Saint-Maur et Jean Cocteau
Samuel Saint-Maur est né à Bordeaux en 1906 d’un père médecin de campagne dans le Berry et d’une mère décédée jeune. Dès sa plus tendre enfance, il éprouvera une vocation impérieuse, celle de l’art, si bien que cet élève de l’école d’hydrographie, lieutenant au long cours à l’âge de 20 ans, la choisira-t-il bientôt comme voie étroite et chemin aride. Pourquoi ? Sans doute parce que la lecture de Rimbaud vient de le marquer d’un sceau impérissable. Poète, il eut aimé l’être. Mais cette muse n’était pas la sienne. Qu’à cela ne tienne, il sera peintre, alchimiste, poète à ses heures, délivré des amarres, libre. Et il tint promesse. Epris d’espace et d’aventure, dans le sens le plus noble du terme, Saint-Maur ne conçoit l’homme que pétri d’absolu, ange blessé et captif qu’on a, un instant, détourné de son rêve. Aussi l’œuvre conjuguera-t-elle toujours deux impératifs : en cherchant à toucher chacun d’entre nous dans ce qu’il a de plus intime, il tentera de l’atteindre dans ce qu’il a de plus universel.
Son père lui ayant coupé les vivres à la suite de sa rupture avec la marine alors qu’il est marié et qu’une petite fille vient de naître, il installe son atelier sur une péniche, la première galerie flottante de Paris et va connaître avec sa jeune femme des années de misère. Celle-ci mourra d’ailleurs d’épuisement peu de temps après la naissance de leur seconde fille. En 1935, Saint-Maur fonde l’association de l’Art Mural, dont il sera le président à vie, de façon à replacer l’artiste au centre de la société, et sera également l’initiateur de la loi du 1%, loi qui ne sera votée qu’après la guerre sous le ministère d’André Malraux et permettra à nombre d'artistes de se voir confier la décoration de bâtiments publics. Par l’art mural, Saint-Maur cherchait à transmettre aux hommes de toutes races et de toutes conditions un message métaphysique grâce à un langage simple et universel. Selon lui, l’art devait être rédempteur et atteindre l’esprit par le cheminement des sens et l’impact de la sensibilité. « Malheureusement - soulignera-t-il - la plupart des artistes ne surent réaliser ce genre de travail, tant ils étaient habitués à la cuisine de la peinture de chevalet ». Déjà, par la rigueur de ses compositions et l’importance des œuvres entreprises, le sculpteur se devinait sous les traits du peintre, mais il faudra attendre encore vingt ans pour que cette seconde vocation se précise. En 1938, devenu veuf, Samuel part pour l’Inde, puis prolongera son séjour en Indochine et en Chine où il sera retenu par la déclaration de guerre de 1939. Ce très long séjour en Asie sera pour lui l’occasion de renouveler l’art de la laque et son inspiration : « Le dessin chinois étant métaphysique, il suffit à exprimer tous les états d’âme avec un seul trait, ce qui est le summum de l’art graphique. » - écrira-t-il.
Ainsi le peintre tend-t-il désormais vers l’épure. A Hanoï, il crée une laquerie et renouvelle cet art millénaire par l’apport de nouveaux pigments au coromandel. Comme l’influence de Rimbaud avait défini l’orientation de sa vie, l’art de la Chine l’initie à un graphisme dépouillé de tout vain bavardage, expression du signe pur et essentiel. Cette période chinoise est certainement l’une des plus sereines de sa vie, celle où son talent s’exprime avec le lyrisme le plus chaleureux et le plus délicat ; il est vrai qu’auprès de ses compagnons chinois ou indochinois, il rencontrait une intuition de l’art extraordinairement précise et juste, et un respect de l’artiste qui le réconfortait.
Après avoir été professeur d’histoire de l’art à l’université de Calcutta, il rentre à Paris en 1946 et expose ses laques au musée Cernuschi. En 1949, il participe au 4ème salon de l’Art Mural au Palais des Papes en Avignon. Dès lors, il aborde l’abstraction lyrique, puis constructiviste qui le conduit peu à peu vers la sculpture et la recherche d’un matériau alliant tradition et modernité. Novateur et pionnier, il intègre à l’art les polyesters chargés et colorés qu’il nomme "polybéton", matériau plastique composite qu’il utilise à la manière d’une argile synthétique afin de modeler ou habiller ses structures. Voici que l’alchimiste rentre en symbiose avec l’artiste pour dépasser les limites de son art : fusionner avec la matière afin de mieux la domestiquer. Ainsi le polybéton devient-il sculptures, bas-reliefs, meubles ; la mousse de polyuréthane, sculptures habitables, véhiculant une pensée philosophique et cosmique qui s’articule autour de deux pôles : matière et esprit, énergie et sensibilité, être et univers, l’ensemble souligné par une écriture qui ne cesse de se dépouiller au service d’un message profondément social et humain. C’est en 1969, sur le thème de la Science au service de l’Art qu’il crée en huit jours, devant la télévision, la première sculpture habitable, réalisation qui en surprend plus d’un et sera suivie de conférences et démonstrations aux Etats-Unis, au Canada et au centre Le Corbusier de Zurich. Toujours dans le souci de lier l’art à la vie quotidienne de l’homme et afin de répondre aux besoins urgents des logements par une architecture de consommation, il étudie avec des industriels différents projets de bungalows et d’îles artificielles. Sa grande idée était que l'on puisse adapter son habitat à ses nécéssités propres et que toutes les formes deviennent possibles sans les contraintes inhérentes au béton. Il aura de nombreux imitateurs.
Jusqu’à la fin de sa vie, Saint-Maur travaillera sans relâche avec l’application d’un artisan et la fièvre du créateur harcelé par sa création. Il avait élu domicile sur une péniche ancrée près de Louveciennes et y avait érigé son habitacle en polyuréthane que les japonais se plaisaient à photographier. Inventif comme peu d’être le sont, il fut souvent jugé inconstant car il se diversifiait sans doute trop, débordé par son imagination, assailli par ses idées. Au retour d’un séjour aux îles Comores, il sera victime d’une terrible crise de paludisme, paludisme qu’il avait attrapé en Indochine, et décédera le 7 décembre 1979. En un parcours artistique de 60 années, il aura presque tout abordé sans jamais être l’homme d’aucune école : les arts plastiques, les décors de scène, la peinture murale et de chevalet, la calligraphie, la laque, la sculpture, l’architecture dans une œuvre pleine et généreuse et un souci constant d’humanisme. Cette œuvre qui a su user du vide et de la transparence n’en est pas moins traversée par une formidable énergie. Elle ne cesse de rendre témoignage d’un monde en mutation, d’interpeller notre regard et notre intelligence, de circonvenir nos habitudes, afin de nous conduire à plus de transcendance. Elle est de tous les âges et de tous les lieux et pose toutes les interrogations. A elle s’adressent les paroles du poète Yves Bonnefoy :
Regarde, diras-tu, cette pierre.
Elle porte la présence de la mort.
Lampe secrète c’est elle qui brûle sous nos gestes,
Ainsi marchons-nous éclairés.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
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