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16 avril 2025 3 16 /04 /avril /2025 07:35

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Avec une oeuvre riche d'une trentaine d'ouvrages, de multiples récompenses dont le Nobel 2010 de littérature, une carrière de cinq décades, maints combats politiques et engagements qui vont du tiers-mondiste à l'ultra libéralisme, Mario Vargas Llosa, qui vient de mourir, est un écrivain incontournable de la littérature internationale, traduit dans presque toutes les langues et auteur d'une oeuvre solidement ancrée dans la réalité politique sud-américaine. Cette oeuvre, avait-il avoué devant les jurés de Stockholm - " exalte la résistance de l'individu, de sa révolte à son échec " - et prend sa source au plus intime de son auteur.

 

Né en 1936 dans la ville d'Arequipa au Pérou, l'écrivain avait passé la plus grande partie de son enfance en Bolivie auprès d'un grand-père qui aura la bonne idée de l'initier à la lecture - " ce qui m'est arrivé de plus important dans ma vie" - confiera Llosa, reconnaissant à cet ancêtre éclairé. Mais en 1948, sa mère avec laquelle il vit - son père étant resté au pays auprès d'une autre femme - s'installe à Piura au Pérou et c'est alors que la figure paternelle réapparait et que ce père inscrit son fils, qui lui semble trop confiné dans son imaginaire, au collège militaire de Leoncia-Prado, où l'adolescent va vivre un véritable enfer. Après cette expérience douloureuse, Llosa prend son destin en main et choisit l'université et des études littéraires pour lesquelles il se sent depuis toujours une vocation. Très vite, encouragé par la lecture de Sartre, il rejoint l'organe clandestin du Parti communiste et devient un militant de gauche qui combat la dictature du général Odria, expérience qui nourrira l'un de ses grands romans "Conversation à la cathédrale". Puis, il part pour l'Europe afin de rédiger sa thèse de doctorat, lit Flaubert, Sartre et Camus, ce dernier l'éloignant progressivement du dogmatisme sartrien. C'est à Paris que naît son amitié pour des écrivains comme le Colombien Gabriel Garcia Marquez, l'Argentin Julio Cortazar et le Mexicain Carlos Fuentes.

 

Son premier roman "La ville et les chiens"  sera publié en 1963, vision sombre du Pérou d'alors à travers la description d'un collège militaire où le jeune homme avait passé tant d'heures difficiles. Ce premier ouvrage sera salué d'emblée par la presse qui le considère d'ores et déjà comme un novateur. Cela grâce à une construction rigoureuse et au don de conteur de Mario Vargas qui sait utiliser à bon escient les techniques modernes. A 30 ans à peine, le voilà salué comme le chef de file de la littérature sud-américaine. Fort de cette notoriété naissante,Vargas se retire quelques années dans son pays natal et y rédige "La maison verte" ( 1966 ), récit touffu qui lui vaut néanmoins son premier prix, l'international de littérature Romulo-Gallegos. C'est à l'occasion de son discours de réception qu' il définit sa conception de la littérature : - "La littérature est feu, cela signifie non-conformisme et rébellion ; la raison d'être de l'écrivain est la protestation, la contradiction et la critique." Il ne dira pas davantage, ni mieux, 43 ans plus tard à Stockholm : - " Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du progrès, n'existerait même pas." -

 

Lors d'un voyage à Cuba, l'affaire Padilla, du nom d'un poète cubain emprisonné pour ses écrits subversifs contre le totalitarisme de Castro, lui fait prendre conscience de l'anormalité de la situation et le décide à rompre avec son engagement castriste. A la suite de cet événement, sa conscience politique évolue à la faveur de faits marquants, ainsi le Printemps de Prague ( 1968 ), la lecture de "L'Archipel du goulag" de Soljenitsyne ( 1973 ), les analyses politiques d'un Aron et d'un Revel, ces maîtres en lucidité, et il reconnaîtra bien volontiers ses propres erreurs de jugement en écrivant " que l'intelligentsia occidentale semblait alors, par frivolité ou opportunisme, avoir succombé au charme du socialisme soviétique ou, pis encore, au sabbat sanguinaire de la révolution culturelle chinoise." Aveu courageux que tous les acteurs de cet opportunisme ou cet aveuglement n'ont pas formulé.

 

C'est probablement avec "La guerre de la fin du monde" que Mario Vargas Llosa atteint le sommet de son art romanesque. Pour la première fois, celui qui se définit comme agnostique, aborde un thème religieux et décrit un épisode fascinant que les historiens nomment la guerre des Canudos (1896 -1897), où une poignée de chrétiens défie la République brésilienne et édifie une communauté ascétique, qui n'est pas sans rappeler ce que fut chez nous la guerre de Vendée. De retour au Pérou, l'écrivain quitte l'ambiance feutrée des salons littéraires pour se jeter dans l'arène politique et se confronter aux rudes réalités de son pays alors en pleine déroute économique. Il fonde le mouvement "Liberté" et présentera sa candidature à l'élection présidentielle de 1990. Battu au second tour de scrutin, il s'estime humilié et s'expatrie cette fois définitivement. En 1997, il publie Les Cahiers de Don Rigoterto où il résume sa philosophie au travers de propos tenus par son personnage Ayn Rand : " Tout mouvement qui prétendrait transcender ou reléguer au second plan le combat pour la souveraineté individuelle, en faisant passer d'abord les intérêts de l'élément collectif - classe, race, genre, nation, sexe, ethnie, église, vice ou profession -, ressortirait à mes yeux à une conjuration pour brider encore davantage la liberté humaine déjà bien maltraitée." Profession de foi qu'il reprendra et réaffirmera dans "La fête du bouc" paru en 2000. Ainsi, non content d'être un conteur, un passeur, Mario Vargas Llosa, tout au long d'une oeuvre pleinement engagée, s'est-il voulu porteur de flambeau.

 

L’écrivain péruvien rejoindra Jean d’Ormesson parmi les auteurs pléiadisés de leur vivant. À 80 ans, il ne boudera pas son plaisir : « La Pléiade, c'est le rêve de toute ma vie d'écrivain. Un miracle français qui me permettra désormais d'être lu en tout temps et dans tous les pays. C'est plus important que le Nobel ». Nobélisé en 2010, il boucle la boucle. Les deux volumes, qui furent publiés dans la célèbre collection, regroupent dans une nouvelle traduction quelques-uns de ses meilleurs romans comme "La Ville et les Chiens" (paru en 1963) et "Conversation à La Cathédrale", tous deux classés parmi les 100 meilleurs romans en espagnol du XXe siècle. Mais aussi  "La Fête au Bouc" et "Le Paradis un peu plus loin", qui connurent au tournant des années 2000 d'immenses succès publics en France.

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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10 mars 2025 1 10 /03 /mars /2025 09:05
La promesse de l'aube de Romain Gary

En écrivant « La promesse de l’aube », l’écrivain Romain Gary, deux fois prix Goncourt, offrait à sa mère le plus vibrant des hommages, un portrait bouleversant d’une femme hors du commun qui, dès la naissance de son unique enfant, en fit le centre de son existence, l’objet de toutes ses ambitions soit un univers à lui seul qu’elle contribuait à bâtir afin qu’il devienne l’homme exceptionnel dont elle rêvait, le seul auquel elle dédiait son ambition, son exaltation, sa foi : « Quant à moi, élevé dans ce musée imaginaire de toutes les noblesses et de toutes les vertues, mais n’ayant pas le don extraordinaire de toutes les noblesses et de toutes les vertus, mais n’ayant pas le don extraordinaire de ma mère de ne voir partout que les couleurs de son propre cœur, je passais d’abord mon temps à regarder autour de moi avec stupeur et à me frotter les yeux, et ensuite, l’âge de l’homme venu, à livrer à la réalité un combat homérique et désespéré, pour redresser le monde et le faire coïncider avec le rêve naïf qui habitait celle que j’aimais si tendrement. »

 

Après la Pologne où ils résidèrent quelques années, la mère et le fils étaient venus habiter Nice, dans cette France à laquelle Mina avouait une sorte d’admiration enfantine et touchante, le plus beau pays du monde selon elle, celui qui avait conservé le goût de ses valeurs. A cette époque, Mina confectionnait des chapeaux mais avait le tort de se faire passer pour la succursale de Paul Poiret, le couturier parisien, un rêve de plus qui allait lui coûter sa réputation : « Elle n’eut aucune peine à confondre ses détracteurs, mais la honte, le chagrin, l’indignation, comme toujours chez elle, prirent une forme violemment agressive. »

 

Heureusement, Mina n’est pas femme à se laisser abattre. Elle se relève de cette mésaventure, crée un salon de couture et, bientôt, la riche clientèle niçoise vient s’habiller chez elle. Les fruits de cette soudaine prospérité vont permettre à la mère d’offrir à son fils une gouvernante française, d’élégants costumes de velours, des leçons de maintien. A cette mère, qui rêve pour son fils du plus beau destin, le petit garçon ne parvient jusqu’alors qu’à gagner le championnat de ping-pong de Nice en 1932. Car, désormais, mère et fils vivent dans cette plaisante station en permanence et Romain y poursuit ses études au lycée, tandis que Mina tente de vendre les objets précieux qu’elle a rapportés de Russie et, finalement, elle travaille pour une agence, fait du porte à porte, et tente encore et toujours de gagner sa vie afin que son enfant ne puisse avoir honte de sa condition. Mère Courage s’il en est, elle n’a d’autre souci que celui d’un destin exceptionnel pour ce fils adoré.

« Ma mère venait s’asseoir en face de moi, le visage fatigué, les yeux traqués, me regardait longuement, avec une admiration et une fierté sans limites, puis se levait, prenait ma tête entre ses mains, comme pour mieux voir chaque détail de mon visage, et me disait : «  Tu seras ambassadeur de France, c’est ta mère qui te le dit ».

Son baccalauréat en poche, Romain Kacew s’oriente vers des études de droit et commence à écrire tant sa mère est persuadée qu’il sera un Tolstoï ou un Hugo. Tant qu’à faire, Mina ne lésine jamais sur la qualité et surtout le prestige. «Attaquée par le réel sur tous les fronts, refoulée de toutes parts, me heurtant partout à mes limites, je pris l’habitude de me réfugier dans un monde imaginaire et à y vivre à travers les personnages que j’inventais une vie pleine de sens, de justice et de compassion. »- souligne Romain Kacew.

Tandis que le fils tente déjà de réaliser un chef-d’œuvre, sa mère exerce tous les métiers pour subvenir au quotidien, lit les lignes de la main, change leur appartement en pension animale, assure la gérance d’un immeuble et agit comme une intermédiaire dans des ventes de terrain. Car cette mère ne désespère jamais. Son rêve la tient debout comme la déesse d’un imaginaire qui fait rarement la différence entre est et sera.

En 1933, Romain Kacew s’inscrit à la faculté de droit d’Aix-en-Provence. Ses examens passés, il est incorporé à Salon-de-Provence le 4 novembre 1938 pour y accomplir son service militaire avec l’espoir de sortir dans un rang convenable de sous-officier de l’armée de l’air. Hélas ! il est collé pour le simple motif qu’il est natularisé depuis moins de 10 ans et sort simple caporal.

« J’ai toujours regretté depuis qu’à défaut du général de Gaulle, le commandement de l’armée française ne fut pas confié à ma mère. Je crois que l’état-major de la percée de Sedan eût trouvé là à qui parler. Elle avait au plus haut point le sens de l’offensive, et ce don très rare d’inculquer son énergie et son esprit d’initiative à ceux-là même qui en étaient dépourvus. »

A Bordeaux où il est transféré, Romain Kacev/Gary devient instructeur de navigation sur Potz-540 et nommé sergent. Mais la guerre est déclarée et le succès foudroyant de l’offensive allemande place soudain la France défaite sous la protection du maréchal Pétain et du général Weygand. De Bordeaux, où il se trouve alors, le jeune homme décide de joindre l’Angleterre et le général de Gaulle. Par téléphone, il annonce son départ à sa mère qui, dans un sanglot, s’écrie : « Ce dernier cri, bête du courage humain, le plus élémentaire, le plus naïf, est entré dans mon cœur et y est demeuré à tout jamais, il est mon cœur. »

La guerre va être longue, difficile, des cinquante aviateurs que Kacew fréquentait sur les aéroports, trois seulement assisteront à l’armistice. Heureusement, pour conserver son moral, le jeune aviateur reçoit de sa mère des lettres fréquentes qui le rassurent sur sa santé et sa vitalité, alors que lui-même est atteint, en 1941, d’une maladie compliquée d’hémorragies intestinales dont il guérit par miracle. Se sachant atteinte d’un cancer inguérissable, celle-ci a imaginé de rédiger, à l’intention de son fils, deux cent cinquante missives qui n’ont d’autre but que de soutenir son moral, d’insuffler courage et confiance à son dieu vivant, alors qu’elle est morte depuis trois années déjà. En refermant ce livre de mémoire, on ne peut douter un instant que cet amour fut le feu secret qui ne cessa de nourrir et d’animer le destin flamboyant de l’écrivain Romain Gary et de lui avoir conféré un monde personnel mêlant le drame et l’humour. Il l’avouait en riant : « Je me saoule ni de vin, ni d’alcool, mais davantage d’indignation. »

 

Armelle Barguillet Hauteloire

 

 

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12 décembre 2024 4 12 /12 /décembre /2024 10:00
La plus précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg

Avec " La plus précieuse des marchandises » Jean-Claude Grumberg remet les événements de la guerre de 39/45 en perspective en nous rappelant ce dont les hommes sont capables lorsque sagesse et raison  ne sont plus à l’ordre du jour. Au fond d’une forêt existe un couple, un bucheron et sa femme en mal d’enfant dont la pauvre masure se trouve proche d’une voie de chemin de fer. La femme suppose que le train, qui l’utilise, transporte des marchandises alimentaires. C’est alors qu’un homme, que le train conduit avec les siens, sa femme et ses jumeaux de quelques mois dans un camp de concentration, ouvre une fenêtre et lui lance quelque chose qui n’est autre qu’un bébé, une petite fille enveloppée dans un châle qu’elle va accueillir et adopter, ne parvenant pas elle-même à mettre au monde un bébé. Avec cet ouvrage présenté sous forme de conte, Jean-Claude Grumberg nous plonge dans les tréfonds de l’histoire, celle des camps de concentration, un enfer qui tente d’abolir la race juive et où un père cherche  à sauver l’un de ses jumeaux, sa petite fille que la bucheronne adopte avec bonheur en lui consacrant et son amour et ses forces.

 

« Pauvre bucheronne se débarrasse alors de son maigre fagot d’hiver et, aussi vite que la neige le lui permet, elle se précipite sur le petit paquet pour l’arracher à la neige. Puis, avidement, fébrilement, elle défait les nœuds comme on arrache l’emballage d’un cadeau mystérieux. »

 

Le récit nous est conté d’une écriture sensible, l’auteur ayant fait le choix de traiter le plus grand drame du XXe siècle en mêlant le naturel de gens simples et sans ambition à l’horreur pathétique d’une tranche inhumaine de dirigeants. Quatre-vingt pages qui suffisent à mettre le passé en perspective, à évoquer un couple qui s’affronte à l’horreur avec une parfaite innocence et à nous offrir un écho émouvant d’une page d’histoire que l’on serait tenté d’oublier, en privilégiant le choix d’une voie simple et tellement humaine.

 

« Voilà la seule chose qui mérite d’exister dans les histoires comme dans la vie. L’amour, l’amour offert aux enfants, aux siens comme à ceux des autres. L’amour qui fait que, malgré tout ce qui existe, et tout ce qui n’existe pas, l’amour qui fait que la vie continue. »

 

Un récit court mais captivant et intemporel qui mêle l’horreur à un espoir fragile d’espérance et d’amour.

 

Armelle BARGUILLET  HAUTELOIRE

 

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12 novembre 2024 2 12 /11 /novembre /2024 09:20
WILLIAM FAULKNER OU L'HOMME ENTRAVé

Il y a quelque temps de cela, j’avais consacré une année entière à la littérature américaine et, ce qui m’avait le plus surprise, en découvrant la richesse des œuvres, était que ces auteurs participaient bien peu à ce que l’on a appelé « le rêve américain ». Pour la plupart d’entre eux, nous avions à faire à des écrivains en proie au pessimisme le plus sombre, à une vision de l’Amérique déchirée entre ses diverses populations européennes, africaines et indiennes condamnées à une existence sociale chahutée et à l'ivresse des bas-fonds. L’un de ceux qui m’a le plus marquée est probablement William Faulkner, né dans l’Etat du Mississippi en septembre 1897 et mort dans ce même Etat à Byhalia en juillet 1962, petit homme au physique à la Charlot, issu d’une famille aisée mais dont le père alcoolique a sûrement eu sur ses jeunes années une influence négative.

 

Faulkner a débuté sa carrière par la poésie, considérant qu’un romancier n’est jamais qu’un poète égaré. Lui-même connaîtra plusieurs comas éthyliques. Quant à sa vie publique, il l’illustre dans un premier temps par des petits boulots, sa plume n’étant pas en mesure de le nourrir, alors même que sa vocation d’écrivain est précoce. Il sera aide-comptable dans la banque de son grand-père, gardien de nuit dans une université, enfin postier ; jobs divers dont il sera licencié les uns après les autres, sans doute faute d’enthousiasme à les assumer. Sa première oeuvre publiée sera Monnaie de singe, puis en 1921 il publie Moustiques et part faire un voyage initiatique en Europe, principalement en Italie, en France et en Grande-Bretagne. Est-ce cela qui lui inspire un conte féerique L’arbre aux souhaits dédié à sa future épouse : Estelle Franklin ? En 1929 parait un ouvrage qui aura un plus grand retentissement Le bruit et la fureur puis l’année suivante Tandis que j’agonise et en 1931 Sanctuaire. Après trois romans de cette importance en trois ans, sa renommée commence à se faire dans le monde de l’édition et de la culture, cela grâce à sa capacité à forger des personnages atypiques et à dépeindre le clivage qui existe entre race noire et race blanche. En 1939, il part pour Hollywood écrire des scénarii, lieu où il ne se plaît guère, considérant ce monde de l’apparence totalement factice. En 1933 sort néanmoins un film tiré de Sanctuaire, si bien que Howard Hawks le rappelle à Hollywood et lui offre un contrat de 1000 dollars la semaine. C’est ainsi qu’il rencontre la secrétaire du cinéaste qui deviendra sa maîtresse, amour qui durera une quinzaine d’années, son mariage avec Estelle Franklin ayant été un désastre.

 

En 1949, le prix Nobel de littérature le projette au premier plan de l’actualité littéraire mondiale et, à la suite de cela, la sortie de chacune de ses œuvres sera un événement. Il en sera ainsi en 1953 pour la publication de Requiem pour une nonne adapté au théâtre par Albert Camus. Les Européens n’ont-ils pas reconnu, plus vite que les Américains, son incontestable talent ? Faulkner aime d’ailleurs la France et Gallimard devient son éditeur attitré pour tout ce qui paraît en traduction française. Il sera d’ailleurs décoré de la Légion d’Honneur. Fragile des poumons, il mourra d’un œdème pulmonaire à l’âge de 65 ans. L’ensemble de son œuvre est important, pas moins de 54 romans, de 126 nouvelles et de 6 recueils de poèmes, la plupart d’entre eux déroutants et déconcertants. Ce mythomane a su pointer du doigt presque tous les drames psychologiques d’une humanité sur laquelle il pose un regard pessimiste, fruit d’une observation d’une extrême tension. Comme Balzac, il a promené la plupart de ses personnages dans plusieurs de ses romans, usant ainsi d’une clé de lecture et d’une continuité psychologique, La condition humaine  étant l’une de ses œuvres de référence.

 

En 1929, lorsque paraît Le bruit et la fureur aux Etats-Unis, le fiasco est total auprès d’un public sans doute mal préparé à recevoir un tel ouvrage. Ce, à l’exception d’une poétesse qui rédige un éloge de six pages, ayant deviné la puissance incroyable de ce texte. Peu d’amour, il est vrai, dans cette œuvre mais beaucoup de haine et de violence et souvent une description de personnages handicapés. Le mal de vivre fait ici son entrée en pleine page. Ce roman n'est-il pas né d’une image mentale et le titre emprunté à Shakespeare, soit une histoire vue et racontée par un simple d’esprit, un idiot. Les événements nous parviennent par le biais de monologues intérieurs. La traduction de la plupart des romans de Faulkner sera rendue d’autant plus difficile que l’auteur use d’un vocabulaire d’une incroyable richesse. Par ailleurs, pas de logique affirmée, William s’octroie toutes les libertés d’images et de visions avec une attirance inéluctable pour le néant.

 

Sanctuaire sera son premier succès commercial sans être pour autant un best-seller. Ce livre est inspiré d’un sordide fait divers : un viol. Tragédie grecque et fable vénéneuse où Jane, une collégienne fugueuse, se retrouve dans une ferme, puis se fait agresser avant de finir dans une maison close. Récit plus linéaire chronologiquement, ce qui n’est pas toujours le cas de ses autres romans où le temps ne cesse de se contracter, de se crisper dans un climat obsédant. Temps d’un cauchemar éveillé qui laisse un goût amer et durable dans l’esprit du lecteur. Popeye, être maléfique, gringalet, étriqué, monstre hybride aux frontières de l’artifice et de l’humain. Il y a en lui de l’automate et de l’animal dans son désordre permanent. Dans cet ouvrage, les mâles sont des voyeurs et des violeurs en puissance. Tout se passe dans le regard : on s’espionne, on se dénonce et, au final, tout est faux. Chacun porte un masque et la malédiction apparaît partout, entre autre celle qui a nourri et marqué la guerre de Sécession. Pas de regard moral non plus pour condamner l’un ou l’autre des personnages, le romancier laissant une liberté de jugement total à son lecteur.

 

Faulkner considérait que les Noirs devaient avoir les mêmes droits que les Blancs, à une époque où cela n’était pas encore dans la perspective morale du peuple américain. Mais il n’était pas moins profondément un homme du Sud où l’on pensait que les maîtres étaient blancs et les domestiques noirs. Sa littérature peut se résumer par le grand écart qu’il s’impose entre grandeur et dérision, grand écart qui empêche l’homme de se réaliser pleinement, aussi ses récits ne cessent-ils de prouver que tout accomplissement est un jour ou l’autre empêché, si bien que son œuvre est proche de la psychanalyse puisque l’on y voit l’homme en proie à des aspirations impossibles, entravées en permanence dans leur réalisation.

Faulkner est publié dans la collection de la Pléiade chez Gallimard depuis 1977 ou 4 tomes sont consacrés à son œuvre romanesque.


 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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13 mai 2024 1 13 /05 /mai /2024 08:23

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Ce poète peu connu du grand public fut pourtant l'un des plus délicats et des plus émouvants du XXe siècle. Mort à l'âge de 41 ans en 1975, il a laissé une oeuvre qui semble lever sur les lettres françaises une aube crépusculaire.

 

Roger Kowalski (1934 - 1975) serait-il davantage le poète des aubes que des crépuscules, allez savoir ? Toujours est-il que sa poésie est imprégnée du clair-obscur de ce qui commence ou de ce qui finit. Son nom n'apparait qu'au cours des années 60 dans les pages de La Licorne, puis du numéro 12 du Pont de l'Epée, la revue de Guy Chambelland, réputé talentueux et révélateur du talent des autres. Le poète-éditeur l'avait présenté à ses lecteurs à la façon chaleureuse et bourrue qui lui était habituelle. Néanmoins, lorsque le poète lyonnais mourut en 1975 à l'âge de 41 ans, sa disparition passa inaperçue dans le monde des lettres. Historiquement parlant, son oeuvre n'avait pas eu sa chance. Elle avait traversé les courants sans se laisser happer par eux, belle, fuyante, intemporelle, si pareille à son créateur. Certes, Kowalski n'était pas un bateleur génial comme Cocteau, il ne s'était pas drapé dans l'épopée de la résistance ( et pour cause il  n'avait que 11 ans en 1945 ) comme René Char, il n'avait pas le verbe haut et prophétique d'un Saint-John Perse ou d'un Paul Claudel. C'était un jeune homme silencieux, venu d'un royaume où tombait la neige et où voletaient des colombes. Il était rare qu'il fasse allusion à notre monde contemporain, non qu'il le méprisât mais simplement parce qu'il avait oublié de l'habiter : forcément il demeurait ailleurs...dans la chambre secrète, parmi les roses de novembre.  Charmons l'ombre  écrivait-il, et, ce faisant, que faisait-il d'autre que de nous charmer ?

 

LA CHAMBRE SECRETE

 

Que j'entre dans le songe et qu'à tes pieds, licorne mâle,
tremble un fil de brume !
Il faut donner au feu quelques sarments d'hiver,
l'ombre de nos demeures et maints poèmes ;
il faut aussi que tu me comptes parmi celles-là de tes
créatures qui ne sont plus de ce monde,
et qu'à travers le hêtre, loin derrière l'écorce, tu devines
mes chambres les plus secrètes, celles que moi-même
je n'ose pas ouvrir.

Un soir nous avions découvert une ombre
lisse aux combes de Novembre
les vents inclinaient nos songes à loisir

Je savais qu'à tes pieds flambait la mousse
une odeur de gibier épuisé
une saveur de vieux miel sur la pierre

Ce jour-là nous nous étions rencontrés
sur les dalles amères du silence et dès lors
vers nous se hâtaient les oiseaux couleur d'ambre.

 

DEMAIN

 

Le vent demain lèvera mes ombres ;
le poisson arrondira ses lèvres blanches sur mon nom ;
la voix du feu secondera la mienne et le fil n'aura jamais
été plus tendu ni plus musical.
Demain.

L'eau, la première, la très noire, dans ses gestes lavera
le souffle qui ne m'appartient plus,
la bouche que je n'ouvrirai pas sinon pour entrer dans
la tendre mort - et vous aurez tenu mes mains dans les
vôtres -


Ah, demain, seulement demain ;
il faut pour l'heure s'efforcer de ne pas défaillir à tâcher
de pénétrer dans l'aiguille par sa pointe.

 

        ( A l'oiseau, à la miséricorde )

 

 

Je ferai ici le poème de la bougie consumée, de la pluie que
nous attendions et qui ne tomba point ; et j'évoquerai
l'apparence de Bérénice même, dont le visage ne m'est point connu ;

 

Etait-ce le nom d'un vaisseau de haut bord, le dernier cri
des oiseaux qui venaient de Septembre et ne s'attardaient point
au-dessus de notre demeure ?

 

Un chien jaune aboyait derrière la métairie ; nous venions
de quitter nos travaux pour cette randonnée vers l'auberge à 
la croisée des vents,

 

Et vous me contiez une histoire qui me rappela le dit de la vieille Jeanne,
celui de Margoton et la solitude aux approches de
l'hiver, entre les livres et le tabac parfumé.

 

 

 

Né à Lyon, il fut professeur et dût enchanter ses élèves par ce qu'il y avait en lui d'ailé et d'aérien, Ariel amoureux des neiges anciennes, des tremblements imperceptibles, des songes et des pays immatériels. C'est le poète des murmures qui ne clôt jamais ses poèmes afin que son chant se prolonge, voix douce et amicale qui a fait de la tendresse et de l'émerveillement le meilleur de son inspiration.

 

Sept recueils jalonnent son itinéraire poétique :

 

Le Silenciaire  ( Guy Chambelland ) 1960
La Pierre Milliaire ( Les Cahiers de la Licorne ) 1961
Augurales ( L.E.O. ) 1964
Le Ban ( Guy Chambelland )  1964
Les Hautes Erres ( Seghers ) 1966
Sommeils (Grasset ) 1968
A l'Oiseau, à la Miséricorde ( Guy Chambelland ) 1976

 

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8 avril 2024 1 08 /04 /avril /2024 07:56

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Si nous nous posons les questions suivantes : en quoi la poésie est-elle singulière, qu'apporte-t-elle à chacun de nous, qu'entend-t-on par phénomène poétique, que répondre pour cerner le sujet au plus près ? De même que si j'ouvre le dictionnaire sur le mot  "poésie", quelle n'est pas ma surprise de trouver une formulation brève qui ne peut en aucun cas me satisfaire : " Poésie, art du langage visant à exprimer ou suggérer quelque chose par le rythme, l'harmonie ou l'image". Déjà à art du langage, que je récuse, je choisis art de la parole qui me semble mieux approprié, parce que la parole instaure et fonde. En nommant les choses, je leur donne existence. A ce propos Yves Bonnefoy écrit : "Recommencer une terre, c'est en quelque sorte définir un monde second, comme le lieu d'une nouvelle vie, d'une unité différente, par quoi la perte du monde premier puisse être réparée". Ainsi la poésie a-t-elle vocation à fonder, mais à fonder en réparant un monde premier qui serait imparfait, comme si une faute originelle avait rompu un pacte initial, que par l'acte poétique on tentait de rénover. Réparer, rénover, renouer, trois verbes qui illustrent ce que devrait être toute démarche poétique. Est-elle réservée aux seuls initiés ? Certes non ! La poésie habite en chacun de nous, elle est présente à tous moments de notre vie. Il me suffit de dire : le soleil se couche - pour me convaincre que je cède à une interprétation poétique, car le soleil ne se couche pas, je le sais, mais cette image est belle et me comble.

 

De tout temps, la vocation du poète fut de retrouver le songe archaïque des origines. Et aujourd'hui, davantage, que notre vertigineux passé nous a éloignés de nos sources. Il s'agit donc de porter sur les choses le regard du premier matin et de rendre aux mots leur étymologie la plus juste. C'est alors que le langage s'attribue une puissance de restitution, qu'il se veut célébrant. Peu importe que l'auteur soit fils de prince ( Charles d'Orléans) ou de rempailleuse de chaises ( Péguy), mais qu'un jour son coeur s'ouvre à la beauté et c'est la face du monde qui en est changée. Pourquoi ? Parce que le monde n'existe que si nous y posons le regard et que si nous accompagnons ce regard d'une interprétation. Ce qui dessine notre vie, ajuste notre pensée ne sont que les conséquences de ce jeu subtil. Et à ce jeu, l'artiste est particulièrement bien préparé. Tandis que le scientifique fournit des données et que le philosophe invite l'homme à la réflexion, le poète trace un sillage et nous convie à le suivre. C'est lui qui invente le futur et revigore le passé, qui lie le monde des sens à celui des sentiments, qui met, à sa façon audacieuse, souvent étrange et parfois excentrique, l'univers en partitions.  "L'écrivain véritable est quelqu'un qui ne trouve pas ses mots, disait Paul Valéry, alors il les cherche et il trouve mieux..."

 

Aujourd'hui nombreux sont ceux qui s'affligent que la poésie soit condamnée à disparaître de notre univers culturel, les médias l'ayant réduite à la portion congrue. Mais l'activité souterraine où elle survit, ainsi qu'en des catacombes, et où elle a appris à résister afin de se perpétuer, nous garde d'un trop grand pessimisme. Qu'importe qu'elle ne soit qu'un filet d'eau sur une terre aride, si notre soif demeure...N'oublions pas que ce qui nous entoure est toujours en mesure de recommencer.

 

Puisque les scientifiques nous assurent que le cosmos se compose de 90% de matière invisible, il reste au poète un vaste territoire à défricher. Ce fondateur d'un ordre nouveau, selon Saint-John-Perse, a mis l'énigmatique sous son aile, afin d'en attester la permanence parmi nous, de remettre l'ineffable, l'indicible sur la voie royale. On pourrait presque dire que l'artiste est entré dans le Songe de Dieu ainsi qu'Adam s'y était introduit après que le Seigneur ait fait tomber sur lui le sommeil qui le rendait complice de sa Création. Mais si l'homme est le songe de Dieu, quel est le songe de l'homme ?

 

Dès lors que le sacré ne se réfugie plus dans les concepts religieux autant qu'il le faisait autrefois, il incombe aussi au poète la charge de relever le défi qui a voulu réduire Dieu à n'être qu'une hypothèse parmi d'autres. Aux certitudes de jadis qui plaçaient l'homme face à Son Créateur succède le douloureux questionnement du poète en quête du Créé. Au-delà d'un soi fatalement narcissique, l'univers sollicite plus que jamais notre intérêt. C'est parce que nous sommes aptes à le concevoir, que nous nous l'approprions. Dépassement que la science circonscrit en une aire d'enquête rigoureuse dont le poète ne peut se satisfaire. Il entrerait alors dans le domaine dogmatique et s'autodétruirait. C'est pourquoi il lui faut faire appel à son imaginaire, afin de redonner pouvoir au songe créateur, car on ne crée pas pour faire une oeuvre, on crée pour entrer dans la Création. Et cela n'est possible que si notre premier regard est chargé d'humanité, que si le visible ne meurt en nous qu'afin que l'invisible y renaisse.

 

Plutôt que le sens de la chose vue, il semble que c'est l'essence de la chose supposée qui fonde les mythologies, que ce soit la nostalgie du leurre et l'anxiété de l'invisible matière qui ne cessent de nous mobiliser. Débarrassé d'un passéisme stérile, l'homme de la parole use de sa mémoire en visionnaire. Il nomme les choses, non pour les réintroduire dans leurs fonctions, mais pour les ré-habiliter dans leur innocence. Ce n'est plus le  réalisme du réel qui l'inspire mais l'improbable réalité, comme si l'existence n'avait d'autre cause que la méditation de l'existant. La poésie, dans sa pure rigueur, n'est-elle pas une avancée dans la lumière ? Semblable au rayonnement fossile qui baigne notre univers, elle est notre rayonnement intérieur, notre mémoire divine. Grâce à elle, nous pouvons accéder à une réalité supérieure, atteindre une plus haute humanité.

 

Mais comment rendre compte d'un pays qui se tient à l'écart, comment rendre structure à ce qui se dérobe, alors que le livre aveuglant n'est pas encore écrit ?  L'éternité est d'abord la mort éternelle, perpétrée par notre impossibilité à rendre la parole incandescente. C'est la raison pour laquelle le poète se contente d'accomplir son destin en deçà de l'indistincte patrie où fusionnent les songes. Le sien a eu le mérite de lui faire pressentir l'immensurable, de le mener jusqu'à une limite que les mots rédempteurs lui permettront peut-être un jour de franchir, car rappelons-nous que l'énigmatique n'est pas fatalement l'obscur. C'est parce qu'elle est empreinte de charme et de sortilèges que la poésie est cette " magie suggestive" dont parle Baudelaire ; c'est parce qu'elle est douée du pouvoir d'évoquer, de suggérer, de substituer un monde à un autre qu'elle opère une sorte de distanciation quasi métaphysique, métamorphosant l'ordinaire qui nous cerne en un extraordinaire qui nous enchante. On goûte alors, quand le poète atteint ces sommets, à cette "magie recueillante" qu'évoquent les mystiques. La poésie, contrairement à la prose, qui nous entraîne loin de nous-même, nous rappelle vers les profondeurs de l'être, vers cette " chaleur sainte" écrivait Keats.

Pour terminer, car il serait déplacé de conclure quoi que ce soit en poésie, citons cette belle méditation de Thierry Maulnier qui, en quelques mots, explique ce qu'est l'art suprême du poète :

 

Il y avait le silence,
il y eut le cri,
au-dessus du cri
vint le chant,
au-dessus du chant
vint la musique,
au-dessus de la musique
vint le langage,
au-dessus du langage
la poésie,
au-dessus de la poésie,
     quoi ?
le silence.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Réflexions sur la poésie
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18 mars 2024 1 18 /03 /mars /2024 09:42
Ces amis qui enchantent la vie de Jean-Marie Rouart

Voilà un livre enchanteur, peut-être parce qu’il a été écrit par un homme enchanté, enchanté par le plaisir que lui a procuré les livres, la lecture et la bonne fée « littérature » qui l’a bercé depuis son enfance. Nous savons qu’il est bien rare qu’un écrivain ne soit pas d’abord un lecteur et Jean-Marie Rouart n’échappe pas à la règle, lui qui a à son actif une trentaine d’ouvrages et veille depuis quelques années à la bonne santé de notre langue française en siégeant sous la Coupole.

 

 

« Ce que j’aime dans la littérature, c’est l’extraordinaire diversité des écrivains qui la compose. Il y a des aristos snobs comme Saint Simon ou Gobineau, des prélats érotomanes come le cardinal de Retz, des riches, des pauvres, des mélancoliques comme Nerval et des gais lurons comme Joseph Delteil, des beaux, des laids, des saints comme Pascal ou des crapules comme Maurice Sachs ; certains sont passés par la prêtrise et le monastère, d’autres par la prison. Quant à leurs mœurs, on a  toutes les variations des tempéraments, des sagesses et des perversités. C’est l’exacte reproduction de la vie, mais en mieux ».

 

 

Marcel Proust ne disait pas autre chose, la littérature est une médecine extraordinaire à laquelle on recourt pour consoler ses peines de cœur, apprendre à vivre, à aimer, à regarder, à réfléchir et à laquelle Jean-Marie Rouart a même demandé comme fait-on pour être heureux ?  En quelque sorte, la littérature est souveraine pour subvenir à la plupart de nos maux. Avec ce livre, Rouart rend à César ce qui appartient à César et l’exprime avec une jubilation qui gagne son lecteur irrémédiablement. Aussi ce gros ouvrage de 900 pages vous distille-t-il ses bienfaits au rythme que vous avez choisi, puisque vous pouvez le consulter à loisir en prenant les chapitres dans l’ordre ou le désordre selon le portrait de l’écrivain que vous souhaitez découvrir et qui est toujours brossé d’une plume alerte, enjouée, admirative et malicieuse. Voyons par exemple ce qu’il dit de son ami Jean d’Ormesson qui vient d’entrer dans la Pléiade, siège à ses côtés à l’Académie française et qu’il classe dans la famille des « Beaux et Grands Esprits » :

 

 

« Jean d’Ormesson adore être de son temps. Il y a chez lui une jubilation d’exister ici et maintenant, à connaître l’époque de Sartre, de la psychanalyse, de la pilule, de de Gaulle, de Mitterand, du socialisme, de la théorie de la relativité, des bébés-éprouvette, de la conquête de la lune et de la télévision. C’est curieusement très peu un homme de nostalgie. S’il s’était confondu avec le monde aristocratique dont il est issu, il n’aurait probablement jamais écrit. Il s’est construit contre ce monde qui regarde en arrière, et s’est découvert une autre aristocratie où il a choisi de réussir par lui-même, celui de l’esprit, où les noms qui comptent ne sont plus les Noailles, les Rohan, mais ceux d’Einstein, de Claudel, de Roger Caillois, de Marx, de Freud. Ce qui l’intéresse, c’est l’excitation des idées de notre temps et de vibrer à l’unisson des palpitations intellectuelles de son siècle ».

 

 

A la suite des 121 portraits, dont le relief ne manque jamais d’attrait, vous avez à votre disposition un texte choisi qui vous met ou  remet à l’oreille la petite musique de chacun de ces auteurs, vous incitant à les lire ou relire selon votre goût personnel, votre humeur du moment, vos disponibilités ou tout simplement votre curiosité, que ce soit « Les modernes engagés »,  "Les soleils païens", « Les nostalgiques de l’ailleurs », « Les amants malheureux de l’Histoire » ou encore « Les fracasseurs de vitres » dont les noms s’échelonnent de Rabelais à Stefan Zweig, de Machiavel à Camus, de Casanova à Karen Blixen, de Lewis Carroll à Fitzgerald, de Marcel Proust à Roger Nimier, de Montaigne à Houellebecq ; ils sont presque tous là avec leurs tics, leurs engouements, leurs vices et leurs vertus, leurs clartés solaires ou leurs ombres tragiques.

 

 

Comment s’est opéré ce choix ? Jean-Marie Rouart s’en explique dans sa longue préface : «  Je ne voulais pas céder à la manie de la classification par l’excellence, qui ne correspond ni aux subtiles hiérarchies de l’art ni à celles de la vie. L’amour, les sentiments, les coups de foudre introduisent heureusement un peu de désordre. Pourquoi se laisser imposer des valeurs consacrées dans un domaine où tout est affaire de goût personnel ? Je n’ai obéi qu’à mon penchant et à ma fantaisie. J’ai voulu éviter l’écueil de tout choix : être conventionnel, oublier ce que l’on est, ses goûts, ses penchants secrets, pour se fondre dans la masse et ressembler à tout le monde ».

 

 

C’est ainsi que, guidé par son enthousiasme et son admiration, Rouart nous fait partager les passions littéraires qui ont ébloui et enrichi son existence, nous communiquant ces vérités grisantes que chacun de ces écrivains cherche pour devenir meilleur, loin des  préjugés, des conformismes et des oukases injustes de la société.

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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30 janvier 2024 2 30 /01 /janvier /2024 09:20
Avec les fées de Sylvain Tesson

Sylvain Tesson est un quêteur d’espace mais davantage encore un quêteur de sens, tant il est vrai qu’il considère que « l’absence d’un mythe est notre malheur tricolore, à nous qui avons tué le mystère.  Soulagés que rien ne nous soit supérieur, nous nous satisfaisons que tout nous soit semblable. » On comprend pourquoi, en lisant ces phrases, l’écrivain ait depuis son plus jeune âge parcouru à pied, à vélo, en bateau une partie de notre planète, ce soit isolé dans des déserts, des îles et ait poursuivi des êtres féériques dans les  profondeurs des forêts  ou la gravité vertigineuse des cimes.

 

Ce vagabond ne cesse plus de vivre en spectateur et vénérateur de ce qui est d’abord le mouvement avant d’être la présence tant il lui est devenu évident qu’il y a une façon particulière  de contempler l’univers. Ce livre lui a été inspiré parce que la pénombre ne cesse plus de tomber et de s’apesantir sur un univers qui ne fonctionne désormais que grâce à des machines et à des banquiers. Et à cause de cela, il a décidé de partir avec les fées « qui se convoquent et savent reculer le vacarme des hommes et la bêtise des chiffres. »

 

Ce parcours nous entraine sur les terres celtes, les balcons de l’ouest où les promontoires se distribuent en plis successifs et vous assurent un ordre de la beauté sereine. Nous voici successivement en Espagne, en Bretagne, au pays de Galles, en Irlande, en Ecosse où l’on ne cesse de traverser à pied, à vélo ou en bateau des paysages lavés de pluie et chargés de mystère, des landes imprégnées de secrets, « tant il est vrai que le merveilleux émane du réel », et que la mer a le pouvoir « de dissoudre les certitudes. »


Itinéraire difficile parfois, où l’homme n’a plus honte de son insatisfaction parce que la féérie d’un lieu rassure l’esprit, attendrit l’âme et repose le corps. Rien n’est simple, si bien que l’écrivain entend vivre en spectateur et vénérateur de ce qui se trame. « L’absence d’un mythe est notre malheur tricolore, à nous qui avons tué le mystère » - conclut-il. Et comme il a raison !


Et ces fées qui inspirent ses pas, elles existent  « quand on travaille à les faire apparaître. » En cela, Sylvain Tesson est un écrivain incomparable. Il nous invite, depuis ses débuts, à un long parcours où surgit toujours l’inattendu  que nous oublions trop souvent de déceler dans l’habituel et le quotidien.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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22 janvier 2024 1 22 /01 /janvier /2024 10:08

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On le sait, depuis plusieurs décades, la poésie traverse son purgatoire ou, mieux, vit dans les catacombes. Et pourtant notre époque ne manque pas de belles voix pour nous entretenir de l'essentiel et nous aider à traverses les apparences. Jean-Michel Maulpoix est de ceux-là. 

 

Jean-Michel Maulpoix, poète et écrivain né en 1952, sait mieux que personne saisir les émotions intimes, tout en centrant l’essentiel de ses textes en prose sur l’autre, le frère, l’amante ou l’ami, ainsi que sur le monde et les sensations fugitives qu’il suscite. Le poète s’emploie également à un travail sur la mémoire, là où s’ajoute à l’immanence un examen critique de soi-même, une quête soucieuse et une aspiration à l’autre versant des choses, ce versant  qui se veut étrange ou invisible. Homme du seuil, Jean-Michel Maulpoix tente de se maintenir en équilibre entre extérieur et intérieur, assumant sa perplexité et initiant une interrogation subjective afin de rester vivant, dans le flot énergique de la vie et, ce, malgré les affres d’un monde dont on ne parvient pas à assurer l’ordre.

 

«  Il s’agit d’une méditation tournée vers ce qui se dérobe ou ce qui nous échappe : analyser la substance de ce qui fait l’existence humaine dans ses aspects les plus impalpables et les plus secrets, chercher les points de rupture, les points d’équilibre, les coutures … Explorer l’intériorité à travers un motif choisi » - disait-il lors d’une interview.

 

Ce qui intéresse le poète est autant ce qui passe que ce qui dure, à condition que le souci de la langue soit respecté. Son diagnostic est sans complaisance : «  Tour à tour nous avons perdu le réel et l’imaginaire. Nous sommes les citoyens hébétés d’un univers inquiétant sur lequel nos actes semblent n’avoir aucune prise… » Aussi priorité est-elle accordée aux lieux d’espérance, le poème représentant une sorte d’état privilégié, un retour au beau langage sans pour autant céder aux affirmations péremptoires. Car le mystère demeure. Il est notre quotidien et mieux vaut procéder par approche et allusion dans le seul souci de sauvegarder le désir.
 

Je n’écris jamais que des commencements. Seule est émouvante la lisière des mots, le toucher hasardeux de la plume sur la page…

… La parole n’est pas en moi ce qui résiste, mais le roseau qui plie. Tout ce qui s’émerveille de subir.

L’aube, tel un livre de peu de mots.

Ecrire pour inventer à chaque fois une innocence. N’ayant sur terre qu’une place accidentelle, je parle en miettes. L’éphémère suffit à ma nourriture. Ma soif ne s’apaise pas.

 

Pour vous donner le goût de cette belle prose, je joins quelques extraits de : « Dans la paume du rêveur », mon recueil préféré :

 

Voici le poème revenu sur les épaules des anges. Au bout du long chemin d’images incroyables. Pâle, au sortir de la mine de neige.

Voici le mot qui fut le soc et la cognée. Voici la plume d’or. Et sur le tronc un long cortège de filles noires.

Arbres tressés de songes, linges et voix, tout l’amour à l’œuvre dans les chambres d’oiseaux.

 

Celui qui est assis dans l’herbe s’efforce de ne pas y croire. Chasseur toujours et menacé. Avide, scrutant l’obscur. Pourtant le cœur à neuf, prêt à cesser de battre.

 

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Et pour  consulter le site wikipedia consacré à l'auteur, cliquer     ICI

 

Voici, par ailleurs les autres articles consacrés aux poètes :


Jules Supervieille ou l'enfance de l'univers

Blaise Cendrars entre dans la Pléiade

Joe Bousquet ou l'horizon chimérique

René-Guy Cadou ou la rêverie printanière

Sabine Sicaud, l'enfant aux sortilèges

Alexandre Pouchkine ou l'empire des mots

Marie Noël ou la traversée de la nuit

Patrice de la Tour du Pin ou la liturgie intérieure

Milosz ou l'entrée dans le silence

Paul-Jean TOULET ou une poésie fantasque

Yves Bonnefoy ou recommencer une terre

Marceline Desbordes-Valmore ou le renoncement

 

 

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28 juin 2023 3 28 /06 /juin /2023 07:28
UNE JEUNESSE A L'OMBRE DE LA LUMIERE de JEAN-MARIE ROUART

Une jeunesse sous le signe d’un profond mal-être : c'est le roman autobiographique d'un jeune homme pauvre dans une famille riche, allergique à la peinture et vivant au milieu des tableaux de Manet, de Berthe Morisot, de Degas qui forment son cadre journalier. Malheureux et sombre, errant parmi les souvenirs de ces peintres de la lumière, cultivant une névrose d'échec face à des artistes statufiés par la gloire, il se sent menacé par « l'aile noire de la folie ». Cette mélancolie le jette dans les bras des psychanalystes qui voient en lui un gibier de choix. Échec amoureux, social, scolaire, tentation du suicide, Jean-Marie Rouart nous livre son inappétence au bonheur. Il nous la fait même partager sans en omettre un seul détail. Les filles, la drogue, tout y passe de ce garçon pourtant gâté par les dieux : beau, d’une famille célèbre, adoré par sa mère, mais dont le père n’a pas su ou pu conserver le  train de vie de ses prédécesseurs.

 


C'est à travers la figure d'un peintre du début du XIXe siècle, Léopold Robert, mélancolique, suicidaire, amoureux d'une princesse Bonaparte qui se moque de lui et en qui Jean-Marie Rouart a reconnu son double, que l'écrivain nous entraîne dans ses quêtes imaginaires et ses voyages pour tenter de se délivrer de ses démons. S'interrogeant sur le mystère d'une destinée qui le conduit au naufrage, il brosse une fresque de la grande famille de l'impressionnisme qui compose son prestigieux arbre généalogique. Ses vagabondages ne sont-ils pas une façon d’échapper à soi-même ? Ainsi visitons-nous en sa compagnie Noirmoutier, Venise, Samos, Ibiza. L’auteur semble aimer les îles - ces terres qui sont comme des sanctuaires secrets – et cherchons-nous à ses côtés, dans ce récit  un peu brouillon, les clés perdues de sa vie sentimentale et le chemin de son labyrinthe intérieur, cet inconscient qui le harcèle et lui mène la vie dure mais l’ouvre aussi aux méditations profondes. Incontestablement, le livre est empli d’un charme particulier. Il est semé de détours qui nous reconduisent à l’essentiel. L’élégance de l’écriture rend ce pèlerinage intérieur attractif, même si cette souffrance semble entretenue avec une incontestable complaisance. Le lecteur plonge ainsi dans les affres d’un écrivain romantique qui gratte ses plaies avec auto-satisfaction. Il y a dans le livre de Jean-Marie Rouart cette coquetterie littéraire suscitant, lors de maints passages, un égotisme qui prête à sourire. Mais l’auteur a une façon gracieuse d’évoquer les lieux, les paysages, les parfums, les chagrins d'une plume délicate qui touche juste. Voilà un enchanteur qui, certes,  parle trop de lui mais en parle bien, ménage habilement ses effets et vous embarque dans ses délires et ses excès  avec des mots envoûtants. Oui, étrange cette jeunesse vécue comme un drame. Alors que Jean-Marie Rouart avait tous les atouts en main. Heureusement, la chance n'a cessé de le poursuivre : le Figaro, l'Académie française, des prix littéraires parmi les meilleurs. Pas mal pour un ancien candidat au suicide.

 

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

 

 

 

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  • : Le blog interligne d' Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • : Grâce au pouvoir des mots, une invitation à voyager sur les lignes et interlignes.
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Un blog qui privilégie l'évasion par les mots, d'abord, par l'imaginaire...toujours.

LES MOTS, nous les aimons pour eux-mêmes, leur sonorité, leur beauté, leur velouté, leur fraîcheur, leur hardiesse, leur insolence, leur curiosité, leur dureté, leur volupté, leur rigueur.
Différemment des notes et des couleurs qui touchent d'abord notre sensibilité, ils ont vocation à transmettre, informer, émouvoir, expliquer, séduire, irriter, formuler les idées, forger les concepts, instaurer le dialogue.
Ainsi nous conduisent-ils vers l'autre, l'absent, l'étranger, l'inconnu, l'exilé.

Parce qu'ils disent qui il est, comment est le monde, pourquoi est la vie, qu'ils gomment les distances, comblent les vides, dévoilent les énigmes, suggèrent le mystère, ils sont nos courroies de transmission, nos outils journaliers.

 

La vie doit être vécue en regardant vers l'avenir, mais elle ne peut être comprise qu'en se tournant vers le passé.

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Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche.

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