Je suis partie au-devant de moi
Comme la source au-devant de son cours,
Le rayon au-devant de son cercle.
L’ami d’enfance m’a pris par la main.
Au garage, la bicyclette n’a plus de roues,
La poupée plus de tête
Et dans la paille volée au crépuscule
Des grillons prophétisent.
Rappelle-toi… ce sont bien des chevaux
Qui passent à la fenêtre
Et c’est bien moi qui danse sur la branche
Au-dessus de l’eau.
C’est bien moi qui pousse la porte.
La serrure a fait grincer la nuit,
Je tiens un bougeoir entre mes mains.
C’est bien moi couchée dans l’herbe fraîche,
Parmi les fleurs fraîches et le renouveau,
Et c’est bien moi le silence collé aux lèvres.
C’est bien moi toute seule sur le quai,
La foule agite des mouchoirs d’absence.
C’est bien moi devant le miroir
Qui rit en me regardant.
J’ai emprisonné mes cheveux dans un filet
Et mis de l’orange sur mon visage.
Tout à l’heure, tu auras la bouche sucrée.
La terre sent bon la semence,
Elle est brune et aiguë, fièrement offerte.
La charrue, au fond du pré, attend l’attelage.
C’est bien cette senteur, ce ciel nu,
Cette vapeur lourde, cette forêt à ma rencontre
Et c’est bien moi parmi les vignes
Avec mon grand chapeau.
Et c’est bien ton ombre qui suit mon pas.
C’était bien toi agenouillé sur le prie-Dieu
Lorsque j’ai détourné la tête.
Je suivais le chemin de croix. Le prêtre
Disait avec le Christ : Je vous ai trop aimés.
Rappelle-toi…le vieux lustre du salon
Servait d’encensoir.
Tu t’étais détourné de l’hostie de papier
Et riant tu parlais de sortilège.
Rappelle-toi…j’avais peur du vide,
L’escalier n’avait plus de rampe.
Mais tout cela, je le connais déjà et je m’ennuie.
Lorsque le soleil se lèvera,
Je prendrai le chemin aveugle
Où l’homme marche aveugle.
On y parle de lendemains.
Alors tu me demanderas ce que j’ai fait
Et pourquoi j’ai tant tardé à revenir.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE - Extraits de « Terre Promise »
Poème de jeunesse publié en 1959, remarqué par Pierre Seghers, republié intégralement dans « Profil de la Nuit »