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2 octobre 2020 5 02 /10 /octobre /2020 09:18
Le sommeil de Marcel Proust de Dominique Mabin

 

 

Chacun sait que Proust était un insomniaque notoire et que le caractère morcelé de son sommeil contribua à détruire sa santé et à faire de lui un homme alité et souffrant. Les principales causes de ce sommeil difficile ont été l'asthme dont il fut affligé dès son enfance et l'angoisse qu'engendraient les crises, puis sa vie mondaine durant ses jeunes années où il prit la mauvaise habitude de se coucher le matin plutôt que le soir, enfin son sommeil fut presque totalement détérioré par les somnifères, le café et les drogues dont il usera et abusera après la mort de sa mère. Ce cycle infernal ne cessera plus de s'intensifier bien que Marcel ait, à maintes reprises, consulté des médecins pour tenter de retrouver des horaires de sommeil plus normaux ; les rechutes seront constantes et les prises de barbituriques de plus en plus fortes, entraînant une impossibilité à installer un repos normal et réparateur. C'est ce sujet que le docteur Dominique Mabin a choisi de traiter, inventoriant, avec la compétence du médecin qu'il est, le rude combat que Proust livrera, la plus grande partie de son existence au sommeil.

 

 

Il est 9 heures du matin, je n'ai pas dormi depuis plus de cinquante heures" - écrit-il un jour à Reynaldo Hahn.

 

 

On se souvient des visites qu'il lui arrivait de faire tardivement à certains de ses amis comme Paul Morand, qu'il sortit du lit une nuit, pour lui demander un détail sur l’une des toilettes de son épouse, la princesse Soutzo. Durant sa jeunesse, il dormait par bribes de trois ou quatre heures d'un sommeil qui pouvait être satisfaisant. Par la suite, il s'habitua aux somnifères en toxicomane qu'il devenait. Dès l'âge de 25 ans, il prit du trional, ensuite ce sera du véronal à haute dose, 3 grammes par jour qu'il associait au café. "Funeste caféine" - se plaignait-t-il, caféine qu’il absorbait pour deux raisons : la principale étant pour soulager ses bronches. Il lui arrivait d’en boire jusqu’à 17 tasses par 24 heures, ce qui ne faisait qu'intensifier les malaises. Ses amis connaissaient ses abus et Proust, lui-même, était conscient de son déséquilibre psychique profond, de ses angoisses permanentes liées à ses crises d'asthme qui pouvaient le faire haleter 48 heures durant. Aussi redoutait-il les refroidissements et était-il toujours exagérément couvert, non seulement de sa célèbre pelisse mais de chandails superposés et, dans sa chambre, qui n'était pas chauffée par crainte des émanations, entouré de bouillottes et surchargé d'édredons.

 

 

Plus tard,  Proust ajoutera, aux somnifères et au café, l'opium qui achèvera de léser son sommeil profond, sans oublier le sirop d'éther qu’il lui arrivait de prendre, bien qu’il en connût les conséquences graves. Il vivra les dernières années de sa vie reclus : " Je vis couché et ne mange pas, mais de temps en temps je me lève pour qu'on fasse ma chambre, et alors je vais dîner soi-disant au Ritz, parce qu'ayant des troubles de la parole il m'est très pénible de dîner chez des amis". Effectivement, les narcotiques affectaient son comportement, et parfois son travail intellectuel qu'il poursuivit néanmoins sans relâche, y épuisant ses dernières forces. Marcel Proust vit désormais dans une dépendance médicamenteuse qui contribue à l'anéantir et le prive de tout sommeil profond et réparateur. Les rêves eux aussi ont disparu, d'ailleurs Proust en parle peu en ce qui le concerne dans sa correspondance, mais en parle beaucoup dans son oeuvre. Ainsi, chez Bergotte, l’écrivain de La Recherche, les cauchemars sont constants, Proust ayant attribué à son personnage les mêmes insomnies et cauchemars que lui. D'autre part, Bergotte souffre d'hallucinations au moment de l'endormissement. Elles peuvent être intenses et non moins fréquentes. " Dans quels gouffres inexplorés le maître tout puissant nous conduira-t-il ? " - soupire-t-il.

 

 

D'ailleurs les cauchemars et hallucinations de Bergotte varient selon le narcotique absorbé, précise Proust. Ainsi, il y a le sommeil de l'opium, souligne le narrateur, de la valériane, de la belladone, tous différents. En provoquant le sommeil de façon artificielle, on obtient des phénomènes divers comme les fleurs que cultive le jardinier. Le sirop d'éther suscite une imagerie abondante, une désorientation momentanée, alors que l'opium occasionne une euphorie passagère. Proust a donc amalgamé des sensations et d'étranges visions qui se sont télescopées et peuvent être comparées à un voyage dans l'univers particulier des narcotiques.

 

 

C'est ainsi, poursuit Dominique Mabin, que le narrateur de La Recherche, dans le récit de la mort de Bergotte, fait allusion à différents événements liés au sommeil que nous connaissons bien aujourd’hui. Ses rapports avec l'insomnie ont révélé une analyse psychologique très aiguë, car fils et frère de médecin, il était au courant de l'action des médicaments sur le métabolisme. Mais c'est incontestablement grâce à sa correspondance que nous avons pu progresser dans la connaissance de sa maladie, celle d'un grand invalide respiratoire et sans doute cardiaque, insomniaque et poly-intoxiqué, alors que la plupart du temps l'histoire ne retient que sa seule maladie asthmatique. Son état général désastreux explique qu'il soit mort à 51 ans.

 

 

Le thème du sommeil devait accompagner Proust jusque dans les ultimes semaines de son existence. Dominique Mabin nous rappelle que les deux derniers textes publiés de son vivant et intitulés "La regarder dormir" et "Mes réveils" paraissent dans le numéro de la Nouvelle Revue française daté du 1er novembre 1922, dix-sept jours avant sa disparition. Il s'agit de deux fragments tirés de "La Prisonnière" qu'il corrige à ce moment-là, y apportant d'ailleurs des remaniements et des digressions étonnants. Symboliquement, l'oeuvre romanesque de Proust s'ouvre sur une évocation de sommeil : "Longtemps, je me suis couché de bonne heure" - et  cette évocation se retrouve dans ses derniers écrits ; ainsi dans le cercle créateur du sommeil, l'écrivain enferme-t-il la forme circulaire et infinie de son livre. Si bien que le lecteur peut faire sienne son affirmation première : " Un homme qui dort, tient en cercle autour de lui le fil des heures, l'ordre des années et des mondes ".

 
 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE  

 

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