Né à la Baule en 1919 et mort à Varengeville le 26 décembre 2018 à l'âge de 99 ans, Michel Ciry occupe une place particulière et unique dans l'univers artistique contemporain et échappe à toute tentative de classification réductrice. Doté de tous les dons, la panoplie de ses talents est impressionnante. Peintre, il est aussi un graveur marquant de la seconde moitié du XXème siècle, un dessinateur magistral de même qu'un écrivain et un compositeur. Or ces facettes formelles ne sont en rien un signe de dispersion, car Michel Ciry avait approfondi durant plus de soixante ans une pensée d'une étonnante cohérence, qui s’exprimait dans l’univers des arts dont il avait la maîtrise. Le sillon de sa pensée forme le fil d'ariane conduisant à la compréhension d'une œuvre totale, dense, qui ne cherche nullement à séduire. Une œuvre qui se mérite.
Cet artiste avait une conception de l'art bien éloignée de celle que le XXème siècle a largement admise. S'opposant farouchement à la théorie de l'art pour l'art, il justifiait son rôle de créateur par le message spirituel qu'il se sentait chargé de transmettre. Profondément croyant, Ciry s'était fait le serviteur de la foi qui l'animait. Combattant la stérilité d'un art dénué de spiritualité, il aspirait à traduire dans son œuvre la richesse et la beauté de l'univers du Créateur, engagement chrétien autant qu'artistique et moral. D’où les obstacles qu’il a rencontrés de la part d’un public qui, trop souvent, n’a pas souhaité le comprendre. Animant d’une lumière insolite ses toiles et ses aquarelles, Ciry confèrait un caractère sacré à sa production et possèdait une maîtrise du dessin et un sens de la couleur peu communs.
« Il les met en pratique pour donner à ses portraits une authenticité de vie à la limite du surnaturel et à ses paysages ( campagne normande, Venise, Provence ) un réalisme qui transcende la nature » - écrit de lui Jean-Louis Gauthier, tandis que François Mauriac, dont il a illustré plusieurs ouvrages, écrivait à son propos :
« Michel Ciry traverse son époque sans en subir la contagion. Il est demeuré fidèle au visage humain. Il n’est pas de portrait, de paysage, de nature morte dans son œuvre que la même présence n’anime sourdement et c’est ce qui la rend singulière dans ce monde où la mort de Dieu, proclamée par Nietzsche, condamne à l’abstrait, et qui ne hait peut-être la figure de l’homme, que parce qu’elle lui rappelle cette âme qu’il a perdue. »
L'hiver à Varengeville
L'incrédulité de Thomas
Graveur, il le sera très tôt et avec une précision et une perfection qui ont fait de lui l’un des plus grands. Musicien, il le sera ensuite à l’école de Nadia Boulanger et composera jusqu’en 1958 des œuvres musicales essentiellement religieuses, ainsi que des cycles de mélodies plus souvent interprétées à l’étranger qu’en France, malgré leurs évidentes qualités. Mais la peinture et le dessin entendent occuper la place essentielle, de même que l’écriture et, ne pouvant tout mener de front, Ciry va s’y consacrer en priorité et alterner gravures, toiles, aquarelles, en même temps qu’il poursuit l’élaboration de ses mémoires, rédigeant au fil des années les 25 tomes de son journal. C’est ainsi qu’il entraine le lecteur dans le monde entier et en fait le témoin de ses réflexions, de ses doutes et de ses convictions sur lesquelles il ne transigera jamais. L'auteur n'hésite jamais à pointer du doigt et de la plume les faux-semblants et les mensonges d’une époque qu’il considère comme déclinante. En insatiable témoin, il sonde les sujets les plus divers d’une plume élégante et mordante qui sait aussi bien louer que châtier, brossant de notre époque un saisissant tableau, chronique saint-simonienne du XXe siècle.
Depuis plusieurs décades, Michel Ciry vivait à Varengeville, village normand pour lequel il avait eu le coup de foudre et où il s’était installé dans une bergerie qu’il avait transformée en une gentilhommière d’une admirable pureté architecturale, quittant les vanités de la capitale et ne se consacrant plus qu’à l’élaboration d’une œuvre exigeante. Depuis peu, un musée lui est consacré où un grand nombre de ses peintures, gravures et aquarelles sont exposés dans un cadre qui les met en valeur et rendent compte d’un parcours hors du commun et d’un talent qui ne peut être remis en cause. Pour moi, les portraits de Michel Ciry peuvent être comparés à ceux d'un Philippe de Champaigne par leur profondeur, l’émotion qu’ils suscitent, cette plongée dans le monde intérieur qu’ils proposent. Les visages qu’il peint dans leur humanité touchante et leur troublante vulnérabilité ne cessent d’interroger et de transmettre quelque chose de la clarté divine. L’artiste excelle également dans l’art de l’aquarelle d’où se dégage une force antique lorsqu’il saisit un paysage d’hiver, une terre brûlée par le soleil, le dépouillement d’une côte rocheuse ou le sublime graphisme d’un arbre à la fin de l’automne. Il reconnaissait volontiers avoir été marqué par Turner, le père de l’aquarelle, et il y avait dans ses lumières quelque chose du grand maître. Que ce soit dans ses toiles ou ses aquarelles, on sent de sa part un engagement total, et il est évident que rien ne reste à l’état d’ébauche. Ce grand travailleur, rarement satisfait, se plaisait dans la difficulté, difficulté qu’il a rencontrée dès son plus jeune âge avec la gravure, véritable travail de tâcheron. Si son oeuvre est souvent tragique, elle n’en est pas moins baignée d’espérance avec, dans son tracé, l'empreinte de l'éternité.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
Adresse du Musée Michel Ciry : 6 Bis rue Marguerite ROLLE 76119 VARENGEVILLE sur MER
Pour consulter le site Michel CIRY, cliquer LA
VENISE