Accroché au flanc de la montagne, défiant les lois naturelles de l'équilibre, Rocamadour s'érige au-dessus d'un val ténébreux en plein coeur du Périgord, Périgord qui offre, depuis la nuit des temps, un environnement verdoyant et minéral et voit, de la grotte de Lascaux aux coupoles byzantines de Saint-Front, l'art sacré s'y déployer avec une rare magnificence. Lieu de pèlerinage, Rocamadour était considéré à l'époque médiévale comme l'un des quatre grands pèlerinages de la chrétienté avec Jérusalem, Rome et Saint-Jacques de Compostelle. Ainsi Notre-Dame de Rocamadour a-t-elle vu s'incliner devant elle de nombreuses têtes couronnées depuis Saint Louis qui vint ici l'implorer de combler la France de grâces. Mais pourquoi un tel succès dans ce désert de pierre à l'écart des grandes routes et pourquoi tant de passion pour une modeste vierge noire en bois de noyer ? La réponse est de l'ordre du mystère, c'est ainsi, le lieu possède sa propre magie, car ni source miraculeuse, ni apparition, ni relique n'expliquent ce phénomène, tout juste déterre-t-on en 1166 un corps bien conservé que l'on attribue d'emblée à saint Amadour.
Parvenus à l'Hospitalet, au pied de la roche, les pèlerins voyaient enfin le terme de leur long voyage. La littérature hagiographique est emplie de ces pèlerins perpétuels, de ces marcheurs infatigables qui cheminaient de sanctuaire en sanctuaire et peuplaient les routes de France à une époque - le Moyen-Age - qu'à tort on supposait volontiers statique. Ces hommes et femmes se déplaçaient le plus souvent en groupe, avec un guide, parfois une escorte armée s'ils en avaient les moyens. Ils suivaient des itinéraires connus, jalonnés de monastères et de couvents qui leur offraient l'hospitalité, car chacun d'eux s'exposait alors aux loups, aux brigands, aux épidémies, aux famines et aux risques météorologiques. Quant au franchissement des fleuves, ce n'était pas non plus une mince affaire. Il arrivait aussi que, dans les auberges, on vous détroussât, que l'on vous offrît du vin frelaté, des femmes louches, si bien que certains récits relèvent du conte exotique.
A Rocamadour, le rituel était de gravir à genoux le grand escalier qui mène à la statue de Notre-Dame et au parvis des chapelles inondé de lumière, d'où la vue panoramique est à elle seule une récompense. Car à genoux ou non, il faut bien gravir les marches et, partant de l'ombre épaisse d'en bas, avoir comme gratification cette lumière souvent dorée qui embrase le paysage d'en haut. De nos jours, Rocamadour entend renouer avec cette tradition millénaire de foi populaire. Le souhait de son prêtre est de donner à voir aux nombreux touristes profanes le sacré en acte. Ou, comme disait Ignace de Loyola, qui vint ici : "Mettre la créature en contact avec le Créateur". Ainsi a-t-on restauré les différents offices de la journée, les processions, les chemins de croix, afin de proposer à ceux qui le désirent une totale immersion dans l'univers religieux. Le temps semble suspendu sur cette roche enchantée qui défie les siècles et où Francis Poulenc a recouvré la foi. Avec lui, la musique sacrée est de retour sur l'orgue nouvellement restauré, dont le buffet présente un décor marin, témoignage de la dévotion des gens de la mer à la Vierge de Rocamadour. Aujourd'hui, comme hier, le lieu suscite toujours l'admiration et son rayonnement est tel que les historiens ont décelé sa trace un peu partout dans le monde. Entre ciel et terre, Rocamadour reste à jamais un cap, un promontoire serti comme un témoin précieux dans la longue épopée des hommes.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
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