais la résistance ne faiblit pas. Avec le soutien de l'Europe, la Crète proclame son indépendance en 1896 et, finalement, grâce à la puissante influence d'une personnalité hors du commun, Elefthérios Venizélos, elle se rattachera à la Grèce en 1913. Mais ses malheurs ne sont pas terminés pour autant : elle tombe aux mains des Allemands lors de la seconde guerre mondiale et subit d'importants bombardements aériens qui auront raison des villes crétoises, évacuées les unes après les autres par les Anglais qui ont subi de lourdes pertes. La résistance, une fois encore, s'organise, harcelant l'occupant jusqu'à la libération. Ainsi s'est écrite l'histoire d'une île que les épreuves n'ont pas épargnée et qui a connu successivement la lumière la plus éclatante et les ténèbres les plus profondes. A l'image du taureau, qui fut l'emblème de Zeus, dont on dit qu'il avait trouvé refuge enfant dans une grotte du mont Ida, elle a défié la mort et justifié la légende qui voulait qu'elle sorte victorieuse de tous les combats.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

Autre article concernant la Crète :    La Crète minoenne ou l'histoire revisitée par la légende

 

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Knossos
Knossos

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La Crète entre réalité et légende
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16 juin 2023 5 16 /06 /juin /2023 08:36

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La Crète, belle et légendaire, est de par sa situation le trait d'union entre la civilisation classique de l'aire méditerranéenne et celle millénaire de l'Egypte et de l'Asie mineure. L'île antique du roi Minos est donc un pont idéal jeté entre trois continents, l'Asie, l'Afrique et l'Europe, et fut de tout temps un territoire convoité qui eut à subir agressions et occupations de la part de ses oppresseurs, principalement des Vénitiens et Ottomans. Des douleurs de la Crète, maints poètes les ont chantées avec des accents émouvants :

 

Elle était comme une fleur épanouie,
comme un soleil radieux,
qui éclairait toutes les villes ;
de la terre elle était le joyau,
du monde entier.
Ses beautés n'étaient point matérielles :
c'étaient les ornements de l'esprit,
la culture et la pureté et toutes les autres vertus.
Mais voici qu'elle est tombée, comme un château s'écroule,
voici qu'elle s'est éteinte comme une bougie soufflée par le vent.

 

écrit Gérasime Palladas, évoquant le siège de Candie ( aujourd'hui Héraklion, capitale de la Crète actuelle) et les 25 ans de conflit, depuis le premier débarquement turc de 1645 jusqu'à la capitulation en 1669, poème qui rejoint celui épique d'un autre poète crétois Tzanès Boulianis, aristocrate de Rethymnon qui exalta, pour sa part, le courage de la résistance crétoise et les terribles souffrances que le peuple eut à endurer des occupants.

 
Si convoitée, en effet, que l'île traversa plusieurs périodes, comme des temps séparés, du paléolithique jusqu'à son rattachement à la Grèce en 1913, ainsi y eut-il la Crète minoenne (2700 à 1200 av. J.C.), la Crète hellénique (de 330 à 67 av. J.C.), la Crète byzantine (de 330 à 1204 de notre ère), la Crète vénitienne (1204 - 1669), la Crète ottomane (1669 - 1898) et enfin, grâce à la puissante influence de Elefthérios Vénizélos - et après une courte période d'autonomie - la Crète redevint hellénique, renouant avec son passé légendaire et mythique.

 

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C'est peut-être parce que ses côtes découpées en une succession de baies et d'anses aisément accessibles que les navigateurs, qui sillonnaient la Méditerranée à la recherche de nouvelles terres à conquérir, appréciaient de trouver ici des abris sûrs. L'histoire tourmentée de l'île témoigne de l'intérêt, pas toujours pacifique, hélas !, qu'elle inspira depuis la nuit des temps. Calanques, vallées, collines et hauts plateaux sont dominés par le mont Ida (2460 m) visible de presque tous les angles de l'île, enneigé  4 ou 5 mois par an, et berceau de la mythologie.


Avec le roi Minos, le mythe rejoint l'histoire. Minos aurait régné vers 1500 av. J.C. et été un monarque vénéré, grand législateur, estimé pour sa sagesse. Il semble que, par la suite, le nom vénéré ait été donné à l'ensemble d'une dynastie. Il y eut ainsi, en Crète, une succession de Minos comme en Egypte une succession de pharaons. C'est vers 2000 av. J.C. que les premiers édifices importants s'élevèrent à Knossos, ainsi qu'à Festos, Malia, Kato Zokros, trois petits royaumes qui, d'après la légende, auraient été gouvernés par les trois fils de Zeus, le père des dieux et des hommes, dernier né de Cronos et de Rhéa, que Gaïa avait caché dans une grotte du mont Ida afin qu'il ne fût pas dévoré par son père. Pour séduire Europe, fille d'Agénor, roi de Phénicie, la mère de ses fils, Zeus avait eu recours à un stratagème : il s'était transformé en un taureau éclatant de blancheur et était apparu dans un champ où la jeune fille jouait avec des amies. Europe, frappée par la beauté de l'animal, s'était approchée et même enhardie jusqu'à monter sur son dos. Aussitôt le taureau en avait profité pour s'élancer au-dessus des flots jusqu'à la Crète où, retrouvant son apparence humaine, il s'était uni à elle.

 
Familière des dieux et des déesses, il semble que l'île ait mérité leurs faveurs : mer poissonneuse, ciel plus limpide que nulle part ailleurs en raison du faible taux d'humidité, terre aux 300 jours d'ensoleillement, aux 30 millions d'oliviers, aux 80 espèces d'orchidées sauvages, au miel et à l'huile incomparables, le royaume de la reine Pasiphaé, du minotaure, du labyrinthe de Dédale et d'Ariane dont le fil évita la mort à l'homme qu'elle aimait, de Thésée, roi d'Athènes, la Crète est bien une terre bénie par eux. Ici les merles ne sont pas noirs mais du même bleu azur que la mer. Si les montagnes sont arides - la déforestation ayant engendré des dégâts irréversibles - les fleurs abondent dans les plaines et les jardins : hibiscus, lauriers, bougainvilliers qui courent le long des façades et y jettent leur éclat purpurin, tandis que les arbres prêtent leur ombre légère à la terre saturée de chaleur : arocarias, cyprès, palmiers, eucalyptus, chênes-lièges, pins et, bien entendu, oliviers dont certains sont plusieurs fois centenaires. Nombreux sont les écrivains qui, frappés par sa douceur, ses lumières, ses collines basses et son air parfumé, n'ont pas hésité à la comparer à une femme. Ainsi Henry Miller visitant l'acropole de Phaistos en 1939, écrivit ceci dans Le colosse de Marousssi, le livre que lui inspira sa rencontre avec le ciel crétois :

 

A mes pieds, se déroulant comme un tapis magique, à l'infini, s'étendait la plaine de la Messara, ceinte d'une chaîne majestueuse de montagnes. De ces hauteurs sublimes et sereines, elle a toute l'apparence du Jardin d'Eden. Aux portes mêmes du Paradis, les descendants de Zeus ont fait halte ici, sur la route de l'éternité, pour jeter un dernier regard sur la terre, et ils ont vu, avec les yeux de l'innocence, que la terre est en vérité telle qu'ils l'avaient toujours rêvée : un lieu de beauté, de joie et de paix. Au fond de son coeur, l'homme est uni au monde entier. Phaestos contient tous les éléments du coeur. Phaestos relève de la femme entièrement. Tout ce que l'homme a pu accomplir serait perdu, n'était ce stade final de la contrition, qui trouve ici son incarnation dans le séjour des reines célestes. 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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La Crète minoenne ou l'histoire revisitée par la légende

 

L'Atlantide et le mythe atlante


 

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La Crète éternelle
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11 mars 2023 6 11 /03 /mars /2023 09:29
Aqaba en Jordanie

Aqaba en Jordanie

1266336675_633596__wince_.jpg  Le Sphinx de Giseh  

 

 

Le voyage commence dès le survol, depuis Roissy via Le Caire, des Alpes, de la baie de Naples, de la Méditerranée. La vue des montagnes enneigées, des côtes découpées dans la lumière du soir assure la rupture avec le quotidien et, ce, dans une bienheureuse apesanteur. Naviguer au-dessus des nuages avant de naviguer sur les vagues, quelle meilleure transition ! Mais avant de rejoindre notre bateau à Sharm-el-Sheikh pour une croisière en mer Rouge, nous nous sommes accordés 3 journées au Caire, ville tentaculaire, bruyante, poussiéreuse, dont seuls le musée et les monuments environnants de Saqqarah et de Giseh sauront nous séduire. Cette mégapole semble la proie d’une constante effervescence, labyrinthe de rues et de ruelles qui s’entrechoquent, de quartiers poussés au hasard d’une démographie galopante, où l’on surprend à tous moments des scènes cocasses : des jeunes gens assis sur les capots des voitures quand la place vient à manquer à l’intérieur, cyclistes remontant les avenues et même les autoroutes à contresens, les ânes et leurs fardeaux mêlés aux voitures les plus modernes dans un bruit discordant de klaxons et, toujours, ce spectacle anachronique d’une femme voilée jusqu’aux yeux qui traverse les rues son portable à l’oreille. Aujourd’hui, il n’y a pas moins de 20 millions d’habitants au Caire, la plupart tassés dans les bidonvilles ou les immeubles insalubres aux façades lépreuses. Une grande misère y règne, sans nul doute, mais comment gérer un pays de 72 millions d’âmes quand 4% seulement du territoire est habitable - soit les abords du Nil - le reste étant occupé par le désert arabique, libyque et celui grandiose du Sinaï. On peut se poser la question de savoir s’il n’était pas préférable de vivre ici du temps d’Aménophis III ou de Ramsès II, il y a quelques 3600 ans plutôt que de nos jours dans une surpopulation, une pollution et une circulation qui enlèvent beaucoup d’attrait à cette capitale. Nous découvrirons plus tard que le long des canaux d’irrigation proches du Nil où vivent les agriculteurs qui possèdent tous, depuis Nasser, leur lopin de terre et bénéficient de 3 récoltes de céréales par an, la situation n’est guère plus enviable. Sans être malheureux, nous assure notre guide local, ils s’accommodent d’une existence incroyablement  modeste. Ces images ne peuvent manquer de frapper le touriste éberlué à la vue des splendeurs des sites archéologiques et le charme indéniable des berges du Nil et stupéfait du contraste qui existe entre ces beautés insurpassables et la misère endémique que l’on perçoit à tout instant, ce qui oblige la police a être omniprésente et le voyageur à se plier à des contrôles militaires fréquents sur les routes. 

 

Tout est différent en Jordanie, où nous nous rendrons au cours de notre croisière. Ce pays évolue dans une relative sérénité, bien qu’entouré de nations qui ne sont pas de tout repos, entre la Syrie au nord, l’Irak au nord-est, l’Arabie Saoudite au sud et sud-est, Israël et la Palestine à l'ouest, ce qui ne le met nullement à l’abri d’un embrasement mais qui, grâce à la politique pacifiste du roi Hussein poursuivie par son fils Abdallah, optant l’un et l’autre pour la neutralité, a fait d’Amman, sa capitale, un refuge propice aux investissements et assure à ce petit pays, sans ressources pétrolières, une existence honorable et l’éclosion d’une élite cultivée et assez francophone. Il n’en reste pas moins vrai que Le Caire fascine, ne serait-ce que par les trésors que recèlent son musée, la nécropole de Saqqarah et l’ensemble funéraire de Zoser, enfin par l’énigmatique visage du Sphinx de Giseh et les trois pyramides de Kheops, Khephren et Mykérinos disposées en diagonale, de façon à ce qu’aucune ne cache le soleil aux deux autres. Le spectacle qui s’offre au visiteur est certainement l’un des plus beaux que la main de l’homme ait pu concevoir. Sans aucun doute, ces œuvres gigantesques ont été édifiées par une civilisation qui croyait en la permanence des choses, le contraire de la nôtre centrée sur le profit et l’éphémère. Le même émerveillement nous saisira lorsque, ayant embarqués sur notre bateau à Sharm-el-Sheikh, nous ferons escale au port de Safaga pour nous rendre, à travers le désert arabique, à Louxor, l’ancienne Thèbes, où s’étend le domaine monumental de Karnak, dont les dimensions sont stupéfiantes. Un monument qui pourrait contenir Notre-Dame de Paris toute entière et dont l’hypostyle continue à défier les siècles et à susciter les hypothèses les plus folles, car comment des hommes sont-ils parvenus à poser sur les colonnes de 23m de hauteur des travées de 450 tonnes ? On a cru, à tort, que les pharaons avaient eu recours à des esclaves. Cette thèse n’est plus retenue de nos jours, tant il est vrai que des hommes maltraités et humiliés n’auraient jamais été en mesure de réaliser des monuments pareils, des fresques, bas-reliefs, statues, frises etc. d’une telle perfection. Non, il s’agissait d’ouvriers, d’artisans, d’artistes, qui travaillaient sur les lieux plusieurs mois par an, en dehors des moments de crue du Nil, avaient leurs villages, y demeuraient avec leurs familles et bénéficièrent de leurs propres tombes, puisque l’on a retrouvé, proche de la vallée funéraire des rois et des reines, la vallée des ouvriers où ils étaient inhumés selon les rites en vigueur à leur époque.


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          Une felouque sur le Nil

 

Revenus à Safaga, nous ré-embarquons pour nous rendre en Jordanie, très précisément au port d’Aqaba, le seul que possède ce pays, en longeant l’étroit golfe qui sépare l’Arabie Saoudite de la presqu’île du Sinaï. De part et d’autre, les berges sont superbes, abruptes ou sableuses puisque viennent y mourir des déserts et qu’au loin se dessinent les vagues minérales de roches couleur ocre qui ont donné à la mer son nom de «mer Rouge». Au coucher du soleil, les paysages flamboient, tandis que le bateau navigue dans une eau corallienne et cristalline, la plus salée et la plus chaude de la planète, ce qui a fait d’elle le paradis des amateurs de plongée sous-marine. Aqaba est lié au nom de Lawrence d’Arabie qui, à la tête d’une troupe de Bédouins, vint déloger les Ottomans réfugiés dans le Qasr-le Fort-, construction massive datant du XVIe siècle qui avait pour fonction de protéger les pèlerins qui se rendaient à la Mecque. La défaite de la garnison, qui s’en suivit, marque le début de la marche victorieuse vers l’indépendance et la naissance de l’actuel royaume de Jordanie. L’intérêt principal de notre escale est de nous permettre de nous rendre sur les lieux les plus prestigieux du pays : le désert de Wadi Rum, considéré à juste titre comme le plus beau du globe, et à Petra, le complexe monumental plusieurs fois mentionné dans la Bible, qui abrita la civilisation disparue des Nabatéens.


Comment décrire Petra sans user de superlatifs, tant l'émotion est au rendez-vous, lorsque débouchant du Siq étroit qui y conduit, on découvre soudain le monument que l’on nomme le Trésor, un temple funéraire taillé dans la roche et sur la façade duquel le soleil fait chatoyer les couleurs. L’envoûtante beauté de ce monument et sa position scénographique laisse littéralement bouche bée et notre émerveillement est amplifié par son état de conservation presque parfait. Aujourd’hui encore quelques familles de Bédouins sont établies dans l’aire archéologique de Petra : ce sont eux les actuels habitants de la ville pourpre. Car l’antique capitale nabatéenne avec ses roches multicolores, ses gorges profondes et ses extraordinaires structures sculptées dans le grès il y a deux mille ans, s’étend sur une zone très vaste, au croisement de plusieurs défilés. Elle fut élevée au rang de capitale pour des raisons de sécurité par ces peuples de marchands : bien cachée dans la montagne et difficilement accessible, elle constituait un refuge idéal. La possibilité de rejoindre rapidement la mer Rouge favorisait les échanges avec l’Arabie et la Mésopotamie, alors que la piste qui traversait le Néguev vers Gaza assurait l’accès à la Méditerranée.

 

 1266422854_498__wince_.jpg   Petra - le trésor                        

 

 

Après Petra, ce sera le lendemain, en jeep, une longue randonnée dans le désert de Wadi Rum, paysage féerique et étendue lunaire absolument grandiose, qui, durant des siècles, a permis de relier l’Arabie à la Palestine. Cela peut paraître incroyable, mais c’est une région où les sources abondent, si bien que ce désert était une étape obligée pour les caravanes qui transportaient les épices et l’encens du royaume de Saba aux portes de la Méditerranée. De nombreuses inscriptions rupestres témoignent d’une occupation humaine dès le paléolithique. Célèbre pour ses rochers aux formes surréelles, sculptés par le vent, le Wadi Rum est aussi un symbole de l’indépendance nationale jordanienne. En effet, pendant la Première Guerre mondiale, les troupes commandées par le colonel Lawrence ont planté ici leurs tentes avant de se lancer à l’assaut de la forteresse d’Aqaba occupée par les Turcs. C’est ici également que l’agent anglais écrivit ses mémoires « Les sept piliers de la sagesse», où il dresse un tableau épique de la beauté sauvage de ces paysages parmi les plus beaux du monde, et que fut tourné le film de David Lean qui retrace son épopée. Les yeux emplis de ces visions exceptionnelles, et après une tasse de thé et quelques dattes offertes par des Bédouins, nous regagnons notre bateau pour une ultime navigation vers notre point de départ : Sharm-el-Sheikh.


Depuis cette station balnéaire sans autre intérêt que la plongée, nous avions programmé la visite d’un dernier haut lieu : le monastère Sainte Catherine dans le Sinaï. Le plus petit diocèse est en même temps le plus ancien monastère chrétien connu et aussi la plus riche collection d’icônes et de manuscrits précieux. Ce fut l’impératrice Hélène, mère de l’empereur Constantin, qui, impressionnée par la sacralité des lieux, commanda l’élévation d’une chapelle à l’endroit où se trouvaient le puits de Moïse et le buisson ardent. Plus tard l’empereur Justinien ordonna la construction d’une forteresse qui incluait l’édifice de Sainte Hélène. Le couvent est habité, de nos jours, par une trentaine de moines de confession grecque orthodoxe et abrite également une mosquée, car les moines avaient demandé au VIIe siècle la protection de Mahomet, alors simple bédouin (on voit encore le manuscrit signé de sa paume de main), face aux dangers que faisait peser sur eux la présence arabe dans la péninsule, si bien que cette Mosquée a eu comme avantage de les protéger de l’occupation ottomane des siècles suivants et de garantir leur indépendance. La grandeur solitaire du Sinaï se révèle d’une spectaculaire beauté. Peu d’êtres humains y vivent. A part les villes de la côte, la Péninsule n’est habitée que par une poignée de Bédouins qui subsistent grâce aux palmiers dattiers et au lait de leurs chèvres et de leurs brebis. Le désert appartient au loup et au renard, à l’aigle et à la gazelle, et aux touristes attirés par la grandeur de cette terre biblique. C’est ainsi que parvenus, après cette dernière visite, au terme de notre voyage, nous reprendrons l’avion à l’aube du lendemain afin de regagner une France sous la neige et livrée aux derniers frimas d'un long hiver.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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1266426964_jordanie-egypte-740__wince_.jpg    Le mont Moïse dans le Sinaï

 

 

PETRA

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Le monastère sainte Catherine

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7 novembre 2021 7 07 /11 /novembre /2021 10:37

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" Et sur cette mer figée, soudain, une caravelle de vie et d'espérance immobilisée là depuis des siècles."

 

Il y a d'abord le désert, un monde minéral, surprenant, qui déploie à l'infini ses entablements rocheux, ses monts sculptés, ses pistes caillouteuses ou ses bombements de sable qui prennent au soleil la couleur de l'or et du feu. Etrange, fabuleux labyrinthe en plein vent, où, il y a de cela très longtemps, Dieu parlait à l'oreille de Moïse. Oui, terre originelle que les siècles n'ont point changée et qui semble nous offrir, dans le silence et la solitude, un cliché véridique de ce que fût, au commencement des temps, l'aurore du monde. Est-ce donc ici que tout commence ou que tout finit ?  Est-ce ici que nous est présenté la géologie primitive de notre planète, sa face immémoriale que le passage des siècles n'est pas parvenu à changer ? Car, en ces lieux, règnent le chaos, celui qui présida à la naissance de la terre, avant que l'homme ne vienne y inscrire son oeuvre personnelle. C'est sans doute l'absence de civilisation qui frappe, parce que rien du quotidien de l'existence humaine n'y est visible. La route est comme une piste, celle que quelques nomades empruntent (on en recense 80.000) pour le traverser à dos de chameaux et que l'on surprend, de loin en loin, fragiles esquifs dans cette mer de sable et de pierre où la température peut atteindre les 50°. Mer figée, immense à parcourir. On imagine ce qu'éprouvèrent les enfants d'Israël errant quarante ans dans ce territoire inhospitalier où la nature a oublié de sourire !  Par chance, le Sinaï est resté à l'écart des invasions touristiques, encore préservé des migrations contemporaines, d'où la sensation exaltante de pénétrer en un désert, mythique pour les uns, mystique pour les autres.

 

Néanmoins, le Sinaï est, depuis les temps les plus reculés, un carrefour important, une porte entre l'Afrique et l'Asie et un pont entre la Méditerranée et la Mer Rouge. Au XVIe siècle avant notre ère, les pharaons avaient construit la route de Shur qui les menait jusqu'à Beersheba et Jérusalem. Les Nabatéens, puis les Romains, utilisaient, quant à eux, une autre voie que l'on nomme aujourd'hui Darb-el-Hadj, ce qui signifie "route des pèlerins". Malgré son aridité terrifiante, le Sinaï surprend ses rares visiteurs par sa beauté. Si la terre ne se prête pas à l'agriculture et si les Bédouins n'y survivent que grâce aux palmiers-dattiers, aux légumes qui poussent autour des points d'eau et à leurs troupeaux qui paissent sur les collines, elle n'en est pas moins grandiose. En dehors de ces quelques vies humaines, elle appartient au loup et au renard, la hyène et la chèvre sauvage, l'aigle et la gazelle. Car elle ne semble être là pour personne, que pour elle-même...

 

Quelle route fut celle des enfants d'Israël, en ce territoire sévère et hostile, quand ils quittèrent l'Egypte pour se rendre à Canaan sous la conduite de Moïse ? Bien que le tracé exact soit controversé par les érudits, il semblerait que celui-ci, une fois la Mer Rouge traversée, passait par Elim (ce que l'on pense être l'actuel El-Tur) avec ses 12 puits et ses 70 palmiers, puis par la plaine d'Ebran (Wadi Hebran) et, ce, jusqu'au Mont Horeb, où il leur avait été demandé de fonder une organisation religieuse et sociale. Tandis que notre car progresse, soudain nous apercevons, dans une étroite vallée pierreuse, les murs de la forteresse monastique construite par l'empereur Justinien au VIe siècle et qui est devenue le monastère Ste Catherine, au pied du Mt Moïse. A l'intérieur de l'enceinte, qui conserve sa silhouette primitive, et ne fut jamais, au cours des siècles, ni conquise, ni détruite, se regroupent des constructions d'époques diverses, dont une église, une mosquée, un musée, une bibliothèque, un ossuaire et les bâtiments conventuels du plus vieux monastère chrétien élevé à l'endroit précis où Dieu se serait révélé à Moïse dans le miracle du Buisson Ardent.


Les premiers moines vécurent dans une extrême pauvreté et certains furent victimes des nomades maraudeurs jusqu'au moment où ils envoyèrent une requête à Médine en 625 pour demander à Mahomet sa protection politique. Celle-ci leur fut accordée et la preuve en est toujours visible grâce à un document (l'original se trouve en Crète) que Mahomet en personne signa avec la paume de sa main. On raconte qu'il séjourna au monastère alors qu'il était encore marchand, ce qui est plausible, le Coran mentionnant les lieux sacrés du Sinaï. Si bien que lors de la présence ottomane dans la Péninsule, le monastère fut épargné. La Mosquée, construite vers le Xe siècle, est là pour rappeler que le Sinaï est aussi un carrefour des religions. D'ailleurs, à l'intérieur de l'enceinte, on croise autant de Chrétiens que de Musulmans ou de Juifs, venus en famille avec leurs enfants, se recueillir et admirer les pièces rares que recèle le musée, dont des icônes de la période byzantine (du  IVe au Xe siècle) réalisées selon la technique de la cire fondue. La plus belle, selon moi, est un Christ Pantocrator de la fin du VIe siècle qui plonge son regard dans le vôtre comme s'il lisait au plus profond de vous. Saisissant !

 

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 Christ Pantocrator du musée Ste Catherine du Sinaï


Le musée contient également de très beaux objets du culte comme une mitre en vermeil datant de 1678, don de la Crète, et un somptueux reliquaire de la même provenance, ainsi que des vêtements sacerdotaux et une bibliothèque réputée comme la plus grande et la plus importante après celle du Vatican. La pièce d'exception est le Codex Syriacus que l'on date du milieu du IVe siècle et qui est considéré comme le manuscrit le plus précieux au monde. Malgré les merveilles qu'il abrite, le monastère frappe par sa simplicité. Tout y reflète le calme, tout y est imprégné de recueillement. On peut vraiment dire qu'ici le temps suspend son vol. Plus loin, le jardin s'étend comme un long triangle et forme une véritable oasis au milieu des montagnes abruptes. A force d'efforts, les moines, appartenant à l'Eglise grecque orthodoxe, sont parvenus à faire pousser quelques palmiers, des plantes aromatiques et médicinales. A l'est,  se trouve une colline où vivaient Jethro et ses sept filles, dont l'une devint l'épouse de Moïse. De là, on aperçoit deux sommets : celui de Moïse ou Sinaï ou Saint Sommet ou encore Mont Horeb selon la Bible, qui culmine à 2285m et celui de Sainte Catherine (2637 m), du nom de cette jeune fille née à Alexandrie qui tint tête à l'empereur Maxence au début du IVe siècle. L'empereur, ayant donné l'ordre à cinquante sages de lui faire adjurer sa foi chrétienne, la jeune fille réussit à les convertir par la force de ses arguments. Sous la torture, au lieu de plier, son courage et ses convictions eurent pour conséquence de subjuguer l'impératrice elle-même et quelques-uns des membres de la Cour. Ses restes, retrouvés non loin du monastère par un religieux, font dorénavant l'objet d'une vénération et reposent dans un reliquaire au coeur de l'église.
Il est midi, les cloches sonnent, joyeux carillon au coeur de cette sévérité. Notre dernière visite sera pour la chapelle du Buisson Ardent de style byzantin. En cet endroit, le pèlerin entre en se déchaussant, en souvenir du commandement de Dieu à Moïse : " Ote les sandales de tes pieds, car l'endroit où tu te trouves est saint ". Fait inhabituel, l'autel n'est pas érigé au-dessus de reliques, mais sur les racines du Buisson. Dans l'abside, la mosaïque de la Transfiguration est la plus ancienne d'Orient. Quant au buisson, il pousse toujours à quelques mètres de la chapelle où il a été transporté. C'est le seul buisson de son espèce dans la péninsule du Sinaï.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE    (Photos Yves Barguillet lors de notre voyage en 2013)

                       

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Le monastère Sainte Catherine
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Le monastère Sainte Catherine

Le désert du Sinaï

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17 août 2021 2 17 /08 /août /2021 08:39
La Vallée-aux-Loups - Chateaubriand botaniste

 

En 1807, de retour de Jérusalem, François-René de Chateaubriand se vit contraint de s'éloigner de Paris à la suite d'un article dans lequel il fustigeait la tyrannie exercée par l'empereur Napoléon Ier, dont on sait qu'il ne partageait pas les idées et auquel il ne pardonnait pas d'avoir fait fusiller le jeune duc d'Enghien. L'écrivain aspirait à travailler dans le calme et acheta la propriété de la Vallée-aux-Loups, dans le coteau boisé du val d'Aulnay, à la croisée des Deux-Forêts reliant les bois de Verrières à la forêt de Meudon.


De l'histoire de cette maison avant l'arrivée de Chateaubriand, nous connaissons peu de choses, sinon qu'elle avait appartenu à un certain André-Arnoult Aclocque, brasseur parisien et membre de la garde nationale qui avait sauvé la vie du roi Louis XVI en le coiffant du bonnet rouge. Espérant recevoir, à titre de remerciement, la visite du souverain, il avait fait construire dans son parc la tour Velléda, dans laquelle Chateaubriand installera sa bibliothèque et se retirera pour écrire.
En achetant La Vallée- aux -Loups, l'écrivain accomplissait un rêve ancien. Déjà en Angleterre, où la Révolution l'avait chassé, il aspirait à cette paix de l'âme, loin de toute société : " Je pourrais encore être heureux à peu de frais. Il ne s'agirait que de trouver quelqu'un qui voulût me prendre à la campagne. Là, je pourrais écrire, herboriser, me promener tout à mon aise...pourvu qu'on me laissât tranquille et livré à mon humeur sauvage."


Cette communion avec la nature, Chateaubriand l'avait éprouvée dès son enfance dans l'austère château familial de Combourg, entouré de bois et de landes qu'il se plaisait à parcourir seul : " C'est dans les bois de Combourg que je suis devenu ce que je suis."  La Vallée-aux-Loups avait tout pour lui plaire : " J'étais dans des enchantements sans fin ; sans être Mme de Sévigné, j'allais muni d'une paire de sabots, planter mes arbres dans la boue, passer et repasser dans les mêmes allées, voir et revoir tous les petits coins, me cacher partout où il y avait une broussaille, me représentant ce que serait mon parc dans l'avenir, car alors l'avenir ne manquait point. (...) Je fis quelques additions à ma chaumière ; j'embellis sa muraille de briques d'un portique soutenu par deux colonnes de marbre noir et deux cariatides de femmes de marbre blanc : je me souvenais d'avoir passé à Athènes. Mon projet était d'ajouter une tour au bout de mon pavillon ; en attendant, je simulai des créneaux sur le mur qui me séparait du chemin : je précédais ainsi la manie du Moyen-Age, qui nous hébète à présent. La Vallée-aux-Loups, de toutes les choses qui me sont échappées, est la seule que je regrette ; il est écrit que rien ne me restera." ( Mémoires d'Outre-Tombe )

 

Dans ce lieu devait naître plusieurs de ses oeuvres dont L'itinéraire de Paris à Jérusalem, qui relatait, en l'embellissant, son voyage en Terre-Sainte, Les Martyrs, et principalement ses Mémoires qui sont avec La Comédie Humaine de Balzac et La Recherche du Temps Perdu de Proust, un monument de notre littérature. Et que racontent-elles : la fuite du temps, la mort, l'isolement, l'écroulement d'un empire, le déclin de l'amour et comme l'écrit superbement Julien Gracq dans la préface de l'oeuvre aux éditions Flammarion ( collection Bouquins ) : " Cette voix qui clame à travers les deux mille pages des Mémoires que le Grand Pan est mort, et dont l'Empire Romain finissant n'a pas connu le timbre unique - l'écho ample de palais vide et de planète démeublée - c'est celle des grandes mises au tombeau de l'Histoire. "

 

Mais en ce 4 octobre 1811, Chateaubriand est heureux chez lui et écrit ceci :

" Il y a quatre ans qu'à mon retour de Terre-Sainte, j'achetai près du hameau d'Aulnay, dans le voisinage de Sceaux et de Châtenay une maison de jardinier, cachée parmi les collines couvertes de bois. Le terrain inégal et sablonneux dépendant de cette maison, n'était qu'un verger sauvage au bout duquel se trouvait une ravine et un taillis de châtaigniers. Cet étroit espace me parut propre à renfermer mes longues espérances. Les arbres que j'y ai plantés prospèrent, ils sont encore si petits que je leur donne de l'ombre quand je me place entre eux et le soleil. Un jour, en me rendant cette ombre, ils protégeront mes vieux ans comme j'ai protégé leur jeunesse. Je les ai choisis autant que je l'ai pu des divers climats où j'ai erré, ils me rappellent mes voyages et nourrissent au fond de mon coeur d'autres illusions. (... ) Tout chevalier errant que je suis, j'ai les goûts sédentaires d'un moine : depuis que j'habite cette retraite, je ne crois pas avoir mis trois fois les pieds hors de mon enclos. Mes pins, mes sapins, mes mélèzes, mes cèdres tenant jamais ce qu'ils promettent, la Vallée-aux-Loups deviendra une véritable chartreuse. ( ... ) Ce lieu me plaît ; il a remplacé pour moi les champs paternels ; je l'ai payé du produit de mes rêves et de mes veilles ; c'est au grand désert d'Atala que je dois le petit désert d'Aulnay ; et pour me créer ce refuge, je n'ai pas, comme les colons américains, dépouillé l'Indien des Florides. Je me suis attaché à mes arbres ; je leur ai adressé des élégies, des sonnets, des odes. Il n'y a pas un seul d'entre eux que je n'aie soigné de mes propres mains, que je n'aie délivré du ver attaché à sa racine, de la chenille collée à sa feuille ; je les connais tous par leurs noms, comme mes enfants : c'est ma famille, je n'en ai pas d'autre, j'espère mourir au milieu d'elle. "

 

Malheureusement, l'écrivain n'aura pas ce bonheur. Pour des raisons financières, il se verra dans l'obligation de vendre sa propriété et cela lui sera un déchirement. Mais miraculeusement préservée, elle demeure aujourd'hui un haut lieu où chaque arbre planté par l'auteur des Mémoires fait écho à son monde imaginaire. Alors que les cèdres sont des réminiscences du Liban, les pins des évocations de Jérusalem, les platanes des souvenirs de Grèce, jusqu'aux chênes d'Armorique qui rappellent les racines bretonnes de l'écrivain, les cyprès chauves, les magnolias, les catalpas furent  plantés en souvenir de l'aventure américaine. Ainsi s'élabora un parc d'écrivain, oeuvre de mémoire, conçue par un homme qui était, tout à la fois, un amoureux des arbres et de la nature, un féru de botanique et un créateur romantique de par sa plume et ses goûts.

 

Après lui, cette Vallée ne cessa d'attirer les artistes. De nombreux poètes ont célébré sa profonde solitude et la riante disposition de ses collines. De nos jours, on visite la maison et le parc et chacun peut à loisir se promener, s'attarder, rêver devant le cornouiller panaché, le cerisier pleureur, les glycines géantes, le cèdre de l'Atlas, le feuillage éblouissant du Sophora, l'if d'Irlande, le tulipier de Virginie, les roseaux de Chine, le cyprès chauve de Louisiane, le chêne écarlate et le hêtre de Serbie. La Vallée-aux-Loups demeure, au-delà du temps, un lieu d'évasion, où le passé et le présent se rejoignent sans heurt dans la permanence de la beauté et le puissant éclat du souvenir.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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La Vallée-aux-Loups - Chateaubriand botaniste
La Vallée-aux-Loups - Chateaubriand botaniste
La Vallée-aux-Loups - Chateaubriand botaniste
La tour Velléda où Chateaubriand se retirait pour travailler.
La tour Velléda où Chateaubriand se retirait pour travailler.

La tour Velléda où Chateaubriand se retirait pour travailler.

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6 août 2021 5 06 /08 /août /2021 08:48
Photos  Yves Barguillet

Photos Yves Barguillet

 

La Bretagne a toujours eu un double visage : tantôt brutale, barbare, hérissée par la force de ses vents, de ses solitudes, de ses ajoncs, de ses rocs et de ses caps ; tantôt colorée et maternelle, grâce à la tiédeur de ses chaumes, de ses baies, de ses sentes et de ses plages. Le Golfe du Morbihan appartient à cette Bretagne colorée et maternelle. Il y a sans doute plus de huit mille ans que l'homme s'est enraciné ici et, qu'au gré des marées, le rivage s'est dessiné d'un trait gracieux avec, en abondance, des bois, des vallons, des escarpements, des dolmens nichés dans les bruyères, des villas blanches ensevelies sous les lauriers et les hortensias, des calvaires de granit, des moulins en ruine, des murets de pierre dans lesquels s'arc-boutent les figuiers et les aloès, des chemins capricieux et des vasières mauves. Inlassablement, le flux et le reflux ont façonné des centaines d'îles et îlots et une extraordinaire mer intérieure de 11500 hectares.

 

En ce lieu, un grand nombre d'espèces végétales et animales cohabitent malgré la présence de l'homme et, ce, dans une harmonie si remarquable que l'on se doit de le souligner. Car l'homme demeure sur ces terres depuis longtemps ; la preuve en est les sites mégalithiques uniques au monde que l'on peut recenser comme le tumulus de Gravinis et le dolmen de Locmariaquer, nommé table des marchands ou table de César, couvert de caractères et de dessins. Il est vrai qu'aucun département ne nous transporte - de par son histoire - à des âges aussi reculés ; aucun ne possède de souvenirs plus nombreux d'époques inconnues, de peuples oubliés, n'ayant laissé pour traces que ces pierres étranges, ces alignements inexplicables (Carnac), que les bretons - plus épris de légende que de science - considèrent comme des armées de géants pétrifiées par la parole de Saint Cornély. Aujourd'hui, la thèse la plus vraisemblable apparente ces objets à des pierres tombales dressées par un peuple qui regardait ces demeures comme étant celles de l'éternité, ce qui expliquerait leur importance et leur ampleur. Depuis, beaucoup d'eau est passée sous les ponts du Bono et d'ailleurs, apportant avec elle le sel pour les paludiers, le courant pour les meuniers, les poissons pour les pêcheurs, les coquillages pour les ostréiculteurs, la brise pour les plaisanciers et la beauté pour les promeneurs venus s'enchanter de ces rivages.

 
 

Peu d'endroit au monde ne dégage une telle impression d'harmonie, aucune union de mer, de végétation, de lumière et de ciel ne semble avoir trouvé d'accord plus parfait. Sont réunis - pour offrir au visiteur une suite de paysages variés, qui se découvrent au hasard des promenades - des baies et rivières tranquilles, des points de vue immenses, des jeux de lumière vaporeux, une déclinaison de couleurs subtile. Là tout n'est que contraste, changement, renouvellement. Au rythme des marées s'ajoute celui des saisons, afin qu'à chaque instant, selon les pluies, les nuages, les ensoleillements, rien ne soit jamais semblable et que l'on passe, sans transition, d'une atmosphère écossaise à une atmosphère méditerranéenne et latine. Bien qu'en transit, les oiseaux migrateurs y paraissent chez eux. L'escale est appréciée par la bernache de retour de sa Sibérie natale, le canard Souchet, la bécassine des marais, l'échasse blanche, la sterne, l'hirondelle et l'avocette, ou bien la spatule blanche qui ne s'arrête qu'un moment entre l'ouest africain et les colonies hollandaises.

 

La légende veut que le Golfe est autant d'îles que de jours dans l'année. En vérité, seules quarante d'entre elles méritent l'appellation d'île habitable, car bon nombre sont privées ou interdites à la visite. Les deux plus grandes sont Arz et l'Ile-aux-Moines. La légende, encore elle, dit qu'il y a très longtemps ces deux îles ne formaient qu'une seule terre. Les gens d'Arz étaient connus pour être des pêcheurs, ceux d'Izénah (L'Ile-aux-Moines), marins de père en fils, bénéficiaient d'une réputation plus flatteuse de seigneurs de la mer. Il arriva que l'un d'eux s'éprit d'une jeune fille d'Arz au grand désespoir de ses parents qui, dépités et en proie à la fureur, le firent enfermer dans le monastère. A la nouvelle, la jeune fille s'en vint chaque jour chanter sous les murs du couvent, ce qui eut tôt fait d'exaspérer le prieur. Il en appela aux esprits marins afin qu'ils fassent en sorte que cette amoureuse éplorée ne vienne plus troubler la sérénité de la vie monastique. Il semble que les esprits entendirent sa requête, car un flot puissant vint séparer les terres, faisant de ces étendues deux îles soeurs mais distinctes.

 

L'Ile-aux-Moines est de toutes les îles du Golfe la plus grande et la plus visitée. Il est vrai qu'à elle seule, elle rassemble les contrastes et les charmes de cette région privilégiée. On ne peut rester insensible à la profusion de fleurs et de parfums, aux plages animées et aux criques secrètes, aux landes parcourues par les vents et aux souriantes baies ombragées de pins centenaires. En suivant les venelles, en longeant les jardins, rêve et réalité se mêlent au gré des rencontres : vieilles croix rongées par les embruns, chaumières, fontaines, menhirs perdus, autant de monuments qui n'ont d'autres atouts pour nous séduire que leur simplicité séculaire. Bâti à flanc de coteau, le bourg regroupe la majorité des demeures, s'étoile en ruelles bornées de jardins clos. L'église, qui protège l'ensemble, est dédiée à Saint-Michel. En hiver, l'île ne compte que sept-cents habitants. En été, la population décuple. Des moines l'habitaient dès le XIe siècle et une moitié de l'île fut, par la suite, propriété du monastère de Saint-Gildas du Rhuys, tandis que revenait aux nonnes de Saint-Georges de Rennes l'autre moitié. La Révolution, en nationalisant les biens du clergé, fit partir les dernières communautés et l'Ile-aux-Moines redevint au XVIIIe une île de pêcheurs et de meuniers.

 

Quant à Arz, elle ressemble à une étoile de mer. Ramassée entre ses multiples pointes, elle a une superficie de 313 hectares à marée haute, le double - dit-on - à marée basse. C'est un merveilleux belvédère, d'où l'on peut contempler le Golfe dans son ensemble. Plus discrète que sa voisine, Arz redoute le tourisme et les promoteurs, soucieuse de conserver sa tranquillité et son autonomie. Sur ses rivages, comme sur ceux des terres environnantes, les légendes courent leur train comme le vent sur les ajoncs et les bruyères, et l'esprit des îliens est hanté de fantômes, de voix funèbres et de visions mystérieuses. On ne vit pas impunément sur des terres aussi anciennes, nourries de messages intraduisibles, sans avoir le coeur chargé de contes et de fables, de mythes et de superstitions. La vérité du Golfe réside là, dans cette équation quasi insoluble entre un passé qui se perd dans la nuit des temps et un devenir qui s'ouvre avec crainte aux lumières trop crues du présent.
 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Le Golfe du Morbihan, terre de légende
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10 juillet 2021 6 10 /07 /juillet /2021 08:08
Calvi et la baie de Girolata
Calvi et la baie de Girolata

Calvi et la baie de Girolata

Les Français vont souvent chercher très loin des îles qui, pour la plupart, n’égaleront jamais celle qui se trouve à quelques encablures de notre littoral méditerranéen et offre, à l’envi, une diversité de paysages exceptionnelle et un climat quasi idéal. Et surtout, que vous soyez amateur de mer ou de montagne, elle mettra à votre disposition des sites dans les deux appartenances, comblant, au-delà de vos espérances,  vos désirs les plus chers. La « Bella Corsica » est une terre incomparable qui réserve à chacun une surenchère de surprises, de découvertes, de richesses naturelles en mesure de satisfaire les plus exigeants. A coup sûr, vous ne serez pas déçu par le voyage et, que vous abordiez la Corse par bateau ou par avion, vous vous préparez à un rodéo de surprises, des vacances inoubliables ou un séjour  de rêve.

 

Ces vacances ont été longtemps les nôtres, à l’époque où nos enfants, encore jeunes, nous accompagnaient ainsi que des amis, et nous nous établissions tous dans une pension de famille entre Calvi et Ajaccio, non loin des fameuses calanques de Piana qui évoquent le Colorado et l’inoubliable baie de Girolata qui semble dissimuler encore quelques corsaires oubliés par le temps. Ah ! les plages sauvages, les baies découpées dans le granit de la côte, les montagnes qui dévalent pour venir mourir au bord d’une eau turquoise, les criques où il fait si bon se baigner loin des regards, les sentiers  qui s’égarent au cœur du maquis et embaument le genévrier, la ciste, le romarin, le thym, la myrte, le lentisque, car, ici, la terre est odorante, oui, l’enchantement est permanent et, à tout cela, s’ajoutent les lumières méditerranéennes, leur intensité, leur ferveur, leurs déclinaisons qui ne cessent qu’avec l’accord impérial des couchers de soleil. Sur la côte ouest, ils sont sublimes…

 

Voilà une île qui aura su tenir à distance, d’une poigne vigoureuse, les promoteurs immobiliers et leur bétonnage criminel, leur livrant une guerre sans merci afin de protéger son incomparable patrimoine naturel, son style de vie, ses coutumes ancestrales, son autonomie farouche, si bien que vous êtes en présence d’un pays authentique marqué par un passé illustre, des traditions immuables et un art de vivre qui ne craint pas de s’affirmer haut et fort. Oui, la Corse a du caractère, du tempérament et entend bien le faire savoir. Il faut la mériter, la séduire, tant elle est belle à damner les cœurs et captivante au point de conquérir les plus réticents. Ce que je vous conseille de faire est le tour de l’île en voiture. Je l’ai fait moi-même et c’est une aventure assurée et inoubliable qui vous vaudra quelques émotions car les routes côtières sont étroites, difficiles, surtout si vous croisez des camions, mais époustouflantes de beauté. Tout ce que la nature peut offrir de plus pittoresque est à portée de regard. Et, non seulement vous serez convaincu que la Corse est inégalable mais qu'elle est une terre d’une diversité stupéfiante. Voilà pour les paysages côtiers. Mais ceux de montagne sont tout aussi grandioses ! Des vallées profondes, où la végétation s’accroche encore, aux arêtes supérieures, aux cimes altières et aux neiges quasi éternelles, vous côtoierez des territoires qui flirtent avec le ciel et les nuages et vous enveloppent dans leur silence. Quelques troupeaux de chèvres se rencontrent dans les premiers contreforts qui servent d’appui aux chaînes principales, des cochons noirs s’égayent dans les épaisses forêts de mélèzes, puis vient le face à face avec le dépouillement minéral des sommets et les vues panoramiques qui, si le temps est dégagé, vous proposent des visions à couper le souffle, au point que vous pourriez les prendre pour des mirages. Au loin, n’est-ce pas des massifs, des plateaux, des vallées qui se succèdent, se superposent, se déploient dans une merveilleuse harmonie et la mer, toujours la mer, qui encercle et dénude. Oh bella Corsica !

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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BELLA CORSICA !
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21 mai 2021 5 21 /05 /mai /2021 08:01
Giverny - Immersion dans le jardin des nymphéas

Il y avait longtemps que je rêvais de visiter la maison et le jardin de Monet. Et bien que je demeure en Normandie, il se trouvait toujours une bonne raison, lorsque nous nous rendions à Paris et passions non loin de Giverny, de ne pas nous y arrêter parce que nous étions pressés, qu'il y avait les urgences et les impératifs, toute la panoplie qui nous fait trop souvent passer à côté de nos désirs. Et il est vrai qu'il est préférable de ne pas être pressé pour entrer dans l'univers de Monet, ce coin de charme et de verdure qu'il aménagea selon son goût et son inspiration entre champs quadrillés de haies et souples collines. Clos délicieux où il s'installera en 1883 avec ses deux fils et sa compagne Alice Hoschédé, mère de six enfants. Rien ne peut exprimer le sentiment de bien-être, l'envoûtement que l'on éprouve lorsqu'on aperçoit la maison rose aux volets verts disparaissant sous sa vêture de vigne-vierge et de roses dans un paysage parcouru par les eaux où croissent en abondance les iris sauvages, l'une des passions de Monet avec les pavots d'Orient. Et devant la demeure, la grande allée que le peintre se plaisait à emprunter, envahie de capucines, qui ouvre sur le jardin dans sa solennelle beauté champêtre et invite à la plus parfaite leçon de botanique qui soit. Car, ici, les fleurs semblent s'être données rendez-vous. Comme nous sommes mi-juin, il y a alentour, en une alliance incomparable de couleurs, les roses blanches, roses et rouges qui s'enroulent et s'épandent, formant une voûte ou s'arrondissant en corbeilles selon l'esthétique, la cadence et le rythme que le compositeur entendait leur donner. A Giverny, rien n'a été planté au hasard, l'ordonnance des lieux répondant aux exigences du maître, car celui-ci, bien qu'épaulé par deux hommes de l'art, éprouvait le constant souci d'améliorer son oeuvre. " En-dehors de la peinture et du jardinage, je ne suis bon à rien " - disait-il. Si bien que les portiques de clématites succombent sous le poids de leur efflorescence, les lys, les ancolies, les pois de senteur s'égayent entre les allées, fleurs ordinaires et fleurs rares réunies en une savante alchimie de tons qui mêle les marguerites, les gueules de loup et les giroflées aux asters, aux nigelles de Damas et aux arbres à l'élégance fragile de Chine et du Japon. Et ces fleurs furent travaillées en une harmonie parfaite afin de composer, selon les saisons, un jardin tour à tour safrané, cramoisi, mordoré ou le jardin mauve qui avait tant impressionné Sacha Guitry. Mais le rôle de Monet n'était-il pas d'impressionner selon les déclinaisons les plus audacieuses et les plus sensibles ? 

 

D'autant mieux que nous abordons le jardin des eaux dont le peintre fit l'acquisition en 1893 et où il entreprit de creuser le célèbre bassin aux nymphéas grâce à une prise directe dans l'Epte qu'il obtint du préfet de l'époque. Tout est dense autour de ce miroir tranquille, bordé de graminées, qui offre à l'oeil le loisir de s'émerveiller. Les pivoines arbustives rendent l'endroit serein, tandis que, posées délicatement sur l'eau, les nymphéas ouvrent leurs corolles de nacre et d'opaline. Bambous, saules pleureurs, érable du Japon, agapanthes masquent les courbes des rives qu'enjambent les ponts dont les arches ravissaient le regard du peintre. Insatiable regard qui s'est exercé à tous les angles possibles et se consacre désormais à peindre la surface de l'onde et ce qui peut s'y refléter, étude obsessionnelle qui tente à saisir chaque nuance de lumière et son jeu permanent avec le végétal et le fluide. Monet aime tellement Giverny qu'il s'y fera enterrer dans un simple caveau auprès d'Alice disparue avant lui, ses fils, sa belle-fille Blanche et une partie de la famille Hoschédé.

 

Quant à la maison, spacieuse, claire et joliment meublée, il semble que les propriétaires l'aient quittée la veille. La table est mise, les lits faits, chaque objet est à sa place, on croit encore respirer l'odeur de térébenthine que dégagent les pinceaux ; les collections sont là elles aussi, dont les estampes japonaises, représentation de l'éphémère et de l'instant qui passe joyeux ou douloureux, sans oublier les pastels de Berthe Morisot, d'Edouard Manet, de Vuillard, les fidèles amis ; l'horloge égrène les heures et on ne se lasse pas d'admirer le salon aussi mauve que les iris, lieu de bavardage aux meubles peints, la salle à manger jaune, tellement conviviale et gaie avec sa grande table accueillante aux familles nombreuses, la cuisine couverte de faïences bleues parce que cette couleur a, dit-on, le pouvoir d'éloigner les insectes et particulièrement les mouches, enfin, à l'étage, les chambres donnant sur le jardin où le soleil entre à flot en cette journée particulièrement clémente d'un mois de juin qui ne le fut guère. Et on s'attarde avec plaisir à contempler chaque recoin, à méditer dans l'atelier de l'artiste, un endroit confortable qu'après la construction de son second atelier, Monet transformera en salon et y accrochera les toiles dont il ne voulait pas se séparer. Celui aux nymphéas sera construit sur les ruines d'une masure à l'extrémité de la propriété, permettant au peintre de travailler en paix. Un système de vélum filtrait la lumière de façon à ne pas nuire à son oeil exigeant. Là, il disposait les panneaux de ses nymphéas comme il entendait qu'ils le soient à l'Orangerie. Il y travaillera sans relâche jusqu'à son dernier souffle.

 

Oui, alentour, ce n'est vraiment qu'une symphonie printanière, un kaléidoscope qui mêle les harmonies les plus subtiles, les inclinaisons les plus douces, les reflets les plus tendres ou les plus vifs, les charmilles et les recoins les plus secrets. Aimable maison et admirable jardin qui sont le songe accompli d'un magicien génial. Claude Monet a composé ce lieu, où il vécut une quarantaine d'années, comme un rêveur éveillé qui marie la lumière et l'ombre, l'eau et le végétal en un univers hors du temps. On est entré dans le plus beau tableau jamais réalisé au point qu'il semble encore en suspens dans l'imaginaire.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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