Passé le dernier amer, le dernier cap, la salutations des phares,
l’eau souveraine jusqu’au débordement des astres !
Voie royale sous l’arc de triomphe du ciel,
elle est immensité mouvante au regard,
chaussée d’écume pour la marche océanique des dieux.
L’ère du songe s’ouvre aux hommes qui s’éloignent.
Ils laissent ici leurs instances, leurs lois et leurs réquisitoires.
Hommes, qui d’entre vous fut pris à défaut ?
Délivrez-vous de l’assistance servile des masses,
honorez votre âme d’un règne nouveau,
délestez la quille des parures et artifices
dont vous fûtes ceints et vêtus,
elle est votre île sur les flots.
Plus nus êtes-vous, plus affranchis dans la lumière.
Votre regard s’accoutume à la blancheur du sel sur les vagues,
à l’éclat du couchant qui saupoudre les eaux
d’une manne d’étoiles.
Solitude en mer dans un lit de plancton et d’algues,
votre couche est quelque part dans l’enfléchure des haubans.
Hommes, vous voici légataires d’une vie sans offense
Au seuil de l’empire des eaux, au seuil de votre âme marine.
Et l’eau toujours dans sa profusion !
Eux, debouts ainsi que des ressuscités,
avec leurs beaux visages marqués aux tempes du signe d’élection,
scrutent des lointains qui se dérobent.
Il savent qu’ils peuvent tendre les mains,
rien ne viendra de ces espaces démesurément grands
que le ciel semble boire.
La carène est de ce bois dont, autrefois,
ils firent leurs cases, puis leurs chaumières,
et puis leurs croix.
Le départ a tranché les liens d’angoisse.
Désormais, il n’y a plus de regrets à avoir,
il faut seulement aller, selon l’allure du vent,
à son amble, la voile bien étarquée.
Quand ils partirent,
le jour vibrait sur une élingue
aussi sensible qu’un violon,
tremblait aux lignes qui, hier,
marquaient son couchant.
Eux, comme sont les hommes qui se lèvent,
s’arrachant aux linges humides de la nuit,
ils venaient d’un pays
dont ils gardaient un peu de poussière sous les ongles.
Et la mer dans son effusion !
La vague toujours montante
et toujours renaissante
et qui ne s’affaisse que pour mieux se hausser
et se hausse encore et se grandit
pour ne décroître que faiblement,
puis s’élève si fort qu’elle joint les deux pôles
d’un même embrassement.
Le charroi des eaux jusques à elle
et l’onde liliale parcourue de risées
ainsi qu’un esprit qui se pense,
la soif inextinguible de l’être d’un coup, tout étanchée …
Rien ici qui ne fût conçu pour l’homme,
rien qui lui ressemblât en cette agora cosmique
où s’affrontent les dieux .
L’homme les côtoie avec effroi.
N’entend-il pas leurs curieux cris ?
Et ce firmament occlus qui se rompt
au passage d’un oiseau aux ailes
alourdies d’un vol prémonitoire !
Toutes ces légions, tout ce ciel
dans un mouvement vaste de houle,
submergeant les trop sages écluses,
sanctuaire doublement mobile
qui déroule ses cercles à l’infini.
N’est-ce pas l’empyrée qui, vers la haute porte scellée,
hâte son fleuve flamboyant tacheté d’azurite ?
Voici le reflet des choses quotidiennes
et leur profusion fauchée, démembrée par l’éclair,
là furent peut-être les lèvres aimées …
Unis jusqu’à la confluence des déserts
que le geste rituel du passeur désunit,
la mer languide sur son patchwork de corail
veille en songe les girandoles de la nuit.
Son chant ne fut jamais que l’austère murmure
des siècles qui se rongent.
Et l’eau dans sa rumination !
Ecoutons-là qui psalmodie sa longue phrase audible,
sa longue et interminable phrase, sa phrase intarissable,
qui nous dit l’ampleur de l’espace, l’indicible.
Une cloche tinte au cœur des eaux
et cette voix est celle d’un autre âge,
d’un âge de vieille mer, de vieux naufrage,
elle est celle d’un temps différent des autres.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE « Cantate pour un monde défunt » Ed. Librairie bleue 1991 – Prix Renaissance de poésie 1993
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