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26 mai 2021 3 26 /05 /mai /2021 08:53
Les chambres de Proust reconstituées : celle de la rue Hamelin par le musée Carnavalet et  celle d'Illiers-Combray.
Les chambres de Proust reconstituées : celle de la rue Hamelin par le musée Carnavalet et  celle d'Illiers-Combray.

Les chambres de Proust reconstituées : celle de la rue Hamelin par le musée Carnavalet et celle d'Illiers-Combray.

Il y a dans la vie de Marcel Proust, dans l’œuvre de l’écrivain, beaucoup de chambres. D’abord celle de l’enfant à Combray qui ouvre « Un amour de Swann ». C’est la chambre où se trouve la lanterne magique, celle de l’évasion dans le monde imaginaire. Il y a aussi, dans cette chambre romanesque, l’attente du baiser de maman qui en fait le lieu de cristallisation d’un amour exclusif. Cette chambre d’enfance porte déjà en germe l’œuvre de sa vie et il est vrai que les chambres de Proust ont tenu un grand rôle puisqu’il s’y passe ce auquel  on s’attend le moins : la claustration volontaire d’un créateur dévoré par sa création. Oui, l’enfermement de l’écrivain pendant plus de 8 années, soit de 1914 à 1922, d’où il ne sortait que pour quelques réceptions ou dîners, est pareil à celui de Noé dans son arche comme Marcel Proust l’explique lui-même : «  Quand j’étais enfant, le sort d’aucun personnage de l’Histoire Sainte ne me semblait aussi misérable que celui de Noé, à cause du déluge qui le tint enfermé dans l’arche pendant quarante jours. Plus tard, je fus souvent malade, et pendant de longs jours, je dus rester ainsi dans ‘l’arche’. Je compris alors que jamais Noé ne put si bien voir le monde que de l’arche, malgré qu’elle fût close et qu’il fît nuit sur la terre. »

Les Plaisirs et les Jours

 

 

En quelque sorte, Proust enclot la réalité pour lui redonner une vie transposée par l’imagination. Ses chambres du boulevard Haussmann et de la rue Hamelin, celles aussi du Grand-Hôtel de Cabourg où il passa une partie de l’été et le début de l'automne de 1908 à 1914 auront été ses lieux de création, ceux où, fermant les yeux aux réalités du monde, il les ouvrait sur les perspectives infinies de la création littéraire. Proust a fondé sur cette simple réflexion toute une part de sa philosophie. Celle-ci peut se résumer en quelques lignes mais elle donne à « La Recherche » une tonalité unique. Selon lui, le monde intérieur – qui peut être symbolisé par la chambre d’écriture et de claustration volontaire – est le seul qui existe vraiment pour la bonne raison qu’il confère aux êtres et aux choses leur réelle dimension. Oui, ce que nous observons au quotidien perd très vite de son intérêt et de son relief mais, que cet environnement vienne à nous manquer, la nostalgie nous envahit et nous commençons à fixer notre esprit sur les souvenirs qui se sont imprimés à notre insu et que notre mémoire involontaire, usant du procédé inverse, va nous restituer par la grâce d’une sensation. Les choses quittées prennent subitement une importance extraordinaire, puisqu’elles nous apprennent que le temps peut renaître à tout moment, mais hors du temps, ce que Proust nommera « un peu de temps à l’état pur ». Etrange et formidable paradoxe qui avise le lecteur qu’il n’y a, en définitive, pas d’autre permanence que celle du passé et du monde reconstitué par la mémoire. L’arche de Noé est devenue la cathédrale de Proust et, dès ce moment, le patriarche biblique et le romancier sont hors d’atteinte. Le premier a sauvé la création, le second le créé, tout en se sauvant eux-mêmes. La chambre est par conséquent l’arche dans laquelle Proust convoque les lieux et les paysages, les brassées d’aubépines et les pommiers en fleurs, les berges de la Vivonne et les clochers de Martainville, les illusions de l’amour et les intermittences du cœur, les jeunes filles et les courtisanes, les liftiers et les princesses, les artistes et les hobereaux, les vices et les vertus, les joies et les douleurs, pour cette traversée du temps qui voit se succéder un passé chargé d’avenir et un avenir embrumé de passé.

 

 

Si la vie est un négatif qu’il faut regarder à l’envers et à la lumière d’une lampe pour que ses contours se dessinent et que se révèle son sens, comme avec la lanterne magique, l’œuvre n’apparaît plus seulement comme la figure de ce que l’on a senti mais comme celle de ce que l’on a voulu, si bien que l’édification se fait et que le destin s’accomplit. Ainsi, par un acte de volonté intense, l’artiste meurt à la réalité des choses et devient un anachorète réfugié dans une chambre  tapissée de liège, arrière-monde ou arrière-pays qui n’est plus régi par les innombrables clichés de la vie affective, les ténèbres de la méconnaissance et des instincts, mais par la joie pure et sereine de l’art qui exorcise le cercle du temps. Selon Marcel Proust, la littérature est la seule vie digne d’être vécue, la seule en mesure de conserver ce qui fuit, d’atteindre à la vérité des êtres sous les mouvements changeants et le mensonge des apparences, et de faire remonter à la surface un équivalent spirituel. Cette construction littéraire, envisagée comme une mosaïque savante, frappe d’autant plus l’esprit que la diversité de ses dessins et la fraîcheur de ses coloris semblent contraindre le temps à faire le deuil de son pouvoir.*

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

*Extraits de « Proust ou le miroir des eaux »

 

Pour consulter la liste des articles de la rubrique DOSSIER MARCEL PROUST, cliquer  ICI

 

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Et chambre reconstituée au Grand-Hôtel de Cabourg

Et chambre reconstituée au Grand-Hôtel de Cabourg

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commentaires

V
C’est excellent. Merci
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A
Merci de votre visite.
J
Juste un détail, certes infime : la 1ère photographie ci-dessus N'est Pas celle du 44 rue Hamelin (4ème étage) mais la reconstitution bien peu réussie de cette chambre (meubles récupérés par Jacques Guérin et offert en 1973) au MUSÉE CARNAVALET ! La présence du tableau représentant Adrien, le père, avait été d'ailleurs contestée ...
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R
Merci Madame Barguillet Hauteloire d'ici nous inviter de temps à autre à retrouver votre blog et vos remarquables articles qui méritent amplement d'être découverts par les nouveaux membres de ce groupe ... et relus par tous les autres : l'on ne s'en lasse pas tant la pertinence de vos propos et le style qui les cisèle rendent un bien prégnant hommage à la langue française en général et à celle de Marcel Proust en particulier ...
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J
Qu'il me soit permis de m'immiscer aussi pour confirmer l'immense gratitude que je dois et que nous devons à Armelle dont le blog a été une de mes plus belles découvertes proustiennes dont nous sommes si fiers et qui nous a tant apporté : un éclairage, une lumière, une élucidation de haut niveau, tellement digne de Marcel Proust lui-même ! Et remarquablement rédigée dans un style ciselé d'une rare élégance qui fait honneur à Marcel Proust et aussi, par son truchement idéal, à notre si belle langue française ! Merci, Armelle, de ce bonheur partagé ... Jean.
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A
Merci à vous tous.
C
Passionnant oui , monsieur Richard Lejeune , que ce blog
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L
Je ne connaissais pas cette evocation de l'arche. C'est interessant. Et correspond bien a cette forme d'ascese que fut l'ecriture pour lui.
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A
Absolument Loïc.
A
Oui, Proust avait toujours peur des choses quittées. Peur de perdre les lieux aimés, où il avait ses habitudes et avec lesquels il avait tissé des liens..
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D
Très bel article sur les chambres de Proust, chambres noires, pourrait-on dire, où seulement peut se "révéler" la saveur du cliché. N'oublions pas non plus cette angoisse dont parle le narrateur lorsqu'il s'agit de devoir s'adapter à une nouvelle chambre dans laquelle il se sent longtemps intrus.
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