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22 août 2011 1 22 /08 /août /2011 09:54
Venise et les îles de la lagune

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Comment imaginer Venise sans les îles de sa lagune, ce précieux collier qui l'enserre et qu'il faut prendre le temps de découvrir, tant chacune d'elles est une perle rare, riche d'un passé unique, d'une histoire particulière et d'une physionomie qui la singularise dans ce florilège de lumière et de beauté. S'éloigner de Venise au petit matin, dans une lumière lactescente, est déjà un enchantement car, alors, la ville n'est plus qu'une suite de dômes et de campaniles, une sorte d'échappée vers les hauteurs, une architecture qui semble un envol de pierre au-dessus du gris soyeux des eaux. Notre première visite sera pour Murano. Le vaparetto, qui nous y mène, est tenu de suivre les chenaux naturels ou creusés de main d'homme qui les relient entre eux et sont balisés par de gros poteaux goudronnés. Un court arrêt à San Michele, devenu cimetière municipal, champ de repos pour les riches Vénitiens auxquels on refuse dorénavant une sépulture dans les églises et qu'occupent également deux charmantes églises et le campanile de l'ancien monastère des Camaldules. Il est rare d'y débarquer un voyageur, car les morts ne reçoivent de visites qu'une fois l'an, d'où cette impression d'un sérail délaissé par les vivants qui s'étiole en paix dans la solitude et le silence.

 

Murano se dessine au loin, parmi le vol des oiseaux de mer, comme une banlieue très méridionale de Venise, avec ses maisons basses, peintes de couleurs claires, qui n'ont rien de commun avec l'entassement pressé de la Sérénissime, où, parfois, la lumière pénètre à peine dans les calli. On goûte ici, comme dans la plupart des autres, la plénitude du silence qui ennoblit les îles de la Lagune. Célèbre centre verrier depuis le XIIIe siècle, Murano fut fondée au Moyen-Age par les réfugiés fuyant l'avance des Lombards et connut très vite un bien-être d'autant plus enviable qu'elle bénéficiait d'une autonomie administrative. Les nobles Vénitiens ne tardèrent pas à en faire un lieu de villégiature, ce qui contribua à sa prospérité ; l'île était alors couverte de somptueux palais dont la plupart ont disparu de nos jours, remplacés par les fours et les fabriques des industriels du verre.


La naissance de l'art du verre remonte aux Byzantins de Grèce et d'Asie mineure qui étaient parvenus à donner à leurs productions la couleur des pierres précieuses. Longtemps importatrice de ces pièces rares, Venise s'inquiéta de les produire à son tour et fit venir des artisans de Constantinople. Mais la présence des fourneaux risquait de transformer la ville, où le bois est omniprésent, en un gigantesque brasier. Le Grand Conseil jugea prudent  d'éloigner les ateliers de verriers et de les transférer sur l'île de Murano. Aussi n'était-il pas question de poser le pied sur l'île sans entrer dans l'antre d'un souffleur de verre et de voir naître, sous nos yeux, quelque objet, aérien et évanescent, de la fusion de la pâte et du feu. Travail étonnant, où l'on constate que cette matière si ductile se prête aux fantaisies les plus audacieuses et aux ornements les plus recherchés. Nous en trouvons d'éloquents témoignages dans les galeries de Murano et, bien entendu, dans les innombrables et luxueuses boutiques de Venise. Mais le charme de l'île ne se découvre que peu à peu, lorsqu'on s'éloigne des centres verriers pour musarder le long des quais du grand canal et que l'on s'attarde un moment dans l'église Sainte Marie des Anges ou devant le palais Da Mula, le seul qui soit resté debout, avec ses décorations byzantines et son style gothique flamboyant.

 

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  TORCELLO  ( L'entrée de l'église San Fosca )

 

Le bateau repart en direction de Torcello sur ce lac somnolent où repose un paysage presque sans relief, comme celui des atolls polynésiens. Nous longeons l'île San Giacomo in Palude, minée par les eaux et le temps. Il y avait là, au XIIe siècle, un hospice réservé aux pèlerins qui revenaient de Terre sainte. Plus loin, on aperçoit une autre île, tout aussi abandonnée, et que les ans ont rongée inlassablement, l'île de la Madonna del Monte, qui abrita autrefois un monastère de bénédictins. La suivante est Torcello, que l'on atteint par un rio étroit et peu profond, ce qui oblige le vaparetto à débarquer ses passagers le long d'un sentier de berge qui conduit au seul centre habité de l'île : la place où se trouvent réunis la cathédrale Santa Maria Assenta, l'église de San Fosca, les dépendances, cinq ou six maisons paysannes et un petit musée aménagé dans deux bâtiments qui a charge de présenter des vestiges liés à l'histoire de Torcello ; enfin un hôtel pour voyageurs bien fournis en devises ou travellers'chèques, que fréquentèrent Hemingway, Ava Gardner, Giscard d'Estaing et quelques autres... et où la table a la réputation d'être la meilleure de Vénitie.


L'histoire de Torcello, célèbre pour les admirables mosaïques de ses églises, le pavement de son presbytère, aussi précieux qu'un tapis de mosquée, et la somptueuse ornementation de l'iconostase de Santa Maria Assenta, remonte à la nuit des temps. C'était alors des milliers d'hommes et de femmes qui peuplaient l'île, à l'aube de l'extraordinaire épopée vénitienne. Il faut remonter jusqu'à l'Iliade d'Homère pour tenter de retrouver les origines des Vénitiens. Nous y découvrons un peuple indo-européen accourant au secours de Priam lors de la guerre de Troie. Ils sont alors appelés Enètes, ce qui donnera Vénètes en latin. Ayant abandonnés leur terre natale, ils s'établissent en bordure de l'Adriatique, autour de l'actuel Padoue et fondent la future Altino (Mestre). C'est naturellement sur la terre ferme que ces peuplements s'accroissent et se soumettent sans peine à l'ordre romain. Sous l'Empire, la région est déjà appelée Venetia (Vénétie). Mais, à partir de l'an 168, les invasions de peuples barbares se multiplient et s'accompagnent de l'exode d'une partie de la population vers les îles de la Lagune, qui leur garantissent une plus grande sécurité. Les hasards de l'histoire vont faire dépendre cette région de l'Empire byzantin et établir Ravenne comme la capitale de l'Empire Occidental, ayant la responsabilité d'administrer les possessions italiennes de Constantinople. L'occupation des îles deviendra permanente avec le déferlement des Lombards qui s'emparent successivement des villes d'Aquilée, de Padoue et d'Altino. Les habitants de cette dernière jugent sages de se déplacer sur l'île la plus proche qui n'est autre que Torcello, où ne demeurent alors que quelques pêcheurs. En 639, ces nouveaux occupants érigent l'église et les fortifications, dont les tours auraient donné son nom à l'île ( torcello signifie " petite tour"). Le déclin s'amorcera vers le IXe siècle, le prestige grandissant de Venise causant le départ de nombreux habitants. Ruskin, George Sand, Musset se sont délectés de ses parfums rustiques et furent impressionnés par " le silence inconcevable qui régnait sur cette nature". Ruskin se plaisait à monter au sommet du campanile pour se pénétrer de la mélancolie de cette île-fantôme où seules les pierres témoignent encore de sa gloire passée.
 

 

  burano.jpg      Burano

 

 

Burano est son contraire. Nous accostons à l'heure méridienne, alors que l'air est devenu doux et la lumière intense, sur une place herbue plantée de jeunes arbres où sont exposées, sur des tréteaux, les fameuses dentelles de Venise qui sont, en définitive, les dentelles de Burano. Et on ne peut qu'être séduit par la gaieté du décor composé de maisons à un seul étage qui semblent avoir été peintes par des enfants épris de couleurs vives : vert-pomme, jaune-citron, rose-corail, bleu-ciel, les portes et fenêtres encadrées de blanc de chaux, à se croire tombé au coeur d'un pueblo mexicain. Le canal, qui se prélasse entre les rives, ouvre d'amusantes perspectives et tout ici respire l'insouciance : les restaurants ouvrant de larges terrasses sur les placettes et sur les rues, les boutiques regorgeant de vêtements aux broderies ravissantes et les pâtisseries vous proposant à l'envi les fameux biscuits de Burano, les bussota buranello, qui fleurent bon l'oranger. Une des caractéristiques de Burano est sa tour penchée comme à Pise. En effet, le campanile accuse une inclinaison de 1,85. "Tombera, tombera pas !" -  c'est le jeu auquel se prêtent volontiers les touristes et les habitants.

 

Il est déjà trop tard pour penser à déjeuner, alors qu'il aurait été si bon de s'attarder plus longuement sur la place inondée de soleil où quelques enfants jouent à la marelle. Mais on ne peut tout faire : et manger et visiter. Et nous avons opté pour la seconde solution : sacrifier le repas de midi pour avoir le maximum de temps à consacrer à la découverte des lieux. Maintenant nous longeons San Francesco del Deserto où - dit-on - à son retour de Terre sainte, saint François aurait fait escale quelques semaines. Un noviciat fut bâti, par la suite, qui prit le nom du fondateur de l'ordre des franciscains. L'île aurait été abandonnée lors d'une épidémie de malaria. Ici on peut presque parler de désert, un désert bucolique et délicieux, où l'on jouit d'une vue charmante sur Burano. Le vaporetto a pris le chemin du retour. La Lagune se peuple d'ombres et le soleil s'incline déjà sur les eaux. Au loin, on discerne les sommets enneigés des Dolomites. Il y a 3 ou 4 jours que la neige est tombée en abondance. Elle tapisse le ciel et se boursoufle comme un nuage immobile, tandis, qu'à l'opposé, Venise se profile avec ses lumières discrètes, tamisées de rose et de mauve, et que le soleil pose désormais sur l'onde pâlie les pleins feux de son sérénissime crépuscule. Cette journée dans les îles valait bien un repas.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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22 août 2011 1 22 /08 /août /2011 09:13
Delphes ou le royaume des dieux

 

Ce serait dommage de visiter la Grèce et d'oublier Delphes, ce sanctuaire panhellénitique dédié au dieu Apollon et dressé comme un amphithéâtre au pied du Mont Parnasse, tourné vers les eaux azurées de la baie d'Itéa.

 

" Et dès qu'on atteint le pied des deux Phédriades, on a en face de soi quelque chose qui a l'air d'être la faille des failles : les deux roches que sépare une gorge effrayante, étroite et inaccessible... C'est là, le long de la gorge, là où les deux roches se rejoignent que sort, de manière tout à fait imprévue, l'eau la plus cristalline : l'eau de Castalie, la célèbre fontaine où tous, prêtres et pèlerins, se lavaient avant d'entrer dans le temple."
Chr. Karouzos

  

 Le " nombril du monde ", ainsi fut baptisé le lieu à une certaine époque. Dès la plus haute antiquité, ce site escarpé qui se dresse à une altitude de 500 à 700 mètres, bénéficiant d'une situation panoramique exceptionnelle sur les flancs du mont Kirphis, la gorge de Pleistos, la plaine d'Amphissa, la mer presque toujours tranquille de la baie d'Itéa et, par delà le golfe de Corinthe, sur les montagnes infinies du Péloponnèse - fut un sanctuaire vers lequel accouraient des foules immenses, autant pour consulter l'oracle que pour participer aux jeux pythiques.


Delphes, déjà occupé à partir du troisième millénaire avant J.C., parce que ses montagnes et ses plaines arrosées par les sources permettaient à l'homme de subsister avec ses troupeaux, connut son apogée vers le VIIIème siècle avant notre ère. C'est à cette époque que l'on trouve les premiers témoignages sur le culte d'Apollon. Dans les vers d'Eschyle, nous apprenons de la bouche de la Pythie qu'à Gê, la mère des dieux, succéda sa fille Thémis, puis son autre fille Titanis Phoibè qui donna son nom à Phoibos Apollon, alors qu'un hymne homérique nous raconte comment Apollon fonda son premier temple, après s'être rendu maître des lieux, en tuant Pythô, le dragon femelle, qui veillait sur la source sacrée. Apollon rendait les oracles dans le sanctuaire de Gê par la bouche de la Pythie, assise au-dessus de l'ouverture d'une crevasse, d'où l'esprit s'exhalait. Les premiers prêtres d'Apollon furent des Crétois, originaires de Cnossos. L'oracle acquit très vite une grande réputation, non seulement dans le monde grec, mais dans tout le monde connu d'alors. Des nomades barbares envoyaient des émissaires pour consulter l'oracle et offraient de nombreux présents. Au début, l'oracle n'était rendu qu'une fois l'an ; ensuite, à la vue de l'affluence considérable de visiteurs, il fonctionna le septième jour de chaque mois.

 

Les Grecs aimaient les oracles. Peuple curieux et impatient, ils voulaient tout savoir, même l'avenir. L'énigme leur plaisait, elle exerçait la subtilité de leur esprit ; mais ils aimaient aussi la pompe et l'éclat des fêtes. Platon trouvait pour ces solennités un motif social : "Les dieux, disait-il, touchés de compassion pour le genre humain, que la nature condamne au travail, lui ont ménagé des intervalles de repos par la succession régulière des fêtes instituées en leur honneur." Les Grecs goûtaient si bien cette raison, qu'ils multiplièrent les intervalles au point que les temps de repos égalaient presque les temps de labeur. On comptait à Athènes plus de quatre-vingts jours de l'année consacrés aux  fêtes et aux spectacles. La Pythie était généralement une femme d'âge avancé qui, dès qu'elle entrait au service du dieu, abandonnait mari et enfants. Elle s'installait à l'intérieur de l'enceinte sacrée et se rendait, dès l'aurore, à la source Castalie pour s'y purifier, puis, en procession, les membres du culte se dirigeaient vers l'adyton du temple. Là, sur un trépied, qui était sensé être le trône d'Apollon, la Pythie s'asseyait et rendait ses oracles, tandis que les prêtres allumaient le feu qui servirait au sacrifice rituel. Les consultants formulaient leur demande oralement ou par écrit et l'un des officiants en donnait lecture à la Pythie, qui, le plus souvent, ne savait pas lire. Ses réponses dictées par l'esprit du dieu Apollon pouvaient être obscures ou ambiguës, si bien que chacun des destinataires les interprétaient ensuite selon sa convenance personnelle. L'un des exemples les plus fameux est la prédiction que l'oracle fit à Crésus, roi de Lydie. Celui-ci avait demandé s'il sortirait vainqueur d'une guerre contre les Perses. L'oracle répondit : " Si Crésus traverse l'Halys, il détruira un grand royaume ". Crésus interpréta la prophétie à son avantage, fit la guerre et fut vaincu. Tous comprirent alors ce que l'oracle voulait dire : qu'en déclarant la guerre aux Perses, Crésus détruirait son royaume. Et ils reconnurent qu'une fois encore l'oracle avait eu raison.

 


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      Delphes, vue d'ensemble 

 

La renommée de l'oracle fut bientôt telle dans le monde grec et barbare que la plupart des princes d'alors n'entreprenaient rien avant d'être venus à Delphes, par voie de terre ou de mer, pour le consulter. Le roi Midas alla jusqu'à envoyer son trône royal comme gage de sa vénération à Apollon. C'est ainsi que l'on commença d'édifier les trésors, petites constructions en forme de temple qui s'élevèrent le long de la Voie Sacrée conduisant au temple d'Apollon, et dans lesquelles les chefs ou les cités entreposaient leurs offrandes. Quant aux jeux pythiques, ils avaient lieu tous les huit ans et donnaient droit aux vainqueurs de faire élever leur statue et de la voir  figurer à l'intérieur de l'enceinte. Les festivités duraient sept jours. Le premier jour était consacré au sacrifice de trois taureaux ;  lors du deuxième se déroulait une procession et on offrait en sacrifice cent taureaux ; le troisième, on devait manger, lors d'un banquet, la chair des victimes de la veille ; le quatrième jour commençaient les concours lyriques et dramatiques ; le cinquième et le sixième étaient voués aux épreuves du stade (courses hippique et de chars, lutte, course de vitesse, lancement du disque, saut etc.), enfin les concours gymniques se tenaient le septième et dernier  jour.

 

Le site archéologique de Delphes continua de vivre, d'une certaine manière, à l'époque byzantine et à l'époque moderne. Un monastère de la Dormition de la Vierge s'élevait sur les ruines de la palestre du gymnase et fut détruit par les Français pour les besoins des fouilles. La zone sacrée était alors le village de Kastri qui fut transféré à son emplacement actuel et rebaptisé Delphes. Parmi les premiers archéologues qui effectuèrent des fouilles, il faut citer Otfrid Müller et son disciple Ernst Curtius. Les Américains et les Allemands demandèrent l'autorisation de fouiller, mais c'est finalement l'Ecole française d'Athènes, dirigée par Théophile Homolle, qui l'obtint en 1891 et les fouilles systématiques commencèrent en 1892. Par chance, le site et le musée n'eurent pas à souffrir de la guerre de 39-45, ni de l'occupation. Peu de lieu dont émane une telle impression de grandeur. Le paysage lui-même est majestueux, amphithéâtre de montagnes ouvert sur le large horizon de la mer, avec les pentes vert sombre des cyprès et des oliviers. La puissance qui se dégage, l'émotion que l'on éprouve sont intraduisibles.

 

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  Le temple d'Athéna Pronaia

  

Le génie de l'homme s'est inscrit au burin sur chacune des pierres, tatouage évocateur et sublime laissé par le temps sur la terre noire. Depuis l'emplacement du musée - qui rassemble des trésors, dont la statue en marbre d'Antinoos, le favori de l'empereur romain Hadrien, et l'Aurige (conducteur de char) l'un des chefs-d'oeuvre de l'art grec ancien, vêtu d'une longue tunique cérémonielle comme il seyait à ceux qui prenaient part à des rites solennels, car tous les concours  -dans les grands sanctuaires de l'Antiquité - avaient un caractère sacré. Dans son attitude, toute de noblesse, rien de concret n'exprime la joie de la victoire. Aucun sentiment fugitif, nul geste intempestif, mais la sérénité olympienne de l'immortalité - Donc, depuis l'emplacement du musée, on ne cesse de gravir les paliers successifs qui mènent au temple d'Apollon par la Voie Sacrée, puis au théâtre qui avait la capacité de recevoir 5000 spectateurs, enfin au stade.

 

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                         Le stade
 

C'est là que j'ai éprouvé l'impression la plus vive. Nous étions seuls mon mari et moi, le reste du groupe n'ayant pas souhaité, par la chaleur, affronter le sentier très escarpé et la dénivellation importante. Le silence régnait dans la lumière d'or de cette fin de matinée. Sur la longue piste sableuse bordée par les gradins, on pouvait imaginer les chars s'affrontant lors des courses, les cris des spectateurs massés de part et d'autre, et rarement lieu ne m'a émue à ce point. Il y a 28 siècles qu'ici des hommes commencèrent à écrire l'histoire du monde, dont nous leur sommes redevables aujourd'hui encore, une histoire qui a placé l'art et la culture au sommet des valeurs humaines, développé une réflexion profonde sur l'Etre et le Divin, vu naître la philosophie et les mythes qui ont fondé la culture occidentale actuelle et, à travers le temps, transmis un message d'intelligence et de civilité insurpassable.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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22 août 2011 1 22 /08 /août /2011 08:53

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La grandeur et la beauté de Saint-Pétersbourg, sauvées par la Providence des cataclysmes du XXe siècle, sont inséparables de la splendeur  des résidences d'été des empereurs de Russie proches de la capitale. Ces ensembles constituent des merveilles artistiques et personnalisent l'activité, les goûts, les prédilections des monarques qui avaient choisi d'y résider. L'ensemble de Peterhof, avec ses palais, ses fontaines, ses cascades et ses jardins est intimement lié à la personnalité hors du commun de Pierre le Grand qui avait élu ce lieu à cause de la proximité de la mer, face à la Suède son ennemi.


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En effet, Pierre le Grand avait décidé de faire construire Peterhof afin de surveiller les travaux de Cronstadt, son futur arsenal, sur l’île Kotline. Par la suite, il envisagea d’amplifier le projet d’origine et d’établir un domaine comparable à Versailles qui l’avait tant impressionné lors de son séjour en France en 1717. Il chargea d’ailleurs un français Jean-Baptiste Le Blond d’en élaborer les plans et ensuite de surveiller la construction du Grand Palais. La merveille, que représente le parc, le palais principal et les bâtiments annexes dont Marly, Monplaisir et le pavillon de l’Ermitage, eut à souffrir de la guerre de 39/45, du fait de sa proximité avec la ligne de front. En 1944, soixante dix mille arbres avaient été abattus dans le parc et seuls subsistaient les murs du Palais. Les travaux de restauration commencèrent dès la fin du conflit, à partir des documents, photos et dessins nombreux que l’URSS possédait toujours. Il fallut 20 ans pour redonner à Peterhof sa splendeur d’antan, mais le résultat est stupéfiant.

 

Il était une fois un tsar qui avait une haute idée de son pays pour lequel rien n’était ni trop grand, ni trop beau. Il fallait qu’à l’égal des autres rois et empereurs d’Europe, Pierre le Grand ait à offrir à son immense empire, non seulement une capitale - Saint-Pétersbourg - qui jetait un défi à la nature, mais un palais capable de rivaliser avec ceux qu’il avait admirés hors de ses frontières. Ce tsar bâtisseur, souverain omniprésent, marin infatigable, travailleur acharné, qu’aucune tâche ne rebutait, souhaitait présenter à ses visiteurs un monument en mesure d’incarner les transformations qui s’opéraient en Russie et une résidence maritime d’apparat. Car Peterhof est tourné vers la mer. Cette résidence est comme un balcon glorieux surplombant le golfe de Finlande et affrontant de loin l’ennemi d’alors : la Suède. A Peterhof, l’eau est le dominateur commun, celui qui conjugue les innombrables tours et détours de l’architecture paysagère et c’est à ses fontaines et à leur système hydraulique unique qu’il doit sa renommée. Le rêve est tout d’abord un rêve d’eau. Elles surgissent de partout et de nulle part, eaux scintillantes des cascades qui, ce jour-là, s’irisaient sous l’ardeur des rayons solaires en une apothéose aquatique.



Ici les eaux s’approprient l’espace en des formes et variations diverses, si bien que dans ce parc de 102 hectares elles jaillissent comme des soleils, des champignons, des gerbes de fleurs, des pyramides, tandis que leur bruit cristallin évoque le chuchotement d’une paisible conversation. Le clou est bien entendu la Grande Cascade ornée de statues et de bas-reliefs occupée en son centre par la fontaine de Samson déchirant la gueule du lion, allégorie en l’honneur de la célèbre bataille de Poltava, où l’armée commandée par Pierre Ier mit en déroute celle du roi de Suède Charles XII le 27 juin 1709, jour de la saint Samson l’Hospitalier.

 

Depuis le château, la vue est féerique et porte jusqu’à la mer en une succession de plans, l’eau se déversant de vasques en vasques pour composer un véritable spectacle, où le chant des fontaines et le murmure des flots s’unissent en un hymne solennel. Pour le tsar, la grandeur de son empire fut son unique souci, celui auquel il sacrifia toutes ses forces et s’obligea parfois à une dureté implacable. «  Lorsqu’on a assuré la sécurité de l’Etat face à ses ennemis, il convient de s’efforcer de conquérir pour lui la gloire par le moyen des arts et des sciences » - écrivait-il peu de temps avant de mourir. Initiateur de la Russie moderne, il porta ses efforts sur le maintien des positions russes en Baltique et eut à cœur de fonder une capitale - Saint-Pétersbourg - capable de rivaliser avec les grandes cités européennes. En même temps, il dotait son pays d’un port sur la Baltique destiné à contenir la menace suédoise et à devenir « une fenêtre sur l’Europe » correspondant à sa puissance.
 


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                         Monplaisir

 

Or cet homme, qui avait tant d’orgueil pour sa patrie, se plaisait à vivre simplement. Chez lui le marin et le guerrier l’emportaient sur le monarque. La rusticité lui convenait mieux. A Peterhof, il n’occupa que rarement le Grand Palais réservé aux fêtes commémoratives et aux réceptions. Il préférait se retirer à Monplaisir, une demeure aux proportions modestes dont le toit, en forme de tente, rappelle ses goûts hollandais, de même que les innombrables parterres de tulipes, qu’amoureux de ces fleurs découvertes lors de son voyage européen, il dispersa à l’envi dans ses jardins et qui étaient en pleine floraison fin mai lors de notre voyage. L’architecte Le Blond prit part à la construction de ce pavillon, ainsi que le sculpteur Bartoloméo Rastrelli et le peintre François Pillement. La galerie et les salles renferment une précieuse collection de peintures, on parle de 200 tableaux, une première en Russie initiée par le tsar en personne. On sait qu’il transmettra son goût de collectionneur à sa fille Elisabeth (1741 - 1761 ), cultivée et poète à ses heures et que, plus tard, Catherine II suivra son exemple et réunira, avec le soutien de son conseiller et favori Potemkine, la collection fabuleuse d’objets rares et de toiles de maîtres que l’on admire aujourd’hui au musée de l’Ermitage.

 

Où que l’on soit et d’où que l’on regarde, Peterhof éblouit. L’intimité et la grandeur s’y côtoient et l’on ne sait ce qu’il faut admirer le plus, de l’architecture des jardins ou de celle des palais, de la grâce des pavillons délicatement posés sur les eaux ou des parterres de fleurs aux teintes vives, de la paisible et grandiose ordonnance des lieux ou de l’immensité qui ne cesse de vous captiver. Quant au Grand Palais, qui fut profondément remanié sous le règne de Elisabeth par Rastrelli, il resplendissait de l’or de ses coupoles et de sa statuaire en cette matinée printanière. L’architecte et décorateur italien fit élargir l’édifice de Pierre en y ajoutant de chaque côté des galeries couvertes aboutissant à deux pavillons à étage : celui de la Chapelle et celui des Armoiries. A l’intérieur, de nombreuses salles furent transformées à leur tour par Catherine II qui entendait marquer son passage et dont on sait les goûts classiques alors en vogue dans toute l’Europe. A Peterhof règne sur 360° l’art, le luxe et la beauté et l’on ne peut que s’émerveiller de l’immense travail des restaurateurs qui surent retrouver les gestes, le savoir-faire et la patience des artistes et artisans de jadis. Belle preuve, qui aurait conforté Fedor Dostoïevski, que la beauté demeure et peut renaître ainsi des cendres et des larmes.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


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Peterhof ou la maison de Pierre
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22 août 2011 1 22 /08 /août /2011 08:26
Olympie

Olympie

Corinthe

Corinthe

 

On ne se lasse jamais de rediriger ses pas vers la Grèce et le Péloponnèse, ces lieux qui ont vu la naissance de notre civilisation, ce pays dans lequel le passé se pare de toutes les grâces :

 

" La colline au pied de laquelle je me trouvais était donc la colline de la citadelle de Sparte, puisque le théâtre était adossé à la citadelle ; la ruine que je voyais sur cette colline était donc le temple de Minerve- Chalcioescos, puisque celui-ci était dans la citadelle ; les débris, et le long mur que j'avais passé plus bas, faisaient donc partie de la tribu des Cynosures, puisque cette tribu était au nord de la ville. Sparte était donc sous mes yeux ; et son théâtre que j'avais eu le bonheur de découvrir en arrivant, me donnait sur-le-champ les positions des quartiers et des monuments. Je mis pied à terre, et je montai en courant sur la colline de la citadelle.
Comme j'arrivais à son sommet, le soleil se levait derrière les monts Ménélaïons. Quel beau spectacle ! mais qu'il était triste ! L'Eurotas coulait solitaire sous les débris du pont Babyx ; des ruines de toutes parts, et pas un homme parmi ces ruines ! Je restai immobile, dans une espèce de stupeur, à contempler cette scène. Un mélange d'admiration et de douleur arrêtait mes pas et ma pensée ; le silence était profond autour de moi : je voulus du moins faire parler l'écho dans des lieux où la voix humaine ne se faisait plus entendre, et je criai de toute ma force : Léonidas ! Aucune ruine ne répéta ce grand nom, et Sparte même sembla l'avoir oublié."

 

Chateaubriand ( Itinéraire de Paris à Jérusalem )

 

De l'antique Lacédémone ( Sparte ), il est vrai qu'il ne reste plus grand chose. De ce peuple qui fit trembler les Athéniens, de la ville de Pausinias, de la maison de Ménélas, l'époux d'Hélène, du tombeau de Léonidas, rien d'autres ne subsiste que quelques colonnes, les vestiges de l'ancien sanctuaire d'Artémis Orphia, un lion rugissant, les assises du théâtre de l'époque romaine, cela enseveli dans une vaste étendue d'oliviers, au coeur de la vallée de la Laconie arrosée par l'Eurotas et dominée par les cimes du Taygète. Les lois qui furent instituées par Lycurgue, illustre législateur, et prévalurent sur la Cité de Sparte, en firent une ville austère, un lieu où l'éducation des jeunes et la coordination sociale s'appuyaient sur des critères essentiellement militaires. Cette organisation qu'imposa Lycurgue conduisit la ville à s'affirmer de façon autoritaire dans tout le Péloponnèse, puis peu à peu à instaurer son hégémonie sur l'ensemble de la Grèce, enfin à vaincre Athènes elle-même. Mais la gloire fut de courte durée et bientôt la ville fut supplantée par Thèbes, avant de plier sous le joug romain. Du grand commandant spartiate Léonidas, qui s'illustra par son courage et mourut vaillamment dans le défilé des Thermopyles ( portes chaudes ) en Thessalie, où il opposa une défense héroïque avec ses 300 guerriers contre l'armée perse de Xerxès Ier, il ne reste qu'une statue en marbre exposée dans le musée local et que l'on identifie romantiquement au héros, ainsi qu'un petit temple hellénique hors de l'acropole. Sparte s'est endormie pour toujours et c'est l'impression qu'elle donne. On s'y sent en état de veille comme devant un tombeau.


" Si des ruines où s'attachent des souvenirs illustres font bien voir la vanité de tout ici bas, il faut pourtant convenir que des noms qui survivent à des Empires et qui immortalisent des temps et des lieux, sont quelque chose. Après tout, ne dédaignons pas trop la gloire ; rien n'est plus beau qu'elle, si ce n'est la vertu."    ( Chateaubriand )

 

     

   MYCENES OU LE TEMPS LEGENDAIRE

 

La nécessité de convaincre avant de commander aiguisa l'esprit des Grecs dès les temps les plus reculés. Libres dans leur organisation politique, ils l'étaient plus encore dans leur organisation religieuse. Point de prêtres ou mieux pas de clergé constitué et point de livre saint, ce qui signifie pas de doctrines consacrées. Néanmoins, la superstition étant l'un des instincts les plus naturels de l'homme, ce peuple n'eut de cesse de se référer à des devins, des mages qui voyaient le monde invisible et interprétaient les signes célestes par des convulsions, des gémissements, des sentences, comme le faisait la Pythie de Delphes qui sentait le dieu remuer en elle et exprimait ainsi ses volontés. Les Grecs croyaient tellement en leurs prophètes qu'ils les consultaient en toute confiance.



Par ailleurs, il est curieux de constater que l'étude de l'histoire primitive du pays nous ramène constamment à l'Asie, où les Grecs semblent avoir découvert la plupart de leurs dieux. Une légende, celle du Crétois Minos, confirme le fait de ces relations étroites entre l'Asie et la Grèce. Peut-être venaient-ils de ces lointains pays ces mythiques cyclopes qui sont sensés avoir édifié les fondations de Mycènes, la ville de Persée, ce personnage légendaire né de l'union de Zeus et de Danaé. A sa suite, le pouvoir se transmit à Atrée et Thyeste qui se réfugièrent dans la ville, après avoir subi la malédiction paternelle, et y fondèrent la dynastie glorieuse et maudite des Atrides. Cette dynastie s'attira, en effet, les foudres divines après le funeste banquet qu'Atrée se crut devoir offrir à son frère, en lui servant la chair de ses propres enfants. On dit que le soleil se retira alors, pour ne pas éclairer un forfait aussi atroce.
Agamemnon, le héros d'Homère et d'Eschyle, chef de l'armée achéenne, n'était autre que le fils d'Atrée et résume à lui seul, au travers de sa fin tragique, le sort de cette famille. Après qu'il eût combattu à Troie pour venger l'honneur d'Hélène, épouse de Ménélas, enlevée par Pâris, sacrifié sa fille Iphigénie pour obtenir des vents favorables à sa flotte encalminée à Aulis, il revint à Mycènes pour y être assassiné par Egisthe, l'amant de sa femme Clytemnestre. A leur tour, huit ans plus tard, les amants périront de la main du fils de Clytemnestre, Oreste, qui  souffrira mille tourments pour avoir commis ce parricide. Avec lui disparaissaient la famille des Atrides et leur sombre destin.

 

J'étais d'autant plus curieuse de découvrir Mycènes, d'où le roi Agamemnon s'était embarqué pour Troie, que j'avais visité, il y a de cela une trentaine d'années, ce qui reste en Asie mineure de cette ville qui fut le théâtre d'une semblable épopée. Selon certains, mais cette hypothèse est par ailleurs controversée, nous devons à l'archéologue Schliemann, non seulement la découverte des ruines troyennes, mais les fouilles des glorieuses tombes de l'acropole mycénienne. Il rêvait depuis longtemps d'extraire, de cette accumulation de ruines, les vestiges des mythiques dynasties homériques et il y parvint en dégageant du sol de nombreux objets, dont le masque d'or que l'on pense être celui du roi Agamemnon et qui se trouve, aujoud'hui, au musée national d'Athènes.

 

 

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Tholos d'Atrée ou tombe supposée d'Agamemnon       

 

On pénètre dans la citadelle par la Porte des Lions, symbole de la puissance des Atrides. La porte est le seul exemple de  sculpture de l'époque ( 1400 à 1200 av. J. C. ), représentant  deux  fauves se faisant face et que sépare une colonne centrale. De la Porte des Lions, on monte ensuite, en empruntant la grande rampe, jusqu'au palais, dont l'intérieur s'articule autour d'une vaste cour. On peut alors se diriger vers la porte arrière, celle qu'avait franchi Oreste après qu'il eût tué sa mère, accomplissant ainsi le tragique destin de la maison royale d'Atrée.

 

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                       La porte des Lions 

 

Au-delà de la citadelle, qui domine la vallée de sa puissance, on accède aux tombes d'Egisthe et de Clytemnestre et on termine la visite de Mycènes par la Tholos d'Atrée, l'un des exemples les plus représentatifs de la sépulture royale d'âge antique. Autant Sparte inspire la mélancolie, autant Mycènes impressionne le visiteur par la force qu'elle dégage encore, volonté forcenée de ceux qui édifièrent ces murailles et assemblèrent ces pierres gigantesques comme pour défier le ciel et les dieux.

 

 .
    LA GRECE SOURIANTE
 

 

CORINTHE, située à l'ouest de l'isthme du même nom, est le chef-lieu de la Corinthie en Argolide. Les ruines se trouvent rassemblées au pied de l'Acrocorinthe, rocher de 575 mètres qui s'élève comme une imposante forteresse, témoignant de l'emplacement de la ville antique, une cité opulente qui contrôlait l'isthme, c'est -à -dire le trafic maritime de l'époque entre la mer Ionienne et la mer Egée. La tradition fait de Sisyphe le fondateur de la cité, qui se nommait alors Ephyre. Ce héros de la mythologie grecque était représenté comme le plus rusé des hommes et on alla jusqu'à lui donner pour fils Ulysse, tant il y avait de ressemblance entre eux. Ce fut lui qui dénonça au fleuve Asopos le rapt de sa fille Egine par Zeus. Furieux, Asopos lui envoya Thanatos, mais le rusé Sisyphe parvint à enchaîner le dieu des morts et il fallut l'intervention d'Arès pour le délivrer. Cette fois Sisyphe dut subir son destin, mais, avant de mourir, il recommanda à sa femme de ne pas lui rendre les honneurs funèbres. A peine arrivé aux Enfers, il s'empressa de dénoncer à Hadès la négligence de celle-ci et lui demanda de revenir un moment sur terre pour la punir. Rendu à la lumière et à la vie, Sisyphe se refusa à retourner au royaume des Ombres. Hermès dut se déplacer en personne pour ramener au bercail le mort récalcitrant. Pour pénitence, Sisyphe fut condamné à rouler sur la pente d'une montagne un énorme rocher qui redescendait chaque fois qu'il approchait du sommet. Bien entendu, ce rocher ne peut être, pour les habitant de l'Argolide, que l'Acrocorinthe.
C'est au VII et VIe siècle avant J.C. que la ville affirma sa puissance et fonda les colonies de Corcyre, Potidée et Syracuse. En perpétuelle compétition avec Athènes pour la maîtrise des mers, à laquelle elle dut renoncer lorsque Sparte s'assura l'hégémonie sur les Grecs, elle fut ensuite rasée et humiliée par les troupes romaines du consul Mummius. Rebâtie sous César cent ans plus tard, Corinthe redevint une cité florissante, dont la réputation de luxe et de plaisir était connue de tout l'Empire. Les anciens poètes, nous dit Thucydide, l'appelaient Corinthe la riche. Ce sont dans ses chantiers que fut construite la première trirème en l'an 700. Corinthe fut aussi la première ville à mouler des figures et elle précéda les autres cités grecques dans l'art du dessin. Plus tard, elle donnera son nom au plus riche des ordres d'architecture, cet art corinthien végétal qui exprime la grâce et l'insouciance.

 

Depuis Corinthe, quand le temps est serein - et c'était le cas pour nous ce jour-là - on découvre par-delà la mer de Crissa les cimes de l'Helicon et du Parnasse et, au nord, le mont Oneïus couvert de myrtes. Mais on ne voit pas de la ville antique la mer Saronique, il faut, pour l'apercevoir, monter sur l'Acrocorinthe. C'est - disait Spon - l'une des plus belles vues de l'univers. On sait que Paul l'Evangéliste y passa avec ses compagnons Crispus et Caïus et qu'il y prêcha ses célèbres Epitres, afin de ramener les habitants, perdus dans les effluves de vin et d'alcool, vers des préoccupations plus spirituelles. Il faut croire qu'il y réussit, car la Grèce est restée très profondément chrétienne, malgré quatre siècles de domination ottomane, et l'Argolide est couvert de monastères et de chapelles, comme ceux de Mistra et de Monemvassia.
Les ruines de Corinthe, dont le temple d'Apollon, sont majestueuses. Ce temple servit de modèle à celui d'Athéna sur l'acropole d'Athènes. Ensuite, on gagne l'agora en empruntant la route du Lechaion bordée de portiques, de boutiques et de bains publics qui, jadis, conduisait à l'ancien port. On peut imaginer ce que ce devait être, lorsque les voiles des trirèmes claquaient au vent... Plus loin encore se trouve l'un des plus beaux monuments de l'époque impériale : la fontaine Pirène. Elle  doit son nom à la jeune Pirène qui, ayant versé tellement de larmes à la mort de son fils, fut changée en fontaine.

 

     EPIDAURE

 

Le théâtre d'Epidaure est peut-être ce que j'ai vu de plus beau dans le Grèce antique, une merveille que l'on peut à peine décrire, car les mots manquent pour exprimer ce que l'on ressent, lorsque, presque seule au centre de cet amphithéâtre, ceint par un cirque de montagnes à l'abondante végétation, dans  le silence recueilli de la nature, à l' heure du soir où la lumière est blonde et rose, on le contemple dans sa splendeur intemporelle. On comprend que Pausanias, extasié à sa vue, le définit comme la construction la plus harmonieuse réalisée par les Grecs. Il fut élevé au IVe siècle avant notre ère par le même architecte que la tholos, Polyclète le jeune, et comprend un orchestre circulaire et 34 rangées de gradins. Ce théâtre bénéficiait, et bénéficie aujourd'hui encore, d'une acoustique exceptionnelle, au point que le moindre soupir est perçu du spectateur placé au plus haut des gradins.
D'une perfection absolue de par son architecture, il jouit d'autre part d'une parfaite insertion dans l'environnement naturel. Quel génie eurent les hommes de cette époque de savoir à ce point marier leur oeuvre de bâtisseur à l'oeuvre des dieux ! Le choix du lieu ne pouvait être meilleur, plus grandiose, mieux adapté à ce que l'on voulait y vivre et y représenter : ce compagnonnage intime avec les voix secrètes de l'univers.

 

Le théâtre avait beaucoup d'importance pour les Grecs, car, hormis le drame satirique et la comédie, il était, grâce aux oeuvres des grands auteurs tragiques, une école de morale. Les représentations dramatiques furent à l'origine des fêtes religieuses. On croyait la prospérité de la ville intéressée à ce que les solennités fussent célébrées avec une magnificence qui plût aux dieux. Du milieu des glorieuses manifestations de la pensée et de l'art qui se produisirent alors, la place d'honneur n'en revient pas moins à la poésie qui semble habiter le génie de ce peuple.
On peut établir deux périodes qui résument l'histoire générale du théâtre grec : dans la première les mystères ou drame religieux ; dans la seconde, le drame humain. Euripide appartenait à la seconde. Il a annoncé le théâtre moderne en portant sur la scène les passions de tous les temps. L'un des traits caractéristique de sa tragédie est la place qu'il réserve aux femmes et à l'amour.
Q
uant à la comédie, qui était née aux fêtes de Dionysos, elle fut dans les mains d'Aristophane une arme de combat avec laquelle il frappa surtout la philosophie et la science, les généraux les plus braves et les orateurs les plus éloquents. Il ne manqua à ce grand rieur devant l'éternel que de rire de lui-même. Il alla même jusqu'à malmener les prophètes et les devins, ce qui prouve l'avancée intellectuelle qu'avait effectuée la Grèce de l'époque.

 


La danse était aussi très présente dans les spectacles, parce qu'elle faisait partie des solennités religieuses. On attribuait au corps, à sa beauté, une grande importance et la danse était une façon d'exalter les perfections que les dieux avaient accordé aux hommes. L'art des choeurs comprenait le chant et la danse. Platon écrit à ce propos dans son Traité des lois : " Ces divinités qui président à nos solennités nous donnent le sentiment de l'ordre, de la mesure, de l'harmonie ; et ce sentiment qui, sous leur direction, règle nos mouvements, nous apprend à former par nos chants et nos danses une chaîne qui nous enlace et nous unit." Loin de craindre les exercices qui, en d'autres temps, ne servent qu'au plaisir, le philosophe les regarde comme nécessaires au bon ordre des cités et des âmes.

 

1153219684 g10    Le temple d'Hera à Olympie

                                  

  

     OLYMPIE

   

Si Epidaure représente l'harmonie à son plus haut degré de perfection, Olympie m'est apparue comme le sourire de la Grèce antique. Il y règne une paix à nulle autre pareille. On y voit partout des colombes, on y perçoit des roucoulements, on s'y sent dans une pastorale si pleinement sereine, comme si le temps s'arrêtait un moment pour écouter battre le coeur de la terre. Cette plénitude vous envahit dès que vous pénétrez dans ce site bucolique de l'Elide, baigné par le fleuve Alphée, et qui fut voué au culte de Zeus et d'Hera, son épouse. Fière de sa vertu, la reine de l'Olympe supportait mal les infidélités de Zeus, et ses vaines révoltes lui valurent de rudes châtiments. Parce que la fille de Laomédon, Antigone, s'était vantée d'avoir une chevelure plus belle que la sienne, Héra changea sa chevelure en serpents. De même qu'elle ne pardonna pas au Troyen Pâris de lui avoir préféré Aphrodite, lors du fameux concours des trois déesses sur l'Ida, et sa rancune ne fut satisfaite que lorsque toute la race des Troyens eut été anéantie.

 

Toujours selon la légende, les jeux furent créés par le mythique Pélops, qui, pour obtenir la main d'Hippodamie, usa d'un stratagème et tua le père de celle-ci lors d'une course de chars.  Les jeux Olympiques furent donc célébrés pour la première fois en l'honneur d'un roi mort. Ils furent ensuite abandonnés et rétablis plus tard par Héraclès. La date officielle du début des jeux se situe en 776 avant J.C. Cette année-là, Iphitos roi d'Elide, contemporain de Lycurgue, suivant les conseils de l'Oracle de Delphes, réorganisa les jeux pour mettre fin aux fléaux et aux divisions politiques qui dévastaient la Grèce. Cette grande fête sportive, dédiée à Zeus et à laquelle tous les hommes du pays pouvaient participer, avait lieu tous les quatre ans. Ces fêtes Olympiques commençaient avec la pleine lune. Les plaisirs pouvaient donc se poursuivre durant ces nuits de Grèce plus lumineuses que bien des jours nordiques. "Les dieux, disait Pindare, sont amis des jeux". Ceux de Delphes et d'Olympie éclipsaient tous les autres.

 

 

1153220813_g9.jpg  Entrée du stade à Olympie

                                                                    

 

Ni l'or, ni l'argent, ni l'airain ne récompensaient les victoires si vivement disputées. Une couronne de laurier ou d'olivier sauvage était la récompense du vainqueur. Mais, à quelque jeu que ce fût, c'était un insigne honneur de vaincre. Pour le vainqueur lui-même, mais également pour sa Cité. A son retour, on le recevait avec faste, ou lui donnait l'immunité d'impôt et le droit de s'asseoir aux premières places dans les spectacles ; les poètes le chantaient, les sculpteurs reproduisaient son image. Des pères moururent de joie en embrassant leur fils victorieux.

 

La zone sacrée, dite de l'Altis, est délimitée par deux enceintes, l'une datant du IV ème siècle av. J.C., l'autre de la période romaine. Hors de l'enceinte, on passe un portique et un gymnase, puis un palestre avec un portique à double colonnade, le Theokoléon construit pour accueillir les hauts fonctionnaires, un atelier ( ergasterion )où Phidias travailla avec ses élèves. Plus loin, le temple de Zeus, construit en 471 - 456 av. J.C., illustre l'apogée du style dorique. L'intérieur devait être dominé par la statue monumentale de Zeus, une oeuvre de Phidias. Une maquette, à l'entré du musée, permet de se représenter ce que devait être Olympie du temps des Jeux et de l'illustre Phidias. On peut admirer encore l'endroit où brûlait la flamme olympique et le stade où se déroulaient les épreuves. Dans le musée, parmi les magnifiques objets que les archéologues ont pu retrouver lors des fouilles, figure le célèbre Hermès tenant Dyonisos enfant sur son bras, oeuvre attribuée à Praxitèle et dont la beauté vous coupe le souffle. Me revenaient alors en mémoire dans ce site mémorable d'Olympie et après avoir eu la chance d'admirer tant de merveilles, cette phrase de Cicéron :


" Souvenez-vous, Quintius, que vous commandez à des Grecs qui ont civilisé tous les peuples, en leur enseignant la douceur et l'humanité, et à qui Rome doit les lumières qu'elle possède."

  

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Corinthe

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Epidaure, le théâtre

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24 juillet 2011 7 24 /07 /juillet /2011 07:47
Saint-Barthélémy

Saint-Barthélémy

 

Juillet 1989

L'année dernière, je vous contais ma première Manche, cette année je vous écris d'Atlantique. Pas celui qui baigne les côtes de Belle-Ile, mais celui qui étreint Marie-Galante, à l'autre bout de l'horizon, dans ce semis d'îles dispersées comme un vol d'oiseaux dans l'immensité turquoise. La Guadeloupe, les Saintes, je connaissais déjà. J'y étais allée en 1982 ainsi que l'on va quelque part ( lorsque l'on parle de tourisme). Aujourd'hui, c'est autre chose : je pars ailleurs, car en bateau, à la voile, au grand largue, au grand large. Découvrir une île à pied, à cheval, en voiture, est une aventure tout autre que de l'approcher par mer, de la voir naître et se dessiner à la façon d'une esquisse, d'un mirage, ou d'une vision qui vous subjugue. On a l'impression non d'aller à elle mais de la voir venir à nous, frissonnante de toutes ses palmes, couronnée d'un dais de nuages, cerclée d'un anneau de sable blanc

        .
Notre First 325 nous attendait ce samedi 15 juillet à la Marina de Point-à-Pitre. Une journée au port pour l'avitaillement, mais à notre étonnement, notre agence de location ne se met guère en frais pour nous accueillir et nous familiariser avec le bateau. La marina n'offre, quant à elle, qu'un confort succinct. Des douches certes, mais une grande surface mal achalandée en fruits et légumes. Nous nous contentons de faire le plein en eaux minérales et en produits de base. Dès le surlendemain lundi, nous appareillons. Les amarres sont larguées, le quai s'éloigne. Dès la sortie de la passe, nous ratons une bouée rouge ( système B international inversé). La quille flirte quelques instants avec le sable à notre vive inquiétude car les fonds, ici, passent très vite de 7m50 à 1m20, aussi virement de bord sur la cardinale nord que nous n'avions pas vue afin de nous retrouver dans la bonne direction. Bientôt le chenal ouest s'ouvre, l'île Cochon sur tribord, Caye Plate et Mouchoir Carré sont en vue. Il est temps de stopper le moteur. Face au vent, la grande voile se hisse avec un plaisir retrouvé. La mer est assez formée. Nous prenons le foc n°2. Et soudain, c'est le silence, avec le seul  feulement de l'eau sur l'étrave. Cap sur les Saintes. Tandis que nous longeons la côte de Basseterre,  nous voyons au loin se profiler, radieuses dans la claire lumière, les croupes vertes et bosselées de l'archipel et, plus loin encore, devinons Marie-Galante, l'île au rhum. A éviter, les deux baleines mal signalées qui moussent entre l'île Cabrit et la Terre d'en Haut. Enfin nous approchons assez pour apercevoir le charmant bourg avec ses toits rouges entourant le clocher et le célèbre amer de la maison en proue de navire. Notre bateau contourne le Pain de Sucre pour mouiller dans l'anse à Cointe, entre la plage du Bois-Joli et celle autrefois sauvage ( elle l'est un peu moins aujourd'hui ) qui s'ouvre, ainsi qu'une porte à double vantaux, sur les deux côtés de la mer. Premier bain tant attendu, car je m'étais promis de revenir un jour ici. C'est chose faite. Quelques maisons supplémentaires trouent la verdure mais, malgré elles, les Saintes conservent leur beauté et leur charme. Même animation dans le village de poupée qui ressemble au royaume des sept nains de Blanche-Neige. On a le sentiment qu'il doit être plus facile ici qu'ailleurs de prier dans la petite église pimpante et que le cimetière - semblable à une plage de sable où se seraient rassemblés les plus beaux coquillages - doit vous assurer la paix pour l'éternité. 

 
20/7 - Départ à 9H - 16° nord - 63° ouest. Alizés force 4. Brise légère. Le soleil commence à monter. Nous levons l'ancre. Cap au 322. Nous nous dirigeons vers Vieux-Fort. En réalité nous irons mouiller à Rivière-Sens. La traversée sous voile s'effectuerait aisément si nous n'essuyions un grain blanc, qui nous procurera de fortes rafales (35-40 noeuds). Brutalement le nuage crève, la visibilité devient extrêmement réduite. Parler de grain blanc est une expression juste, car l'horizon sur 360° se crible de mitraille de pluie qui confond en une unité aquatique ciel et terre. Tout siffle, souffle, crépite durant quelques minutes  interminables. Après que nous ayons bagarré avec le réglage des voiles, les choses s'apaisent. Les nuages, qui déboulaient de la Soufrière, s'en vont porter leurs grains ailleurs. Il est 10h30. Nous sommes en vue de la passe de Rivière-Sens. Une jetée de pierres sombres, un phare à sa mesure nous indiquent la chicane à prendre pour entrer dans ce mouillage. Il est utile de viser le milieu du chenal, car les fonds sont réduits ( 2m50 à 3m environ ). La marina n'offre que deux places libres. Nous choisissons celle qui se trouve entre un vieux bateau de pêche et un cruiser redondant, hérissé d'antennes. Par chance, un branchement d'eau à quai, juste devant nous, nous permet de nous rafraîchir, car la chaleur est particulièrement torride et la bâche, sensée nous tenir lieu de taud, n'est pas adaptée au bateau.
Quelques minutes ont suffi pour que surgisse un nonchalant galonné. C'est sûrement le grand chef de la capitainerie... En effet, il nous donne les consignes à suivre pour passer au bureau du port remplir les formalités ( à l'évidence, ils ne sont pas encore mûrs pour le marché commun de 1993). Avons-nous des douches ? Oui, mais elles sont en panne. Y a-t-il du fuel ? Normalement oui, mais la première station est fermée aujourd'hui et la pompe du port a été dévalisée par un bateau américain qui, le matin, a pris plus de 1000 litres. Cela commence bien. A la capitainerie, après avoir rempli les formalités d'usage, nous devons revenir après le déjeuner pour payer, car la personne qui encaisse s'est...absentée. A 15 h, puis 16h, elle n'est toujours pas revenue. La sieste doit être bonne. Nous réglerons notre dû à un employé blasé qui condescendra à encaisser notre monnaie. Pas non plus de ravitaillement à la marina. Heureusement pour nous, le stop existe et trois jeunes gens nous embarquent à bord d'une vieille peugeot  bringuebalante avec notre jerrycan pour le plein à la station du Vieux-Fort. Puis ils nous déposeront devant le supermarché, nous attendront et nous reconduiront à la marina. Cela, c'est de la complaisance gratuite dans la bonne humeur. Il est réconfortant de rencontrer autant de gentillesse et de désintéressement. Aux Saintes, on nous avait dit que Rivière-Sens était l'une des meilleures marinas de la Guadeloupe. Nous restons sceptiques et nous demandons ce que doivent être les autres.  En vérité, vive les mouillages forains !


21/7 - 8h15, aidés de la bourrique, nous mettons en marche pour assurer la sortie. Nous prenons la route cap au 13 avec une vitesse de 5 à 6 noeuds sous grand voile et génois en direction de l'anse Deshaies. Vieux-Port s'éloigne. Nous longeons la côte sous le vent, donc peu de vent. Nous ferons pas mal de moteur sous grand voile, ce qui nous permettra de recharger batteries et frigidaire. 21 miles parcourus par temps de demoiselle avec de jolis paysages, de beaux reliefs d'un vert intense parsemés, ici et là, par les efflorescences purpurines des flamboyants. Il a beaucoup plu, nous a-t-on dit, cette année, d'où la luxuriance et l'éclat des fleurs. Nous sommes enclins à le croire car nous constatons que nous sommes gratifiés de pas mal d'ondées et de vent. A 13h45, nous obliquons sur l'anse, après avoir laissé loin à bâbord l'île Pigeon. Splendide spectacle que celui de ce village de pêcheurs typiquement africain, bordant la courbe douce de sa plage, avec des maisons claires encadrant son église telles que les dessinent les enfants de la maternelle. Quelques cotres et sloops se balancent au mouillage. Nous prenons le nôtre : 4m, 3m50, 3m, on jette l'ancre.
Le soir, nous décidons de nous offrir un dîner au bistrot du port. Une fringale de poissons et une pépie de ti-punchs nous ont saisis. Au retour, ciel criblé d'étoiles, clapotis mélodieux des vagues qui viennent mourir sur les carènes. Nuit admirablement lustrée où les astres voguent ainsi que des parcelles de lumières oubliées dans l'infini.


22/7 - Au réveil, surprise ! Notre annexe a disparu. Il est vrai que l'on a omis de nous remettre la chaîne et le cadenas que, prévoyants, nous avions demandés au départ. Par chance, le propriétaire d'un bateau voisin accepte de conduire l'un d'entre nous au village, d'où il téléphonera à notre agence de location. Nous ne sommes qu'à 43 km de Point-à-Pitre. Dans la journée une autre annexe nous est livrée qui, quant à elle, nous réserve un autre genre de surprise. L'un des boudins se dégonfle à vue d'oeil et on a simplement oublié de joindre les pagaies. Heureusement, il nous reste le moteur  et puis, comme nous le dira plus tard avec ironie le responsable de l'agence ( on comprend après cela l'engouement de nombreux plaisanciers français pour le sérieux des compagnies de location américaines), si le moteur était tombé en panne, vous pouviez toujours ramer avec les mains... Ah ces latins !

 

24 / 7 -  Réveil à 6h. La météo n'est pas mauvaise. Mer agitée et onde tropicale en formation. Houle annoncée de 2m-2m50. Nous quittons l'anse au moteur pour nous positionner au vent et hisser la voile. Parés pour la traversée. Test du bateau et de l'équipage. Là, nous prenons vraiment la mesure de la mer. Cap au 327-331 pour tenir compte du vent et de la houle 3/4 arrière. A peine avons-nous effectué quelques miles - nous en avons 33 jusqu'à Montserrat - que le vent force et que la mer, très formée, rend la barre dure mais toujours manoeuvrable (phénomène des canaux). Le bateau se comporte bien, le barreur négocie les vagues qui s'abattent par rangs de trois, avec adresse. Nous filons à la vitesse de 5 à 6 noeuds malgré un ris et vivons quelques belles émotions à tanguer ainsi, par cette allure grand largue, à la limite parfois du vent arrière. Montserrat nous apparaît aride après la verdoyante, la fastueuse Guadeloupe. Une île pelée sans attrait particulier, offrant pour mouillage l'abri d'un débarcadère qui porte le nom présomptueux de Plymouth. Une sorte de décharge ingrate où rien n'a été prévu pour l'accueil des bateaux de plaisance venant de la Guadeloupe et faisant route vers Nevis, St Kitts et surtout St Barthélémy. Quelques maisons sans grâce, une jetée faite d'un assemblage grossier de roches, des toits en tôle ondulée, une morne vision de ces Antilles qui ont bercé nos rêves. Il nous faut cependant rester un après-midi, une soirée et une nuit sur ce mouillage rouleur, en espérant que la météo de demain matin nous permettra de poursuivre notre route vers Nevis. A terre, nous nous acquittons des formalités sous une chaleur écrasante, dans la torpeur poussiéreuse des quais où, visiblement, on n'attend guère ceux qui, par malchance, y font escale.


25/7 - Bonne traversée jusqu'à Nevis qui signifie neige. Cette image s'étant imposée à Christophe Colomb lorsqu'il découvrit l'île avec son volcan éternellement encapuchonné de nuages blancs. Cap 330 en laissant sur tribord le gros rocher de Redonda d'environ 2km2,  aride et battu par les vents, revendiqué par un certain irlandais pour son fils qu'il avait déjà surnommé Felipe Ier. L'histoire n'eut pas de suite. On s'en doute. 35 miles en six heures, à une moyenne de 5 noeuds et un vent d'est moins fort que la veille, nous menant grand largue. Vue de loin, Montserrat prend une allure plus imposante, tandis que se profilent déjà les côtes de Nevis.  Après avoir contourné le Fort Charles, nous voyons apparaître le petit port de Charlestown et ses modestes installations : une seule jetée où se trouve amarré un splendide 4 mâts- école. A l'ouest de cette digue, réservée à l'usage des vedettes et des bateaux de commerce, le mouillage est laissé libre aux plaisanciers qui ont loisir de jeter l'ancre où bon leur semble dans cette baie assez bien protégée, face aux simples et typiques maisons de pêcheurs qui bordent le littoral.
Plus à gauche, au-delà d'un hôtel bleu turquoise d'un détestable mauvais goût, qui évoque le temps où les ladies anglaises venaient prendre les eaux à Nevis, s'étend à perte de vue une immense plage, frangée de plusieurs rangs de cocotiers, qui s'adosse à la montagne et va se perdre au loin dans un halo de palmes qu'agitent faiblement les alizés. Nous ancrons à quelques mètres du rivage, alors que des pélicans rasent les eaux de leur vol puissant, si différent de celui élégant et gracieux du paille-en-queue. A Charlestown, nous trouverons presque tout, une fois que nous aurons accompli consciencieusement aux douanes, puis à la police, les formalités obligatoires : du carburant, un marché pas trop mal achalandé en fruits et légumes, plusieurs superettes, enfin de l'eau - certainement pleine de propriétés extraordinaires - mais affligée d'une odeur d'oeuf pourris ( comme toutes les eaux sulfureuses) qui empoisonnera les 200 litres de notre réserve pour le restant de la croisière. A part cela, la ville a beaucoup de caractère, un charme désuet qui allie celui de la flibuste à un passé colonial encore proche. Alexander Hamilton, principal rédacteur de la Constitution américaine et proche collaborateur de George Washington, naquit ici en 1755 ainsi que l'épouse de Nelson, au temps d'une splendeur à jamais perdue et dont les traces, encore visibles par instant, entretiennent juste ce qu'il faut de nostalgie.

 

27/7 - Les plus belles heures se payent chères. C'est la rude loi de la navigation. Aux innombrables corvées, aux risques de vols, aux traversées mouvementées, aux incidents divers, aux coups de chien s'ajoute parfois une panne de moteur. C'est ce qui vient de survenir en ce début d'après-midi, alors que nous nous apprêtions à aller mouiller un peu plus loin, face à la montagne, au bord de la plage solitaire, dans ce décor d'où est absent tout signe de civilisation et où des ibis blancs s'ébattent dans un marigot. Demain, probablement, l'adorable île de Nevis ne sera plus ce qu'elle est encore aujourd'hui.... si vraie, si authentique. Ici et là, on construit, on échafaude. Le tourisme pointe son nez avec ce que cela suppose de facilités relatives et d'immenses désagréments. Mais voilà le moteur se refuse à démarrer. Batteries à plat. Aurions-nous trop abusé de la voile ? En fait non, les bateaux loués sont souvent révisés avec trop de légèreté et de plus le branchement de nos batteries a été inversé. Nous en sommes quitte pour le déplacement d'un mécanicien du cru et une journée de perdue.

 

29 / 7 -  Réveil à quatre heures et demi et départ à 6h. pour la plus longue traversée de notre voyage : Nevis - St Barthélémy. La météo difficilement captée ( cela arrivera souvent) sur le petit poste que nous avons eu la bonne idée d'emporter ( ainsi que des lampes torches et une lampe tempête) - nous annonce un temps sans surprise, une mer agitée et bien formée, ce qui s'avère exact. Quatre à cinq noeuds de moyenne puisque, par prudence,  Yves étant le seul homme opérationnel à bord, nous avons gardé un ris. Route par les Narrows, cap 352 sur Major Baie, puis 57 sur la pointe ( alignement sur Mosquito Bluff), ensuite 350 sur St Barth. Toujours vent d'est de travers balançant agréablement le bateau sous une pluie de feu entre 11 et 15 heures. Nous longeons la partie est de l'île de St Christopher( St Kitts). Sauvage et âpre au sud, elle devient sur son flanc nord-est verdoyante et grasse, rappelant davantage les côtes irlandaises et leurs verts pâturages que les Caraïbes. Belles prairies se lovant paresseusement au-dessus d'une côte rocheuse bien découpée. Puis, au loin apparaît à bâbord St Eustache et, devant l'étrave, l'ébauche de St Barth. L'approche est magnifique mais délicate. Joliment dessinée, elle est entourée de nombreux rochers, tels le Pain de Sucre et les Saintes, ce qui n'est pas sans évoquer des souvenirs - et c'est vrai que ces reliefs verdoyants, souplement arrondis, évoquent l'harmonieuse géographie du célèbre archipel. Fatigués par nos huit heures de mer et nos 40 miles, nous préférons, pour le premier soir, un ancrage tranquille dans la petite baie de Corossol.
On nous avait beaucoup parlé de St Barth. Des navigateurs rencontrés dans les ports nous répondaient, lorsque nous les questionnions sur cette île, d'un air blasé : ça pue le fric ! Ce n'est plus ce que cela a été ! Vraiment rien n'a été prévu au port pour les plaisanciers ! Je n'y avais encore jamais accosté, mais je tiens à donner mon humble témoignage. St Barthélémy est une île ravissante, parfaitement accueillante, qui fait honneur à la France. Ce que devait être autrefois, à quelques détails près, St Tropez au temps où Colette écrivait " La naissance du jour" et où son ami Dunoyer de Segonzac peignait les pinèdes qui n'étaient pas encore ravagées par les flammes. Quand on connaît Monte-Carlo ou Marbella, dire que St Barth pue le fric est à hurler de rire. Bien sûr, il y a quelques jolies boutiques, des maisons coquettes mais jamais tapageuses, de riches hôtels mais la plupart du temps discrets, un art de vivre bon enfant, un charme irrésistible. Non, St Barth n'est pas une femme fatale, seulement une belle fille saine qui a le souci de plaire.

 

30/7 - Dès notre lever, toujours de bon matin, nous décidons - puisqu'il y a beaucoup de places disponibles - d'aller nous mettre à quai dans la marina. C'est chose faite en une demi -heure et nous voilà bien placés dans le décor du port de Gustavia, tant célébré par les cartes postales, avec son harmonieuse succession de volumes, ses maisons aux toits verts et rouges, ses quais bordés de boutiques et de cafés et les voiles au large. Tout est serein et calme car nous sommes à la morte saison. Il nous semble que l'île nous appartient. Les restaurateurs sont aux petits soins et, par ailleurs, un plaisancier trouve en ce lieu béni tout ce qu'il peut souhaiter : ravitaillement en eau ( il suffit de demander la clé à la Capitainerie pour que le tuyau vienne emplir votre nable pour une somme dérisoire), carburant, choix important de fruits et légumes et même de viande, ce qui nous change de nos boîtes de corn-beef - installation sanitaire correcte et propre de surcroît. Puisque nous avons l'intention de séjourner ici quelques jours, nous louons une Susuki afin de faire le tour de l'île, car la chaleur ne permet pas de crapahuter à pied. Chaque tournant nous dévoile une vue pittoresque. Ce n'est qu'une suite de collines, de vallées, d'anses, de plages nacrées, le tout cerné par l'anneau émeraude de la mer. Un chef-d'oeuvre de la nature, une sorte de variation symphonique bien tempérée.

 

2/8 - L'onde tropicale, qui s'annonçait depuis plusieurs jours, se précise. En fait d'onde, on parle ce matin à la Capitainerie, où nous allons nous enquérir de la météo, de tornade cyclonique. Elle est prévue pour la nuit prochaine et le responsable du port nous suggère de partir dès maintenant, car Gustavia n'assure pas un ancrage suffisamment protégé en cas de tempête. Bonne route jusqu'à Simsonbaaï à l'île Saint-Martin où on nous a conseillé de nous réfugier. Ce conseil a dû être donné à beaucoup d'autres navigateurs car, à midi, ce sont déjà plusieurs dizaines de bateaux qui stationnent ou font des ronds dans l'eau, en pleine canicule, en attendant la levée du pont qui leur permettra d'entrer dans le lagoon. Nous jetons l'ancre et déjeunons, tandis que l'affluence s'accroît. Nous nous approchons pour prendre rang. C'est alors la grande pagaille. Dans ces cas-là, hélas ! la courtoisie marine ne paraît plus de mise. Quand le pont se lève enfin à 17 heures, c'est la ruée de 200 bateaux, un infernal entremêlement de coques, d'étraves qui se heurtent - certaines annexes sont littéralement broyées- et la panique est bientôt à son comble... car un bateau ne se manie pas comme une automobile. L'élément liquide ne permet pas de stopper net. De plus, le vent qui souffle nous fait dériver, soit sur les cailloux, soit sur les autres bateaux. Jacques, au moteur, a heureusement un bon réflexe. Il avance et force le passage, en repoussant doucement mais fermement les autres quilles, au lieu de se laisser entraîner à reculer et à s'éventrer sur les rochers. Patricia et moi nous chargeons - autant que faire se peut - d'amortir les chocs en courant d'un bord à l'autre. Enfin nous parvenons à nous dégager et à passer sans avoir rien abîmé, ni cassé. Un bateau fait même son entrée en marche arrière sous les applaudissements de la foule massée sur les rives pour ne pas manquer le spectacle... Nous mouillons vers le fond du lac, à l'abri d'un petit tertre verdoyant, sous une pluie soudain torrentielle. Le ciel a la couleur de l'encre, l'ambiance se fait menaçante. C'est une veillée étrange avec au-dessus de nos têtes une onde pathétique, un ciel plombé, lourd, traversé d'éclairs. Puis une paix comme si le ciel lui-même se mettait à l'écoute de ce qui allait survenir, tendait sa grande oreille cosmique. A la radio locale, on prévoit le cyclone pour minuit par 19° nord et 63° ouest. Il est demandé aux habitants ( alerte n° 2) de s'enfermer chez eux, d'éteindre électricité et batteries, de ne pas se promener sur les routes, de ne pas circuler en quelque endroit que ce soit. Puis, le ministre termine son allocution par : que Dieu protège nos familles ! Il n'y a plus qu'à attendre. Nous dînons en silence, rangeons, calons les objets, ne laissant rien traîner. A 21 heures, un léger souffle, comme si Poséidon s'amusait à nous agacer l'oreille. Mais la journée a été si fatigante, nous obligeant à une telle tension et vigilance, que je sombre dans un profond sommeil jusqu'à 6 heures le lendemain matin.

 

3/8 - DIN a finalement dévié de son trajet initial. Il est passé plus au nord et a épargné St Martin et St Barthélémy où on l'attendait sur le pied de guerre. Le vent a soufflé mais sans excès. La nature ne nous a offert qu'un décor de tragédie sans acteurs. C'est probablement mieux ainsi car, de l'avis des marins bretons qui viennent nous saluer dans la matinée en apercevant notre pavillon maloin, il y aurait eu beaucoup de casse. Mais nous voici néanmoins coincés pour un moment, si bien que le projet de se rendre à Anguilla s'anéantit au fil des heures. A nouveau le vent force. DIN laisse derrière lui quelques turbulences, que nous ressentirons  encore cinq jours plus tard, lors de notre retour en avion. Une journée complète de pluie tropicale rend cet étang plus mélancolique que ceux de la Sologne à la fin de l'automne.


Notre nuit du 4 août ? Pour nous, point de privilèges à abolir. Yves qui, chaque nuit, ne dort que d'un oeil est resté en alerte. Une intuition. Avec des rafales de 35 à 40 noeuds, ses craintes sont fondées. Le bateau tire sur les ancres, craque, s'agite comme s'il voulait se cabrer. Oh10, on dérape. Il faut reprendre les alignements. Pas de doute, nous filons vers la côte. Nous ne sommes plus qu'à une vingtaine de mètres d'un gros bateau blanc. Branle-bas ! Il faut secouer les endormis. Debout ! Moteur en marche. Yves relève les ancres, le vent force encore. Nous slalomons entre les bateaux ( environ 500 au lieu des 250 habituels). Nous reprenons un mouillage. Opération réussie. Nous laissons filer les chaînes au maximum, car nous sommes sur un fond de sable et d'algues. Tandis que l'équipage retourne aux bannettes, Yves poursuit son quart qui se transforme en quatre quart, son équipage ne s'étant pas proposé pour la relève... Deux heures -quarante- cinq, ça recommence. Les deux ancres décrochent. La tension est telle qu'il nous aurait fallu une ancre supplémentaire. Nous ferons sans. Cinq heures du matin, après une troisième alerte, nous tenons enfin. Le jour lève une pauvre face chiffonnée. Ouf ! le vent faiblit. Yves en aura été quitte pour une nuit blanche et quelques émotions.
Tant bien que mal, nous allons, durant quarante -huit heures, nous tenir informés de l'évolution du temps. C'est chose rendue difficile si par malheur vous ne comprenez pas l'anglais ou si vous êtes distrait, car la radio locale semble davantage affectionner la chansonnette et le reggae que l'information météorologique. C'est avec bien des difficultés que nous parvenons à capter quelques bribes sur une radio anglaise. Puisque nous n'avons plus guère de provisions, hormis des boîtes de corn-beef et des pâtes - le bateau étant à l'arrêt, ainsi que le moteur, le frigidaire ne fonctionne plus et nous devons jeter de la nourriture qui, au propre comme  au figuré, a déjà viré de bord. - il nous faut donc aller chercher à terre, ne serait-ce que quelques vivres. Mais impossible d'utiliser, pour un aussi long parcours et avec ce clapot,  notre annexe dégonflable. Une barque, hélée au passage, accepte d'emmener deux d'entre nous au bourg de Marigot. Il nous en coûtera 120FF. C'est payer cher la baguette de pain.
Le vent s'est apaisé. Le ciel se dégage, les oiseaux sont de retour. Autant de signes annonciateurs du beau temps. Demain matin, il nous faudra profiter de la levée du pont à 6 heures pour quitter cet étang où nous nous sentons prisonniers et gagner l'anse Marcelle, au nord de l'île, où il est convenu que nous laissions le bateau. Le passage sous le pont est moins encombré qu'à l'aller et s'effectue dans la sérénité. La mer reste agitée jusqu'à la pointe du Canonnier, puis elle s'apaise progressivement et nous longeons la côte sous un ciel redevenu clément, avec juste ce qu'il faut de brise pour gonfler le génois. Ce qui nous attend à l'arrivée au port de Lonvilliers est une surprise, de celle que l'on aimerait avoir souvent.

Une petite baie ravissante, nichée au creux de sa verte montagne, avec une plage corallienne ombrée de palmiers, un décor digne d'un film de James Bond. Hôtels de luxe, marina confortable au long de laquelle s'alignent quelques magnifiques yachts, jardins, boutiques, profusion de fleurs et de papillons et, qui plus est, ni foule, ni bruit, ni affluence, ni encombrement. Comme si le caméraman ébloui avait, un instant, stoppé le moteur. Deux jours ici pour nous reposer comme le font les milliardaires désoeuvrés : bains, farniente, p'ti-punchs, on oublie tout et on recommence. En fait, cela n'a pas si mal marché ! Point-à-Pitre / St Martin, ce n'était pas rien Yves pour ton baptême du feu ! Skippeur pour la première fois sur une mer que tu ne connaissais pas, avec un 10m40, le plus souvent par fort vent, et un équipage aussi peu reluisant , bravo ! Certes le First 325 est un bon bateau, ardent, rapide, qui a de l'influx. Mais tu as été presque seul pour tirer sur les winches, barrer jusqu'à six heures d'affilé, régler les voiles et veiller lors des ancrages forains. Ton visage a pris la patine des jours où tu as sué sous le soleil. Tu es heureux, car tu rends ton bateau " en l'état" et aucun bobo n'est à déplorer.
Salut, marin, depuis l'Atlantique sud !

 

                                         20 juillet- 10 août 1989

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Les Saintes et un paysage de la Guadeloupe
Les Saintes et un paysage de la Guadeloupe

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11 mars 2011 5 11 /03 /mars /2011 09:39
Les Grenadines à la voile

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Louer un voilier (quillard ou catamaran) pour une croisière aux Antilles, c'est le meilleur moyen de s'assurer un périple inoubliable, à condition d'avoir à bord un équipage confirmé. Pour nous, ce fut un quillard à quatre pour une croisière vers les Grenadines. 

 

Aujourd'hui dimanche 10 février, notre bateau va quitter la marina du Marin à La Martinique. Il y a un vent bien établi et une forte houle avec des vagues de 2m50 à 3m. Décidément, je ne suis pas abonnée au temps de demoiselle. Dès que je mets les pieds sur un bateau, la mer se montre, belle mais impérieuse. C'est sportif et un peu rude. Les passages entre les îles sont connus pour être agités. Les courants s'y croisent, s'y heurtent et provoquent une houle hachée. Heureusement nous avons une bonne quille de 2m de tirant d'eau qui nous assure une excellente stabilité. Le monocoque n'est-il pas un vieux routier des mers ? On n'a jamais fait mieux que ces carènes profondes qui ont sillonné les océans et fait leur preuve. Notre ami nous met de la musique de Wagner dont il est amateur, ne ratant pas un festival de Bayreuth (il est vrai qu'il demeure à 60 km du temple wagnérien) et j'avoue apprécier, dans cet amphithéâtre marin, d'entendre cette musique si bien inspirée des grands espaces et des éléments. La Martinique s'éloigne et c'est Sainte-Lucie qui apparaît après 7 heures de nave, semblant sortir des eaux. Comme elle, elle se compose de reliefs harmonieux, lustrés d'une végétation abondante, allongeant sur les flots sa silhouette de naïade. Des anses, des baies ont été dessinées avec art par l'océan sculpteur. Eau et vent ont travaillé patiemment cette matière avec laquelle ils n'ont cessé de faire alliance. L'île de Sainte-Lucie a la réputation d'être belle et, de loin, on la devine déjà élégante et racée, toute en courbes, fuselée et souple, sous un dais de nuages, gonflés comme des spinnakers régatant dans l'azur. Découverte comme La Martinique en 1502, lors du quatrième voyage de Christophe Colomb, les Caraïbes restèrent néanmoins les maîtres de leur terre jusqu'au milieu du XVIIe siècle. Après avoir massacrés une colonie d'anglais en 1639, ils acceptèrent un traité avec les Français en 1660. A partir de cette époque, les combats entre Français et Anglais furent continuels et Sainte Lucie changea plus de 14 fois de mains pour devenir définitivement britannique en 1814, mais a conservé l'empreinte de la présence française. Aujourd'hui, l'île vit principalement du tourisme, de la culture du cacao, de la banane et des agrumes.

 
A l'approche de notre premier mouillage à Marigot Bay, la mer se fait plus calme et nous entrons sans problème dans ce goulet étroit où se balancent quelques sloops avec, pour toile de fond, une mangrove et une forêt de cocotiers. Premier bain merveilleux autour du bateau dans une eau à 27° et premier punch. 

 

Lundi 11 février, quittons Marigot Bay pour longer la côte Ouest de Saint-Lucie jusqu'aux deux Pitons où s'ouvre, dans une passe  exiguë, l'anse de la Soufrière. Deux noirs, coiffés d'épaisses rastas sur lesquelles sont posés des bonnets tricotés de couleurs vives, viennent à notre devant à bord de leurs périssoires et nous proposent toutes sortes de services : nous amarrer à une bouée, ce qui est appréciable, ensuite nous conduire à la douane pour les papiers, enfin nous retenir un taxi qui nous mènera au jardin botanique et à la Soufrière. Nous sommes d'accord et visitons le jardin avec émerveillement, subjugués par la diversité des fleurs, plantes, arbres, végétaux qui s'y épandent. Certaines fleurs comme les gloriosa évoquent la crête d'un oiseau de paradis et arborent des colorations bigarrées du plus bel effet. J'aimerais les cueillir toutes, mais il est signalé à l'entrée que l'on n'a le droit de toucher qu'avec les yeux... Aussi, nous contentons-nous d'apprécier leurs corolles précieuses comme de la soie, fines et délicates comme de la porcelaine ou, encore, transparentes comme du cristal. Elles ont noms : shrimp plant, petrea, thumbergia, croton. Quant aux arbres, ils sont si nombreux que je ne pourrais les nommer, mêlant leurs épais feuillages, se dressant sur leurs racines comme sur des échasses, déployant leurs palmes, agrippant des morceaux de ciel comme des confettis de lumière. On reste ébloui par les ressources de la nature que l'imagination de l'homme ne pourra jamais ni égaler, ni surpasser.


Après le jardin botanique, le cratère de la Soufrière est bien décevant, chaudron soufré, d'où s'exhale une odeur caractéristique et dont les entrailles fermentent des grondements peu avenants. Toutefois, il ne s'est pas manifesté depuis 3 siècles, contrairement à ceux de La Guadeloupe et de La Martinique et, plus proche de nous, de Montserrat. Pour finir, une cascade qui unit, en un savant désordre, roches et végétation, et forme une baignoire d'eau chaude dans laquelle des touristes barbotent visiblement comblés. Retour au quai où nos deux pilotes nous reconduisent au bateau. Ils nous avaient, dès le matin, proposé de nous préparer un dîner typique local que nous devions prendre dans un restaurant du village. A 17h30, ils nous confirment qu'à 19h ils viendront nous chercher pour le dîner. Mais à 19h, la nuit est noire d'encre, leur barque glisse doucement éclairée par des torches, ils se présentent à notre bord : changement de programme. Nous devons mettre dans leur canot couverts, assiettes et verres pour aller prendre le repas, non plus au village, mais sous une paillote à la plage, à cette heure-ci complètement déserte, en lisière d'une véritable jungle. Prudents, nous refusons et leur demandons de nous apporter le repas au bateau, sentant le contrat louche et craignant de nous faire détrousser. Ce qui est sage car, au final, ils nous réclameront 6OO dollarsUS pour les services de la journée, note extravagante qui sera ramenée à 250.

 

Mardi 12 février, départ à 8 heures. Tout est calme mais la nuit n'a pas été bonne sur un mouillage rouleur qui nous a balancés d'un bord sur l'autre. Et à peine sortis de la baie, nous allons être pris à nouveau dans le courant d'une mer nerveuse, pâle et écrêtée, de force 7/8 avec rafales et cela ne cessera pas jusqu'à l'île Saint-Vincent qui - dans le train de celles qui s'égrènent de La Martinique à Grenade, succède à Sainte-Lucie - si bien que nous allons vivre une traversée musclée, pour la raison que les vagues contrariées qui se  croisent et s'entrecroisent, se choquent et s'entrechoquent, malmènent le bateau. Le vent siffle dans les haubans et c'est à peine si nous nous entendons parler tellement le bruit est assourdissant. Les îles se méritent à coup sûr, mais n'est-ce pas par la mer que l'approche est la plus belle, la plus conforme à leur singularité ? Après Sainte-Lucie et ses pitons majestueux, voici Saint-Vincent, âpre et sauvage qui dresse au-dessus des flots sa silhouette austère, chapeautée de nuages, belle isolée comme le sont toutes ses soeurs dans leur altière insularité. Nous mouillons dans l'anse de Wallilabu qui serait plaisante si l'équipe de cinéma, qui a tourné ici le premier film de la série des " Pirates des Caraïbes ", n'y avait laissé son décor qui, en se dégradant, abîme le paysage. Celui-ci se compose d'une ravine profonde où s'engouffre une végétation débordante comme un fleuve végétal mal canalisé et ourlée d'une palmeraie. Nous sommes une quinzaine de bateaux au coucher du soleil sagement alignés grâce à l'aide active des jeunes gens du cru. Bon bain et un petit punch savoureux après une journée de navigation mouvementée.

 

1204376998_caraibe_8.jpg      Marigot Bay

 

Mercredi 13 février, réveil à 6 heures. C'est au lever du jour que l'on apprécie le mieux la nature tropicale qui se dore comme une galette et dégage une lumière indescriptible.Tout y est calme, comme si le premier matin du monde se levait sur ces paysages dont certains sont encore vierges de civilisation. Là encore, la traversée de 5 heures entre les deux îles (Saint-Vincent et Béquia) nous réserve quelques surprises, " La table du diable" étant fidèle à sa réputation de secouer le plaisancier, avant de lui permettre l'accès  à des baies paisibles. Celle où nous entrons à Port Elisabeth est superbe, bien dessinée avec des arrière-plans en terrasses, où la végétation s'épand en grappes abondantes et où les toits des maisons jettent leur note claire. Tout y est charmant, bien distribué, avec les bateaux au mouillage qui embellissent encore le décor. Nous amarrons le nôtre, toujours avec l'aide des petits gars du port, efficaces et aimables, qui nous aident à tendre les cordages, puis déjeunons tranquillement à bord, à l'ombre du bimini.

 

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Béquia - Admiralty Bay ( Port Elisabeth )


L'après-midi, nous mettons à l'eau l'annexe pour nous rendre sur l'une des plages ravissantes et quasi désertes qui ourlent la baie, d'où la vue est enchanteresse sur l'ensemble du paysage. Nos amis ont choisi, quant à eux, de se rendre au village faire quelques emplettes et reviendront les bras chargés de fruits, dont des papayes qui rafraîchiront notre dîner.

 

Jeudi 14 février, la nuit a été tempétueuse et le sommeil rendu difficile par les bruits occasionnés par les bourrasques qui font vibrer les gréements et grincer la chaîne de mouillage. Au réveil toujours autant de vent, mais le baromètre amorce une remontée. Nous nous rendons au village de Béquia qui nous rappelle la petite ville des Saintes, joliment encadré par les arrière-plans de collines qui s'échancrent sur la mer. Béquia est une escale très appréciée des plaisanciers, aussi rien d'étonnant à ce que l'on y croise le bateau du Club Med ou le Royal Clipper. De nombreuses vedettes du show-biz international et des célébrités du cinéma ont ici une résidence secondaire, raison pour laquelle s'étagent sur les collines autant de jolies demeures coloniales. L'après-midi, nous retournons sur la plage faire un peu de farniente et nous baigner, les rouleaux nous assurant une excellente friction. Comme nous sommes le jour de la Saint Valentin, nos amis nous ont fait la surprise de langoustes cuisinées qu'on nous livre le soir à bord. Délicate intention à laquelle nous faisons honneur de bon appétit.

 

Vendredi 15 février, départ à 8h15 pour l'île Mustique. Trois heures d'une navigation moins venteuse que ces jours derniers. Nous longeons Béquia, avant de nous engager dans une passe entre de hauts récifs et d'approcher de Mustique, festonnée de sable rose comme d'un collier de corail. On a beaucoup écrit sur cette île de 5 km2 que le riche promoteur Colin Tennant investit dans les années 60, attirant la gentry internationale grâce à son carnet d'adresses prestigieux, dont celle de la princesse Margaret (qui fut l'une des premières à y faire construire une luxueuse résidence) suivie par plusieurs célébrités, parmi lesquelles Raquel Welch, Mick Jagger ou David Bowie. Mais si Mustique est en partie privée, elle réserve néanmoins aux plaisanciers que nous sommes des coins encore sauvages. Une fois assuré notre mouillage, grâce à l'aide de plaisanciers suisses car, avec le vent et le courant, la bouée est difficile à prendre et qu'il n'y a personne pour vous accueillir, seulement un taxi-boat qui vient soutirer sa contribution exorbitante pour le peu de service offert, soit 130 dollars US au lieu de 15 à 20 dollars ailleurs. Avalé notre déjeuner, Jean-Philippe nous dépose gentiment avec l'annexe à terre pour une grande balade le long de la côte inhabitée de l'île, laissée à sa splendeur originelle, celle que connut sans doute Christophe Colomb lors de son premier débarquement (en l'occurrence sur l'actuelle Haïti) et qui lui fit s'exclamer : O quelle merveille ! C'est ce que nous inspire le paysage que nous parcourons entre eau turquoise et mangrove et où le sable est semblable à de la farine sous nos pieds. Pas âme qui vive ! Seulement le vol gracieux des pailles-en-queue et le chant des petits bananaquits. Et pour compléter l'illusion, nous voyons se profiler au large un trois-mâts barque. Nul besoin de se rendre dans une salle obscure pour imaginer la découverte du Nouveau Monde. Nous avons sous les yeux un spectacle digne de ce que dut être, pour ces hommes venus de si loin, l'apparition des îles Caraïbes, qui semblent avoir été semées sur l'océan par un artiste inspiré. Nous revenons à pas lents vers le ponton. Nous aurons vu de Mustique, l'île des milliardaires, ce visage qui doit leur être inconnu : un morceau de littoral encore préservé dans son paisible isolement.

 

1204465913_caraibe_11.jpg  l'île Mustique

 

Samedi 16 février : Finalement nous nous voyons dans l'obligation de renoncer à faire des escales prolongées dans les Tobago Cays, comme nous le souhaitions, à cause du vent et des mouillages incertains en milieu corallien et nous contenterons de les approcher et de les longer, de sorte qu'elles resteront l'objet d'un rêve inaccessible...Que sont les Tobago Cays ? Cinq petits îlots égarés parmi les coraux et entourés d'une barrière de corail nommée " fer à cheval ". Les Tobago font penser aux Maldives avec leurs plages splendides, leurs fonds clairs et les poissons multicolores que les amateurs de plongée se plaisent à admirer. Mais ce sont vraiment des mouillages du bout du monde, perdus au milieu de la houle atlantique et qui nécessitent une mer relativement calme, ce qui n'est pas le cas actuellement, puisque nous sommes affligés, en permanence, d'un vent d'Est qui ne cèdera pas d'un pouce pendant toute la durée de notre croisière. Nous n'aurons donc qu'une approche lointaine et émerveillée de ces lieux idylliques qui invitent à la robinsonnade.

Nous voici donc sur le chemin du retour à Béquia où nous retrouvons sans peine notre bouée dans cet environnement accueillant où viennent mouiller, en toute sécurité, des bateaux magnifiques : des trois-mâts, des vedettes somptueusement profilées et des pur-sang des mers, comme "nuage de mer", battant pavillon de la Royal Navy. Une nuit de 9 heures qui nous remet en forme après celle de Mustique où nous avons été victimes d'un roulis incessant et nous voilà prêts à partir en taxi à la découverte de l'intérieur de l'île qui offre aux visiteurs des panoramas exceptionnels.

Béquia, d'une superficie de 18km2, est la plus grande des dépendances de St Vincent. Son relief d'origine volcanique est très accidenté. La population d'environ 6000 habitants est panachée entre caraïbes noirs et métis, anglais, espagnols, canadiens, américains, français et allemands ; cet échantillonnage impressionnant par sa diversité s'entend très bien, les uns ayant besoin des autres et vice versa, tout le monde s'accepte et se supporte ; les pauvres étant reconnaissants aux riches de leur fournir du travail et de favoriser, par leurs investissements, le tourisme qui est leur seule ressource, car l'île, ne disposant que de l'eau du ciel (pas la moindre cascade ou rivière), est impropre à l'agriculture. Notre chauffeur nous conduit d'abord au Fort Hamilton qui rappelle les conquêtes anglaises et d'où l'on peut embrasser l'étendue d'Admiralty Bay où nous sommes ancrés, puis nous promène dans des paysages d'une beauté suffocante où se côtoient, dans une luxueuse efflorescence, les hibiscus, lauriers, bougainvilliers, frangipaniers, fleurs du matin, ainsi que les manguiers, amandiers, bananiers, pamplemoussiers et le mancenillier, dont le fruit et les feuilles contiennent un acide proche du vitriol, capable de provoquer de redoutables brûlures à ceux qui auraient l'imprudence de goûter à son fruit ou de s'abriter sous son feuillage. On imagine facilement les dégâts que cet arbre a dû causer aux premiers navigateurs qui posèrent le pied sur ces îles. Décidément, le paradis n'existe nulle part ! Nous finissons par un élevage de tortues marines, dont certaines ont dépassé depuis longtemps l'âge de l'adolescence. En général, le responsable ne les rend à la mer qu'au bout de 5 ans, quand elle sont en mesure d'affronter les dangers qui les menacent : oiseaux prédateurs qui se régalent des bébés tortues et gros poissons qui ne dédaignent pas d'en faire leur repas de fête. Avant de nous déposer au port ( il est midi ), notre guide nous fait assister à la sortie du lycée qui est un modèle du genre : une cinquantaine de jeune gens et jeunes filles en uniforme, d'une tenue irréprochable, sortent en ordre et en silence de leurs classes. Pas de cris, pas de bousculade, une souriante bonne humeur, un comportement élégant et discret qui pourrait servir d'exemple à nos collégiens français.L'après-midi, baignade sur notre belle plage et le soir, dîner en ville. Mais oui, pour une fois nous nous accordons une petite folie, nous réservons une table au Gingerbread afin de goûter à la délicieuse cuisine locale : tranches de papaye à la sauce au miel, espadon grillé accompagné de riz, légumes et bananes sautées, enfin une succulente glace à la vanille, cela au son d'un orchestre qui joue et chante avec autant de conviction que de ferveur. Certains airs me rappellent les chants maori, mais cela n'a rien de surprenant lorsqu'on sait les relations étroites qu'entretiennent ces îles atlantiques avec les îles pacifiques depuis que le capitaine William Bligh, après la mutinerie du Bounty, introduisit les plants de l'arbre à pain dans les Caraïbes.
Nous rentrons à notre bateau vers 22 heures sous une presque pleine lune qui illumine la baie, alors que les lumières des mâts des voiliers et celles des habitations qui constellent les reliefs, laissent croire qu'une pluie d'étoiles s'est abattue sur les lieux.

 

1204477396_caraibe_14.jpg La plage "Margaret" à Béquia

 

 

Mardi 19 février : il y a eu des rafales de vent toute la nuit et nous nous demandons ce que la mer nous réserve pour notre traversée de ce matin entre Admiralty bay et l'anse Cumberland à St Vincent. Par chance, elle sera moins agitée que prévu malgré un ciel plombé et une mer plus grise que bleue, ce qui prouve que le mauvais temps existe sous toutes les latitudes. Mais ce qui est plaisant ici, c'est que la mer est chaude et l'air tiède. Là où nous serions équipés de pulls et de vestes de quart en Manche, en mer caraïbe un tee-shirt suffit amplement. Partis à 7h, nous entrons dans l'anse Cumberland à 10h30. Celle-ci est creusée dans un rivage à la végétation dense, appuyé contre des versants abrupts et impénétrables, nous donnant l'impression d'un retour à la vie sauvage. Quelques cabanes de pêcheurs et le "tavern black baron" qu'a monté récemment un couple de français, visiblement très marqué par le film  Pirates des Caraïbesdont une partie fut tournée dans l'anse voisine de Wallilabu où nous avions ancré, il y a quelques jours. Et il est vrai que celle-ci évoque peut-être plus encore  ce que pouvait être le repaire de ces écumeurs des mers, végétation abondante qui monte à l'assaut des reliefs de cette île réputée austère à cause de ses roches sombres, mais qui se pare quelquefois de couleurs surprenantes d'une rare beauté. L'île fut aperçue en 1498, le jour de la Saint Vincent, par Christophe Colomb, qui ne s'y attarda pas. C'est là que le capitaine Bligh, comme je le signalais plus haut, transporta sur le voilier " La Providence ", plus de 500 plants d'arbre à pain en provenance de Polynésie, qui eurent vite fait de se répandre dans toutes les Antilles. Dans ces anses où rien n'est vraiment prévu pour l'amarrage, la difficulté est d'opérer avec précaution afin de stabiliser le bateau par un mouillage en bermudienne (cela signifie que le bateau est fixé par son ancre et retenu à la terre par une haussière le plus souvent enroulée autour d'un tronc de cocotier). Aussitôt deux ou trois embarcations s'approchent de la nôtre et les petits gars viennent nous proposer des fruits, du pain, des colifichets. L'un d'eux est si craquant ( il doit avoir 13 ans ) que je lui achète un lot de bracelets en perles de bois colorées que sa maman fabrique et que j'offrirai à mes amies au retour. L'air est si doux, le soir, que nous dînons dans le cockpit. La mer est comme un lac et l'air imprégné de parfums. Quant à la lune, qui n'était qu'un croissant à notre arrivée, elle profile, dorénavant, au-dessus de quelques nuages blancs et de l'éventail des palmes de cocotiers, sa belle face lumineuse, tandis que nous écoutons des rythmes caraïbes à la lueur tremblotante d'une bougie.

 

Mercredi 20 février, réveil à 6h et départ à 7h15. Il y a du vent et la mer force dès que nous nous éloignons sous le vent de l'île et que nous gagnons au large, une mer formée, nerveuse, qui vient frapper l'étrave et nous balance des paquets d'embruns, rendant nos visages et nos lèvres salés. Le bateau gîte et nous sommes tenus de nous attacher en mettant nos harnais de sécurité, afin d'éviter le pire accident qui soit : un homme à la mer. Nicolitta s'est couchée dans sa cabine ; je préfère rester à l'extérieur en me calant dans la descente du carré, en compagnie de nos deux marins qui ont déroulé une partie du foc et la grande voile, ce qui nous assure une allure régulière de 6,5 noeuds. Nous longeons la côte Ouest de St Vincent sur tribord et déjà nous devinons au loin Ste Lucie. Le canal, qui les sépare, est, à cette saison, un couloir à vent qui nous vaut quelques embardées, mais l'air n'est jamais froid et plein de cette vigueur marine que j'aime. Ce vent, venu d'Afrique, est, à l'évidence, particulièrement violent cette année et dépasse la force 5 habituelle. Il se fait sentir aux débouchés des vallons et entre les îles où les rafales, surtout sous grains, nous obligent à réduire la toile sans tarder. Et voilà qu'apparaissent au loin les deux Pitons, laurés de quelques nuées. Ces cônes, visibles à plus de 20 milles, sont l'emblème du pavillon national de Sainte Lucie. Hauts de près de 800m, leurs parois plongent à pic dans les eaux sombres. Ils sont là comme deux vigiles, protégeant l'île qui se dessine sur l'horizon avec ses reliefs arrondis, sa croupe légèrement soulevée et sa tête penchée sur le côté, telle une belle alanguie. Si différente de sa voisine Saint Vincent, hérissée de roches et couverte d'épaisses forêts. L'une est toute volupté, l'autre toute rébellion. Finalement, nous renonçons à aller jusqu'à Marigot bay que nous connaissons déjà et entrons dans l'anse des deux Pitons, occupée désormais par le luxueux hôtel " The Jalousy Hilton " qui va quérir ses clients en hélicoptère. Le site est beau et impressionnant entre ces deux pitons et se borde d'une superbe cocoteraie, dont les palmes immenses, manteau vert et mordoré, recouvrent les flancs du vallon. Devant nous, une propriété splendide, peut-être celle du directeur de l'hôtel, rappelle les demeures des plantations de coton de la Louisiane d'antan. Ce soir, je vais m'écrouler dans ma bannette, saoulée par nos 7 heures de voile, nez au vent. Mais pas avant d'avoir pris, dans cette baie éclairée par la lune, un dernier bain de nuit.

 

Jeudi 21 février : A 8 heures, une fois pris un petit déjeuner copieux qui nous permettra de tenir jusqu'au soir, nous quittons la baie des deux Pitons,  car nous avons encore 48 milles à parcourir et que nous nous attendons, ayant le vent de face, à faire un près serré mouvementé. Ce sera le cas, en effet. A peine quittons-nous la protection de la côte de Ste Lucie et commençons la traversée du large chenal qui la sépare de la Martinique, que les nuages, les grains, les rafales sont au rendez-vous et je suis même obligée, pour ne pas être trempée, de rester un long moment dans le carré à respirer l'odeur de gaz-oil - car toutes les ouvertures ont été fermées pour éviter aux vagues, qui submergent la proue, de pénétrer à l'intérieur. Par chance, je suis allergique au mal de mer. J'attends de tenir à peu près en équilibre pour préparer des sandwichs à mes deux marins, qui officient sur le pont, négociant de front, et le mieux possible, les rouleaux hachés qui se succèdent. Tout craque, crisse, vibre, geint. Bien que le bateau soit d'excellente tenue, les secousses, sous 35 noeuds de vent, sont suffisamment fortes pour que la coque, en frappant durement les lames, ébranle sa  membrure. Il y a toujours quelques risques quand on s'aventure en mer, car les mers d'huile et les temps de demoiselle sont rares. Mais qu'avons-nous à nous plaindre ? De nos jours, la navigation est tellement facilitée par les cartes détaillées, les GPS, les focs enrouleurs, le confort des bateaux, les ancres sur guindeau électrique.  Mais, oui ! le plaisancier de 2008 n'a plus à subir ce que subissait celui d'autrefois qui découvrait ces îles, venant de la lointaine Europe, à bord de caravelles rudimentaires où la vie était dure, l'aventure totale, les conditions d'existence terribles et qui n'était guidé que par son instinct, sa connaissance de la mer et sa foi en la Providence ... Ils ne furent pas moins nos devanciers et nos initiateurs. Aussi, salut à vous marins d'hier ! qui avaient ouvert et balisé les routes des océans pour nos générations, à force de courage, d'intrépidité et d'intelligence ! 


A 15 heures, nous jetons l'ancre dans la magnifique baie de Ste Anne à la Martinique, qui nous découvre un vaste panorama depuis le rocher du Diamant jusqu'à la Pointe Dunkerque, juste à l'entrée du cul de sac du Marin où, demain, nous ramènerons le bateau à son quai. C'est dans l'anse Ste Anne que le club Méditerranée a choisi d'installer son village " Les Boucaniers ", bénéficiant de la beauté du paysage et d'une plage de sable.

Vendredi 22 février : Voici arrivé le dernier jour de cette croisière. La nuit a été bonne sur le mouillage de Ste Anne qui n'est pas rouleur et, bien que le vent n'ait cessé de souffler, la baie est bien protégée des vagues du large et garantit un abri agréable dans un cadre enchanteur. Après un dernier bain, une ultime photo, nous lèverons l'ancre pour ramener le bateau à sa base. Ce sera l'inventaire, les bagages et, demain, après un tour dans l'île de La Martinique, si charmante et accueillante, l'aéroport et le retour vers Paris- Orly- Ouest. La croisière a été réussie, même si le temps a parfois contrarié certains de nos projets. Merci à vous skipper et co-skipper, vous avez bien mené le bateau. Pas une avarie, pas une égratignure à déplorer. Et salut à vous, mes chères îles, qui avez sans cesse aiguilloné notre voyage et vers lesquelles ont porté nos regards, avides de vous découvrir dans votre silencieuse beauté !


QUELQUES RENSEIGNEMENTS UTILES :  A partir du Port du Marin, location facile de catamarans avec ou sans skipper, où, comme nous, d'un monocoque à partager à 4, 6 ou 8, avec l'un des participants responsable en tant que skipper - entre autre pour la caution à verser au départ, rendue au retour s'il n'y a pas d'avarie grave.
Air-France, 8 heures de vol et 5 heures de décalage horaire. Période la plus favorable : du 15 mars au 15 juin. Pas de risque de cyclone en principe. Nécessaires : passeport pour les îles anglaises, dollars US et euros en liquide, cartes bancaires acceptées pour hôtels, restaurants et achats en boutique. Vêtements légers bien sûr, mais toujours prévoir un imper et un lainage. Les douanes au départ de La Martinique, à Ste Lucie et à St Vincent pour le reste des Grenadines. Le ravitaillement en eau et gaz-oil est possible, à Béquia entre autre.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Les îles ou le rêve toujours recommencé

 

Lettre océane - les Antilles à la voile


Les îles Scilly - croisière       


La première Manche


Balade irlandaise       

 

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