« Le vieil homme et la mer » compte parmi les ouvrages que l’on se plaît à relire tant le sujet fixe un moment de vie qui tient tout ensemble du mythe et de la réalité et parce que l’écrivain a su faire d’une simple aventure de pêcheur une épopée éternelle. Pour la servir, Hemingway a eu recours au style le plus simple, au vocabulaire le plus courant, et cette simplicité d’écriture donne à son aventure marine une acuité rare, un formidable réalisme dans ce temps court qui est le sien. La prose, dont il use, nous plonge dans le quotidien d’un vieil homme qui aspire à capturer le plus gros poisson de toute sa vie afin d’offrir une conclusion heureuse à celle-ci et se prouver à lui-même qu’il est encore en mesure de se surpasser. Ce récit se déroule en une suite de tableaux, une imagerie réaliste et poétique qui s’appuie sur des signes de vie essentiels, des personnages frustes mais auxquels il confère une stature d’officiants. Qui sont-ils ? Un jeune adolescent qui aime le vieil homme et rêve de l’égaler un jour, et un vieil homme qui épouse sa solitude océanique comme le moine celle de sa cellule. L’art d’Hemingway nous immerge d’emblée dans cet univers marin où les poissons eux-mêmes sont des personnages. Santiago, le pêcheur, sait leur parler comme à des êtres respectables, de même qu’il converse avec les nuages, le ciel et les étoiles. Cela avec une certaine et touchante solennité qui n’est pas sans évoquer celle d’un Virgile.
« Il se mit à plaindre le grand poisson qu’il avait ferré. Il est merveilleux et étrange et Dieu sait quel âge il a, pensa-t-il. Je n’ai jamais attrapé un poisson aussi fort qui se comporte de façon aussi étrange. (…) Il ne peut savoir qu’il n’a qu’un homme contre lui, ni que c’est un vieil homme. Mais quel grand poisson ! (…) Il a attrapé l’appât comme un mâle, tire comme un mâle et se bat sans s’affoler. Je me demande s’il a un plan de bataille ou si seulement il ne sait plus quoi faire, comme moi. »
Chroniqueur d’une réalité concrète, ne cédant à aucune facilité de style, pas davantage à l’émotivité intime du héros ou à une quelconque subjectivité, l’écrivain se contente d’une prose descriptive qui nous met en phase avec une actualité d’une minutie extrême. Ce narratif dépouillé donne à cette histoire le caractère d’un cérémonial. Livre court, condensé, inoubliable, « Le vieil homme et la mer » traverse le temps car le temps du héros est celui d’un combat perpétuel, celui du courage et de la solitude dans l’univers le plus symbolique qui soit, celui de l’eau. Les scènes se passent au large de La Havane, capitale de l'île de Cuba, que l'écrivain a souvent fréquentée dans les années 50/60 avec sa troisième épouse Martha qui léguera d'ailleurs sa maison au gouvernement cubain, demeure devenue le musée Hemingway. Chasseur et pêcheur, celui-ci aimait se mêler à la population et partir au large taquiner le poisson. Au bar El Floridita, il crée un cocktail encore servi de nos jours sous les appellations de Papa doble ou papa Hemingway. En 1954 il dédiera son prix Nobel de littérature au peuple cubain.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
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