Ce livre est un hommage à un homme qui a consacré une part de sa vie à défendre l’honneur de la France. Cet homme est le lieutenant Schreiber. Lui et l’auteur s’étaient liés d’amitié à la suite d’une lettre que le lieutenant avait adressée à Andreï Makine lors de la publication de « Une France qu’on oublie d’aimer ». Petit-fils de juifs allemands, Jean-Claude Servan-Schreiber était tombé amoureux de la France, comme le sera Makine, dès sa jeunesse. « La voix que j’ai devinée derrière ses lignes » - précise Makine – « a restauré le seul lien auquel un auteur doive attacher de l’importance : son texte compris et apprécié par un lecteur. » A l’époque de leur rencontre, le lieutenant a 88 ans. Il invite l’écrivain à venir prendre un verre à son domicile. Ainsi commence une émouvante amitié et la rédaction de cet ouvrage qui n’a d’autre but, précise Makine, que d’aider la parole du lieutenant à vaincre l’oubli. Et ajoute-t-il sur la quatrième de couverture : « Je n’aurais jamais imaginé un destin aussi ouvert sur le sens de la vie. Une existence où se sont incarnés le courage et l’instinct de la mort, l’intense volupté d’être et la douleur, la révolte et le détachement. J’ai découvert un homme qui avait vécu à l’encontre de la haine, aimé au milieu de la pire sauvagerie des guerres, un soldat qui avait su pardonner mais n’avait rien oublié. Son combat rendait leur vraie densité aux mots qu’on n’osait plus prononcer : héroïsme, sacrifice, honneur, patrie… »
Makine aime les hommes qui ont cette foi, cette espérance et la discrétion, ou mieux la pudeur. Page 65, il insiste au sujet du jeune lieutenant : « Son credo de légèreté n’est pas une posture d’esthète. Cette vision qui ne noircit pas le monde ni ne diabolise les hommes, il l’a acquise dans les années où le monde était infiniment sombre et les hommes dans leur cruauté, rivalisaient avec les engeances les plus démoniaques. Et ce très jeune homme oppose à cet univers-là son courage de soldat, sa gaieté de gosse, son sourire de gamin. » En effet, le jeune Schreiber s’est engagé d’emblée dans la guerre et a accepté de traverser l’enfer pour tenter de nous en préserver. Aussi le vieil homme n’a-t-il qu’un désir en contemplant le monde d’aujourd’hui où l’on ne jure que par la mondialisation, où le bougisme est à la mode, où on obéit à la marchandisation et aux capitaux, au pillage d’un continent au profit d’un autre, de permettre à chacun d’entendre l’écho lointain mais lancinant des grands silences de la mémoire et de rappeler aux nouvelles générations ce qui se cachait derrière cet hier meurtrier .
Le livre fut dans un premier temps rédigé par Schreiber lui-même mais les refus ne cessèrent de se multiplier malgré les efforts de Makine de persuader les éditeurs de l’intérêt de ce témoignage (qui, grâce à lui et à sa plume, deviendra un hommage). Oui, douce illusion en un temps où « la mentalité ambiante est celle où l’intelligence se doit d’être cynique et où la dérision remplace toute forme de jugement. » Certes, le livre paraîtra mais sera très vite retiré des ventes et les stocks iront au pilon un mois plus tard sans que la voix du lieutenant Schreiber ait été entendue. Si bien « que le jeune soldat s’est figé sur une couverture de livre destiné à être réduit en poussière de papier. » C’est alors qu’Andreï Makine prend le relais afin que soient connus le destin et le courage de ce soldat et que son message de dignité ne reste pas lettre morte et soit transmis aux nouvelles générations.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
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