Le thème du labyrinthe a été maintes fois évoqué au sujet de l’œuvre de Marcel Proust que certains lecteurs considèrent comme un auteur chaotique et obscur, œuvre emplie de digressions dans laquelle il est parfois difficile de cheminer et dont la lecture est un véritable trajet initiatique, en quelque sorte une démarche labyrinthique. Ce qu’il ne faut pas dissocier d’une évidente quête de soi et quête de sens. Le thème du labyrinthe se retrouve dans toutes les civilisations et apparaît, dès le XIIe siècle, dans le Christianisme avec l’évocation de la Jérusalem céleste, voie proche du labyrinthe et de l’épreuve d’initiation. On voit d’ailleurs un labyrinthe dans la cathédrale d’Amiens et un également dans la cathédrale de Chartres. Certes le labyrinthe égare. On s’y sent enclos. Il faut de l’opiniâtreté pour tenter d’en sortir. Et pour lire l’œuvre de Proust, il en faut aussi. Chaque phrase étant une unité de sens, perdre le début de l’une d’elles – et certaines sont très longues – équivaut à perdre le fil et prouve combien Marcel Proust a souvent des phrases labyrinthiques. N’a-t-il pas l’art de nous faire voyager avec ses phrases qui n’en finissent pas et ses propositions juxtaposées ? De même que se mêlent dans ses pages le sacré et le profane. Voilà un écrivain qui ne redoute pas les accumulations graphiques et les phrases à rallonge. Un univers se déplace dans une seule page. Proust a également recours aux oxymores et tente de saisir toutes les dimensions du monde.
A travers les textes des sept romans qui composent « La Recherche », l’auteur use de séquences narratives qui se révèlent être des successions d’épisodes et développent ainsi les grands thèmes où l’on rencontre des passages satiriques, des considérations plus intimes, des descriptions, des dialogues, des réflexions philosophiques, psychologiques ou littéraires et de remarquables analyses des diverses couches sociales. Déjà l’écrivain devinait l’existence de l’inconscient qu’à Vienne Sigmund Freud, qu’il ne connaissait pas, percevait lui aussi et dont il établissait les bases. En définitive, quelle histoire nous conte « La Recherche » ?
Le premier trajet est celui de la découverte des salons aristocratiques et bourgeois et le décryptage des êtres humains passés littéralement au scanner. Mais l’illusion de l’approche se changera vite en désillusion. Les fêtes somptueuses laissent au narrateur l’impression du néant. Les gens du monde se montrent peu à peu décevants et illettrés, n’ayant qu’un vernis de surface. L’amour est, par ailleurs, une expérience redoutable. On le voit dans l’échec du narrateur avec Albertine qu’il croit aimer dans un premier temps, cet amour se révélant bientôt impossible et source de souffrance. Si bien, que se référant à Proust, on peut conclure que la jalousie et la détresse composent l’enfer du sexe.
Paris est une ville maudite à ses yeux, malgré ses innombrables beautés, nous pourrions ajouter pour ses fallacieuses tentations, au point que l’hôtel de Jupien, qui reçoit des homosexuels et des sadomasochistes, évoque à l’auteur Sodome et Gomorrhe. Il y a partout, autour de nous, le mal à voir et à combattre. D’autant plus que la vie est continûment traversée par la mort : celle de la grand-mère et de Bergotte, celle de Saint Loup à la guerre de 14/18 et la disparition d’Albertine lors d’un accident de cheval. L’auteur pointe du bout de sa plume l’apparition permanente du non-sens, cette difficulté à trouver un sens vrai à son existence, à la stabiliser dans une orientation précise et immuable. Depuis le début, il ne sait pas quelle est sa véritable vocation, si bien que « La Recherche » est la mise sur orbite d’une œuvre et d’une vocation tardive.
Quand rien n’a de sens, que faire ? – s’interroge Proust. Il y a le refuge de la peinture évoqué par Ver Meer et le personnage d’Elstir, celui de la littérature avec Bergotte et Dostoïevski, joie artistique que l’on ne peut connaître qu’en créant et qui est la voie royale, la seule qui donne sens, celle du salut, dont les réminiscences se révèlent être une grâce, l’apparition d’un temps prolongé à l’infini. En définitive, le labyrinthe conduit au centre de soi, c’est le parcours long et épuisant que nous devons emprunter pour tenter d’atteindre le sanctuaire caché et personnel qui donne existence à l'art et, pour Marcel Proust, à cette cathédrale de mots de son oeuvre, dominée par la haute flèche du « Temps retrouvé ».
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
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