Pour héberger les histoires de ce recueil, Paul Yoon a inventé une île comme toutes celles qui sont dispersées à l’est de la Corée, qui ont longtemps balancé, au gré des aléas de l’histoire, entre ce pays et le Japon. Ses nouvelles racontent la vie des îliens de Sola, le plus souvent des gens de la terre qui sont, comme tous les îliens, fascinés par l’étendue de la mer et ce qui se cache derrière l’horizon.
Les textes de l’auteur sont empreints d’une grande sensibilité, ils évoquent ce qui touche les êtres, souvent des femmes fragiles en rupture avec leur milieu, abandonnées par des maris partis et parfois restés à la guerre, des femmes qui ont déjà vécu, au plus profond de leur intimité, à la limite du conscient et du subconscient, parfois même aux confins de la folie quand le réel s’évapore pour laisser place à l’imaginaire et aux fantasmes. L’auteur saisit toujours ses héros, plus souvent ses héroïnes, au moment où ils sont en équilibre entre un monde difficile mais supportable et un état nouveau provoqué par un drame imprévu, souvent la mort d’un être cher qui vient tout bousculer dans leur existence déjà précaire.
J’ai eu l’impression, à la lecture de ces nouvelles, que Paul Yoon cherchait à faire revivre des gens qu’il n’a pas connus mais qu’il aime profondément. En effet, il est né en 1980 aux Etats-Unis où il a suivi son cursus scolaire et universitaire, et il raconte souvent des histoires qui concernent des gens qui vivaient avant sa naissance, des îliens marqués par la guerre du Pacifique ou sa suivante, celle de Corée. J’ai ainsi eu le sentiment que ce jeune homme voulait rendre un hommage à ses ancêtres en leur adressant des textes qui évoquent, avec une touchante nostalgie, le pays d’origine où il n’est pas né, les ancêtres qu’il n’a pas connus, et les racines culturelles qu’il cultive dans son œuvre littéraire. Son écriture, même si elle est marquée par sa culture américaine, m’a rappelé des auteurs coréens dont j’ai lu les œuvres il y a plusieurs années : Yi Munyol, Cho Sehui, Ch’oe Inho, des auteurs qui s’expriment souvent, comme lui, à travers des nouvelles d’une grande sensibilité, des textes un peu elliptiques où la chute est souvent remplacée par des points de suspension imaginaires, un silence en suspens laissé à la disposition du lecteur. Ces nouvelles rappellent la fragilité et l’éphémérité de la vie de ces héros simples et innocents, suspendus en équilibre très précaire, exposés à des aléas brutaux et imprévus que l'on ne peut anticiper, surtout pas ces pauvres îliens coincés entre terre et eaux, entre Corée et Japon, entre rêve et réalité, quantité négligeable devant l’histoire et les éléments, l’eau, la terre et le feu qui jouent un rôle important dans chacun des textes.
Denis BILLAMBOZ
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