Dès la première page, le graphisme parle à la graphologue que je suis. Une phrase manuscrite, belle d’ailleurs, dessine, dès l’abord, le livre et son auteur. Ainsi le trait encré exprime-t-il le plaisir de vivre, la joie simple d’exister, puis le gonflement des hampes et des jambages équilibre harmonieusement la sensualité naturelle de l’homme en osmose avec la nature et les êtres et son souci permanent de rester l’intime des hauteurs. Il y a par ailleurs l’inclinaison à droite qui dévoile l’élan vers l’autre, le frère, l’ami, le proche ou le lointain. Cette écriture exprime la stabilité et la modestie ; toute tendue vers son devenir, elle sourit au monde.
«J'essaie de vous dire une chose si petite que je crains de la blesser en la disant. Il y a des papillons dont on ne peut effleurer les ailes sans qu'elles cassent comme du verre».
A peine avez-vous franchi le seuil de l’ouvrage que vous reconnaissez le style particulier de Bobin dont « Le Très Bas » en 1992 avait été pour moi un véritable choc. Je n’étais pas la seule à l’époque à être frappée par le ton, l’alliance des mots, la réflexion profonde. Ce naturel dans l’énoncé du texte fut beaucoup copié, si bien qu’il y eût dans les années qui suivirent sa publication nombre de Bobin en herbe. « La lumière du monde », « Les ruines du ciel », " La plus que vive", « La présence pure », autant de titres qui creusèrent un sillon unique d’une sincérité totale, d’une sensibilité mystique et d’un dépouillement absolu dans les "Lettres françaises". Christian Bobin s'y révélait un jardinier inspiré qui se contentait de remplacer les plantes et les fleurs par des mots. Et ces mots exhalent toujours un parfum entêtant, reconnaissable entre tous.
Néanmoins, je l'avoue, j’ai été moins enthousiasmée par « L’homme-joie » malgré les promesses du titre. Est-ce parce que le merveilleux jardinier ne s’y renouvelle pas vraiment, qu’il bêche un carré de terre dont il avait déjà extrait le suc ? En effet, on peut regretter que le poète ne nous mène pas ailleurs, que l’auteur ne nous restitue que l’écho des précédents ouvrages, qu'il n'ouvre pas d'autres perspectives, d'autres voies. Certes, la lecture reste un plaisir, un délicat enivrement, la musique est bien présente, celle émise par l'ami proche, le confident qui nous convie dans son intimité, nous laisse entrer dans son domaine le plus secret parmi ses objets familiers qui, ainsi, deviennent les nôtres, mais est-ce suffisant ? Reste la tendresse, le velouté des phrases où rien ne heurte. Il n’y a pas d’arêtes vives, pas de discours solennel, pas de sermon, moins encore de remontrances ou de profession de foi chez Christian Bobin. Nous sommes dans le domaine de la confidence, propos chuchotés qui ne sanctionnent pas, ne certifient rien, se contentent humblement de décrire l’aube et le crépuscule, le remuement délicat des choses.
« Je regarde le bleu du ciel. Il n’y a pas de porte. Ou bien elle est ouverte depuis toujours ». La sienne l’est également. Son seuil est accueillant, bienfaisant comme le murmure de l’eau. Adieu Christian Bobin.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
Pour consulter la liste des articles de la rubrique LITTERATURE, cliquer sur le lien ci-dessous :
Liste des articles de la rubrique LITTERATURE