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18 février 2022 5 18 /02 /février /2022 09:09
Jacques-Emile Blanche et Jean Helleu (enfant)
Jacques-Emile Blanche et Jean Helleu (enfant)

Jacques-Emile Blanche et Jean Helleu (enfant)

 

Jacques-Emile Blanche est né le 31 janvier 1861 dans une famille de médecins aliénistes. Son grand-père, Esprit Blanche, avait fondé la maison de santé de Passy, très réputée, que son fils Antoine Blanche (1820–1893) continuera de diriger. Experts médico-légal, les docteurs Blanche soignaient les célébrités de leur temps comme le musicien Fromentin Halévy, le poète Gérard de Nerval et Guy de Maupassant qui finira ses jours dans leur clinique. La famille Blanche habitait rue de la Source à Auteuil une villa voisine de celle de Louis Weil, l’oncle de Marcel Proust, maison où l’écrivain naquit d’ailleurs et passa de nombreux séjours. Les deux familles se fréquentaient. Jacques-Emile était un riche héritier et avait déjà un pied dans cette vie mondaine à laquelle il s'initiera dès l’adolescence et qu'il conduisit avec élégance ; il en tirera la matière des quelques 1500 portraits réalisés tout au long de sa carrière. Mais son œuvre ne se circonscrit nullement dans le cadre étroit d’une simple chronique mondaine, elle est, de par sa qualité, une œuvre dans toute l’exception du terme, celle d’un artiste qui sut capter, comme le fera Proust avec sa plume, le moi profond et le mystère inhérent à chacun de ses modèles. Et ils seront nombreux.

 

Elève de Gervex et Humbert, Jacques-Emile a hésité un moment entre la musique et la peinture. Il est vrai que son père recevait de nombreux musiciens comme Gounod, Berlioz, Bizet et que le jeune homme fut très tôt un excellent pianiste. Mais l’amour de la peinture sera le plus fort et son admiration pour Manet et Whistler une probable incitation à opter pour le pinceau plutôt que pour le clavier. Blanche va très vite se spécialiser dans le portrait : «  Je ne suis qu’un portraitiste qui raconte ce qu’il voit » - dira-t-il. Il connaitra la célébrité en réalisant le portrait de Marcel Proust (celui du musée d’Orsay) dont l’ébauche avait été faite en 1891 au manoir des Frémonts, sur les hauteurs de Trouville, où le peintre et le futur écrivain  étaient les invités d’Arthur Baignières. Par la suite, Blanche fixera sur la toile les visages des personnalités les plus emblématiques de son temps : Montesquiou, Henri de Régnier, Anna de Noailles, André Gide, Jean Cocteau, Maurice Barrès, Henri de Montherlant, Mauriac, Stravinski, Bergson et quelques autres. Sa sensibilité s’exprimera également dans le pastel qu’il utilisera avec virtuosité, notamment dans ses portraits de femme dont le très beau qu’il consacrera à sa mère. De même que le délicieux portrait du fils de Paul-César Helleu, autre peintre qui résidait souvent sur son yacht à Deauville. Ce portrait de Jean Helleu enfant, en habit de pierrot, est d’une facture particulièrement délicate.

 

Jacques-Emile Blanche sera également un écrivain et un critique d’art avisé. Dans son ouvrage « Propos de peintre – de David à Degas », il rend compte et exalte les œuvres de ses contemporains et prédécesseurs d’une plume alerte et éprouvée. Marcel Proust, qui rédigera la préface, ne partageait pas son point de vue, considérant que l’œuvre est toujours supérieure à son auteur et ne l’explique nullement, si bien qu’il ne craindra pas de le contredire sur ce point précis  : «  Le défaut de Jacques Blanche critique, comme Sainte-Beuve, c’est de refaire l’inverse du trajet qu’accomplit l’artiste pour se réaliser, c’est d’expliquer le Fantin ou le Manet véritable, celui que l’on ne trouve que dans leur œuvre, à l’aide de l’homme périssable, pareil à ses contemporains, pétri de défauts, auquel une âme originale était enchaînée, et contre lequel elle protestait, dont elle essayait de se séparer, de se délivrer par le travail. » Tous deux se connaissaient bien et fréquentaient les mêmes salons, particulièrement celui de Madame Straus, née Halévy, et épouse en premières noces de Georges Bizet, qui aimait à poursuivre son salon de Paris à Trouville où, après avoir loué plusieurs années le manoir de « La Cour-Brûlée » à Madame Aubernon, fit construire le sien tout à côté : le Manoir des Mûriers ». Proust ira à plusieurs reprises la visiter, ainsi que Helleu, Blanche, Maupassant, Fauré … Blanche sera élu à l’Académie des Beaux-Arts en 1935.

 

Comme Marcel Proust, le peintre aimait la Normandie, ses jardins, ses chemins creux, ses champs quadrillés de haies vives, ses clochers qui pointent à l’horizon, ses lointains de mer qui semblent absorbés par le ciel et ses gris qui se déclinent en de multiples nuances et donnent une gravité lumineuse aux paysages. Quittant les mondanités parisiennes, il appréciait cette communion harmonieuse et vivifiante avec la nature. Après avoir séjourné de 1896 à 1901 au château de Tout-la-Ville entre Deauville et Pont-L’Evêque, lui et sa femme Rose louèrent le manoir de Tôt à Offranville, en Seine-Maritime, où ils aimaient à poursuivre à la campagne leurs relations urbaines avec les personnes les plus en vue du monde littéraire, artistique et politique d’alors. Les frères Goncourt, qui n’avaient pas la plume tendre, s’amusaient à dire que Jacques Blanche était susceptible et cancanier. Il n’y a qu’à lire « La Recherche du Temps Perdu » pour savoir que les propos aigres-doux étaient en vogue et animaient bien des conversations. La Normandie sera donc pour Jacques-Emile Blanche un lieu d’ancrage privilégié et est-ce ses liens particuliers avec le monde artistique et culturel qui offrent aujourd'hui à notre regard un ensemble de portraits qui nous assure que le temps … peut être retrouvé.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Quelques-unes des toiles de l'artiste.
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28 janvier 2022 5 28 /01 /janvier /2022 08:37
Luc Ferry en quête d'un nouvel humanisme


Luc Ferry, ex-ministre de l'éducation nationale, professeur, auteur d'une abondante bibliographie cherche à ré-introduire la philosophie dans les affaires de la cité et la conduite des coeurs. Rien que cela !  A ses yeux la philosophie doit redevenir ce qu'elle était à Athènes, il y a deux mille cinq cents ans : un art de vivre et de mourir. Autrement dit une école de sagesse. Pour ce faire, rien n'est plus fécond que de se plonger dans les grands mythes qui sont à la source du " miracle grec ".

 

Au commencement était les mythes - nous dit-il. Ce sont des histoires littéraires, bien sûr, mais qui tentent toutes de répondre à une question philosophique fondamentale, celle de savoir ce qu'est " une vie bonne" pour les mortels. La mythologie grecque va ainsi préformer l'interrogation philosophique la plus fondamentale, celle qui va de Parménide aux stoïciens, en passant par Platon et Aristote. L'expression " vie bonne" renvoie à une interrogation qui n'est pas seulement morale, mais qui touche à la question du sens. Il ne s'agit pas tant de respect de l'autre que de chercher le sens de la vie pour des êtres qui vont mourir et qui ont peur de la mort. L'idée qui va dominer la mythologie et que la philosophie va reprendre quasi intégralement, c'est celle qui vient de la Théogonie d'Hésiode. Hésiode raconte la naissance des dieux, puis la guerre que deux générations de dieux vont se livrer. La première, composée par les Titans, dieux violents et guerriers, la seconde qui réunit les Olympiens, fils des Titans, conduite par Zeus. Les Olympiens vont faire la guerre aux Titans pour établir un partage juste et paisible du monde. A Gaïa reviendra la terre, à Ouranos le ciel, à Poséidon la mer etc. Ce qui va naître alors dans l'espace intellectuel, culturel, moral et même métaphysique grec est l'idée de cosmos, c'est-à-dire l'idée que l'univers tout entier n'est plus un chaos, mais qu'il est au contraire harmonieux, juste, beau et bon. C'est cette idée de cosmos qui permet de répondre à l'interrogation sur " la vie bonne". Le sens de la vie doit se définir comme la mise en harmonie de soi. C'est le sens de la quête d'Ulysse. Que fait-il, sinon chercher à regagner sa place dans l'ordre cosmique. Il a été déplacé par la guerre de Troie, il va mettre vingt ans à retourner chez lui, dans son lieu d'origine, Ithaque, afin de se réajuster à l'ordre du monde, tout simplement. Car, au fond, que disent les stoïciens ? Qu'une vie réussie, c'est une vie en harmonie avec l'ordre cosmique. D'où les trois pans de leur philosophie. D'abord, la théorie, qui est la contemplation du monde pour déterminer où se trouve notre place. Ensuite, la morale, qui est l'ajustement à cet ordre du monde. Enfin, la question du salut : qu'est-ce qui nous sauve de la mort ? Ce message formulé rationnellement par les stoïciens, c'est celui que l'on retrouve avec des accents encore cultuels et religieux, dans les grands mythes fondateurs grecs que sont l'Odyssée et la Théogonie.

 


Lorsque Zeus gagne la guerre contre les Titans, il fait apparaître que le monde est un ordre cosmique harmonieux, juste et beau. Ce monde est divin, en ce sens que nous, les humains, ne l'avons pas créé nous-mêmes. Mais ce divin-là n'est pas incarné dans une personne comme dans le Christianisme ; il est la structure anonyme et aveugle du monde. La première rupture, que le Christianisme instaure par rapport au divin grec, réside dans l'incarnation. Cette rupture va tout changer, et la problématique de la morale et la problématique du salut, puisque ce divin, incarné dans la personne du Christ, ne sera plus appréhendé par la raison, d'où la mort de la philosophie, si l'on peut dire, mais par la foi, fides, la confiance. L'autre rupture est l'idée moderne d'égalité que pose le Christianisme. Et aussi d'humanité. On va inventer en même temps l'idée moderne d'humanité et la valorisation du travail. C'est la parabole des talents qui raconte l'histoire d'un maître qui part en voyage et confie des sommes d'argent à ses trois serviteurs. Losqu'il revient il demande des comptes. Que signifie cette parabole ? Simplement une rupture radicale avec le monde aristocratique pour lequel ce qui fait la dignité d'un être, c'est ce qu'il a reçu au départ, à savoir les talents ou les dons naturels. L'aristocrate est bien né, ou bien doué. Il y a une hiérarchie naturelle des êtres. Ce que la parabole des talents introduit est l'idée que ce qui fonde la dignité est non ce que l'on a reçu mais ce que l'on a fait. La liberté plutôt que la nature. Du coup, on invente à la fois l'idée d'humanité, l'idée d'égale dignité des êtres et la valorisation du travail.
 


Une nouvelle étape est franchie. Mais celle qui est la plus importante selon moi - poursuit Luc Ferry - après la réconciliation des grecs et des chrétiens, c'est la révolution qui a eu lieu au XIIe siècle où se pose l'idée qu'il faut désormais explorer la nature par la raison. Pourquoi : parce que la splendeur de la nature en tant que création divine doit porter les traces de la divinité du créateur. Elle ne peut pas être l'effet du hasard. Il n'y a plus alors de raison pour que raison et foi se contredisent. On trouve déjà là le thème qui sera cher à Pasteur qu'un peu de science éloigne de Dieu, mais que beaucoup nous y ramène. Ce qui sera repris dans l'avant-dernière encyclique de Jean-Paul II - Fides et ratio - foi et raison. D'une certaine façon, il est visible que la modernité n'est jamais parvenue à saper le christianisme. Il y a aujourd'hui dans le monde à peu près 2 milliards de chrétiens. S'il y a une déchristianisation en Europe, elle est néanmoins à relativiser. Car si la quantité a diminué, la qualité a augmenté. Il y a aujourd'hui plus de chrétiens de conviction que d'habitude. Mais ce qui se passe, tout particulièrement avec la révolution scientifique des XVIIe et XVIIIe siècles, c'est que les dogmes chrétiens, notamment les arguments d'autorité, vont être plongés dans un acide, celui des Lumières et de l'esprit critique auxquels ils ne résisteront pas : du moins pas entièrement. Cela se fera en deux temps : d'abord de Descartes à Hegel et avec les Lumières, qui sont pour une bonne part, une sécularisation de la religion chrétienne ; puis avec la philosophie contemporaine, de Schopenhauer jusqu'à Heidegger, qui coïncide avec une sécularisation de cette première sécularisation. On peut le voir chez Nietzsche dans ce qu'il appelle la critique du nihilisme.



Mais une fois que l'on a tout déconstruit, que reste-t-il ? Eh bien ce qui va apparaître n'est rien de moins que la sacralisation de l'humain, qui n'est pas pour autant idolâtrie, mais la conviction que les seules raisons qui méritent que l'on risque sa vie ne sont plus Dieu, la Patrie ou la Révolution, mais bien les êtres humains eux-mêmes. Le sacré s'incarne dorénavant dans les proches, et aussi le prochain qui est le contraire du proche, celui qu'on ne connaît pas, comme en témoigne l'humanitaire. Nous assistons à l'émergence d'un sacré à visage humain qui requiert une spiritualité d'un autre type. Lequel ?
La philosophie, disait Hegel, c'est notre temps saisi par la pensée. Notre époque appelle un humanisme d'un genre nouveau. Non plus l'humanisme des Lumières, de Voltaire et de Kant, qui était un humanisme de la raison et des droits, mais un humanisme du coeur et de la transcendance de l'autre. Bref, de l'amour. Nous vivons un tout nouvel âge de l'humanisme. C'est une révolution comme il en arrive peu, peut-être une fois tous les mille ans.

 

 

Voici la thèse que soutient avec talent un philosophe que je respecte infiniment, mais qui me paraît être trop optimiste, hélas ! Car notre époque ne dessine pas le visage de cet humanisme du coeur et de la transcendance, à l'heure où rarement la violence n'a été aussi présente, ni l'égoïsme si  habituel, ni le goût du profit si prononcé. Et l'on sait d'autre part que l'humanitaire, sous des dehors très estimables, n'est pas toujours dénué d'intérêts moins avouables et que le droit d'ingérence conduit le plus souvent à la catastrophe. Finalement, à écouter ce très sympathique philosophe, nous ne ferions rien d'autre que de revenir au vieux précepte chrétien : aimez-vous les uns, les autres. Mais cela fait vingt siècles que l'on s'y emploie sans grand résultat.

 

 

  

De Luc FERRY à  lire : 

 

La sagesse des mythes  chez  Plon
La tentation du christianisme  ( avec Lucien Jerphagnon ) chez Grasset
Quel avenir pour le christianisme ( avec Philippe Barbarin ) chez Salvator

Combattre l'illetrisme ( 2009 ) chez Odile Jacob

La révolution de l'amour. Pour une spiritualité laïque ( 2010 ) chez Plon

 

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8 décembre 2021 3 08 /12 /décembre /2021 09:33
Pompéi ou l'apocalypse selon Pline le jeune

Quel est l'événement qui inspira à l'apôtre Jean la description si précise de l'Apocalypse ? La question s'est posée et il n'est peut-être pas irréaliste d'établir un rapprochement entre le récit des Evangiles et le désastre survenu dans le sud de la péninsule italienne peu de temps auparavant...

 

Voici le Vésuve, autrefois verdoyant de vignes ;
Ici, le raisin doré a coulé dans les barils.
Voici la montagne que Bacchus aima plus que les collines
de Nisa, sa patrie ;
Sur cette montagne, aujourd'hui, les Satyres dansent.
Elle fut la maison de Vénus préférée à Sparte,
Ce lieu était illustre parce qu'il portait le nom d'Hercule.
Tout gît, enseveli sous les flammes et le terrible incendie !
Les dieux eux-mêmes n'auraient pas voulu que ceci leur soit attribué !

 

Ainsi parle le poète Martial dans un épigramme célèbre rédigé en l'an 88 de notre ère, relatant la terrible désolation et l'anéantissement de deux cités prospères : Pompéi et Herculanum le 25 août 79, après qu'une pluie de feu et de lave se soit abattue sur elles, sous l'effet d'une éruption d'une telle violence que le conduit volcanique fut déplacé et la morphologie du relief modifié pour acquérir celle qu'on lui connaît aujourd'hui.


Ce 25 août, à l'aube, on dit qu'une lumière sale éclairait la ville de "Misène" où demeuraient Pline l'Ancien et son neveu Pline le Jeune. La terre avait tremblé si fort durant la nuit que personne, dans la belle villa patricienne, n'avait fermé l'oeil. Soudain, la mer s'était retirée loin et des poissons avaient échoué sur les sables. Du côté du volcan, une nuée noire effrayante, puis des traînées de flammes et une épaisse fumée s'étaient mises à dévaler les pentes à la vitesse d'un torrent. Le spectacle était fascinant et l'oncle, saisissant l'importance de l'événement en train de se produire, avait demandé que l'on armât un bateau afin d'observer le phénomène de plus près. Victime de sa curiosité, il mourra asphyxié par les gaz dans les bras des deux esclaves qui l'accompagnaient, alors que son neveu, plus prudent, contemplait le spectacle à 30 km de là, voyant le cône du volcan se soulever et une colonne de cendres et de gaz, comme le tronc d'un arbre immense, s'élever jusqu'à 26 km d'altitude, créant des explosions en rafales et un grondement ininterrompu.

 

C'est l'historien Tacite qui demandera à Pline le Jeune de décrire les jours funestes dont il avait été le témoin, faisant de lui le seul et unique historien officiel de ce qui est considéré aujourd'hui comme l'une des éruptions les plus violentes de l'histoire et, de ce témoignage, le plus ancien document de volcanologie. Et qu'écrit-il en 106 après J.C. dans ses deux lettres adressées à Tacite, alors que l'univers s'assombrissait alentour et qu'il percevait les cris de ceux qui mouraient sous un déluge de pierres incandescentes ?  " Je pourrais me vanter qu'au milieu de si affreux dangers, il ne m'échappa ni une plainte ni une parole qui annonçât de la faiblesse ; mais j'étais soutenu par cette pensée déplorable et consolante à la fois que tout l'univers périssait avec moi. "
Lorsque la lumière reparut trois jours plus tard, le jeune homme découvrit un paysage inconnu, comme si tout ce qui l'environnait avait été recouvert d'un immense suaire gris et qu'il ne restait plus du volcan, jadis haut de près de 2000 mètres, que le rebord. Celui-ci sera rehaussé de 90 m lors de l'éruption de 1944 et s'élève aujourd'hui à une altitude de 1276 mètres.


Pendant dix-sept siècles Herculanum et Pompéi et leurs populations vont reposer sous cette couche de cendres, comme pétrifiées, figées à un moment précis de leurs activités et de leurs vies, n'existant plus que dans les souvenirs relatés par l'historien latin. Des fouilles seront entreprises de façon désordonnée dans un premier temps ; puis, à la vue de l'importance des découvertes, se mettra en place une organisation plus contrôlée qui permit à notre monde moderne de voir ré-apparaître, devant ses yeux subjugués, cette grande cité de Pompéi qui s'étendait sur 3 km environ, prospère, dynamique, riche de grandioses édifices publics, de temples, d'un théâtre et d'un amphithéâtre, d'avenues, de maisons particulières, d'échoppes et de boutiques, après qu'elle ait dormi intacte, à l'écart du monde vivant, sous ses sept mètres de cendres.


Cette apocalypse qui, en quelques heures, avait rayé de la carte deux villes splendides, les enterrant vives sous le feu de ses nuées ardentes, a-t-elle influencé Jean l'évangéliste, lorsqu'en 95, à Patmos, soit seize ans après l'événement, il écrivait : " Il se fit un grand tremblement de terre et le soleil devint noir comme un sac de crin, et la lune devint comme du sang. Et les étoiles du ciel tombèrent sur la terre, comme un figuier, agité par un grand vent, jette ses figues vertes. Et le ciel se retira comme un livre qu'on roule ; et toutes les montagnes et les îles furent ôtées de leur place. "


Si rien ne permet d'affirmer quoi que ce soit, on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement entre le texte de l'historien et celui de l'apôtre. Alors même qu'une autre hypothèse nous vient à l'esprit : cette éruption volcanique, par son ampleur et ses conséquences, ne nous rappelle-t-elle pas ce que furent, plus proches de nous, les fins atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki ? Et l'apocalypse, qui hante toujours l'imaginaire de l'homme, si elle se produisait, ne risquerait-elle pas de ressembler à cette pluie de feu et de cendres dépeinte par le témoin ?  " Déjà sur ses vaisseaux volait une cendre plus épaisse et plus chaude, à mesure qu'ils approchaient ; déjà tombaient autour d'eux des éclats de rochers, des pierres noires, brûlées et calcinées par le feu ; déjà la mer, abaissée tout à coup, n'avait plus de profondeur." (  La mort de Pline l'Ancien racontée par Pline le Jeune )

 

Car si les séismes causés par la nature peuvent être terribles, ceux, dont l'homme menace l'homme, pourraient se révéler plus effroyables encore... Pensons aux armes chimiques, par exemple.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Pompéi ou l'apocalypse selon Pline le jeune
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13 juillet 2021 2 13 /07 /juillet /2021 09:54
Haïti, un destin singulier

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Une fois encore frappée par le destin, cette île mérite notre compassion et notre sollicitude.      

à Albert et Mireille Chancy

 

Les amoureux, dont je suis, nomment cette perle noire "Magic Haïti " non en raison de son apparence extérieure, car on pourrait tomber naïvement dans la nébuleuse de l'ensorcellement vaudou, mais simplement parce qu'il se  dégage d'elle un charme envoûtant, une fraîcheur à laquelle nous ne sommes plus habitués. Haïti, tout en appartenant à ce patchwork de couleurs et de parfums exotiques, ne ressemble à aucune autre de ses voisines, ce chapelet d'îles qui forme un arc de plus de 1400 km, appelé l'arc caraïbe. Et lorsque l'on y accoste ou que l'on y atterrit, on est très vite conquis par sa population souriante, où le brassage des sangs témoigne d'un passé nourri par des aventures multiples qui ont imprimé à ce petit territoire un destin particulier et tragique, marqué au fer rouge par les vicissitudes de l'esclavage et les conquêtes subies, mais également par de fabuleuses épopées humaines. Il faut évidemment remonter aux premières heures de sa découverte pour en comprendre la complexité ethnique, car Haïti n'est pas seulement l'Afrique aux Antilles, elle est née d'un mélange plus subtil. Les premiers témoins  nous la décrivent comme un écrin de beauté, un paradis terrestre où la mer venait déposer ses poissons, où l'arbre laissait tomber ses fruits, le soleil ses rayons. Ces premiers témoins, des marins qui naviguaient à bord de trois caravelles, jetèrent l'ancre un soir dans la baie de Saint-Nicolas. Le lendemain matin, on imagine sans peine la lumière d'or qui inondait la baie et la nature qui s'éveillait dans une lente douceur. Le destin d'Haïti frappait soudain à la porte des peuplades Arawaks qui n'en croyaient pas leurs yeux, interloquées par ces extra-terrestres blancs qui semblaient débarquer d'une autre planète et leur rendaient une visite qu'ils imaginaient courtoise, amène et bienveillante. Les indiens Taïnos ayant eux-mêmes enterrés la hache de guerre avec leurs voisins des tribus ciguayiennes qui occupaient les régions montagneuses et les forêts profondes, ne manifestèrent aucune réticence à accueillir ces visiteurs qui ne devaient qu'à une erreur de navigation (l'astrolabe n'ayant pas la précision qu'aura plus tard le sextant) d'avoir accosté ici. Christophe Colomb et ses hommes venaient de poser le pied sur une plage immaculée bordée de cocotiers et découvraient avec émerveillement la beauté sauvage de cette nature enserrée dans un écrin de verdure avec ses montagnes bleutées et ses hauts plateaux ceints par une mer émeraude. Colomb, en cet instant, ne pouvait certes pas imaginer combien cette merveille allait susciter d'appétits voraces, d'esprit de conquête et d'appropriation sanguinaire. Lorsqu'il réembarqua pour l'Espagne, afin de rendre compte à ses souverains de sa découverte, le 14 janvier 1493, il laissait sur l'île une trentaine d'hommes avec pour consigne de veiller à instaurer une harmonieuse entente avec la population indigène qui n'avait manifesté aucune hostilité à leur encontre. Hélas ! ses ordres ne seront pas respectés et l'irréparable se produira. Cette poignée d'espagnols se livre, dès les caravelles disparues au large, à des razzias, pillages, exactions, au point de soulever une révolte bien compréhensible de la part des îliens qui, sous la direction de leur chef l'intrépide Caonab, vont déterrer la hache de guerre et monter à l'assaut du fort de la Nativité où se sont installés les envahisseurs. Pas un seul ne survivra, pas une pierre du fortin ne subsistera.


Pendant ce temps, Christophe Colomb est nommé vice-roi des Indes et amiral par Isabelle la Catholique et chargé d'une nouvelle mission ; aussi ré-appareille-t-il sans plus tarder avec une flotte de dix-sept vaisseaux et 1500 hommes à bord. Les ordres sont clairs : rallier ces terres lointaines à la couronne d'Espagne. Lorsqu'il débarque dans l'île le 27 novembre 1493, Colomb mesure aussitôt l'ampleur du désastre. Tous ses hommes sont morts et, cette fois, il n'est plus question de gagner la sympathie des autochtones. C'est un combat sans merci qui est livré pour la conquête totale du territoire. Caonabo est fait prisonnier, ses guerriers capitulent devant les armes à feu et bientôt le drapeau du Royaume d'Espagne flotte au gré du souffle tiède des alizés. Lorsque treize ans plus tard, un traité de paix est enfin signé avec le dernier cacique indien d'Haïti, la population d'un million d'âmes, qui vivait paisiblement dans cette île, ne compte plus que six-cents survivants que l'on regroupe à Boya, près de Santo-Domingo, désastreux bilan qui voulût que le combat cessât faute de combattants et que la conscience humaine s'infligeât une blessure ineffaçable. Mais comment allait-on faire désormais, sans main- d'oeuvre et sans bras, pour exploiter les richesses de l'île ? C'est alors qu'un moine dominicain émet l'idée, qui n'est pas dénuée de bon sens, de faire venir d'Afrique des travailleurs noirs qui ont l'habitude des climats tropicaux, loin de subodorer les conséquences honteuses qui en découleront. C'est ainsi que le Père Bartholomée de Las Casas devient, tout à la fois, le père des Indiens et le premier négrier d'Occident. Une population nouvelle s'apprête à en remplacer une autre. En ce début de XVIe siècle, l'expansion coloniale liée aux progrès scientifiques récents ouvrent des voies maritimes, développent des comptoirs commerciaux, si bien que les grandes puissances se trouvent en concurrence les unes avec les autres pour la maîtrise des mers. L'Espagne et le Portugal avaient ouvert les routes océanes, s'y engouffrent dorénavant l'Angleterre, la France, la Hollande et la Scandinavie. Le monde occidental, en pleine effervescence, va bousculer l'histoire, tant les appétits s'aiguisent à l'idée des fabuleux trésors que recèlent ces pays inconnus. Ainsi les Etats s'organisent-ils pour armer les navires qui assurent le commerce dit triangulaire entre l'Afrique, les Caraïbes et l'Europe. L'Espagne, ayant finalement porté son dévolu sur l'Amérique centrale et du sud, les Français trouvent champ libre aux Antilles et, bientôt, des corsaires, des flibustiers investissent les mers pour leur compte personnel, attaquant les navires marchands et faisant de l'île de la Tortue, toute proche d'Haïti, leur centre de ralliement. Pendant ce temps, la traite des noirs s'organise. Le commerce des esclaves est devenu libre et déverse chaque année sur les quais de St Domingue trente mille africains, soudanais, guinéens, bantous. Il semble que le monde civilisé, prenant sans doute pour référence et excuse que les grandes civilisations - égyptienne, grecque, romaine - l'avaient pratiquée avant eux sans vergogne, s'accommode avec une parfaite indifférence de ce monstrueux système. En 1665, la colonie française s'implante officiellement en Haïti et Bertrand d'Ogeron devient le premier gouverneur d'une terre où affluent bretons, normands, gascons, basques, attirés par sa prospérité. Esclaves affranchis et blancs vont peu à peu mêler leur sang, leur savoir, leur courage et développer les cultures de cacao, de canne à sucre et de café. Tout pousse sur ce sol riche et le commerce ne cesse de s'intensifier. Le port du Cap Haïtien s'encombre de magnifiques vaisseaux assurant le transport des marchandises entre l'île et la France. Grâce à ces efforts, Haïti couvre à elle seule les 3/4 de la production mondiale de sucre et le lancement du café devient un support économique non négligeable. La richesse est telle que Cap Haïtien devient le petit Paris des Caraïbes. La ville voit s'élever de magnifiques demeures, se dessiner des avenues et des jardins et la vie s'y révèle agréable et brillante. Comme il n'existe pas de préjugés sexuels entre français et africains, dont un grand nombre ont été affranchis, les unions légitimes et illégitimes se multiplient et apparaît une infinie variété de nuances et de demi-teintes, au point qu'Haïti offre, au regard de l'étranger d'alors, le plus extravagant spectre de coloris humains (seule l'île Maurice présente aujourd'hui encore un semblable bouquet). En 1697, par le traité de Ryswick, l'Espagne reconnaît officiellement à la France la partie occidentale de St Domingue, ainsi que l'île de la Tortue, terre flibuste où il était préférable de ne pas accoster. Mais voilà qu'en 1791, Bouckman, un noir au verbe magnétique, prêche la révolte sainte! Cette subversion courageuse ne débouchera sur rien de concret, car elle sera réprimée vigoureusement et Bouckman et ses lieutenants trouveront la mort dans une embuscade. N'empêche, les noirs viennent de prendre conscience de leur pouvoir.  

 

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La citadelle Laferrière

 

 

LES HEROS DE L'INDEPENDANCE

 

Evénement d'importance, le 8 mai 1790, l'Assemblée nationale constituante vote une résolution qui reconnaît aux affranchis le droit d'être nommés à n'importe quelle fonction dans l'administration de Saint-Domingue, à condition qu'ils possèdent les capacités requises. Cet acquis, non négligeable, allait être néanmoins assombri par les conséquences que ne pouvaient manquer d'avoir la phrase imprudente que prononcera dans le même temps Robespierre, inspiré par son fanatisme révolutionnaire : que périssent les colonies ! Ce souhait n'allait pas tarder à produire des effets désastreux, non seulement sur l'économie elle-même, mais plus spécialement sur Haïti, qui se voit frappée de plein fouet par la progressive diminution des échanges commerciaux avec la métropole. 1793 se révèle être une année de confusion. La France est en proie à la Terreur, l'échafaud répand des torrents de sang, les guerres s'entrecroisent et l'Espagne, maîtresse de la partie orientale de l'île, profite des circonstances pour attaquer les positions françaises, si bien que tout le monde se bat contre tout le monde. Les blancs ont repris l'offensive : attaque surprise du quartier général des affranchis, massacre simultané dans les villes. Mais les troupes mulâtres savent se battre, bien qu'elles ne soient pas toujours conscientes de leur force et de leurs objectifs. Dans la plus riche des colonies françaises, parvenue, semblait-il, à un certain équilibre et à une indéniable prospérité, ce ne sont désormais que crépitements d'incendie et fusillades. L'Angleterre, trouvant l'occasion belle d'intervenir pour affaiblir les positions de la France et de sa puissance maritime, entre en scène. Sonthonax, un révolutionnaire blanc, appelle les noirs à la rébellion et lève une armée de six mille hommes qui prend la ville du Cap Haïtien. Son nom est bientôt sur toutes les lèvres avant que la population, exaspérée par  ses positions  outrancières et ses propos, ne le reconduise dans ses foyers. D'autant qu'une autre étoile monte au firmament de la renommée.  Elle y brillera longtemps d'un incontestable éclat, marquant à jamais la mémoire des Haïtiens. C'est Toussaint Louverture, un enfant du pays, petit-fils de Gaou-Guinou, roi africain des Aradas, descendant d'un haut lignage, qui a supporté  quarante années d'esclavage. Il n'en est pas moins un homme instruit. Mais s'il inspire respect et estime, comment reconnaître en cet être chétif, renfermé, silencieux, maigre et prématurément vieilli, un lutteur, un irréductible, le chef qui tiendra tête à un empereur ?  Lent à se décider, il est prompt à agir et le prouve, dès 1791, en préparant la grande révolte de ses frères d'esclavage. Dans un premier temps, il passe avec armes et bagages au service de la France et ne tarde pas à reconquérir la plupart des localités du nord tombées entre les mains des Espagnols et des Anglais, si bien que la Convention l'élève au rang de général de brigade et, qu'en 1797, il devient général en chef de l'armée de Saint-Domingue. Ayant subi beaucoup de pertes, les Anglais renoncent à poursuivre la lutte et se retirent. Toussaint est alors au faîte de sa gloire ; tout semble le désigner pour assurer le destin de son île. Mais ce serait  compter sans Bonaparte, Premier consul, qui a une vision des choses différente de celle des pères de la Révolution. Il veut restituer au Consulat ce que la Révolution a perdu : les colonies. La reconquête d'Haïti lui parait primordiale et il entend la mener - comme toutes ses actions - au pas de charge, aussi n'est-il pas bon, en de telles circonstances, d'entraver sa route. C'est pourtant ce que Toussaint a le projet de faire. Il affrontera les armées du Premier consul, droit dans ses bottes. C'est ainsi que le 14 décembre 1801, Napoléon met la dernière main à son plan de bataille et place, sous les ordres de l'amiral Villeret de Joyeuse, une armada de 79 navires avec 22.000 soldats à bord. Leclerc, général en chef, beau-frère du Premier consul, sera du voyage, accompagné de son épouse, la ravissante Pauline Bonaparte. Elle sera la seule note frivole et gracieuse de cette expédition et rapportera de l'île, qui a su l'enchanter, un talisman vaudou chargé de lui conquérir les coeurs, ce qu'elle ne manquera pas de vérifier dès son retour en Europe. Quant à Toussaint et à ses lieutenants Dessalines et Christophe, ils vont faire le nécessaire pour s'opposer au débarquement de l'armada en occupant les ports. La flotte française se voit ainsi dans l'obligation de se détourner jusqu'à Port-Margot et ce n'est que dans la nuit du 5 février que Leclerc et son avant-garde se présentent enfin aux portes de la ville du Cap, mise à feu par Christophe, dans le but de retarder leur avancée. N'importe, le nombre est du côté des français et, malgré le courage des marrons, Toussaint se voit tenu à présenter sa soumission au général Leclerc qui la reçoit avec force honneur. Peu de temps après, il est arrêté, embarqué sur Le héros et emprisonné au fort de Joux dans les montagnes jurassiennes. Il y meurt misérablement le 7 avril 1803, sans avoir eu la possibilité de plaider sa cause auprès de Bonaparte. Victor Hugo, le représentant en Vercingétorix noir, écrira : " En me renversant, on n'a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l'arbre de la liberté des Noirs. Il repoussera par les racines, car elles sont nombreuses et profondes".


Cette belle figure rebelle disparue, d'autres vont assurer la relève : Pétion et Dessalines continuent le combat au point que l'armée française, à la suite de ces affrontements, passe de 22.000 hommes à 4000 et, après la décisive bataille de Vertières, mettant aux prises Dessalines et Rochambeau, réembarque depuis le Môle de Saint- Nicolas, le lieu où, trois- cent-onze ans plus tôt, Christophe Colomb avait posé le pied. En 1790, la République avait proclamé la libération des esclaves, mais le 1er janvier 1804, réunis sur la grande place de Gonaïves, ce sont les chefs de l'armée marron victorieuse, Dessalines en tête, qui proclament solennellement l'INDEPENDANCE. Saint-Domingue redevient Haïti le 18 mai et Dessalines se fait nommer empereur des Haïtiens sous le nom de Jacques Ier. Grisé par sa réussite, il ne tarde pas à verser dans la mégalomanie et le despotisme. Il encourage le massacre des Français restés dans l'île et, se voulant le défenseur des masses, réprime dans le sang une révolte de son propre peuple. Il sera tué dans une embuscade, inaugurant la longue liste des tyrans qui prendront successivement le pouvoir pour le plus grand malheur des Haïtiens. Pour le moment, c'est son second, Christophe, qui lui succède. Caractère puissant, ce lieutenant de Toussaint subordonne son intérêt personnel à l'amour de l'indépendance. Illettré, il fait en sorte de s'instruire, d'acquérir des manières civiles, de s'exprimer avec profondeur et courtoisie. Obstiné et réaliste, brave jusqu'à la témérité, ce personnage complexe aura toujours le respect de la parole donnée, mais mêlera d'orgueil et de susceptibilité sa loyauté et sa franchise. Tel est l'homme qui reprend le flambeau après la mort de Dessalines, sans savoir que, pour parer aux inconvénients suscités par le caractère de Jacques Ier, empereur brutal, l'Assemblée a pris soin de limiter ses pouvoirs. Humilié Christophe tente de les reconquérir par la force, mais se heurte au général Pétion, tant et si bien que l'Assemblée, préférant la sagesse de Pétion, le nomme président de la République, ce qui aura pour conséquence la division du pays pour plus de treize ans : Christophe gardant le contrôle des régions du nord, Pétion celles de l'ouest et du sud. Le mérite de Christophe est d'appliquer une administration souple, d'encourager l'industrie et d'inaugurer un sérieux code rural ; celui de Pétion de jeter les bases d'une administration qui perdurera jusqu'à l'occupation américaine de 1915. Alors que l'un, Christophe, fait construire l'orgueilleuse citadelle Laferrière, symbole de la résistance, Pétion a le souci de développer l'instruction pour arracher son peuple à l'ignorance. Mais ce dernier se heurte à de puissantes forces d'opposition qui minent ses actions et ont raison de sa santé. La maladie l'emporte le 29 mai 1819.


Quant à Christophe, il finit par susciter l'hostilité de son entourage par ses violences et une sorte de guérilla reprend. La fin de ce Pierre le Grand des tropiques mérite d'être contée : ayant appris la défaite de son armée face à ses grands barons (rien de nouveau sous le soleil !), il se tire une balle en or dans le coeur dans son palais Sans-Souci, après avoir embrassé sa femme et ses enfants et renvoyé ses domestiques. Aussi est-ce sous la pression militaire que sera élu le second président de la République, le général Jean-Pierre Boyer, hautain, méprisant, mais honnête. Il eut à faire face à une opposition qui ira en se durcissant avec des chances diverses durant les 25 années de son gouvernement. Mais ses sarcasmes finissent par le rendre si impopulaire qu'il est renversé et meurt à Paris en 1850 dans la gêne et l'oubli. C'est sous son mandat que fut reconnue officiellement par Charles X l'indépendance haïtienne. Malgré l'accouchement brutal de 1804, les Haïtiens se sont toujours sentis en osmose avec les Français par les liens mêlés du sang, de l'esprit et des intérêts. Peut-être est-ce notre goût de l'insoumission et de la liberté qui, par-delà l'océan, ne cesse de nous unir ?   

 

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DE L'ERE DUVALIER A NOS JOURS 

                                            

Si les personnages que nous avons rencontrés dans le précédent chapitre sont cocasses, dignes parfois d'une comédie de boulevard et, par ailleurs, émouvants dans leur désir louable de faire de leur île le premier territoire noir indépendant, l'histoire haïtienne, par elle-même, est un drame. Attentats, misère, souffrances, assassinats se succèdent monotones et lugubres. Le thème du général révolutionnaire victorieux devenu chef d'Etat revient comme un leitmotiv ou un fastidieux cliché. Les meurtres, jacqueries qui ensanglantent les avenues du pouvoir sont monnaie courante et rien ne paraît en mesure de contenir de tels débordements. Oui, pendant un demi-siècle, l'histoire de l'île ne sera que bruit et fureur, jusqu'au 28 juillet 1915 où les Etats-Unis, prenant prétexte de l'assassinat du président Vilbrun Guillaume Sam et des désordres qui s'ensuivent, débarquent sur l'île. Mais cette occupation américaine, bien qu'elle donne à l'économie haïtienne un sérieux coup de rigoise ( nerf de boeuf ), va réveiller l'instinct nationaliste de ce jeune état. La présence de ces étrangers divise bientôt le peuple en deux clans : celui des mulâtres soutenu par l'église qui accepte de participer avec eux pour accélérer le développement du pays, comprenant que l'Amérique est un partenaire puissant capable de favoriser son économie et de coopérer à sa stabilité, et celui des cacos, appuyé par les intellectuels haïtiens réunis autour du docteur Price-Mars, qui, soucieux de valoriser la culture africaine, publie des ouvrages en créole, s'oppose sans cesse au clergé - s'inspirant de l'anticléricalisme en vogue en France depuis 1905 - et renoue, de ce fait, avec les vieilles habitudes d'instabilité passionnée. La seconde guerre mondiale va stopper net les ambitions et les velléités de lutte des classes des intellectuels. Après la visite du président Roosevelt, la désoccupation du territoire est décidée, mais le retrait des marines ne met fin qu'à l'occupation militaire, les Etats-Unis contrôlant encore l'économie par l'intermédiaire des grands bourgeois de Port-au-Prince. Le dernier d'entre eux sera Magloire. Il est renversé en 1956, ce qui suscite une nouvelle période de troubles et provoque une dictature militaire de juin à octobre 1957. L'ordre étant rétabli, des élections présidentielles ont lieu et le choix des urnes se porte sur la personne de François Duvalier, un médecin déjà très engagé en politique. La classe dirigeante pense qu'elle pourra aisément le manoeuvrer. Il n'en sera rien, car, peu à peu, le nouveau président remplace les mulâtres par le petit peuple et anéantit la puissance de l'armée, fer de lance de la bourgeoisie haïtienne. Des persécutions de tous sortes ne vont plus cesser de s'abattre sur cette classe sociale, l'incitant à quitter les lieux et à s'installer au Québec et en Floride, où la diaspora haïtienne est, de nos jours, encore importante et active. L'église catholique sera traitée de même façon : Mgr Poirier, archevêque français et breton de Port-au-Prince, est expulsé, tandis que les Jésuites sont priés de quitter le pays minu militari.


Quand le calme revient enfin, Duvalier s'est statufié en un tyran qui craint tant pour sa vie (il a été victime de plusieurs tentatives d'attentat) qu'il n'hésite pas à recourir à la force et se livre à une répression terrifiante, grâce à la formation d'une milice policière, les fameux tonton-macoutes. Le virus de la puissance l'a frappé et, bien qu'il ait été au départ imprégné d'un certain idéal social, il ne va pas moins s'imposer comme un monarque tout puissant, s'inspirant de Mustapha Kémal, seul modèle qu'il s'autorise. Par ses soins, trois mille biographies de l'homme d'état turc seront achetées et distribuées à son entourage. Silencieux, discret, cet homme de taille moyenne, d'une élégance sobre, à l'allure de clergyman, mais ne vivant pas moins dans un palais qui est la réplique ( en plus petit ) de la Maison-Blanche - observe froidement et tranche sans appel. Au début des années 70, François Duvalier, appelé familièrement Papa doc, jouissait d'un bilan exclusivement en sa faveur : il s'était promu président à vie, avait asservi la presse, bâillonné son opposition et commis tant d'exactions, de fusillades, de tortures, que l'on pouvait se demander comment le bon médecin de campagne de jadis, qui avait pris fait et cause pour son peuple, pouvait en être arrivé là. Haïti vivait dans une terreur muette, surveillée en permanence par une milice sur le pied de guerre. Alors qu'en 1957, le programme de gouvernement du nouvel élu promettait un bouleversement radical en faveur des classes moyennes, des masses urbaines et de la paysannerie ; treize années plus tard le projet était resté à l'état de voeu pieux, le peuple ayant été ni plus, ni moins, spolié, persécuté et maintenu dans des conditions d'existence précaires. Le seul élément positif de cette dictature paternaliste, où sévissait la corruption la plus répugnante, était les retrouvailles avec la France. Entre elle et l'île, c'est une vieille histoire d'amour, faite d'estime et d'admiration, que le temps n'a pu affaiblir. La langue française, tout d'abord, que la majorité des haïtiens parlent avec un rien de préciosité, cette langue que les poètes emploient plus volontiers que le créole et qui s'exalte en un français ré-enchanté, comme s'il était revenu à un état d'enfance. Fraîcheur, naïveté, oui, ce peuple, qui a été la proie de tant de violences, les a conservées et n'est-ce pas cette forme d'innocence qui séduit dès l'abord ? La peinture naïve, la poésie naïve; on remonte à nos sources, on retrouve ici quelque chose qui évoque notre passé et rassure notre avenir.


En Haïti, la culture ne s'est pas momifiée, elle ne cesse de s'inventer, et c'est peut-être cela le miracle haïtien. Du moins, ce l'était en cette année 1980 où j'y séjournais à deux reprises avec mon mari. Bébé doc (Jean-Claude Duvalier) avait succédé à son père mort en 1971, premier maillon d'une dynastie que papa doc avait cru bon d'instituer, et venait de se marier à une jeune fille de la haute société de Port-au-Prince. Une période de transition plus clémente semblait s'instaurer, en même temps que le jeune président vivait sa lune de miel. Fragiles moments, certes, où planait la sensation feutrée d'une liberté en sursis. L'île venait de s'ouvrir aux touristes et ils arrivaient en nombre par la voie des airs, s'émerveillant de trouver des paysages que la modernité n'avait pas encore dénaturés. Vues d'avion, les terres ocres et noires d'Haïti ressemblent à des bras amicaux qui enserrent une masse épaisse de verdure comme un bouquet sauvage, cernées par la mer des Caraïbes. Cette mer aigue-marine a sculpté l'île, ciselé ses baies, ses criques. Ici l'homme est partout, mais le plus souvent invisible dans sa case noyée sous les efflorescences, les replis, les vallonnements. Et cela n'est rien en comparaison des plages qui semblent l'archétype du rêve. Frangées de cocotiers, désertes, inexploitées, elles tendent l'arc parfait de leur sable corallien à perte de vue, ce qui avait provoqué, jadis, l'exclamation fameuse de Christophe Colomb, débarquant sur l'une d'elles : es una maravillaAujourd'hui Haïti ne se porte pas mieux qu'hier, hélas ! Agitations, révolutions manquées, cyclones, inondations, déforestation ont eu raison de son moral, de son économie et même de sa beauté. Son visage s'est marqué de cicatrices profondes et la joyeuse anarchie d'antan s'est à nouveau figée dans la douleur. Des amis restés là-bas se battent sans relâche afin de l'arracher à la misère dans laquelle elle ne cesse de retomber, faisant en sorte, de leurs maigres mains, que l'inlassable rêve de ses peintres, de ses musiciens, de ses poètes devienne un jour réalité. La France a un rôle important à jouer pour aider ce petit pays à se relever, en favorisant le tourisme et l'agriculture. Le tourisme avait commencé à s'amorcer avec succès dans les années 80, bénéficiant du décor splendide des plages et de l'incommensurable gentillesse des autochtones. Mais les coups d'état successifs, l'instabilité permanente ont même amené le Club Med. à se retirer de l'île. Aujourd'hui certains de nos concitoyens adoptent des enfants haïtiens avec les meilleurs sentiments du monde, mais est-ce la solution ? La seule ne reste-t-elle pas d'aider sur place la population à exploiter ses ressources - et les ressources humaines ne sont pas des moindres - et principalement à croire à nouveau en son destin. Cher Haïti.

 

Armelle B.H.

 

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Yves et moi avec le chanteur et musicien Albert Chancy.

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Le triste aujourd'hui
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20 avril 2021 2 20 /04 /avril /2021 15:32

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Il possède tous les atouts et les tient fermement dans sa main verte, le printemps. Un poker d'as qui stigmatise ses concurrents : lumières, couleurs, parfums, abondance. Quelles cartes peuvent abattre les autres saisons face à lui ? C'est d'ailleurs d'or qu'il se couronne dès les premières semaines, l'or des jonquilles qui vient parsemer les jardins et les prairies, celui des forsythias qui forme des haies d'honneur au sommet des talus et explose en grappes serrées le long des chemins et des routes, avant que le blanc des cerisiers et des aubépiniers ne devance de peu le tendre rose des pommiers. Quel éclat, quelles fragrances se diffusent alentour, on ne sait plus où tourner le regard tant il est sollicité par les quenouilles des marronniers, les soyeux pétales des camélias qui se déclinent dans une multitude de teintes et forment des corolles en étoiles ourlées délicatement ou par les amphores sublimes des magnolias tulipiers qui offrent au soleil leur transparence nacrée ; oui, le printemps sort chaque année son grand jeu et nous n'y résistons pas.  Et pourquoi y résisterions -nous ?

 

 


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Après la stricte observance de l'hiver qui, revenant aux fondamentaux comme diraient nos journaliste au sujet des lois, c'est-à-dire à la simple ordonnance de l'architecture végétale, certes belle en soi dans son dépouillement, le printemps exulte et se livre aux délices de l'imagination, s'enivre de couleurs, de formes, d'audace, de luxuriance. Rien n'est trop beau, il faut user sans réserve, sans discrétion excessive, des ressources de la nature qui paraissent inépuisables. Il faut également affirmer haut et fort que rien ne meurt, que tout se transforme, que rien ne passe, que tout revient, que le silence, le linceul des neige, les grands vents n'étaient qu'une étape obligée, un accident de la vie et du temps ...  un oubli d'éternité. 

 

 

Désormais, il fait bon flâner, s'attarder sur un banc, contempler les déclinaisons savantes de la lumière qui se prolongent à l'envi, s'épanchent, posent un film délicat de transparence sur les nuages et les frondaisons, goûter aux salades croquantes, bientôt aux premières cerises, cueillir les fleurs sauvages, les boutons d'or, les pâquerettes, les violettes timides, les coucous, surprendre le chant mélodieux des grives musiciennes, des merles et des rouges-gorges, observer la pie en train de fignoler son nid sur la plus haute branche d'une futaie, en un mot comme en dix se laisser gagner par l'allégresse. Quelque chose dans l'air s'est euphorisé, notre quotidien nous semble plus léger à porter, voilà que l'on se plaît à fredonner, que les champs retrouvent leur animation, que les agneaux, les veaux se regroupent sous les ombrages pastoraux, que l'eau a repris un débit primesautier ; oui, que le monde est beau mes amis, que le monde est beau !

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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6 avril 2021 2 06 /04 /avril /2021 08:30
Boudin - la plage de Trouville - 1864

Boudin - la plage de Trouville - 1864

Entre la Normandie et les peintres, c'est une longue histoire d'amour. Depuis la nuit des temps, ils aiment sa campagne qui vient vagabonder jusqu'au bord des eaux, ses ciels mouvants qui, en se reflétant dans la mer, créent avec elle une alliance à nulle autre pareille, ses nuages dans les dégradés de gris où, le soir venu, le soleil allume de somptueux brasiers. D'elle, ils aiment aussi ses chemins creux, ses champs quadrillés de pommiers, ses haies vives, les troupeaux qui paissent paisibles dans leur circonférence d'herbes drues, enfin ses ports qui invitent les esprits aux voyages, les voiles qui se déploient au loin dans le mouvement saccadé d'une houle venue d'ailleurs. 

 

C'est ainsi qu'il y eut une époque où Boudin inventa les scènes de plage et posa son chevalet sur celle de Trouville pour tenter de renflouer ses finances en s'intéressant à la clientèle fortunée qui venait de prendre ses quartiers d'été dans cette petite station balnéaire devenue "la reine des plages". Trouville et Deauville, qui vient de sortir des sables, sont alors desservies par un train qui voit descendre fréquemment sur le quai de sa gare les chapeaux haut-de-forme des messieurs et les robes à crinoline des dames du Second Empire.  Grâce à son pinceau léger et à sa touche subtile, Boudin détaille les tenues des estivants déambulant sur les planches ou assis devant leurs cabines de bains et, en quelques touches, immortalise les scènes de la vie balnéaire avec une grâce qui enthousiasme bientôt les amateurs d'art. Eugène Boudin vient d'inventer un genre nouveau en phase avec la civilisation des loisirs qui ne cessera de perdurer jusqu'à nos jours. 

 

Boudin - scène de plage - 1863

Boudin - scène de plage - 1863

Boudin sera bientôt rejoint par Courbet qui s'enchante de saisir les instants magiques de la lumière et du vent  sur les grandes étendues de plage, où mer et ciel jouent à se refléter l'un l'autre. A la différence de Boudin, Courbet s'applique à peindre des" paysages de mer" qu'il préfère à l'expression trop employée selon lui de "marine", marines qui sont la plupart du temps des scènes dépourvues de vie humaine. Whistler va sans plus tarder gagner Trouville à son tour et s'éblouir de ces horizons en privilégiant l'harmonie des couleurs. Mais, contrairement à Courbet  qui travaille une matière épaisse, il s'attachera à user d'un toucher plus fluide. Il ne craindra pas de reprocher à son maître son "damné réalisme" et à affronter ses critiques, bien que tous deux se rappelleront longtemps les moments exquis qu'ils partagèrent sur le littoral en dégustant des crevettes au beurre frais et en se grisant de rêve et d'espace.

Courbet - la plage à Trouville - 1865

Courbet - la plage à Trouville - 1865

Whistler - Courbet à Trouville - harmonie en bleu et argent - 1865

Whistler - Courbet à Trouville - harmonie en bleu et argent - 1865

 

Lors de l'été 1870, c'est au tour de Monet de quitter Bougival avec épouse et enfant pour le passer à Trouville et proposer, à la suite de Boudin, des images-miroirs à la riche clientèle qui fréquente les lieux et qui, désormais, fixera ses souvenirs estivaux en accrochant les  tableaux aux corniches de ses salons. C'est ainsi qu'il peint l'hôtel des Roches-Noires où Marcel Proust, qui sut admirablement décrire, non au pinceau mais à la plume, la Normandie, séjournera douze années plus tard avec sa mère, ou bien le spectacle d'élégants promeneurs s'attardant sur le sable à Trouville, ou encore Camille  - sa jeune femme - causant avec sa voisine. Et il n'est pas impossible que la femme en noir assise à ses côtés sur cette toile soit Marie-Anne, l'épouse d'Eugène Boudin. Sur les neuf sujets traités cet été là par Claude Monet, citons "L'entrée du port de Trouville" qui sera acheté par le galeriste Paul Durand-Ruel et marquera ainsi le début de sa longue collaboration avec celui qui avec "Impression au soleil levant" fera de la Normandie le berceau de l'impressionnisme. 

 

Claude Monet -Camille sur la plage de Trouville - 1870

Claude Monet -Camille sur la plage de Trouville - 1870

Claude Monet - L'entrée du port de Trouville - 1870

Claude Monet - L'entrée du port de Trouville - 1870

 

C'est aux alentours de 1880 que Caillebotte, grand amateur de nautisme, vient régater à Trouville, s'installant d'abord à la villa des Fleurs, puis à l'hôtel de Paris. Il réalisera une série de vues plongeantes prises depuis la corniche surplombant la mer, représentant les villas et chaumières qui s'étagent au flanc de la colline avec leurs jardins fleuris et leurs vues saisissantes sur les voiles qui s'égaient au large. Longtemps sous-estimé, ce peintre délicat a été redécouvert récemment et doit beaucoup aux collectionneurs américains qui surent apprécier son charme et ses audaces picturales bien avant les Français.

 

Mais pourquoi la Normandie a-t-elle occupé une place aussi éminente dans l'art pictural et l'impressionnisme en particulier ? Je le disais au début de cet article, pour la grâce et la diversité de ses paysages, mais également la richesse de son patrimoine architectural (on se rappelle les études de lumière que Monet a consacrées au porche de la cathédrale de Rouen ), pour la découverte du paysage de plein air que les peintres vont apprécier de plus en plus et, enfin, pour la mode des bains de mer et l'émergence du temps des loisirs que les plages normandes surent instaurer de façon permanente entre vagues et falaises.
 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


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Villa rose à Trouville - 1884

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27 février 2021 6 27 /02 /février /2021 10:12
L'âme désarmée de Allan Bloom

Rééditée aux Belles Lettres, « L’âme désarmée », œuvre majeure de l’intellectuel américain Allan Bloom, mort en 1992, est une réflexion d’une brûlante actualité sur le déclin progressif, et semble-t-il inexorable, de la culture occidentale. Professeur à l’université de Chicago, Allan Bloom a écrit son chef-d’œuvre dans les années 80 après la révolte des campus, la remise en question de l’autorité, l’allègement des programmes scolaires et universitaires et l’introduction de la discrimination positive qui a condamné l’Occident d’aujourd’hui à une décadence dont nous sommes les témoins passifs.


 

Allan Bloom s’inquiétait déjà que l’université – îlot de liberté intellectuelle dans une société gouvernée par l’opinion publique – soit peu à peu conduite à prôner l’égalitarisme plutôt que l’excellence, le relativisme davantage que la quête de la vérité, et l’ouverture aux autres cultures que l’universalisme civilisationnel. D’où l’extraordinaire actualité de cet ouvrage et son prophétisme dans une société malade, dont la ruine intellectuelle  n’a cessé de s’intensifier avec le temps. Remercions les Belles Lettres d’avoir eu la bonne idée de republier ce texte en traduction intégrale et de nous rappeler ainsi les questions qui se posent à notre temps, gagné par un délabrement spirituel gravissime.

« Le tissu délicat de la civilisation, fait de la trame de la chaîne des générations successives, s’est complètement effiloché, et les enfants sont encore élevés, mais ne sont plus éduqués. »


 

Certes, dans l'actualité contemporaine, les auteurs de jadis sont le plus souvent remplacés par Playboy ou des revues pseudo-scientifiques qui promulguent, à longueur de pages, l’intelligence artificielle et l'homme augmenté, cet homme nouveau dont on parle depuis longtemps. Ainsi, ces revues diverses et variées se réjouissent-elles  de  l'avenir enchanteur que cette intelligence offrira aux générations qui vont suivre et aux progrès gigantesques qu'elle leur permettra de réaliser. D’ores et déjà, nous assistons au recul de la culture et à l’abandon de l’Histoire qui est notre lien privilégié avec le passé, à la perte du  goût et de la pratique de la lecture, au mépris affiché à l'encontre de tout ce qui a un rapport avec  la tradition, à la disparition progressive de la musique classique, à la libération sexuelle à tout crin qui s’exerce sans tabous et sans contraintes, époque où la théorie du genre fait en sorte que certains hommes veulent devenir des femmes et vice versa. 

 

Lecteur de Tocqueville, Allan Bloom voit dans la puissance de l’égalitarisme la source évidente de notre déclin et l’apparition d’une société où, désormais, plus personne n’est à sa place, où tous les styles de vie et de créativité se valent et où le nivellement des valeurs engendre une profonde et grave crise de civilisation. L’auteur nous rappelle combien «  la présence active de la tradition dans l’âme de l’homme lui donne une ressource contre l’éphémère » et combien notre mal-être et notre fragilité s’amplifient face aux périls qui nous guettent. Aussi contre le poison du nivellement des valeurs, nous propose-t-il un retour à  la vie de l’esprit, qui est la dignité et la noblesse de l’homme pensant. Un ouvrage à se procurer d'urgence.

 

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Allan Bloom

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13 février 2021 6 13 /02 /février /2021 10:46
Vermeer ou l'énigme intérieure
Vermeer ou l'énigme intérieure

Vermeer est le peintre qui m’a le plus impressionnée dans ma jeunesse, lorsque mes parents m’ont emmenée faire un voyage en Hollande. J’avais quinze ans. Ses couleurs douces, l’intimité de ses compositions m’avaient subjuguée. J’étais d’emblée sous le charme de cette peinture simple et tranquille qui nous propose une suite de scènes de la vie domestique. Le peintre de Delft, ville ravissante penchée au-dessus de ses canaux, ne connut pas après sa mort, survenue le 15 décembre 1675 à l’âge de 43 ans, la renommée dont ont bénéficié la plupart des autres. Il faudra attendre le XIXe siècle pour que Maxime Du Camp et Théophile Gautier le découvrent et le réhabilitent.

 

De sa vie, nous ne connaissons quasiment rien, sinon qu’il s’était converti au catholicisme et qu’il eût quinze enfants de son épouse Catharina Bolnes, probablement la jeune femme qui figure sur la plupart de ses toiles. Quant à ses traits, nous ne les connaissons pas davantage, il ne nous a laissé aucun autoportrait. La seule fois où Vermeer représente un peintre, lui assurément, ce sera de dos, aussi le secret le plus total repose-t-il sur sa personne et sur sa vie. Le mystère l’entoure et ajoute encore à l’aura de magie qui baigne son œuvre.

 

Néanmoins, il a su rendre palpable, à travers elle, l’existence quotidienne de son temps et détailler chacune des anecdotes qu’il a choisies de représenter d’un pinceau minutieux où il n’a omis aucun détail, préférant aux scènes de mythologie ou de religion traitées par de nombreux autres artistes, ces épisodes banals et courants.

 

Pendant longtemps, les toiles de Vermeer furent attribuées à d’autres : ainsi à De Hooch qui savait conférer à ses tableaux des jeux de lumière assez semblables et procurer à ses scènes une même dignité quasi liturgique ; ou bien encore étaient-elles imputées à Ter Borch, ce qui montre à quel point Vermeer était sorti de l’actualité picturale de son époque.

 

Marcel Proust dans sa Recherche rendra un hommage vibrant au peintre de Delft, cet artiste qui s’était représenté de dos le bouleversait, de même que ses sujets lui apparaissaient nimbés et animés d’une grâce envoûtante. Il est vrai que la contemplation de ses œuvres nous plonge aussitôt dans un univers spirituel, un silence profond qui est celui du monde intérieur, une interrogation qui est déjà celle de l’éternité, si présente sous son pinceau dans le quotidien. Par ailleurs, la place réservée aux femmes est immense. Elles sont là, empreintes de dignité, de réserve et de naturel. Dans leur modeste apparence, elles sont les madones de la contemplation, les impératrices du quotidien, toute de simplicité majestueuse au cœur de leur royaume domestique, plongées dans une énigmatique rêverie et isolées dans un halo de lumière, tant il est vrai que le peintre, mieux que personne, a su rendre mystique la lumière du dehors pour la concentrer sur l'intimité du dedans.

 

Nul doute que ces femmes nous saisissent par leur attentive concentration et leurs attitudes journalières, cette réalité somme toute triviale a le pouvoir de nous propulser ailleurs, de nous faire toucher du doigt une dimension spirituelle. Aussi, rien d’étonnant à ce que Marcel Proust ait considéré Vermeer comme le peintre le plus apte à nous émouvoir et à nous toucher. Son monde est proche de celui de l’écrivain qui a passé l’essentiel de son temps à nous immerger dans le royaume intime où toute chose prend valeur d’éternité et où ce qui semble le plus banal est traversé d'un souffle surnaturel.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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15 décembre 2020 2 15 /12 /décembre /2020 14:03
Ma lettre au Père Noël 2020

Voyez-vous en me préparant à écrire ma lettre au Père Noël, je me sens, cette année encore, indécise et perplexe, car je ne parviens pas à me faire à l’idée que la plupart des gens ne croient plus à rien et que mon propre entourage a éclaté de rire lorsque je lui ai avoué que j’allais très prochainement me saisir de ma plus belle plume pour lui adresser un message. Comment, tu crois au Père Noël ? – se sont-ils esclaffés en pouffant dans leurs mains. Eh bien oui, ai-je répondu, je crois au Père Noël, à cette dernière lueur de poésie qui brille encore faiblement sur notre grise planète car je ne puis imaginer un monde sans espérance, sans rêve, qui n’envisagerait pas de farder les jours, voire les nuits, avec les couleurs de l’imagination. Envisagerions-nous un monde sans fée, sans lutin, sans clown, sans prestidigitateur, sans fabulateur, sans conteur, sans tapis volant et sans lui, ce cher Père Noël, pour nous inviter à quitter, ne serait-ce qu’un court moment le quotidien et ses séries noires car, hélas, le mal se porte bien !

 

Je n’ai, pour tenter de convaincre les plus désabusés, les plus désenchantés d’entre nous, que quelques arguments, mais ceux-ci ne manquent pas de pertinence. Réfléchissons à ce que serait une existence sans illusion, une vie sans désir, un monde sans attente. L’attente de quelque chose de doux, de bon, qui nous serait destiné. Un cadeau du ciel, mais oui, un sourire de dame providence. Un futur corrigé d’une plume alerte et opportune.

 

 

Il est vrai aussi que le Père Noël, auquel je m’adresse, n’est pas celui rondouillard et peu loquace reproduit à l’identique et de multiples fois dans les rues et les grandes surfaces de nos villes au moment de l’Avent ; le mien est aujourd’hui encore paisiblement assis sur sa planète avec son char d’étoiles à ses côtés et son hamac couleur d’arc-en-ciel. Il médite en contemplant les aurores boréales, les innombrables couchers et levers de soleil dont s’émerveillait déjà le petit Prince, et surtout il ne cesse de s’étonner de l’agitation qui anime, et trop souvent pour le pire, notre planète Terre. C’est la raison pour laquelle il a choisi la nuit et son calme relatif pour agir à la vitesse de la lumière et déposer ses présents dans les souliers de nos enfants. Et tout particulièrement cette année où il lui faut porter un masque.

 

Si je me permets de lui souffler un conseil, soyez assurés que je le fais avec infiniment de respect et dans le seul souci de relever un défi : en effet, les deux confinements qui viennent de frapper notre pays ont été difficiles à vivre pour les enfants et j’ose supplier le Père Noël de leur offrir ce qui ne peut que les inciter à rêver, à espérer, à envisager la vie sous des cieux plus limpides et que  la littérature, la musique et la poésie font mieux que toute autre discipline. Oui, pourquoi ne pas envisager cela, notre cher Père Noël chargeant sa hotte de millions de livres et de disques, d’albums et de recueils de poésie, de légendes exaltantes et de fables drolatiques, et  glissant délicatement dans les petits souliers, qui attendent au pied du sapin ou de la cheminée, les trésors de l’inspiration, de l'esprit, de l'illumination et de la grâce.  Alors ce Noël sera pleinement euphorisant après tant de journées  moroses.

 

ARMELLE


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Lettre au Père Noël 2016

Lettre au Père Noël 2015

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3 juillet 2020 5 03 /07 /juillet /2020 08:35
La légende du roi Arthur et la forêt de Brocéliande
La légende du roi Arthur et la forêt de Brocéliande

Les romans, relatant l'épopée du roi Arthur et de ses chevaliers, sont à peu de choses près l'équivalent, pour le nord de l'Europe,  de ce que L'Illiade et l'Odyssée est pour la civilisation méditerranéenne, à la différence que ce trésor culturel tomba trop vite dans l'oubli et ne fut pas suffisamment diffusé hors des frontières de l'ancien monde Celte. Ils prennent forme dans la littérature au XIIe siècle et relatent l'histoire d'un chef Celtique qui, au Vème siècle, aurait mené la lutte contre les Saxons. Mais il n'est pas impossible non plus que Guillaume le Conquérant et la fameuse bataille d'Hastings (14 octobre 1066), où le Normand battit les armées de Harold II, n'aient inspiré les auteurs de ce cycle romanesque. Ces oeuvres sont à la fois imprégnées de civilisation médiévale, de féerie et de mythes celtiques. L'idéal profane et courtois de la chevalerie et l'idéal religieux et mystique le plus pur s'y côtoient sans cesse.

 

La cour du roi Arthur, coeur de toutes les actions, d'où partent et où s'achèvent les diverses aventures, apparaît comme le modèle de la société féodale. Il y règne un code de chevalerie rigoureux dont chacun est tenu d'apprendre et de respecter les droits et les devoirs. Il existe même un code délicat d'amour courtois, selon lequel le chevalier doit à sa dame ce que le vassal doit à son suzerain. C'est sur cette riche toile de fond que s'inscrivent les cérémonies, les tournois, les fêtes, les adoubements, les amours des preux chevaliers et de leurs damoiselles, au long de ce qu'il est convenu de nommer le cycle arthurien.

 

Proche de ce monde marqué par la violence des réalités guerrières et l'ardeur des passions humaines, un autre monde surnaturel s'ouvre aux personnages de cette suite de romans : la forêt de Brocéliande, royaume des fées et des magiciens. Les eaux profondes du lac de Diane abritent l'enfance de Lancelot et retentissent de l'écho de fêtes étranges. Les amants de Morgane - la maléfique - s'égarent dans le Val-Sans-Retour. Merlin l'enchanteur abandonne peu à peu ses pouvoirs à la fée Viviane et se laisse enfermer dans une prison d'air auprès de la fontaine de Barenton. Un sanglier imprenable entraîne la chasse royale dans une course éperdue depuis les étangs bleus de Paimpont jusqu'au Golfe du Morbihan.

 

Un autre thème se mêle aux précédents et lui confère une dimension mystique : il s'agit de la quête du Saint-Graal. Le Graal est la coupe précieuse qui servit à la célébration de la Cène et dans laquelle Joseph d'Arimathie recueillit le sang du Christ au soir de la Passion. La recherche du Graal est la plus haute aventure qui puisse s'offrir à la chevalerie du roi Arthur. C'est pour rassembler les chevaliers dignes de s'engager dans cette quête que Merlin instaure la Table Ronde, clair symbole d'égalité entre les Preux, puisque nul n'a préséance.

 

Aujourd'hui encore la forêt de Paimpont (la Brocéliande légendaire) ne compte pas moins de 8000 hectares de landes, taillis,  fougères,  pinèdes, égayés de nombreux étangs fleuris de nénuphars et festonnés de joncs. Le site le plus caractéristique est le Val-Sans-Retour, auquel on accède par des sentiers depuis le village de Tréhorenteuc. Des remparts et une porte fortifiée à demi enfouie sous la végétation sont les anciennes défenses du Château de Comper, hélas profondément remanié au XIXe, mais dont l'étang, qui se love à ses pieds, est selon la tradition celui où la fée Viviane recueillit le jeune Lancelot, fils de roi abandonné par sa mère, et l'éleva secrètement dans un palais de verre jusqu'à l'âge de dix-huit ans. Non loin, Le pont du Secret n'est autre que celui où Lancelot osa avouer son amour à la reine Guenièvre, épouse du roi Arthur. Mais le lieu peut-être le plus mythique est la fontaine de Barenton.

 

Bien qu'elle ne soit plus aujourd'hui qu'une maigre source au fond d'un bassin, on ne peut manquer d'évoquer les rendez-vous galants que la fée Viviane accordait en cet endroit à l'enchanteur Merlin. Ce dernier, dans sa naïveté d'amoureux, lui divulgua un jour ses secrets et se retrouva prisonnier d'un mur d'air qu'il ne put jamais franchir, symbole du génie dominé par la ruse. C'est également en ce lieu qu'apparut un cerf blanc au collier d'or, que se déroula le combat victorieux d'Yvain, un des Chevaliers de la Table Ronde contre le Chevalier noir, gardien de la fontaine et, ici encore, qu'Yvain offrit au roi Arthur et à ses six mille compagnons un repas pantagruélique qui dura trois mois.

 

 

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L'HISTOIRE

 

Au coeur de la forêt de Brocéliande, Merlin l'enchanteur s'éprend de la fée Viviane. En témoignage d'amour, il lui offre une fête magique. Alors qu'en son royaume de Vogres, Arthur procède à l'adoubement de jeunes chevaliers devant la cour rassemblée. Il rappelle à chacun ses devoirs dans l'ordre de la Chevalerie, tandis que Merlin leur prédit les plus hautes et nobles aventures. Fils du roi Bau de Bénoïc, Lancelot, enfant délaissé par sa mère, est élevé par la fée Viviane. Il grandit auprès d'elle au fond des eaux du lac de Diane, dans un palais de verre. Lorsqu'il atteint l'âge de 18 ans vient, pour lui, l'heure d'accomplir sa vie d'homme et de se séparer de celle qui l'a recueilli et protégé.

 

A la cour du roi Arthur, Saraïde, messagère de la fée Viviane, requiert du souverain qu'il arme Lancelot chevalier. Après son adoubement, celui-ci obtient de la reine  Guenièvre de pouvoir la servir. Les premiers élans d'un amour réciproque s'éveillent en eux.

 

Pour les Chevaliers du roi Arthur, le temps est venu de se consacrer à la quête du Saint-Graal. Seul le meilleur Chevalier du monde sera digne de retrouver la coupe qui servit à la Cène et recueillit le sang du Christ. Merlin réunit les Chevaliers autour d'une Table Ronde où nul n'a préséance. Les Preux font serment de vouer leur vie à la victoire du Bien sur le Mal.

 

Près de la fontaine de Barenton, en forêt de Brocéliande, Merlin dévoile à Viviane les secrets de ses pouvoirs. La fée tisse alors autour de lui les murs d'air d'une prison magique qui le retiendra à jamais. Désormais seule sa voix parviendra à la conscience du roi Arthur et de ses Chevaliers pour inspirer leurs actions.

 

Lancés sur les chemins hasardeux de la Quête du Graal, les Chevaliers de la Table Ronde s'égarent à de multiples reprises, victimes d'infortunes diverses en cette recherche spirituelle qui s'avère d'une exigence terrible et met leur courage et leur volonté à rude épreuve. Alors que Lancelot, plus chanceux,  s'illustre par de nombreuses prouesses. Saraïde le prévient contre la tentation d'orgueil et lui rappelle les devoirs qui incombent au meilleur Chevalier du monde.

 

La cour de la reine Guenièvre réunit demoiselles, pages, dames, poètes, musiciens. Tandis que veille Morgane, la soeur du roi Arthur, dont le coeur est envieux et mauvais. Lancelot et Guenièvre se font l'aveu de leur amour, se rejoignent au Pont du Secret et se livrent à leur passion.

 

De nombreux Chevaliers ont déjà péri au cours de la Quête. Perceval, le naïf Gallois, sent naître en lui la vocation de la chevalerie. Mais il subit les quolibets d'une foule bigarrée et joyeuse. Plus tard, adoubé et accueilli dans l'ordre des Chevaliers, il recevra la vision lumineuse du cortège du Saint-Graal.

Lancelot se désespère de sa faiblesse. Il a osé aimer la femme de son roi. Mais la voix de Merlin lui rend l'espoir en l'assurant que son fils Galaad deviendra le maître de la Quête. C'est Lancelot lui-même qui l'armera chevalier. Auréolé de lumière divine, Galaad est bientôt considéré comme le meilleur chevalier du monde et prend sa place autour de la Table Ronde.

 

La passion qui lie Lancelot et Guenièvre les a égarés. En leurs âmes, le doute et l'espoir, le péché et la grâce s'affrontent tels deux chevaliers, l'un vêtu de noir et l'autre de blanc, en un combat incertain entre le mal et le bien. Comme eux les Chevaliers de la Table Ronde livrent souvent de vains combats et se perdent dans la nuit du doute et du découragement. Seuls trois élus, montés à bord d'une nef, vont mener la Quête à son terme : Perceval le vierge, Bohor le chaste et Galaad le pur. De retour à la cour du roi Arthur, Bohor fait le récit de cette ultime aventure : Galaad a été comblé par la révélation du Saint-Graal.


Resté en présence de Guenièvre, Lancelot renonce à son amour pour elle et supplie la reine de s'engager avec lui sur la voie du repentir.

 

La Quête du Graal achevée, que reste-t-il aux Chevaliers de leurs appétits terrestres, si ce n'est de s'épuiser dans la poursuite d'un sanglier imprenable ? Dans son manoir, Morgane dévoile avec perfidie au roi Arthur les images peintes jadis par Lancelot et qui, toutes, retracent ses amours pour Guenièvre. Parce que l'honneur du roi l'exige, le sort de Guenièvre doit se décider au cours d'un tournoi. Un mystérieux Chevalier accepte d'être son champion. Sa victoire sur Gauvain, le champion du roi Arthur, innocente la reine. Mais, lorsque celui-ci relève son heaume, tous le reconnaissent : c'est Lancelot qui disparaît avant que rien ne puisse être tenté contre lui.

 

Une nouvelle épreuve attend le roi Arthur : son fils Mordret a levé une armée de félons contre lui et revendique la couronne du royaume de Logres. Les Chevaliers de la Table Ronde s'engagent à le combattre aux côtés de leur souverain.

 

Au soir de l'ultime bataille, Guenièvre et Arthur se font leurs adieux. L'image de Merlin vient visiter le roi et l'exhorte à renoncer à une guerre sans espoir. Durant le gigantesque affrontement de la bataille de Salesbières, les héros de la chevalerie arthurienne sont décimés et le roi Arthur mortellement blessé. A l'instant de rendre l'âme, il demande à ce que son épée Escalibur, symbole de la justice et de l'unité perdues, soit jetée dans un lac. Seul un héros digne de ressusciter les prodiges de la Chevalerie du roi Arthur sera en mesure de la faire réapparaître.

 

Quant à Lancelot, dépouillé des symboles de la chevalerie, il s'avance solitaire, disant : " Je ne puis conserver en moi que l'ombre des souvenirs de cette terre provisoire ". Ainsi le veut le destin de l'homme, de tout homme sur cette terre, dans l'attente et l'espérance d'un monde meilleur...

 

autres articles concernant le roi Arthur et la légende du Graal :

 

A-t-on retrouvé le tombeau du roi Arthur ? 

 

Le roi Arthur, héros légendaire ou personnage historique ?  

 

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Un blog qui privilégie l'évasion par les mots, d'abord, par l'imaginaire...toujours.

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