Dans ce quatrième roman d'Edmée de Xhavée, le personnage principal n'est ni un homme, ni une femme, ni même un animal, mais une maison. Elle est l'épicentre de cette histoire de famille qui s'écoule de l'année 1928 à l'année 2009 et voit ainsi passer, entre ses murs, quatre générations avec leurs drames, leurs inquiétudes, leurs joies, leurs deuils et leurs naissances, leurs alliances et leurs ruptures. Au fil des pages, cette demeure dévoile ses charmes, joliment décrite par l'auteure qui se plaît à en détailler chaque pièce, la véranda enguirlandée de vigne, le jardin ombragé, l'azalée rose et les rhododendrons, mais également la décoration raffinée des salons et des chambres, l'élégance des meubles, les objets personnels, la vaisselle aux accents de vacances, les belles nappes ouvragées, la desserte à roulettes laquée rouge. Le mérite de ces objets est celui de se fondre dans un décor qui accompagne des vies successives, de surprendre, posés sur eux, tant de regards, de connaître d'innombrables secrets et de composer avec les lieux un ensemble inoubliable, une sorte de scène où les événements se déroulent dans l'intimité de leur présence.
Cette petite société, à l'abri des clôtures de son jardin, cette bourgeoisie de bon aloi, sachant sa mort annoncée, a su faire de ses usages son dernier pré-carré. Les mariages sont davantage des alliances que des coups de coeur, des placements que des emballements subits. Ici règne une hiérarchie implacable entre les gens de maison, soit les domestiques, et les maîtres des lieux, hommes et femmes qui se lient sans passion et se supportent sans acrimonie. L'essentiel reste caché, les drames - si drame il y a - doivent se circonscrire entre ces murs et ne point prendre la liberté d'en sortir.
D'ailleurs, il ne se passe pas grand chose dans leurs existences, surtout celles des femmes, emmurées en quelque sorte dans leur nid douillet, sinon les fêtes familiales : anniversaires, baptêmes, communions et mariages, si bien que le temps est rythmé par ces événements et l'intimité discrète dans laquelle s'immergent les générations toutes en provenance du même moule.
Edmée connaît bien le coeur féminin et en parle avec réalisme, trempant sa plume dans une encre qui sait débusquer les secrets et ne s'accorde aucune concession dès qu'il s'agit de narrer ceux trop bien enfouis et de brosser ainsi un tableau véridique d'un monde voué à la disparition. Si bien que cette maison se fait l'écho des voix qui se sont tues et des dernières scènes d'une famille qui repose à tout jamais dans le cimetière des illusions perdues.
"Cette belle maison est un temple des souvenirs, des souffrances, des espoirs, des secrets, des silencieux tumultes. Elle le sait. Les murs ont des yeux et des oreilles mais ne parlent pas, trop occupés à protéger leurs habitants.
Qui d'autre, le front appuyé contre une vitre ou dans les mains, a pleuré d'amour ou de haine dans ces pièces, ou a trahi ? Qui a donné ou repris son corps, son coeur, sa parole, sa confiance ?
Ces objets remisés et oubliés au grenier ont aussi leur mémoire, qu'ils ne rendront pas." (Page 193)
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
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