Rééditée aux Belles Lettres, « L’âme désarmée », œuvre majeure de l’intellectuel américain Allan Bloom, mort en 1992, est une réflexion d’une brûlante actualité sur le déclin progressif, et semble-t-il inexorable, de la culture occidentale. Professeur à l’université de Chicago, Allan Bloom a écrit son chef-d’œuvre dans les années 80 après la révolte des campus, la remise en question de l’autorité, l’allègement des programmes scolaires et universitaires et l’introduction de la discrimination positive qui a condamné l’Occident d’aujourd’hui à une décadence dont nous sommes les témoins passifs.
Allan Bloom s’inquiétait déjà que l’université – îlot de liberté intellectuelle dans une société gouvernée par l’opinion publique – soit peu à peu conduite à prôner l’égalitarisme plutôt que l’excellence, le relativisme davantage que la quête de la vérité, et l’ouverture aux autres cultures que l’universalisme civilisationnel. D’où l’extraordinaire actualité de cet ouvrage et son prophétisme dans une société malade, dont la ruine intellectuelle n’a cessé de s’intensifier avec le temps. Remercions les Belles Lettres d’avoir eu la bonne idée de republier ce texte en traduction intégrale et de nous rappeler ainsi les questions qui se posent à notre temps, gagné par un délabrement spirituel gravissime.
« Le tissu délicat de la civilisation, fait de la trame de la chaîne des générations successives, s’est complètement effiloché, et les enfants sont encore élevés, mais ne sont plus éduqués. »
Certes, dans l'actualité contemporaine, les auteurs de jadis sont le plus souvent remplacés par Playboy ou des revues pseudo-scientifiques qui promulguent, à longueur de pages, l’intelligence artificielle et l'homme augmenté, cet homme nouveau dont on parle depuis longtemps. Ainsi, ces revues diverses et variées se réjouissent-elles de l'avenir enchanteur que cette intelligence offrira aux générations qui vont suivre et aux progrès gigantesques qu'elle leur permettra de réaliser. D’ores et déjà, nous assistons au recul de la culture et à l’abandon de l’Histoire qui est notre lien privilégié avec le passé, à la perte du goût et de la pratique de la lecture, au mépris affiché à l'encontre de tout ce qui a un rapport avec la tradition, à la disparition progressive de la musique classique, à la libération sexuelle à tout crin qui s’exerce sans tabous et sans contraintes, époque où la théorie du genre fait en sorte que certains hommes veulent devenir des femmes et vice versa.
Lecteur de Tocqueville, Allan Bloom voit dans la puissance de l’égalitarisme la source évidente de notre déclin et l’apparition d’une société où, désormais, plus personne n’est à sa place, où tous les styles de vie et de créativité se valent et où le nivellement des valeurs engendre une profonde et grave crise de civilisation. L’auteur nous rappelle combien « la présence active de la tradition dans l’âme de l’homme lui donne une ressource contre l’éphémère » et combien notre mal-être et notre fragilité s’amplifient face aux périls qui nous guettent. Aussi contre le poison du nivellement des valeurs, nous propose-t-il un retour à la vie de l’esprit, qui est la dignité et la noblesse de l’homme pensant. Un ouvrage à se procurer d'urgence.
Pour consulter la liste des articles de la rubrique CULTURE, cliquer ICI