Il y a cent ans, le 14 novembre 1913, paraissait le premier tome d' À la recherche du temps perdu, de l'écrivain Marcel Proust. Et c'est cette date symbolique qu'a choisie le bibliophile et propriétaire d'hôtels Jacques Letertre pour inaugurer l'hôtel Swann, à Paris, dédié à l'œuvre romanesque la plus singulière de la littérature française.
Rue de Constantinople, derrière la gare Saint-Lazare, l'établissement correspond en partie à ce que fut, au début du siècle dernier, le grand hôtel de l'Europe que fréquentait en voisin Guillaume Apollinaire. Il est également proche du boulevard Haussmann où Proust demeurera après la mort de sa mère en 1905, au numéro 102, et qu’il dût quitter lorsque sa tante mit en vente l’immeuble pour aller finir ses jours rue Hamelin, dans un incontestable inconfort. L’appartement se situait au second étage. C’est là que se trouvait la célèbre chambre tapissée en 1910 de plaques de liège afin d’atténuer les bruits du voisinage. Une grande partie de La Recherche y a été écrite. L’ensemble de l’appartement ne fut jamais aménagé, ce qui fit dire à l’écrivain Oscar Wilde : Que c’est laid chez vous ! En effet, les salons ressemblaient davantage à un garde-meuble qu’à des pièces de réception. Céleste était chargée d’y faire attendre les visiteurs que Marcel Proust acceptait de recevoir, le plus souvent dans son lit. Non loin se trouve le lycée Condorcet où Proust entra en classe de Cinquième en 1882, alors que l’établissement s’appelait encore lycée Fontanes. Dans ce lycée fréquenté par des enfants et adolescents de la bourgeoisie aisée, Marcel fit des études en dents de scie à cause de sa mauvaise santé et de ses absences, mais eut la chance d’avoir en terminale pour professeur Alphonse Darlu qui jouera un rôle décisif dans sa formation philosophique. C’est également avec les élèves de Condorcet qu’il noue des amitiés solides : ils ont pour noms Fernand Gregh, Paul Baignères, Horace Finaly, Robert de Flers, Jacques Bizet et Daniel Halévy. Ensemble, ils collaboreront à deux revues : la Revue de Seconde et la Revue Lilas. Ce quartier de la gare St Lazare et des Grands Boulevards est en quelque sorte le village parisien de l’écrivain. Moins encombré de voitures qu’aujourd’hui, on s’y promenait agréablement à pied ou en calèche, d’autant qu’il était à l’époque, grâce aux travaux colossaux du baron Haussmann, un environnement neuf, fonctionnel et cossu. Durant la guerre de 14/18, Proust fit de longues balades nocturnes dans la capitale livrée aux bombardements de la grosse Bertha, écrivant que « le ciel ressemblait à une mer qui se retire » ou bien à « Pompéi sous la lave du Vésuve ».
L'hôtel Swann, où l’écrivain est notre hôte imaginaire, compte 82 chambres réparties sur six étages, correspondant chacun à six univers du roman : Combray, Balbec, Faubourg Saint-Germain, Verdurin, Venise, et les peintres (tous mentionnés par Proust).
Les quatre-vingt une chambres en étage, car il y en a une quatre-vingt deuxième au rez-de-chaussée, celle du narrateur de La Recherche, portent le nom d'un personnage de l’oeuvre. Ainsi la 101 dédiée à Charles Hass, la 104 à Françoise et la 106 à Odette … Dans chacune d’elles, un texte en français (traduit en anglais), encadré et illustré d’une aquarelle, situe le protagoniste dans "La Recherche". Gravé sur la cloison vitrée des salles de bain, il y a le manuscrit d'une lettre de Proust et, sur les tables de nuit, l'une de ses plus célèbres photographies. Dans l'escalier, qui conduit au rez-de-chaussée, une pièce unique : le mantelet en perles de jais que portait la marquise d'Aligre (elle est le modèle de Madame de Cambremer), vêtement dans un état de conservation parfait sur lequel Marcel Proust a posé les yeux lorsqu’il croisait la marquise à l’Opéra et qu'il décrit dans Sodome et Gomorrhe. Il a été acquis par Jacques Letertre, il y a deux ans, lors d’une vente aux enchères.
Le "lobby" de l'établissement a, quant à lui, été transformé en bibliothèque proustienne de 500 ouvrages (300 titres différents) dans toutes les langues, y compris le lituanien ! Étourdi par tant de «prousteries», on en oublierait presque que l’on se trouve dans un hôtel, si on n’entendait pas certains puristes, devant l'utilisation qui est faite de leur héros, crier au scandale, alors que d'autres, enchantés par cette évocation littéraire qui convie l’œuvre à leur table et dans leur chambre, n'avaient, à ce sujet, aucune raison de réprimer leur satisfaction ou de formuler un mécontentement. Le confort de ce 4 étoiles est, il est vrai, irréprochable : des lits doublés d'un surmatelas, des couettes moelleuses comme des nuages, un mobilier épuré, des éclairages dotés de variateurs, des écrans plats, des bases iPhone et des machines à café Nespresso dans toutes les chambres, voilà bien un confort que n’a pas connu Proust ! Pour autant, l’écrivain n'est jamais bien loin… sur la table de la chambre entre capsules de café ou de crème, le symbole proustien par excellence repose, enveloppé dans sa cellophane… une madeleine!
Le "Swann" est le premier hôtel littéraire entièrement consacré à l’écrivain. Au coeur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint-Augustin, il présente une prestigieuse collection d'oeuvres originales sur le romancier dont le souci est de faire découvrir et aimer Proust dans un cadre chaleureux et confortable. Une belle aventure d'une nuit ou plus, une immersion dans l'un des univers les plus exceptionnels de la littérature française. Le" Swann" est unique parce qu'il a été conçu par un amoureux de l'oeuvre, un érudit qui a imaginé cette nouvelle adresse parisienne afin de faire partager sa passion à tous ses visiteurs.
Depuis l'hôtel, les itinéraires les plus divers sont permis pour visiter cette capitale que Proust a su à tous moments transfigurer et réinventer et qu’un lecteur averti pourra, en prenant son temps, reconstituer le livre en mains, pèlerinant ainsi dans les dédales des rues, à l’ombre des églises, dans les salons de thé comme celui du Ritz qui vit tant de fois Marcel s’attabler seul ou avec des amis, n’oubliant jamais d’interroger Olivier Dabescat, le maître d’hôtel en chef, qui ouvrit à l’écrivain de nouveaux champs d’investigation sociologique. Interrogé à ce sujet des années plus tard, Dabescat devait confier : « Marcel Proust venait ici de façon très inattendue, cinq fois dans une semaine et disparaissait quinze jours qu’il passait couché, sans jamais que sa fenêtre fût ouverte. J’allais chez lui, plutôt vers minuit. Je restais là jusqu’à 3 ou 4 heures du matin sans m’en apercevoir, car son charme était tel. Il arrivait à vous tirer les vers du nez, et on le regrettait ensuite de lui avoir confié des choses à garder pour soi. Il ne parlait jamais de l’amour et des femmes. C’était un corps usé, un cérébral ; il était tout cerveau. Il n’a pu vivre que par le miracle de son cerveau. Son cerveau a seul soutenu cette chose abîmée, son corps, qu’il n’entretenait plus depuis longtemps qu’avec des litres de café, des litres par jour, surtout dans ces longs espaces où il ne mangeait pas ».
L’univers de "La Recherche" se prête particulièrement à ces déambulations au cœur de la capitale, et il est sympathique qu’un hôtel se soit ouvert comme un lieu d’accueil luxueux d’où rayonner dans ceux mythiques qui ont fait d’elle une œuvre d’art littéraire.
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