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16 août 2019 5 16 /08 /août /2019 07:36
La petite danseuse de quatorze ans de Camille Laurens

La première fois que j’ai vu la petite danseuse de Degas, je me souviens de ma déception à la découvrir si raide, si peu gracieuse, si absente. Elle m’apparaissait seule, enfermée dans un monde qui n’était certes pas le mien, et je comprenais mal qu’un artiste comme Degas ait choisi d’incarner la danse de cette façon. Le livre de Camille Laurens, juste et sensible, nous propose une immersion dans le mystère de cette sculpture, sa lente élaboration et la démarche qui a conduit Degas à quitter ses pinceaux pour l’ébauchoir et le burin afin de  fixer dans l’espace un instant de vie. Celui-ci ne traduit nullement la grâce du mouvement, ni une sensualité en mesure d’enflammer un public, mais exprime celui d’une Cendrillon sans marraine et sans cocher, d’une jeune « Nana » qui travaille dur à une époque où les enfants pauvres étaient traités comme des esclaves. Oui, cette petite danseuse de 14 ans est là pour rappeler les conditions difficiles d’un XIXe finissant, où nous sommes plus près de l’Assommoir d’Emile Zola ou des Misérables de  Victor Hugo et où, sous l’œil de Degas, la danseuse cesse d’être une nymphe ou un papillon pour exprimer davantage sa condition sociale, car «  l’art n’est pas ce que vous voyez mais ce que vous faites voir aux autres » - disait l’artiste, dénonçant ainsi l’hypocrisie de son temps. De la part d’un artiste bien né, tel que lui, la provocation n’en a que plus de poids. Aussi sa petite danseuse est-elle volontiers présentée comme « la première sculpture impressionniste » selon les critiques d’alors. Mais Degas n’impressionne-t-il pas d’une toute autre façon que ses amis peintres ? N’apparaît-il pas beaucoup plus réaliste qu’impressionniste ?  L’artiste lui-même préférait le terme d’intransigeant, celui qui ne transige pas avec la vérité, à tout autre terme vague et complaisant.

 

Edgar Degas a toujours été un solitaire, épris de justesse, qui s’obligeait à la contrainte de façon à ce que son œuvre manifeste « plus d’expression, plus d’ardeur, plus de vie ». Et s’il avait choisi la sculpture, c’était aux seules fins d’obtenir plus de réalisme que dans son œuvre de peintre. « La vérité, vous ne l’obtiendrez qu’à l’aide du modelage, parce qu’il exerce sur l’artiste une contrainte qui le force à ne rien négliger de ce qui compte » - écrira-t-il. Et encore : « Ce que la main effleure par la peinture, elle l’empoigne par la sculpture. » Par ailleurs, choisir pour modèle une fillette, n’est-ce pas opter pour une autre sorte de tension et d’incertitude entre l’enfant et la femme, l’innocence et la sensualité ? Quant à la relation entre Degas et son modèle, elle reste mystérieuse. Mais comme sa chasteté est légendaire, qu’il a passé sa vie domestique en compagnie de deux gouvernantes d’un âge certain, on attribue plus volontiers son célibat à sa misogynie qu’à une forme quelconque de perversion. Pour lui, l’art transcendait tout. Dans ce contexte, qu’en était-il de la petite danseuse ? Qu’envisageait-t-il de dire d’elle ? Et quel sens attribuer à son attitude raide, à ses yeux mi-clos, à son petit menton dressé dans une attitude de défi ? Ne manifeste-t-elle pas une certaine absence au monde ? Contrairement aux représentations d'un artiste comme Balthus qui s’autorisait à peindre de ravissantes nymphettes en socquettes et culotte apparente, la jeune danseuse de Degas n’exprime aucun érotisme particulier, elle est là et absente, sans beauté, sans aucun souci de séduction, et si elle incarne l’avenir par sa jeunesse, n’est-ce pas déjà un avenir perdu, un moi totalement enclos en lui-même et, ce petit visage, davantage un refus qu’une effronterie ?


En face l’un de l’autre, dans l’intimité de l’atelier, le petit rat de l’opéra et l’artiste s’unissent en un égal refus à céder au jugement d’autrui. Dans leur face à face, souligne Camille Laurens, Marie Van Goethem et Edgar Degas partagent un espace matériel qui est aussi un lieu symbolique. Marie en transmet le secret, Degas en traduit le mystère, chacun à leur manière. On ne saura quasiment rien de l’avenir de cette fillette, sinon qu’elle sera renvoyée de l’opéra pour manque d’assiduité. On ne connait rien non plus de sa vie d’adulte, si ce n'est qu’elle posera quelques fois encore pour Degas, puis elle disparaît, s’efface à jamais. Seule la statuette restitue sa présence au monde. En quelque sorte, elle est son requiem, conclut Camille Laurens, dont cette énigmatique enfant a inspiré ce livre passionnant.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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La petite danseuse de quatorze ans de Camille Laurens
La petite danseuse de quatorze ans de Camille Laurens
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13 août 2019 2 13 /08 /août /2019 06:59
Manoir des Frémonts.

Manoir des Frémonts.

Lorsque Proust séjourne plusieurs étés consécutifs à Trouville dans ses jeunes années, la station est considérée comme ” la reine des plages ” et est devenue en quelque sorte une annexe de la capitale, après qu’un peintre de 19 ans, arrivé de Honfleur à marée basse par le chemin de grève en une journée de l’été 1825, a posé son chevalet et son parasol sur les bords de la Touques et, à cette occasion, lancé sans le savoir Trouville, qui ne va pas tarder à supplanter les autres plages du littoral normand. Il a pour nom Charles Mozin et sera bientôt rejoint chez la mère Ozerais - qui tient l’auberge du « Bras d’or » par Eugène Isabey, Alexandre Decamps et Alexandre Dumas. Trouville s’apprête donc à détrôner Dieppe et Le Tréport où Marcel s’est rendu à plusieurs reprises quand il était enfant avec sa grand-mère maternelle et son frère Robert.

Dieppe avait été lancé par les Anglais, à la tête desquels le prince de Galles, Trouville le sera par des artistes et principalement des peintres. Et Dieu sait qu’ils seront nombreux à apprécier ce village de pêcheurs et sa longue plage de sable où le duo subtil de l’eau et du ciel ne cessera de les fasciner. Tous, les Mozin, Boudin, Courbet, Whistler, Monet, Corot, Bonnard, Degas, Helleu, Dufy, Marquet, Dubourg, plus proche de nous, essaieront de rendre sensible les vibrations de la lumière, les glacis fluides qui les accompagnent et cet aspect «porcelainé» dont parlait Boudin. Mais les peintres ne sont pas les seuls à être subjugués par la beauté des lieux : Flaubert l’avait été, Proust le sera à son tour, envoûté par les paysages mer/campagne, lorsque, séjournant à Trouville, il se promenait dans les sentiers qui longent la mer et y respirait le parfum mêlé de feuillées, de lait et de sel marin. C’est ainsi qu’il décrit l’une de ses promenades dans une lettre à Louisa de Mornand :

« Nous étions sortis d’un petit bois et avions suivi un lacis de chemins assez fréquentés dans la campagne qui domine Trouville et les chemins creux qui séparent les champs peuplés de pommiers, chargés de fruits, bordés de haies qui laissent parfois percevoir la mer.»

 

Nous sommes en octobre 1891, le jeune homme a 20 ans, il a passé son baccalauréat, accompli son service militaire, dont il a devancé l’appel pour en écourter le temps, et débuté des études de droit et de sciences politiques afin de se plier aux exigences de son père qui refuse à son aîné les disciplines littéraires et artistiques. Il a, dans la foulée, commencé à publier des nouvelles et articles dans une revue «Le Mensuel», revue où écrivent également plusieurs de ses condisciples de Sciences-Po sous la férule d’un certain Otto Bouwens, et dont le sommaire se partage entre des chroniques d’art, de mode et quelques textes de fiction. Marcel s’essaiera à tous les genres, y affirmera ses dons de critique et ses dispositions pour  les exercices de plume. Après un séjour à Cabourg en septembre, Proust est invité au manoir des Frémonts en octobre par son camarade de Condorcet Jacques Baignières, neveu d’Arthur Baignières et de son épouse Charlotte qui, par sa mère, appartenait au milieu social des notables normands. Ce manoir a été construit en 1869 par l’architecte Jacques-Claude Baumier pour Arthur Baignières sur un terrain acheté en 1861 par son beau-père Paul Borel, collaborateur de Ferdinand de Lesseps, qui eut le malheur de mourir quelques semaines avant l’inauguration du canal. L’architecte Jacques Baumier a construit également le Grand Hôtel d’Houlgate et établi le premier plan d’urbanisme de cette station balnéaire. Il est, d’après Claude Mignot, le créateur du type de la villa néo-normande et le rénovateur des constructions en bois inspirées par les manoirs normands. Cette demeure admirablement située sur la colline inspirera à Marcel la propriété de La Raspelière où se passent de nombreuses scènes de La Recherche et qu’il décrit ainsi dans « Sodome et Gomorrhe » :

«De la hauteur où nous étions déjà, la mer n’apparaissait plus, ainsi que de Balbec, pareille aux ondulations de montagnes soulevées, mais, au contraire, comme apparaît d’un pic, ou d’une route qui contourne la montagne, un glacier bleuâtre, ou une plaine éblouissante, situés à une moindre altitude. Le déchiquetage des remous y semblait immobilisé et avoir dessiné pour toujours leurs cercles concentriques ; l’émail même de la mer, qui changeait insensiblement de couleur, prenait vers le fond de la baie, où se creusait un estuaire, la blancheur bleue d’un lait, où de petits bacs noirs qui n’avançaient pas semblaient empêtrés comme des mouches. Il ne me semblait pas qu’on pût découvrir de nulle part un tableau plus vaste. L’air à ce point si élevé devenait d’une vivacité et d’une pureté qui m’enivraient. J’aimais les Verdurin ; qu’ils nous eussent envoyé une voiture me semblait d’une bonté attendrissante. Je leur dis que je n’avais jamais rien vu d’aussi beau

Non seulement le jeune Marcel est séduit par l’ampleur des paysages et l’élégance du manoir, mais c’est à l’occasion de ce séjour que le peintre Jacques-Emile Blanche, ami d’Arthur Baignières et de la famille Proust, réalisera de lui un dessin au crayon qui sera suivi, quatre ans plus tard, d’un  portrait à l’huile, le fameux portrait à l’orchidée à la boutonnière qui se trouve au musée d’Orsay, portrait dont Proust était fier car il y apparaît dans la fraîcheur de ses 20 ans, lumineux de jeunesse, le regard caressant, ayant acquis une conscience plus aiguë de sa personne qui dément l’image d’un adolescent gauche, mal ficelé tel qu’en lui-même on le surprend sur nombre de clichés de collège. Il écrira dans « Essais et Articles » :

« Une esquisse au crayon, qui a précédé mon portrait à l’huile, a été faite avant le dîner à Trouville dans les admirables Frémonts qui étaient alors la résidence de M. Arthur Baignières et où montaient du manoir des Roches ou de la Villa persane, la marquise de Galliffet, cousine germaine de la maîtresse de maison, avec la princesse de Sagan, toutes deux dans leur élégance aujourd’hui à peu près indescriptible d’anciennes  belles de l’Empire. »

Dès le premier regard, Marcel Proust tombe sous le charme de cette demeure qui lui ouvre des paysages sublimes, multipliant les points de vue sur la mer et la campagne avec ces horizons lointains, qui se modifient selon les heures du jour et les variations constantes de la lumière, parfois mouillés de pluie, parfois évanescents. Dans « La Recherche », il évoquera cette route de la Corniche dans « Du côté de Guermantes » :

 « Il me semblait qu’on pût découvrir de nulle part un tableau plus vaste. Mais à chaque tournant, une partie nouvelle s’y ajoutait, et quand nous arrivâmes à l’octroi de Douville, l’éperon de falaise qui nous avait caché jusque-là une moitié de la baie rentra, et je vis tout à coup à ma gauche un golfe aussi profond que celui que j’avais eu jusque-là devant moi, mais dont il changeait les proportions et doublait la beauté. »

Ou encore, à propos de la demeure elle-même : «  J’avais toujours entendu célébrer le coup d’œil unique de la Raspelière, située au faîte de la colline et où, dans un grand salon à deux cheminées, tout une rangée de fenêtres regarde au bout des jardins, entre les feuillages, la mer jusqu’au-delà de Balbec et l’autre rangée, la vallée. »

Caillebotte : vue de la colline de Trouville.

Caillebotte : vue de la colline de Trouville.

 

Elève de Gervex et Humbert, Jacques-Emile Blanche, qui participe de l’univers proustien par son amour de la Normandie et celui de l’art, raison pour laquelle je l’évoque ici, avait hésité un moment entre la musique et la peinture. Il est vrai que son père (médecin aliéniste renommé) recevait de nombreux musiciens comme Gounod, Berlioz, Bizet et que le jeune homme fut très tôt un excellent pianiste. Mais le goût de la peinture sera le plus fort et son admiration pour Manet et Whistler une probable incitation à opter pour le pinceau plutôt que pour le clavier. Blanche va très vite se spécialiser dans le portrait : «  Je ne suis qu’un portraitiste qui raconte ce qu’il voit » - dira-t-il. Blanche fixera sur la toile les visages des personnalités les plus emblématiques de son temps : non seulement Proust, mais Montesquiou, Henri de Régnier, Anna de Noailles, André Gide, Jean Cocteau, Maurice Barrès, Henri de Montherlant, Mauriac, Stravinski, Bergson et quelques autres. Sa sensibilité s’exprimera également dans le pastel qu’il utilise avec virtuosité, notamment dans ses portraits de femmes. De même qu’il fera un délicieux portrait du fils de Paul-César Helleu, Jean Helleu enfant, en habit de pierrot, d’une facture particulièrement délicate. Jacques-Emile Blanche sera également un écrivain et un critique d’art avisé. Dans son ouvrage « Propos de peintre – de David à Degas », il rend compte et exalte les œuvres de ses contemporains et prédécesseurs d’une plume alerte et éprouvée. Marcel Proust, qui rédigea la préface, ne partageait pas son point de vue, considérant que l’œuvre est toujours supérieure à son auteur et ne l’explique nullement, si bien qu’il ne craindra pas de le contredire sur ce point précis  :

 

 «  Le défaut de Jacques Blanche critique, comme Sainte-Beuve, c’est de refaire l’inverse du trajet qu’accomplit l’artiste pour se réaliser, c’est d’expliquer le Fantin ou le Manet véritable, celui que l’on ne trouve que dans leur œuvre, à l’aide de l’homme périssable, pareil à ses contemporains, pétri de défauts, auquel une âme originale était enchaînée, et contre lequel elle protestait, dont elle essayait de se séparer, de se délivrer par le travail. »

 

 

Jean Helleu enfant, par Jacques-Emile Blanche

Jean Helleu enfant, par Jacques-Emile Blanche

Tous deux fréquentaient les mêmes salons dont celui de Madame Straus à Paris comme à Trouville. De même que Marcel, le peintre aimait la Normandie, ses jardins, ses chemins creux, ses clochers qui pointent à l’horizon et la gravité lumineuse des paysages. Comme lui aussi, il appréciait cette communion harmonieuse et vivifiante avec la nature. Après avoir séjourné de 1896 à 1901 au château de Tout-la-Ville entre Deauville et Pont-L’Evêque, lui et sa femme Rose louèrent le manoir de Tôt à Offranville, en Seine-Maritime, où ils aimaient à poursuivre à la campagne leurs relations urbaines avec les personnalités les plus en vue du monde littéraire, artistique et politique d’alors. Les frères Goncourt, qui n’avaient pas la plume tendre, s’amusaient à dire que Jacques Emile-Blanche était susceptible et cancanier. Il n’y a qu’à lire « La Recherche du Temps Perdu » pour savoir que les propos aigres-doux étaient en vogue et animaient bien des conversations. Ainsi la Normandie sera-t-elle pour ce peintre mondain un lieu d’ancrage privilégié.

 

Ce le fut également pour la comtesse de Boigne, fille aînée du marquis d’Osmond, née en 1781, élevée à la cour du roi Louis XVI qui l’avait  tenue petite fille sur ses genoux car il aimait cette enfant ravissante devenue l’amie intime de ses propres enfants. La comtesse de Boigne et son compagnon le chancelier Pasquier, élevé à cette dignité par Louis-Philippe en 1837, ont résidé une partie de leur vie à Trouville où leur plaisait l’alliance de la campagne et de la mer et qu’ils ont contribué à lancer. On sait que Proust admirait les mémorialistes, Saint-Simon plus que tout autre, et, sans avoir peut-être lu l’intégralité des Mémoires de la Comtesse, il rédigea un article dans le Figaro où, selon la biographe de Mme de Boigne, Françoise Wagener, il se révèle un piètre historien. Il est certain que Proust a vu en la Marquise de Villeparisis, le personnage de La Recherche inspiré par la comtesse, quelqu’un de beaucoup plus frivole, une sorte de douairière surannée, davantage Belle Epoque qu’Ancien Régime, ce qui ne concorde pas avec le caractère de Madame de Boigne qui était tout sauf frivole. Elle mourut en 1866, cinq ans avant la naissance de Proust.

Adélaïde d'Osmond, comtesse de Boigne.

Adélaïde d'Osmond, comtesse de Boigne.

 

D’ailleurs la famille de Proust avait, elle-aussi, fréquenté la station bien avant 1871. En effet, Adolphe Crémieux, auteur du décret d’octobre 1870 attribuant la citoyenneté française aux indigènes israélites d’Algérie, grand-oncle de Marcel par sa mère, qui fut tour à tour sénateur, député, garde des sceaux et ministre de la justice, avait acquis, en 1863, pour la somme de 106.ooo frs, deux chalets construits par Adolphe Cordier, le promoteur de Trouville, situés en face de l’hôtel des Roches Noires dont l’un des deux existe toujours. Adolphe Crémieux avait  été en 1870 le témoin de mariage du professeur Adrien Proust et de sa nièce  Jeanne Weil. A sa mort, sa fille Mathilde en prit possession et Proust lui rendit visite lors d’un de ses séjours trouvillais, sans doute celui de 1884, mais le souvenir, qu’il en gardait, était peu enthousiaste. Dans une lettre à Geneviève Straus, il écrit ceci : «  Il semble que je respirais très mal dans une ligne de maisons en second plan qui se trouvaient en retrait derrière l’hôtel des Roches Noires, mais tout cela est un peu vague. » 

 

En août 1892, celui-ci était à nouveau aux Frémonts que les Finaly, autres amis de Marcel, avaient loués aux Baignières par son entremise. Si bien que Marcel n’est pas seulement un incomparable guide touristique mais il peut être ainsi, à l’occasion, un agent immobilier puisqu’il sut mettre en relation Arthur Baignières, qui souhaitait vendre les Frémonts, avec Horace de Landau qui l’acheta 152.000 francs pour l’offrir à sa nièce Jenny, la jolie Madame Finaly. Marcel avait connu les Finaly grâce à Horace Finaly qui se trouvait dans la même classe que lui au lycée Cordorcet. Fernand Gregh a évoqué plaisamment cette famille qu’il trouvait shakespearienne. L’ancêtre prestigieux était Horace de Landau qui vivait à Florence et que l’on appelait le Roi LIRE, en raison de sa fabuleuse bibliothèque. Hugo Finaly, le père d’Horace, incarnait lui aussi cette haute finance que Marcel a beaucoup fréquentée à travers d’autres relations comme les Fould ou les Rothschild, et dont il s’est servi pour camper ses personnages, Rufus Israël ou Nissim Bernard. Horace, l’ami de collège de Marcel, régnera à son tour sur les finances françaises en étant le directeur de la banque de Paris et des Pays-Bas de 1919 à 1937 et quittera notre pays pour les Etats-Unis en 1940 afin d’échapper aux mesures raciales. Il mourra à New-York en 1945. Ses héritiers légueront la villa de Florence à la chancellerie de l’Université de Paris à laquelle elle appartient toujours. Le propriétaire actuel des Frémonts, Monsieur Lebas, est le descendant de l’une des quatre filles d’Hugo Finaly, Edith Hélène née en 1888. Quant à la délicieuse Mary Finaly, dont on pense qu’elle a un peu inspiré le personnage de Gilberte, soeur d'Edith, elle est l’arrière grand-tante de notre hôte.

Les chalets Crémieux à l'époque.

Les chalets Crémieux à l'époque.

Jenny Finaly vers 1880, femme de Hugo Finaly, née Eugenia  Ellenberger, nièce d'Horace de Landau. (collection privée)

Jenny Finaly vers 1880, femme de Hugo Finaly, née Eugenia Ellenberger, nièce d'Horace de Landau. (collection privée)

Marie-Irène Finaly aux Frémonts en 1898  (collection privée). Décédée en 1918 à l'âge de 45 ans de la grippe espagnole.

Marie-Irène Finaly aux Frémonts en 1898 (collection privée). Décédée en 1918 à l'âge de 45 ans de la grippe espagnole.

A son retour de Trouville, en 1892, Marcel rédigera un texte tout empli de ces visions successives qu’il fera paraître dans « Les plaisirs et les jours »  quatre ans plus tard :

 

« La mer fascinera toujours ceux chez qui le dégoût de la vie et l'attrait du mystère ont devancé les premiers chagrins, comme un pressentiment de l'insuffisance de la réalité à les satisfaire. Ceux-là qui ont besoin de repos, avant d'avoir éprouvé encore aucune fatigue, la mer les consolera, les exaltera vaguement. Elle ne porte pas comme la terre les traces des travaux des hommes et de la vie humaine. Rien n'y demeure, rien n'y passe qu'en fuyant, et des barques qui la traversent, combien le sillage est vite évanoui ! De là cette grande pureté de la mer que n'ont pas les choses terrestres. Et cette eau vierge est bien plus délicate que la terre endurcie qu'il faut une pioche pour entamer. Le pas d'un enfant sur l'eau y creuse un sillon profond avec un bruit clair, et les nuances unies de l'eau en sont un moment brisées; puis tout vestige s'efface, et la mer est redevenue calme comme aux premiers jours du monde. Celui qui est las des chemins de la terre ou qui devine, avant de les avoir tentés, combien ils sont âpres et vulgaires, sera séduit par les pâles routes de la mer, plus dangereuses et plus douces, incertaines et désertes. Tout y est plus mystérieux, jusqu'à ces grandes ombres qui flottent parfois paisiblement sur les champs nus de la mer, sans maisons et sans ombrages, et qu'y étendent les nuages, ces hameaux célestes, ces vagues ramures.

 

La mer a le charme des choses qui ne se taisent pas la nuit, qui sont pour notre vie inquiète une permission de dormir, une promesse que tout ne va pas s'anéantir, comme la veilleuse des petits enfants qui se sentent moins seuls quand elle brille. Elle n'est pas séparée du ciel comme la terre, est toujours en harmonie avec ses couleurs, s'émeut de ses nuances les plus délicates. Elle rayonne sous le soleil et chaque soir semble mourir avec lui. Et quand il a disparu, elle continue à le regretter, à conserver un peu de son lumineux souvenir, en face de la terre uniformément sombre. C'est le moment de ses reflets mélancoliques et si doux qu'on sent son coeur se fondre en les regardant. Quand la nuit est presque venue et que le ciel est sombre sur la terre noircie, elle luit encore faiblement, on ne sait par quel mystère, par quelle brillante relique du jour enfouie sous les flots. Elle rafraîchit notre imagination parce qu'elle ne fait pas penser à la vie des hommes, mais elle réjouit notre âme, parce qu'elle est, comme elle, aspiration infinie et impuissante, élan sans cesse brisé de chutes, plainte éternelle et douce. Elle nous enchante ainsi comme la musique, qui ne porte pas comme le langage la trace des choses, qui ne nous dit rien des hommes, mais qui imite les mouvements de notre âme. Notre coeur en s'élançant avec leurs vagues, en retombant avec elles, oublie ainsi ses propres défaillances, et se console dans une harmonie intime entre sa tristesse et celle de la mer, qui confond sa destinée et celle des choses. »

 

A lire ces lignes, on comprend pourquoi les peintres ont été nombreux à s’inspirer de la beauté de ces paysages et des lumières si changeantes sur la mer depuis que Charles Mozin et Eugène Boudin y avaient posé leur chevalet. Entre Trouville et Charles-Louis Mozin, ce fut même une véritable histoire d’amour, un coup de cœur qui a su se prolonger. Bien que né à Paris dans une famille de musiciens comme Blanche, le jeune homme découvrira très tôt sa vocation de peintre au contact de la Normandie. Sa première cliente n’est pas une inconnue puisqu’il s’agit de la duchesse de Berry, la mère du comte de Chambord. Elle assure à Mozin la célébrité dans la capitale française. Louis-Philippe reconnaît également ses talents de peintre de marines en lui commandant une série de batailles navales destinées au château de Versailles. Mozin participera donc activement au développement de Trouville grâce à ses œuvres exposées dans les Salons parisiens, puis en entrant au conseil municipal en 1843. Ses toiles se plairont d’ailleurs à évoquer, en un émouvant réalisme, la beauté sauvage de la côte normande et sa campagne. Les falaises des Roches noires sont l’un des endroits emblématiques de la région entre Trouville et Villerville où Mozin attardait volontiers ses pinceaux et qui étaient prisées des notables. Ils édifièrent, le long de cette plage, d'élégantes demeures et Mozin, lui-même, fera bâtir la tour Malakoff, toujours présente à Trouville de nos jours et dont l’une des dernières propriétaires fut la comédienne Elina Labourdette, épouse de Louis Pauwels, celui qui a créé dans les années 1960 le Figaro-Magazine. Mozin mourra à Trouville en 1862 mais sera enterré à Paris au cimetière Montmartre.
 

La tour Malakoff peinte par Boudin

La tour Malakoff peinte par Boudin

Au manoir de la Cour-Brûlée d’abord, ensuite dans celui des Mûriers, qu’elle fera construire, Madame Straus, veuve du compositeur Bizet, apprécie elle aussi la beauté des lieux où elle se transporte et prolonge, à la saison estivale, son salon parisien. Après Flaubert, qui était tombé amoureux à Trouville de la belle Madame Schlésinger qui lui inspirera le personnage central de « L’éducation sentimentale », après Alexandre Dumas qui appréciait à Trouville sa belle chambre à l’hôtel du Bras d’or et les repas copieux qu’on lui servait pour un prix dérisoire, apparaît, comme le familier du salon de Geneviève Straus, Marcel Proust. En 1883 et 1884, il revient à Trouville mais avec sa mère et tous deux s’installent à l’hôtel des Roches-Noires  qui offre le luxe et le confort le plus récent : 300 chambre dont la plupart avec salles de bains, service de transport depuis la gare et cabines sur la plage à traction animale pour prendre des bains, même à marée basse. Le train à voie étroite ramenait chaque été son lot de villégiaturistes. Les passagers descendaient enveloppés dans des pelisses, les femmes dissimulées sous des voilettes qui les protégeaient des escarbilles. Les calèches attendaient devant la gare, inaugurée en 1863, trois ans après le pont de la Touques qui, dorénavant, relie Trouville à Deauville sa cadette. La vie était agréable, les siestes rêveuses derrière les jalousies, les  promenades bucoliques dans les sentes qui longent la mer, paysages que Marcel ne se lassera pas de décrire sous les lumières qui varient à chaque heure ou s’immobilisent la nuit sous les découpes ajourées de la lune. On peut associer Proust aux peintres à qui il emprunte les couleurs qui rendent grâce des paysages et colorent ses propres mots, fardent les couchers de soleil sur le large et les maisons moitié normandes, moitié anglaises où «l’abondance des épis de faîtage multiplie les points de vue et  en complique la silhouette.» - précisait-il.

 

Tout concoure à faire de ces étés successifs des moments rares dont l’écrivain se souviendra avec émotion et qui lui inspireront quelques-unes de ses plus belles descriptions de la nature : les fleurs en quantité, les points de vue qui foisonnaient autour de «Douville», l’église toute en clochetons, épineuse et rouge, fleurissante comme un rosier, enfin ces veillées où apparaissaient dans le ciel ombré, pareille à une légère et mince pelure, une lune étroite «qu’un invisible couteau avait taillé comme le frais quartier d’un fruit ». Pour nous en persuader, relisons ce qu’il écrira, des années plus tard à son amie Louisa de Mornand, lorsqu’il apprendra qu’elle se rend à Trouville :

 

« Ma petite Louisa,

J’apprends que vous avez l’intention de passer l’été près de Trouville. Comme je suis fou de ce pays, le plus beau que je connaisse, je me permets de vous donner quelques indications. Trouville est fort laid, Deauville affreux, le pays entre Trouville et Villers médiocre. Mais entre Trouville et Honfleur, sur la hauteur est le plus admirable pays qu’on puisse voir dans la campagne la plus belle, avec des vues de mer idéales. Et là il y a des habitations connues seulement des artistes et devant qui j’ai entendu des millionnaires s’écrier : «Quel malheur que j’aie un château au lieu d’habiter ici !» Et des chemins perdus admirables pour le cheval, de vrais nids de poésie et bonheur. Ce qu’il y a de plus beau, mais est-ce à louer ? - est « les Allées Marguerite », propriété affolante avec des kilomètres de rhododendrons sur la mer. Elle appartenait à un Monsieur d’Andigné et Guitry qui en était fou (pas de Monsieur d’Andigné, de la propriété) l’a louée plusieurs années. La loue-t-il encore ? Est-elle encore à louer ? Je ne puis vous le dire mais je pourrais vous le savoir et vous-même, si vous connaissiez Sacha Guitry, le pourriez. Peut-être serait-ce trop immense pour vous. Mais je crois qu’on a cela pour un morceau de pain. Près d’Honfleur, il y a aussi d’idéales maisons. Voulez-vous que je m’informe ? ”

 

Et quelques mois plus tard :
 

« Je suis content de vous savoir à Trouville puisque cela me donne la joie d’imaginer une des personnes qui me plaisent le plus dans un des pays que j’aime le mieux. Cela concentre en une seule deux belles images. Je ne sais pas au juste où est votre villa Saint-Jean. Je suppose qu’elle est sur la hauteur entre Trouville et Hennequeville, mais je ne sais si elle regarde la mer ou la vallée. Si elle regarde la mer, elle doit l’apercevoir entre les feuillages, ce qui est si doux et le soir vous devez avoir des vues du Havre admirables. On a dans ces chemins un parfum mêlé de feuillées, de lait et de sel marin qui me parait plus délicieux que les mélanges les plus raffinés..

Si vous donnez sur la vallée, je vous envie des clairs de lune qui opalisent le fond de la vallée à faire croire que c’est un lac. Je me souviens d’une nuit où je suis revenu d’Honfleur par ces chemins d’en haut. A chaque pas nous butions dans des flaques de lune et l’humidité de la vallée semblait un immense étang. Je vous conseille une promenade à pied très jolie qui s’appelle « les Creuniers». De là vous aurez une vue admirable, et une paix, un infini dans lequel on a la sensation de se dissoudre entièrement. De là tous vos soucis, tous vos chagrins vous apparaissent aussi petits que les petits bonshommes ridicules qu’on aperçoit sur le sable. On est vraiment en plein ciel. En voiture, je vous conseille une promenade plus belle : les allées Marguerite. Mais une fois arrivé il faut ouvrir la petite barrière de bois, faire entrer la voiture ( si le propriétaire actuel n’habite pas ) et vous promener pendant des heures dans cette forêt enchantée avec les rhododendrons devant vous et la mer à vos pieds ».
 

Le manoir de la Cour-Brûlée construit en 1864, appartenant à Madame Lydie Aubernon de Neville et loué plusieurs années à Madame  Straus.

Le manoir de la Cour-Brûlée construit en 1864, appartenant à Madame Lydie Aubernon de Neville et loué plusieurs années à Madame Straus.

Marcel Proust au manoir de la Cour-Brûlée en compagnie de Madame Straus.

Marcel Proust au manoir de la Cour-Brûlée en compagnie de Madame Straus.

Le manoir des Mûriers, propriété des Straus où ils s'installent en 1893.

Le manoir des Mûriers, propriété des Straus où ils s'installent en 1893.

Et au sujet de la jolie église de Criquebœuf, s’adressant toujours à Louisia de Mornand, il poursuit :

« Dites-lui de tendres choses de ma part, et aussi à un vieux poirier, cassé mais infatigable comme une vieille servante, qui maintient de toute la force de ses bras tordus par l’âge mais encore verts, une petite maison du village avoisinant, à l’unique fenêtre de laquelle sourient souvent de jolies figures de petites filles, qui ne sont peut-être plus ni petites, ni jolies, ni même filles, car il y a longtemps de cela ».

Eglise de Criqueboeuf.

Eglise de Criqueboeuf.

C’est ainsi qu’habité par ses souvenirs, il a transposé dans son œuvre, les images emmagasinées lors de ces séjours trouvillais au point que dans  « Sodome et Gomorrhe » les trois points de vue dont il parle à propos de La Raspelière – propriété que les Verdurin louent à Madame de Cambremer dans son ouvrage – ressemblent à s’y méprendre à ceux des Frémonts :

«Disons du reste, que le jardin de la Raspelière était en quelque sorte un abrégé de toutes les promenades qu’on pouvait faire à bien des kilomètres alentour. D’abord à cause de sa position dominante, regardant d’un côté la vallée, de l’autre la mer, et puis parce que, de même d’un seul côté, celui de la mer par exemple, des percées avaient été faites au milieu des arbres de telle façon que d’ici on embrassait tel horizon, de là tel autre. Il y avait à chacun de ces points de vue un banc ; on venait s’asseoir tour à tour sur celui d’où on découvrait Balbec, ou Parville, ou Douville. Même dans une seule direction, on avait placé un banc plus ou moins à pic sur la falaise, plus ou moins en retrait. De ces derniers, on avait un premier plan de verdure et un horizon qui semblait déjà le plus vaste possible, mais qui s’agrandissait infiniment si, continuant par un petit sentier, on allait jusqu’à un banc suivant d’où l’on embrassait tout le cirque de la mer. Là on percevait exactement le bruit des vagues, qui ne parvenait pas au contraire dans les parties les plus enfoncées du jardin, là où le flot se laissait voir encore, mais non plus entendre.”  (Sodome et Gomorrhe)

 

Tandis que les jeunes gens refont le monde, que les femmes se promènent sur les planches, la princesse de Sagan – toujours escortée d’un petit page noir comme l’ébène, vêtu de rouge, qui tient son réticule et son ombrelle – en compagnie des marquises de Montebello et de Gallifet, que les hommes sont allés jouer et fumer au Casino auquel vient d’être ajouté une salle de spectacle, la sœur d’Horace, la jeune Mary Finaly, aux beaux yeux verts, joue les coquettes et les mystérieuses auprès de ses soupirants qui se disputent l’honneur de l’emmener se promener dans le parc au clair de lune ou d’aller goûter, avec le reste de la bande, dans une ferme-restaurant des environs. Ce sont les fermes dites des Ecorres, de la Croix d’Heuland, de Marie-Antoinette ou « Les Aulnettes » au-dessus d’Houlgate. On y boit du cidre en mangeant du pain brié, ce pain qu’introduisirent au XIVe siècle des moines espagnols échoués sur la côte du Calvados.

« Mais quelquefois au lieu d’aller dans une ferme, nous montions jusqu’au haut de la falaise, et une fois arrivés et assis sur l’herbe, nous défaisions notre paquet de sandwichs et de gâteaux. Etendu sur la falaise, je ne voyais devant moi que des prés et, au-dessus d’eux, non pas les sept ciels de la physique chrétienne, mais la superposition de deux seulement, un plus foncé – la mer – et en haut un plus pâle».

 

Et il ajoute :
 

« Nous partions ; quelque temps après avoir contourné la station de chemin de fer, nous entrions dans une route campagnarde qui me devint bientôt aussi familière que celles de Combray, depuis le coude où elle s’amorçait entre des clos charmants jusqu’au tournant où nous la quittions et qui avait de chaque côté des terres labourées. Au milieu d’elles, on voyait çà et là un pommier, privé il est vrai de ses fleurs et ne portant plus qu’un bouquet de pistils, mais qui suffisait à m’enchanter parce que je reconnaissais ces feuilles inimitables dont la large étendue, comme le tapis d’estrade d’une fête nuptiale maintenant terminée, avait été récemment foulée par la traîne de satin blanc de fleurs rougissantes».

 

Ce qui ne l’empêche nullement de décrire dans «Sodome et Gomorrhe» les pommiers en fleurs, qu’il n’a probablement jamais vus, ne résidant pas en Normandie ou dans une autre campagne au mois de mai et cela, d’autant plus, qu’il souffrait cruellement de l’asthme des foins et restait plus volontiers chez lui à cette époque de l’année :
 

« Mais, dès que je fus arrivé à la route, ce fut un éblouissement. Là où je n’avais vu, avec ma grand-mère, au mois d’août, que les feuilles et comme l’emplacement des pommiers, à perte de vue ils étaient en pleine floraison, d’un luxe inouï, les pieds dans la boue et en toilette de bal, ne prenant pas de précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu’on eût jamais vu et que faisait briller le soleil ; l’horizon lointain de la mer fournissait aux pommiers comme un arrière-plan d’estampe japonaise ; si je levais la tête pour regarder le ciel entre les fleurs, qui faisaient paraître son bleu rasséréné, presque violent, elles semblaient s’écarter pour montrer la profondeur de ce paradis. Sous cet azur, une brise légère mais froide qui faisait trembler légèrement les bouquets rougissants. Des mésanges bleues venaient se poser sur les branches et sautaient entre les fleurs, indulgentes, comme si c’eût été un amateur d’exotisme et de couleurs qui avait artificiellement créé cette beauté vivante. Mais elle touchait jusqu’aux larmes parce que, si loin qu’elle allait dans ses effets d’art raffiné, on sentait qu’elle était naturelle, que ces pommiers étaient là en pleine campagne, comme des paysans sur une grande route de France».

 

Pour les vertus thérapeutiques que l’on reconnaissait désormais aux bains de mer, pour son casino et son champ de courses, une autre relation de Marcel se plaisait à Deauville et prenait le temps d’installer son chevalet à bord de l’un de ses yachts, afin de saisir sur le vif  l’atmosphère pétillante et légère de la vie estivale qui faisait de chacune de ces fêtes des moments enchanteurs. C’était le peintre Paul Helleu, amoureux de la mer et des femmes. Et l’hippodrome en question n’était autre que celui de Deauville inauguré le 14 août 1864, dont le duc de Morny, frère adultérin de Napoléon III, avait souhaité parer la station balnéaire de Deauville, sœur siamoise de Trouville, qu’il avait fait naître en 1860 des sables et de l’eau et que seul un pont sépare toujours de son aînée. Le duc, propriétaire d’une écurie à Viroflay, membre du Jockey-club, initiateur du champ de courses de Longchamp, y voyait le moyen d’attirer les amateurs vers la cité normande en prolongeant la saison des courses dans un lieu qui offrait, par ailleurs, tant d’autres divertissements.

Vue prise du manoir des Frémonts vers  les années 1920.

Vue prise du manoir des Frémonts vers les années 1920.

Dès la première édition, les courses de plat de Deauville s’affirmaient comme un événement mondain qu’il ne fallait manquer sous aucun prétexte et si Helleu avait choisi d’amarrer ses voiliers successifs dans le port de plaisance  de Deauville – celui de Trouville étant consacré à la pêche et au commerce – c’est parce que la région était en passe de devenir le XXIe arrondissement de Paris et que le peintre retrouvait là, chaque été, non seulement le yachting et les courses, mais les femmes de cette élégante société aristocratique qui composaient l’essentiel de sa clientèle. Les bateaux servaient alors de résidences secondaires avec parfois vingt-cinq à trente hommes d’équipage à leur bord et permettaient à leurs propriétaires de recevoir de façon plus conviviale et moins protocolaire mais avec tout autant de magnificence.

En 1880, Henri Greffulhe, marié à la belle Elisabeth de Caraman-Chimay – dont Proust admirait tant la beauté et l’élégance qu’elle lui inspirera un peu de sa princesse de Guermantes – avait fait bâtir sur le front de mer de Deauville la villa «La Garenne» aujourd’hui disparue, où son épouse poursuivait, à la saison estivale, les activités de son salon parisien, tandis que Mme Aubernon de Nerville, puis Mme Straus, qui avaient préféré le cadre mer/campagne des hauteurs de Trouville, régnaient sur l’autre rive de la Touques. On sait que, pour sa part, Paul Helleu a participé à créer le personnage du peintre Elstir qui compose, avec le musicien Vinteuil et l’écrivain Bergotte, le trio artistique de La Recherche. Il semble donc, que durant ces étés trouvillais, se soient mis en place, dans l’inconscient de leur auteur, quelques-uns des personnages qui animeront, bien des années plus tard, son roman :

« De sorte que si, avant ces visites chez Elstir, avant d’avoir vu une marine de lui où une jeune femme, en robe de barège ou de linon, dans un yacht arborant le drapeau américain, mit le double spirituel d’une robe de linon blanc et d’un drapeau dans mon imagination qui aussitôt couva un désir insatiable de voir sur-le-champ des robes de linon blanc et des drapeaux près de la mer, comme si cela n’était jamais arrivé jusque-là, je m’étais toujours efforcé, devant la mer, d’expulser du champ de ma vision, aussi bien que les baigneurs du premier plan, les yachts aux voiles trop blanches comme un costume de plage, tout ce qui m’empêchait de me persuader que je contemplais le flot immémorial qui déroulait déjà sa même vie mystérieuse avant l’apparition de l’espèce humaine, et jusqu’aux jours radieux qui me semblaient revêtir de l’aspect banal de l’universel été cette côte de brume et de tempêtes, y marquer un simple temps d’arrêt, l’équivalence de ce qu’on appelle en musique une mesure pour rien» – lit-on dans «A l’ombre des jeunes filles en fleurs».
 

Ce que lui apprend le peintre où, plutôt, ce que nous apprend Proust par la voix d’Elstir, est que l’art met en lumière certaines lois et que chaque artiste est tenu de recommencer sans fin, et pour son compte, un effort individuel, afin de séparer le vrai réel du faux vrai. Et à Trouville, durant ces étés apparemment insouciants, il a pris la mesure des choses, voyant surgir, comme une flottille, les églises de Criqueboeuf ou de Hennequeville. C’est très probablement là que s’est révélé à lui l’idée que la tâche d’un écrivain est de redire – comme l’avait fait Homère – ce qu’il a vu et ce qu’il a senti, car ces choses contemplées, et fatalement quittées, prennent ensuite, dans notre mémoire, une importance extraordinaire puisqu’elles nous apprennent que le temps peut renaître à tout moment, mais hors du temps. Ainsi le jeune homme imprime-t-il en lui des paysages qui fixent à jamais son goût et vers lesquels il reviendra comme cela se fait pour une œuvre picturale ou musicale. Ces paysages élus sont en quelque sorte des références sensibles et, grâce à eux et à l’évocation que l’on souhaite en faire, le goût et le style se façonnent et s’affinent. Ainsi les images recueillies en Normandie sont-elles, comme dans les toiles d’Elstir, celles de la campagne au-dessus de la mer et, plus précisément, au-dessus de Trouville. C’est du moins ce qu’il résume en quelques lignes dans un article intitulé «Les choses normandes» publié dans le N° 12 de la revue «Le Mensuel» :
 

«  Ainsi cette campagne, la plus riche de France qui, avec son abondance intarissable de fermes, de vaches, de crème, de pommiers à cidre, de gazon épais, n’invite qu’à manger et à dormir, se pare, la nuit venue, de quelque mystère et rivalise de mélancolie avec la grande plaine de la mer».

 

Paul Helleu, dont Elstir est en partie la réincarnation littéraire, disait aimer peindre les femmes sur leur yacht et, également, les marines.

«  Je compris que des régates, que des meetings sportifs où les femmes bien habillées baignent dans la glauque lumière d’un hippodrome marin, pouvaient être pour un artiste moderne, un motif aussi intéressant que les fêtes qu’ils aimaient tant à décrire pour un Véronèse ou un Carpaccio . » - écrit-il dans « Sodome et Gomorrhe ».

 

Mais d’autres peintres ont contribué à inspirer le personnage d’Elstir, sans doute Degas que Proust rencontrera chez Mme Straus à Trouville, Vuillard qu’il croisa sur la côte entre Deauville et Cabourg et dont il emprunte certains traits de langage, enfin Monet qui a peint une célèbre toile de l’hôtel des Roches Noires et qui lui avait été présenté par Madeleine Lemaire lors d’un séjour qu’il fît chez elle à Dieppe avec Reynaldo Hahn.  Quant à Paul Helleu, il avait avec Adrien Proust, le père de Marcel, un point commun : celui d’avoir quitté sa province  natale– la Bretagne – pour monter à Paris et réussir à s’y imposer par son seul talent, tandis qu’il partageait avec Marcel deux qualités appréciables : la générosité et la modestie. Il offrira l’une de ses toiles à Marcel et fera une pointe sèche très émouvante de l’écrivain sur son lit de mort qu’il se refusera à diffuser. Paul Helleu avait quinze ans lorsqu’il découvrit le mouvement impressionniste. Ces pionniers étaient alors ses aînés et, à leur suite, il apprit à utiliser au mieux la couleur et la lumière. Parlant d’Elstir et, par voie de conséquence d'Helleu,  Proust souligne son sens de la métaphore. C’est que Turner n’avait pas laissé indifférent cet artiste passionnément anglophile. Il se rendait souvent à Cowes, dans l’île de Wight, à bord de l’un de ses cinq voiliers qui furent successivement amarrés dans le port de Deauville. Il était également le peintre des femmes, et tout particulièrement de la sienne - qui était une véritable beauté, poétesse à ses heures sous le nom de Alice Louis-Guérin -  femmes auxquelles il prêtait un caractère inaccessible, préservant leur mystère et sachant rendre palpable leur grâce et leur distinction. La plupart d’entre elles appartenaient à la société du noble faubourg, ce qui eut l’avantage de lui assurer très vite une incontestable notoriété. Curieuse coïncidence, la petite fille d’Arthur Baignières, Françoise, épousera le fils de Paul Helleu, Jean, peintre de marine en 1924. Ils auront trois enfants, dont un fils Jacques, directeur artistique des parfums et de l’horlogerie Chanel -  les journaux, en relatant sa disparition en 2007, ont souligné « qu’une certaine idée de l’élégance disparaissait avec lui » - et une fille Jacqueline, que j’ai eu la chance de connaître parce qu’elle avait un appartement au Parc Cordier et venait souvent rêver devant le manoir. Les admirables Frémonts sont ainsi liés aux Baignières, aux Finaly, aux Helleu et, bien entendu, par l’écriture, à Marcel Proust.

 

«  C’est qu’avec mes amies nous étions quelquefois allés voir Elstir, et le jour où les jeunes filles étaient là, ce qu’il avait montré de préférence c’était quelques croquis d’après de jolies yachtswomen ou bien une esquisse prise sur un hippodrome voisin de Balbec. »

 

Alice Louis-Guérin peinte par son mari Paul Helleu.

Alice Louis-Guérin peinte par son mari Paul Helleu.

 

L’hôtel des Roches-Noires, dans lequel Marcel séjourne avec sa mère durant les étés 1893 et 1894, était à l’époque une sorte de palace international qui recevait de riches clients anglais et américains, dont certains débarquaient directement du Havre grâce à la longue digue-promenade qui avançait de 600 m dans la mer et sera détruite lors de la guerre de 39/45. Ce palace, situé sur la plage, cherchait à concurrencer les débuts prometteurs de Deauville et de son hôtel de charme «Le Normandy» et n’avait pas lésiné sur le confort  des installations. Madame Proust et son fils occuperont l’appartement 110 du 1er étage. C’est d’ailleurs lors de cet été 1893 que Madame Straus quitte le manoir de la Cour-Brûlée, qu’elle louait à Madame Aubernon, pour prendre possession de son manoir des Mûriers, construit par l’architecte Le Ramet et son parc de cinq hectares où le jardinier Claude Tantou, engagé sur les recommandations de la princesse de Sagan, va créer une roseraie et un jardin de fleurs à couper pour décorer les salons et les chambres, chacune d’elles ayant sa couleur, la bleu, la rose, la mauve, tout en sauvegardant un verger à pommiers qui saupoudre d’une neige immaculée les allées et les gazons au mois de mai. Ces vacances passées auprès de ses amis Straus et Finaly laisseront au jeune Marcel un souvenir inoubliable. On s’attardait volontiers à bavarder sous les tonnelles où couraient les ampélopsis et le chèvrefeuille, tandis que Madame Straus, bien campée sur son trône en rotin, bavardait avec Edgar Degas et Anna de Noailles, Guy de Maupassant et Abel Hermant, Léon Delafosse et Charles Haas. Cette femme occupe dans la vie de Marcel Proust une place très importante. Il en est amoureux à la façon dont il est amoureux des femmes. Fille du compositeur Fromentin Halévy, veuve de Georges Bizet, mère de Jacques qui dirigera la compagnie des taxis Unic à Cabourg, elle a épousé en secondes noces l’avocat Emile Straus, homme riche et influant. Personnage de roman, follement narcissique et passablement neurasthénique, Geneviève tient un salon très prisé, où se rendent les Rothschild, la comtesse de Chevigné, Lucien Guitry et Réjane, la comtesse Potocka, la duchesse de Richelieu, Degas, Jules Lemaître, Paul Bourget, autant de gens à particules que d’artistes, et qu’elle animait de son intelligence acérée et de ses mots d’esprit que son mari, très fier d’elle, prenait plaisir à propager à la ronde et dont on retrouvera bon nombre d’entre eux dans la bouche de Mme Verdurin ou de la duchesse de Guermantes. Proust la vénère et aura avec elle une correspondance suivie jusqu’à sa mort. En elle- dit-il – il retrouve tout ce qu’il peut aimer chez une femme : l’esprit, l’élégance, le charme, l’affection et l’allure maternelle et ce qu’il faut dans l’attitude et le comportement de subtile mélancolie.

 

Durant l’été 1894, Proust s’ennuie et écrit des lettres enflammées à Reynaldo Hahn. Il a fait récemment sa connaissance chez Madeleine Lemaire dans son petit hôtel du 35, rue Monceau, et il le supplie de venir le rejoindre aux Roches-Noires dès que sa mère sera partie, appelée par ses devoirs de maîtresse de maison à Paris, de même qu’il rédige un texte  «La mort de Baldassare Silvande», dont il avoue être assez fier. «Je suis à une grande chose que je crois assez bien» - lui écrit-il. Le paysage, dans lequel se déroule l’histoire, est celui qu’il aime par-dessus tout, la mer mauve surprise à travers les pommiers, et les sujets, qu’il développe, ceux déjà récurrents du baiser maternel, de la ressouvenance que cause le son lointain des cloches du village et le sentiment de culpabilité éprouvé par le héros, qui n’a pas été en mesure de satisfaire les aspirations de ses parents, parce qu’il a préféré les plaisirs interdits et ceux de la vie mondaine aux exigences d’une vocation littéraire. Pour toutes ces raisons, Baldassare sera puni de mort.

 

En attendant de publier la nouvelle qui ouvrira « Les plaisirs et les jours», Proust réitère ses appels au secours auprès de Reynaldo : « Comme maman partira bientôt, vous pourrez venir après son départ pour me consoler». Hahn ne répondra pas à cette invitation pour des raisons qui nous sont inconnues. Si bien que Marcel n’aura plus qu’une hâte : regagner Paris à son tour. Durant l’hiver, la relation entre les deux hommes va s’intensifier au point que l’été 1895 les verra réunis en Bretagne à écouter le chant de la mer et du vent. En 1906, ses parents étant morts l’un et l’autre, sa santé n’ayant cessé de se détériorer, Marcel cherche un lieu de villégiature pour se reposer loin des astreintes de la capitale. Son choix s’avère difficile malgré les bons offices et conseils de ses amis, dont sa chère Geneviève Straus qui continue à apprécier les agréments de son Clos des Mûriers dès que l’été fait son apparition. Proust envisage d’abord Trouville, qu’il aime tant, mais s’inquiète de savoir si le chalet d’Harcourt  ou la tour Malakoff sont à louer ; il a même pensé acquérir un petit bateau pour longer le littoral normand, puis breton, mais renonce les uns après les autres à ces projets, épuisé par les soucis de son déménagement boulevard Haussmann. Plutôt que Trouville ou le bateau, ce sera l’hôtel des Réservoirs à Versailles.

 

Certes Proust a aimé Trouville et on ne peut en douter lorsqu’on s’aperçoit qu’il n’y a pas moins de 147 mentions de la cité balnéaire dans la correspondance de Proust réunie par Philip Kolb et pas moins de 14 noms de lieux attachés à cette ville comme le chalet d’Harcourt, la Chaumière, la Villa persane construite en 1859 par Monsieur de Gastine et acheté en 1876 par la princesse de Sagan qui aurait inspiré à l’écrivain la princesse de Luxembourg, les chalets Crémieux, l’église Bon-Secours ou la Villa Saint-Jean, sans oublier le manoir des Roches à l’allure faussement médiévale où séjournait la marquise de Gallifet et qui fut démoli en 1974 après avoir appartenu à Fernand Moureaux, maire et bienfaiteur de la ville. Dans son souci de revenir à Trouville, Marcel écrit ceci à Geneviève Straus :

 

« Au point de vue de Trouville il serait possible que je me décide à louer avec des amis très bons pour moi près de Cabourg pour le mois d’août. C’est très incertain mais néanmoins dès que je saurai le nom de la propriété possible je me permettrai de vous l’écrire pour que vous puissiez demander à un agent de location de Trouville s’il sait ce que c’est, si c’est bien, sain, etc. Mais si je renonce à ce projet je pourrais peut-être venir à Trouville même seul alors, avec ma cuisinière. Savez-vous si le chalet d’Harcourt (le petit chalet des Creuniers) est à louer, si il n’est pas dangereux d’habiter dans un endroit si isolé, si c’est assez solide pour qu’on ne sente pas le vent et les courants d’air dans les chambres. Il faudrait aussi qu’on ne le louât pas plus de 1 000 francs pour août, car déjà cela m’obligerait à automobile etc. et tout cela constituerait une folie que je serai ravi de faire pour Trouville mais qui ne doit pas dépasser certaines limites. J’avais aussi pensé à louer un petit bateau pour moi seul. » Et il ajoute dans la lettre suivante :

 

«  Le modern style est le type de ce qu’il me faut pour bien respirer. Je n’ai  besoin que de ma chambre de maître, deux chambres de domestiques, une salle à manger, une cuisine. Le chalet d’Harcourt tel que je me le rappelle si on ne court le risque ni d’être assassiné, ni d’être emporté par le vent, ni que le vent circule en liberté dans les chambres me plaît beaucoup sur plan, s’il n’y a pas de risques d’éboulement. En général tout ce que je trouve joli, normand, enfoui sous le chèvrefeuille, n’est pas fameux pour moi. »

 

Ces projets ne se réaliseront pas et ce n’est qu’en 1907 que l’écrivain renoue avec sa chère Normandie et jette son dévolu sur Cabourg et le Grand-Hôtel qui vient d’être rénové et que l’on décrit comme un palais des mille et une nuits, disposant d’aménagements particulièrement raffinés, et à la pointe du confort le plus moderne avec ascenseur. D’ailleurs la station ne commence-t-elle pas à concurrencer le prestige de Trouville ? On sait qu’il viendra à Cabourg chacun des étés suivants jusqu’en 1914 et qu’il écrira une partie de « La Recherche » dans l’une des chambres qu’il a occupée successivement à l’étage supérieur pour ne pas être gêné par les voisins du dessus. Trouville, il ne s’y rendra plus qu’occasionnellement, en taxi, pour visiter Robert de Billy ou Geneviève Straus. Mais très vite leurs rendez-vous s’effectueront à mi-parcours et Trouville sera à jamais circonscrit dans sa mémoire, avant d’être transposé dans son œuvre. N’écrivait-il pas en 1917 à Geneviève Straus :
 

« En dictant votre adresse, le nom de votre demeure m’émeut presque autant que le vôtre. Aucune campagne n’est perméable, poreuse, n’a un charme féminin comme la campagne normande. Et toutes les routes, où nous nous sommes promenés ensemble, en voiture et à pied sont des annexes de vous, aussi chères à mon souvenir, aussi incorporées à mon cœur. Mais plus que tout naturellement les maisons que vous avez là-bas habitées, le manoir de la Cour-Brûlée, dont le nom, d’un romantisme Aubernon, fut inscrit par vous sur les cartes roses des Trois Quartiers, mais surtout celle qui fut créée par vous, par Mr Straus, que me ferment ma santé, les distances, et dont je voudrais bien pourtant une fois avant de mourir retrouver, fût-ce pour une heure, le sésame. Celui-ci (il s’agit de l’exemplaire dédicacé de « Sésame et les lys » de Ruskin traduit par Proust) plus heureux verra la pelouse inclinée, s’imprégnera du parfum des roses  d’automne, et sera reçu par vos mains si belles ».

Pour Marcel Proust, en effet, rien ne disparaissait, rien ne s’effaçait, tout se recomposait. C’est cette faculté de reconstitution, de réappropriation qui a produit le miracle de « A la recherche du temps perdu ».

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


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L'hôtel des Roches-Noires peint par Monet.

L'hôtel des Roches-Noires peint par Monet.

Il fut construit en 1866 par l’architecte Alphonse Nicolas Crépinet et inauguré le 15 juillet 1866, très vite considéré comme l’un des palaces les plus modernes et confortables du second Empire et rénové et 1924 par l’architecte Robert Mallet-Stevens qui re-décore entièrement le hall d’entrée. Réquisitionné durant la Seconde guerre mondiale par les forces armées françaises comme hôpital, puis occupé par l’armée allemande, il est néanmoins remis en activité hôtelière en 1959 mais sans grand succès, puis vendu sous forme d’appartements privés tel qu’il est, hélas ! - aujourd’hui encore. Marguerite Duras, amoureuse de Trouville, acquiert en 1963 l’appartement N° 105 où elle résidera chaque été jusqu’à sa mort en 1996. Le prix Marguerite Duras est remis chaque mois d’octobre depuis 2001 dans le hall de l’hôtel.

 

La villa persane bâtie en 1859 pour Monsieur de Gastine et vendue au prince Hélie de Talleyrand-Périgord, prince de Sagan.

La villa persane bâtie en 1859 pour Monsieur de Gastine et vendue au prince Hélie de Talleyrand-Périgord, prince de Sagan.

Villa Montebello.

Villa Montebello.

Construite en 1863 par Célinski pour la comtesse de Montebello, épouse du fils du Maréchal Lannes, comte de Montebello. Délaissée à la mort de celle-ci en 1877, elle n’est habitée qu’occasionnellement pendant 20 ans. A la Belle Epoque, la villa retrouve son activité en même temps que la station balnéaire grâce à la comtesse de le Roydeville,  épouse du fils d’un premier mariage de la défunte comtesse de Montebello. Mais la guerre de 1914 met fin à ses séjours et, désormais, mariée à un allemand, la comtesse est privée de son bien et la villa placée sous séquestre en 1915 et vendue aux enchères en 1921. En 1930, elle sera finalement acquise par la municipalité et accueillera en 1940 les réfugiés du nord de la France, sera occupée ensuite par l’armée allemande, enfin transformée en groupe scolaire à la Libération avant de devenir le musée de la ville en 1972 et inscrite au titre des monuments historiques en 1987.

 

 

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3 août 2019 6 03 /08 /août /2019 09:24
Trois de mes ouvrages de poésie que mon père avait fait relier pour m'encourager à poursuivre dans le domaine de l'écriture.

Trois de mes ouvrages de poésie que mon père avait fait relier pour m'encourager à poursuivre dans le domaine de l'écriture.

 

 

" Je dirai l'écho proprement musical qu'a laissé en moi la lecture de ces grands versets où me semble se déployer la genèse de l'homme tout autant que celle du poème. Je vois en MALABATA l'incarnation du Poète au sens grec, celui qui re-crée le monde en le célébrant ".


                                                           PierreSEGHERS
 


« J'ai cru relire le Cantique des Cantiques que j'ai tant admiré, aimé. Avec des accents neufs, plus intimes encore. »
 

                                                           JeanGUITTON


" L'auteur n'hésite pas à créer et animer un mythe, comme le fit autrefois Patrice de la Tour du Pin, pour mettre en scène une ascension spirituelle. Elle réussit à gagner ce difficile pari en évitant les écueils de l'emphase et de la sentimentalité. Armelle Hauteloire utilise une langue très musicale d'inspiration classique, sur un ton lyrique et chaleureux". 


                                                              GeorgesSEDIR

" L'auteur perpétue un lyrisme, un souffle, une anima qui tendent assurément à se perdre dans notre temps d'hyper-intellectualité. Mais j'ajouterai ceci : la qualité pour moi de ce texte n'est pas seulement dans son déroulement harmonieux, mais dans cette sorte de paradoxe que l'élévation de la pensée et du sentiment se garde de déboucher sur un langage trop philosophique et s'accompagne au contraire d'une expression limpide, simple, transparente. Le poète réussit l'équilibre entre la pulsion et l'ordre, la passion et la raison, l'écologie du coeur et l'économie du langage". 


                                                               Guy CHAMBELLAND

 

"Voici construit comme un office religieux avec Prologue, Graduel, Antienne, Stances, Final, le livre sacramentel de l'amour humain, transcendé, magnifié par le chant lyrique du don mutuel, prolongé bien au-delà du temps où il s'accomplit. Car il ne s'agit pas ici d'un recueil présentant des poèmes réunis pour constituer un ensemble, mais d'un ouvrage bâti dans sa totalité sur une ligne de pensée bien établie, sur des données terrestres et métaphysiques qui en constituent, de la première à la dernière page, la trame, l'armature, l'ossature... Ouvrant la porte à une vision plus vaste de l'amour, qui englobe à la fois le vouloir humain et le dessein divin, en une fresque lyrique où " les mots de la tribu " ont pris cette fois encore, leur sens le plus pur et le plus exaltant. "

 

                                                            Jehan DESPERT  ( Les nouvelles de Versailles )


" Il y a dans cette sorte de saga de l'âme quelque chose du souffle qui anime le Lamartine de " La chute d'un ange " mais aussi de la méditation du Vigny de " La maison du berger ", le tout baignant dans un lyrisme proche de St John Perse. Parfois, l'auteur a des accents de ferveur dignes du " Cantique des Cantiques " et il faut la louer à une époque où l'érotisme le plus vulgaire envahit tout, d'avoir su évoquer la rencontre de Malabata et de la Femme avec une admirable pudeur. C'est elle qui donne la vision d'un amour nouveau, en invitant l'homme et la femme à dépasser ensemble " leurs visions éphémères ". Et cela donne naissance à cette magnifique recréation de la salutation angélique que je tiens pour ma part pour un des points culminants du livre. Oui, ce poème révèle une grande élévation de pensée, une spiritualité profondément inspirée, servies par une sensibilité qui se traduit, à la fois, par la musique des vers et par le foisonnement des images, nouvelles et belles. "

 

                                                             Raoul BECOUSSE ( poète, écrivain et critique )



"Nous sommes très loin ici d'un divertissement léger ou précieux. LE CHANT DE MALABATA est parole inspirée, haute incandescence, rumeur de ciel entrouvert. Par quelle intuition profonde, éblouissante, Armelle Hauteloire a-t-elle pu exhumer ce chant d'amour somptueux qui ressemble à une épopée de l'âme humaine ? La grâce est au rendez-vous de sa poésie. Sa langue rejoint celle du Cantique des Cantiques et du Château de l'âme de Thérèse d'Avila. Lisez ce grand texte à haute voix. Tendez l'oreille. Sa musique vient de très loin." 

 

                                                           Jean-Yves BOULIC  ( journaliste à Ouest-France et écrivain )

 

 

"En main vos ouvrages. Restez personnelle si cela fait partie de votre inspiration. Surtout si cela doit donner d'aussi beaux fruits que LE CHANT DE MALABATA et CANTATE POUR UN MONDE DEFUNT. Ils sont parfaitement contenus par la mesure et l'élévation du ton, avec ces accents contemplatifs, ce mouvement inflexible - qui empruntent par moment à l'épique - les purifient du rauque accent personnel. Au demeurant, la poésie peut être élégiaque ou rester au bord de l'élégie, avec plus ou moins de saisons et d'oiseaux migrateurs. C'est un genre à part entière de grande mémoire. Nos joies et nos peines méritent d'être exhaussées. Par le rythme réglé sur le sentiment qui nous apprend à être triste. L'esprit dominant toujours comme un bon navire sur la vague. Par l'espérance aussi qui nous prépare à être des enfants de la Promesse. La poésie peut être prise de nostalgie pour reconstituer le mythe primitif, en deçà de la diaspora des formes culturelles. Affaire d'équilibre. Les dangers (dont vous êtes heureusement indemne)  : sans doute la confusion, la capture". 


                                                                            Francis JACQUES

                                                        (Professeur émérite à la Sorbonne - Philosophe )


 

" La nuit, les peurs enfantines, le vent, l'éclair, le foyer clos, la luxuriance des sèves, les parfums entêtants inspirent Armelle Hauteloire. Elle est le poète des sensations, des mouvements, des chuchotements à  " quelque oreille si réellement cosmique et attentive". De Terre Promise (1959) à Incandescence (1983) et Le Chant de Malabata (1986) un sens éveillé de l'accueil des choses dans un lyrisme envoûtant".  

 
                                                                           Robert SABATIER

                                          (  Histoire de la Poésie française - XXe siècle - Tome III )

 

 

 

" Lire la poésie d'Armelle Barguillet Hauteloire, c'est d'abord se surprendre à remuer les lèvres jusqu'à déclamer à haute voix des séquences de mots et de phrases. Impossible de se contenter de susurrer des textes d'une telle richesse de sonorité et d'images. Dans " Le Chant de Malabata", la grâce est au rendez-vous, la langue retrouve l'inspiration musicale du Cantique des Cantiques :

"Ma fiancée, mon amante, / plus douce à mes lèvres que pulpe de mangue, / plus belle à mes yeux que feuille d'acanthe, / à ma langue plus suave que grain de coriandre... "

Au-delà de" la parole incandescente" de cette musique océane, qui fait de chaque stance une aquarelle de la pensée-émotion, l'auteure nous livre sa vérité sur l'état de ce monde :

Il y avait eu une fête / et les hommes n'avaient laissé / que des débris de regards et de voix... / ... Ne comptez pas sur moi / pour rire de l'infâme drôlerie des choses /  avec déploiements de gorge / gloussements et borborygmes. / N'y comptez pas, l'heure est trop grave".

Imprégné d'une profonde spiritualité, le poète a senti et compris là où le philosophe ânonne et le théologien tâtonne :

Voilà que le fleuve Espérance s'est tari. / Nos âmes sont sèches et l'eau de l'esprit vient à manquer".

Mais Armelle Hauteloire n'est jamais plus émouvante que lorsqu'elle célèbre l'amour :

Deviner ton pas quand tu viens, / quand tu pars, le supporter qui s'éloigne, / à chaque instant te découvrir, / te rejoindre en chaque pensée, / dans l'aube qui se défroisse, / ô songeuse espérance, / ne point laisser place à l'angoisse."

Comme elle l'écrit elle-même à propos du poète en général, qui ne cherche pas à " décrire le réel, mais à le faire apparaître autrement", ainsi sa parole "creuse et oscille à la lisière mouvante du visible et de l'invisible". Cela s'appelle la grâce poétique.

 

     Jean-Yves BOULIC    ( Ecrivain, journaliste ) Ouest-France du lundi 13 mars 2006

                                             


" Le démon ( dans le sens socratique du terme ) de l'écriture a tôt saisi Armelle Barguillet Hauteloire. Son premier recueil de poèmes " Terre Promise" date de ses vingt ans. Dans la suite, des spicilèges poétiques remarqués par la critique et couronnés de plusieurs prix : IncandescenceLe Chant de MalabataJe t'écris d'Atlantique et Cantate pour un monde défunt. Sans compter, aux éditions Clovis des ouvrages pour la jeunesse et un essai sur Proust, un second ouvrage « Proust et le miroir des eaux » - joli titre ! - est annoncé aux éditions de Paris).

Le présent recueil, sous-titré Un itinéraire en poésie, rassemble les textes les plus significatifs écrits entre 1956 et 2004. Il permet de mesurer l'élévation de la pensée et la profondeur de la quête, quête de soi, de l'autre (des autres), de Dieu enfin qui lui donne son sens. Tout du long, un souffle, une vibration. Un rythme parfois haletant que permet l'usage du vers libre et qui rappelle parfois le verset claudélien. Une ferveur qui faisait écrire à Jean Guitton : " J'ai cru relire le Cantique des Cantiques que j'ai tant admiré, aimé. Avec des accents neufs, plus intimes encore."

Si la poésie contemporaine hésite entre pédantisme abscons et mièvrerie, si elle est, pour cela même, réduite à la portion congrue dans les catalogues d'éditeurs et boudée par le public, Armelle Barguillet Hauteloire a l'immense mérite de lui redonner une âme. Elle renoue avec la création au sens le plus noble, consciente que l'expérience poétique et l'expérience mystique entretiennent entre elles des liens de parenté. Car, dit-elle, "on crée moins pour faire une oeuvre que pour être dans la Création". Voilà pourquoi Profil de la nuit vaut d'être savouré et médité. "

 

        P.L. MOUDENC  -   Rivarol du vendredi 28 avril 2006

 

 

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Critiques d'écrivains, poètes et journalistes sur quelques-uns de mes ouvrages
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30 juillet 2019 2 30 /07 /juillet /2019 09:08
Avec le catastrophisme climatique, avons-nous basculé dans l'antiscience ?

Voilà une question pertinente posée par des professeurs d’université et des personnalités du monde scientifique qui s’inquiètent de voir jusqu’où  risque de nous mener l’hystérie écologiste. Il est urgent de remettre de la nuance et de la raison face à un discours qui se fait de plus en plus autoritaire et simpliste et de donner la parole à quelques scientifiques éclairés, climatologues, physiciens, mathématiciens qui parlent du climat de manière précise et dépassionnée. Il est probable que le soleil soit plus responsable que les hommes des variations climatiques et que le dioxyde de carbone ne mérite pas un tel opprobre. Au final, cédons-nous à la peur et risquons-nous de basculer dans une pensée manichéenne ?
 


Le catastrophisme est sans fondement nous dit le climatologue Richard Lindzen qui s’élève contre la responsabilité que l’on fait peser sur l’homme depuis une cinquantaine d’années. N’y-a-t-il pas eu une période de réchauffement entre 1919 et 1940 et de nombreuses durant les siècles précédents ?  Mike Hulme, fondateur du Tyndall Centre de l’Université d’East Anglia, a, par exemple, souligné que « déclarer que le changement climatique sera catastrophique cache une cascade d’hypothèses à charge qui ne sont pas issues de la science empirique ou théorique. » Mais à partir de quand le discours sur le changement climatique s’est-il à ce point dramatisé ? On peut dire que le récit l'a été dès lors que la question s’est infiltrée dans le débat public. Elle est devenue alors incohérente par un amalgame volontaire entre des résultats élémentaires sans aucune implication avec le catastrophisme lui-même et un certain nombre d’intérêts particuliers. On peut citer pêle-mêle les économistes de gauche pour qui le réchauffement climatique représente un exemple suprême des défaillances des marchés et l’occasion de proposer des mesures correctives ; les membres de ONU pour qui le réchauffement climatique est la voie vers une gouvernance mondiale ; les dictateurs du tiers-monde qui voient en cela un moyen pratique de réclamer des aides et un transfert des richesses ; les militants écologistes pour qui tout enjeu de société est bon à prendre dès qu’il incite les naïfs à allouer d’importantes contributions à leurs nombreuses ONG ; enfin les politiciens qui profitent du réchauffement climatique pour agir en démagogues sans craindre d’être contredits par la réalité ou de subir les plaintes des prétendus bénéficiaires de leurs actions. A cela s’ajoutent les militants, les experts, les conseillers etc.  …  souligne  Richard Lindzen.


 

Pour lui, le danger est que la science est en train de perdre sa raison d’être, raison qui faisait d’elle l’outil humain le plus efficace pour l’évaluation objective et assurait ainsi la confiance et le soutien du public. Quant au mathématicien Benoît Rittaud, il conseille de ne pas avoir peur du temps qu’il fait et appelle les scientifiques à se défier des pensées binaires ou prophétiques. Hormis quelques variations ponctuelles, la température globale n’augmente plus, ou si peu. Les cyclones peuvent être plus destructeurs mais pour des causes externes : évolutions démographiques, urbanisation sauvage, mauvaise préparation. Le niveau marin augmente toujours à peu près au même rythme et les rendements agricoles n’ont jamais été aussi élevés. Même le Giec reconnaît des incertitudes considérables. Et il ne faut pas mettre de côté la mauvaise gestion des terrains et les funestes engrais chimiques.


 

S’il y a une urgence, c’est bien celle de retrouver l’esprit critique face à ces présages tragiques et de tempérer l’anxiété propagée auprès de la jeune génération en éloignant le spectre des famines car il arrive que les scientifiques eux-mêmes puissent se tromper. Les modèles utilisés au sujet des données climatiques ne surestiment-ils pas grandement le réchauffement en cours affirme pour sa part John Christy, directeur du Earth System Science Center de l’Université d’Alabama, tandis que le géophysicien Vincent Courtillot appelle la communauté scientifique à ne pas oublier les vertus du débat et à ne pas préférer les modèles numériques au terrain. La terre n'a jamais été un jardin d'Eden, raison pour laquelle le paradis climatique est un mythe. Il n'y a pas de dérèglement climatique pour la simple raison qu'il n'y a pas de règlement climatique. Aussi, sachons garder raison en dépassionnant le sujet afin que la liberté de penser ne soit pas gravement compromise, d’autant que peu de scientifiques adhèrent à l’idée que la planète est en danger.



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La zoologiste de l'Université de Victoria Susan Crockford, spécialiste des ours polaires, nous rassure et conteste le scénario d'une espèce mise en danger par la fonte de la banquise.

La zoologiste de l'Université de Victoria Susan Crockford, spécialiste des ours polaires, nous rassure et conteste le scénario d'une espèce mise en danger par la fonte de la banquise.

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19 juillet 2019 5 19 /07 /juillet /2019 08:36
Ile de Bréhat - La perle rose

Bréhat a déjà été affublée de tous les superlatifs et il semble qu'ils se soient usés à célébrer la beauté incomparable de cette île qui se trouve à quelques encablures de Paimpol et dont un bateau assure le passage presque à chaque heure et en seulement dix minutes. Un saut de puce qui est aussi un pas de géant, tant Bréhat est différente du continent de par son microclimat qui fait d'elle, au coeur de la Bretagne nord, un jardin exotique. Elle a été baptisée de toutes sortes de façon : île des fleurs, île de beauté, havre des artistes ; personnellement je la nommerai la "Perle rose" à cause de cette ceinture de rochers qui la noue d'une teinte évanescente dès que le soleil apparaît. Perle aussi de par sa végétation luxuriante, ses essences méridionales de palmiers, de mimosas, d'eucalyptus et de figuiers qui confirment la douceur de son climat. En empruntant les venelles et les sentiers interdits aux véhicules, à l'exception de ceux des pompiers et aux tracteurs, on part à la découverte d'un silence oublié, d'un monde clos sur sa paix, sa douceur et sa poésie. Ici, on se sent loin de tout, dans un paradis parfumé et enluminé où les phares, les amers, les moulins trahissent sa vieille appartenance marine. Déjà connue des Romains, Bréhat fut habitée par les moines, qui trouvaient là une terre appropriée à la prière, envahie par les Anglais qui la pillèrent, fortifiée par Vauban et peuplée par les Bréhatins qui participèrent à l'épopée des pécheurs d'Islande et furent dès le XVe siècle de valeureux marins.

 

 

 

Au fil des siècles, elle ne cesse de se dépeupler ; alors qu'elle comptait 1500 habitants en 1800, elle n'en a plus guère que 400 aujourd'hui, dont une trentaine d'enfants scolarisés dans le primaire. Bien entendu, les touristes s'emploient à en gonfler le flux et ce ne sont pas moins de 5 000 d'entre eux qui débarquent l'été pour admirer les lieux et lui prêter un faux air de fête foraine. Mais, hélas ! il semble bien que le danger la guette et que, sous l'influence de quelques poids lourds de l'immobilier, elle finisse par perdre le restant de sa population régionale, se transformant, au fil des ans, en une réserve de nantis et, pour des raisons bassement matérielles, sorte ainsi de l'Histoire. Même chose qu'à Ré, où les taxes foncières et d'habitation sont devenues si exorbitantes qu'elles obligent les îliens de souche à s'expatrier. Ce serait le pire scénario car elle perdrait alors son authenticité et ne serait dès lors qu'un jardin posé sur la mer.

 

 

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Ne dramatisons pas, mais ce danger existe que de vieilles femmes du pays nous ont confirmé. L'île n'en reste pas moins belle et, ce, sous les éclairages capricieux d'un été maussade, avec des ciels tourmentés et aussi mouvants que les flots et l'on comprend sans peine pourquoi Gauguin et Matisse aimaient à poser ici leur chevalet. Aux sentes frangées de fleurs, souples et odorantes, succède le littoral aigu et chaotique, succession de roches qui disent le travail incessant du vent et de l'océan et créent des paysages maritimes d'une fière adversité, formant sur quelques kilomètres à la ronde une alliance inattendue de force et de grâce.

 

 

A l'origine, Bréhat était composée de deux îles avec une partie au nord sauvage et minérale - c'est là que se trouve l'imposant phare du Paon dont la chaussée surplombe la mer au centre d'une fabuleuse agglomération de rochers roses - et la partie sud riante dans sa généreuse expansion végétale où l'on distingue, en un désordre réjouissant, des camélias, agaves, aloès, échiums, agapanthes, dont les bleus sont sans doute plus beaux que nulle part ailleurs, et les éternels bosquets d'hortensias, emblématiques de la Bretagne.

 

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Vauban, en reliant les deux îles par un pont, que les fortes marées parviennent à recouvrir, a permis l'accession à l'une et l'autre, celles-ci formant un ensemble de trois kilomètres de long et un kilomètre et demi de large. Bien que petite, Bréhat ne propose pas moins d'une trentaine de kilomètres de chemins étroits, bordés de maisons de granit et de haies de fleurs, qui se plaisent à vagabonder sur la lande où pointent à l'envie des arbres séculaires, cèdres du Liban, araucarias et de somptueux palmiers qui colorent ainsi les paysages d'une touche méditerranéenne. Si bien que nous ne ferons pas moins de 7 heures de marche afin de ne rien laisser au hasard des aspects les plus secrets, les plus insolites de l'île, laquelle, à chaque tournant, nous offre des points de vue uniques, des panoramas époustouflants. Inutile de perdre son temps dans un restaurant qui ne vous servira qu'un repas quelconque. Il est préférable d'emporter son panier  pique-nique et d'acheter des fruits frais au marché du village. Bréhat n'est certes pas une étape gastronomique. Elle laisse ce privilège au continent, se contentant d'être florale et belle.
 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

 

 

autres articles que j'ai consacrés aux îles :

 

 

 

Les îles, de la réalité à l'imaginaire des hommes      

 

Venise et les îles de la lagune

 

Houat ou la Bretagne insulaire           

 

 

Les Grenadines à la voile

 

 

 


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Ile de Bréhat - La perle rose
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Photos Yves BARGUILLET

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2 juillet 2019 2 02 /07 /juillet /2019 08:50
Le modèle oublié de Pierre Perrin

Pierre Perrin, un enfant comme moi du Pays de Courbet, a, pour célébrer l’anniversaire de la naissance du maître d’Ornans, écrit cet ouvrage qui montre Courbet adulte dans son foyer et père de famille même s’il n’a jamais voulu épouser la femme qui lui a donné le fils qu’il a refusé de reconnaître. L’homme ne semble pas être à la hauteur de l’artiste.

 

 

Le modèle oublié

Pierre Perrin (1950 - ….)

 

 

Le 10 juin prochain (2019), nous fêterons le deux centième anniversaire de la naissance de Gustave Courbet. A cette occasion, Pierre Perrin publie un livre sur le maître. La littérature étant déjà fort abondante sur le sujet, il a choisi de montrer l’homme plutôt que le peintre, une façon de mieux comprendre son rapport à son œuvre. Il dépeint l’enfant rébarbatif aux études au séminaire, le jeune homme fêtard, abusant de l’alcool et de la nourriture, le séducteur coureur de filles mais surtout le conjoint amoureux même s’il n’est pas très fidèle et le père qui n’a pas su aimer son fils comme il l’aurait voulu. Il dépeint également le bourgeois affairiste, avide d’argent, qui joue au socialiste sous le regard narquois de ses compatriotes comtois, notamment Proudhon. Et l’ami fidèle qu’il a été pour ses compagnons de province ou pour ses relations parisiennes comme Baudelaire qu’il a fréquenté jusqu’à sa mort.

 

On dépeint souvent Courbet entouré de jeunes filles fort séduisantes et peu farouches qui ne sont pas que des modèles pour le peintre, mais on n’évoque jamais celle qui a longuement partagé sa vie à Paris : Virginie Binet qu’il appelait ma Vigie tant elle était de bon conseil. C’était aussi un point d’ancrage où il aimait revenir, comme le marin au port d’attache, après de longues escapades à travers la France, et même l’Europe, mais surtout pour de longues vacances à Ornans d’où il ne pouvait que difficilement s’arracher pour rentrer à Paris. Virginie, il l’a rencontrée à Dieppe, où elle vivait encore chez son père malgré sa trentaine. Il l’a aimée très vite et s’est démené comme un diable pour la faire venir à Paris au moment où il ne connaissait ni la gloire, ni la fortune, se contentant de dépenser les subsides d’un père embourgeoisé. Cette union jamais légitimée, plutôt harmonieuse, durera plus d’une décennie, Virginie lui donnera même un fils, Emile, qu’il refusera de déclarer. Mais la fidèle compagne finira par se lasser des frasques et surtout des absences de l’homme qui partageait sa vie et rejoindra sa ville natale avec son fils.

 

Sans sa conjointe, sans son fils, Courbet souffrira mais continuera à travailler sans répit, c’était une force de la nature. Il a peint quantité de tableaux dont bon nombre sont gigantesques et a ainsi accumulé âprement un joli pactole, achetant de nombreuses propriétés foncières dans la Vallée de la Loue. Pierre Perrin, en fin connaisseur du peintre et de son œuvre, relie chacune de ses œuvres majeures au contexte familial et social dans lequel le maître les a réalisées. Courbet n’avait qu’une seule maîtresse qui l’a envoûté tout au long de sa vie : la peinture dont il ne pouvait se passer et dont il était convaincu d’être le meilleur serviteur. Son égo démesuré, son orgueil, sa « grande gueule » ne lui vaudront pas que des succès, alors que Virginie n’est plus là pour l’apaiser. C’est la raison pour laquelle, il se fait des ennemis, froisse des personnes importantes et commet quelques bévues qui finiront par lui être préjudiciables. Le départ de Virginie sonne le début de la désescalade même si la côte du peintre grimpe et ne cessera jamais de grimper.

 

Pierre Perrin a choisi la biographie romancée pour pouvoir s’immiscer dans l’intimité de l’artiste et montrer Courbet tel qu’il était hors de son atelier et comment la femme de sa vie a contribué au développement de sa carrière. Ce texte, très documenté, montre l’irrésistible ascension du peintre déployant son immense talent auprès de sa douce et compréhensive compagne et la déchéance de l’homme, gros goujat égocentrique, goinfre et frivole, hâbleur et orgueilleux, sûr de lui en tout et pour tout, terminant pitoyablement sa vie en un exil qu’il aurait pu éviter avec un peu plus de réserve et de finesse.

 

Un livre à lire pour ceux qui veulent découvrir Courbet mais aussi un livre pour ceux qui croient tout savoir de Courbet, ignorant que l’individu, qui se cachait derrière l’artiste, était moins glorieux que le peintre toujours  admiré et adulé.


Denis BILLAMBOZ

 

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Le peintre Gustave Courbet

Le peintre Gustave Courbet

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12 juin 2019 3 12 /06 /juin /2019 08:41
Humeur de Juin

Chaque saison a cela de précieux qu'elle apporte avec elle ses singularités, si bien que nos préoccupations changent à l'égal de nos paysages et de nos humeurs.

 

Il brille, le sauvage Été,
La poitrine pleine de roses.
Il brûle tout, hommes et choses,
Dans sa placide cruauté.

Il met le désir effronté
Sur les jeunes lèvres décloses ;
Il brille, le sauvage Été,
La poitrine pleine de roses.

Roi superbe, il plane irrité
Dans des splendeurs d'apothéoses
Sur les horizons grandioses ;
Fauve dans la blanche clarté,
Il brille, le sauvage Été.

                                         
Théodore de Banville   (1823 - 1891)

 

Comment décrire ce mois des roses et des coquelicots qui nous introduit dans le flamboyant été ? Du printemps, il n'a déjà plus les teintes juvéniles et les floraisons évanescentes ; de l'été, pas encore les chaleurs accablantes et les parfums capiteux, mais les jours s'y alanguissent, les attentes s'y font impatientes, les crépuscules fatals. On l'aime d'être le passeur entre deux rives, de nous conduire au solstice à pas de géant, de clore le calendrier des lycéens et des étudiants. Avec lui se boucle chaque année une époque, un temps. Aussi est-ce un mois qui compte, ne serait-ce que parce qu'inévitablement il nous oblige à des bilans. Bilan physique, intellectuel, moral, tout y passe : suis-je en bonne condition pour affronter l'été ? Où mes pas me mèneront-ils à la rentrée ? Demain, pour les vacances du bel azur, quel projet de voyage, quelles velléités d'évasion ?

 

 

Oui, on apprécie le mois de juin pour les interrogations qu'il suscite, les lumières qu'il dispense, les doutes - parfois même les craintes - qu'il provoque, les promesses qu'il suggère. On l'aime d'être à l'extrême, avec son jour le plus long et ses ténèbres les plus courtes. Ainsi le considère-t-on volontiers comme joyeux et insensé, dispendieux et provocateur. Et, il est vrai qu'en juin, il nous plaît de tout promettre et de tout espérer. Dormir, se reposer paraissent indécents. Juin, c'est l'obligation de vivre impérieusement, de ne point se contraindre, c'est déjà l'avant-goût des jubilations de juillet et des prodigalités d'août, avant que le sage septembre ne nous prépare aux retenues de l'automne et aux gravités de l'hiver.

 

 

Mon coeur, rappelle-toi

la beauté, la vigueur de nos jeunes saisons,

quand l'alouette chantait au-dessus des moissons,

que la source jaillissait dans un éclat de jaspe.

La maison se laurait de vignes et de lierre

et les roses trémières rosissaient son fronton.

 

Armelle Barguillet Hauteloire     Extraits du "Chant de Malabata"*

 


Fête de la musique, feux de la Saint-Jean, Juin traverse le temps  en apothéose. Il est le point d'orgue d'une année qui nous façonne selon le rythme compulsif de ses saisons et qui, soudain, semble lâcher prise. Juin des rendez-vous donnés ou manqués, des attentes fébriles, des fiévreux crépuscules, des roses aurores et des lueurs veillées à l'avant-poste estival.

 

* Armelle Barguillet Hauteloire - "Profil de la Nuit"
 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
 

 

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Humeur de Juin
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31 mai 2019 5 31 /05 /mai /2019 08:51
De Perros-Guirec à Ploumanac'h, le sentier des douaniers

 

Au départ de la plage de Perros-Guirec, devant le casino, le Conservatoire du littoral a mis à la disposition des randonneurs un chemin préservé, car balisé, qui longe la côte et conduit, si on est bon marcheur, jusqu'à Trébeurden ; c'est le sentier des douaniers de la côte rose, un itinéraire qui ne cessera de vous offrir, tout au long de votre marche, des vues d'une constante et surprenante beauté. Il faut compter une heure trente pour vous rendre de Perros à Ploumanac'h, première étape qui permet de se restaurer et de se rafraîchir, avant de poursuivre jusqu'à Trébeurden. Nous nous sommes contentés, mon mari et moi lors de ce court séjour, de faire la première tranche en quittant Perros le matin, afin de nous rendre à Ploumanac'h  par un temps délibérément capricieux et de  déjeuner dans une charmante auberge où les fruits de mer et les galettes de sarrasin étaient particulièrement goûteux,  avant de retourner sur Perros où nous avions laissé notre voiture.

 

Alentour voletaient des milliers de couples d'oiseaux que l'on préserve de la main destructrice de l'homme. Celui-ci avait en effet exterminé presque toute la faune qui occupait la côte et, plus au large, les sept îles, sous le prétexte imbécile de la chasse, sans épargner la flore de bruyères cendrées et d'ajoncs d'or qu'il détruisait implacablement en parcourant la lande dans tous les sens sans aucune précaution pour les pousses fragiles et que le Conservatoire a replanté, faisant réapparaître une diversité végétale qui rend  au littoral son authenticité.

 

 

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Dès lors érigé en " site naturel" protégé, cette côte est redevenue le paradis des Fous de Bassan, seule véritable colonie des côtes françaises. Mais, l'homme, non content de ces désastres successifs, parviendra encore à rompre l'équilibre des lieux en le polluant par le pétrole. Les marées noires, emblèmes du fric-roi par excellence, s'attaqueront à plusieurs reprises aux occupants de ce sanctuaire, les macareux moines, les cormorans huppés, les guillemots de troll, les petits pingouins, les fulmars et goélands qui en sont les hôtes presque permanents et auxquels viennent s'ajouter, en période de migration, des milliers d'oiseaux de passage.

 

 

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Le rivage, aux environs de Perros-Guirec, est hérissé de rochers de granit rose qui font la célébrité de la région et l'admiration des promeneurs. A ces rochers admirables, d'un ton rubescent dès que le soleil apparaît, l'imagination bretonne a attribué, pour les distinguer les uns des autres, les noms les plus surprenants. C'est ainsi que l'on croit distinguer une sorcière, un korrigan, une tête de cheval, un homme assoupi, un oiseau. A Ploumanac'h, non loin d'une chapelle, les rochers portent un oratoire du XIIe siècle, dédié à saint Kireg et bien connu des jeunes filles à marier. Un peu plus loin, des archéologues ont mis au jour les restes d'un oppidum romain, prouvant que ces lieux ont été occupés depuis des millénaires. Il est vrai qu'ici tout est d'une beauté à couper le souffle, tant le paysage ombré de pins maritimes s'ouvre à perte de vue sur l'horizon marin. A la lande gansée de fougères  succède un monde minéral et chaotique qui défie parfois les lois de l'équilibre et qui, depuis 130.000 ans, a été sculpté par le burin inlassable des pluies, du vent et de la mer, composant un étrange tableau de sculptures géantes. Ces témoins d'un très vieux combat géologique reposent au coeur de plages de sable fin qui viennent couturer les terres, royauté du granit omniprésent et monarchie de la mer qui prête son ampleur à ces panoramas. Les kilomètres défilent sans que nous éprouvions la moindre fatigue, tant l'oeil est continûment sollicité par cette alliance magistrale de l'océan, de la terre et du ciel qui en Bretagne ne cesse de sublimer la nature.
 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
 

 

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Houat ou la Bretagne insulaire     Le Golfe du Morbihan, terre de légende

 

 

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De Perros-Guirec à Ploumanac'h, le sentier des douaniers
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16 mai 2019 4 16 /05 /mai /2019 09:50
Proust et Versailles

Comment Proust n’aurait-il pas aimé Versailles ? A eux seuls le château et le parc proposent à nos regards un monde de connaissances et nous offrent un héritage culturel incomparable. Proust a beaucoup lu sur Versailles, soit d’anciens écrivains, à commencer par Saint-Simon et Madame de Sévigné, soit des contemporains comme Henri de Régnier. De Saint-Simon, Proust s’est tout particulièrement rappelé l’extrême ritualisation imposée par le protocole qu’il évoque lui-même au sujet de l’existence de sa tante Léonie et de la servante Françoise,  dont « la mécanique domestique » n’était pas sans évoquer celle du Grand roi. Luc Fraisse, qui a dirigé la publication de l’ouvrage sur « Proust et Versailles », et à laquelle a participé un certain nombre d’écrivains, grands spécialistes de Proust, dont le professeur Jean-Yves Tadié, précise dans son introduction que Marcel Proust fut toujours particulièrement sensible à la littérature du XVIIe siècle et si totalement apolitique qu’il sût apprécier la grandeur et les beautés de l’Ancienne France. Il est vrai aussi qu’une partie de sa famille et de ses amis y résidaient : les Weil, les Nathan, Reynaldo Hahn et sa sœur Maria qui y demeura à partir de 1910, Robert de Montesquiou qui y donna des fêtes et s’inspira de Versailles dans ses poèmes « Les perles rouges », Henri de Régnier, les Daudet, les Madrazo, Jacques de Lacretelle en étaient également les familiers. Une folie pour Versailles régnait à l’époque chez les gens du Boulevard Saint-Germain qui avaient ainsi transporté la vie fastueuse de Versailles à Paris.

 

Marcel, après la mort de sa mère en 1905 et avant d’emménager Bd Haussmann dans l’appartement de son oncle Weil, s’installe à l’hôtel des Réservoirs, ancienne demeure de madame de Pompadour, qui est un palace réputé et ouvre directement sur le parc, dans l’attente de son emménagement. « C’est un appartement genre historique, de ces endroits où le guide vous dit que c’est là que Charles IX est mort, où on jette un regard furtif en se dépêchant d’en sortir. » - écrira-t-il. Il  y séjournera néanmoins plusieurs mois, de juin à fin décembre 1906. Comme il en a terminé avec les traductions de Ruskin, il lit beaucoup et se promène dans le parc où l’univers de Louis XIV surgit à tout instant, celui d’une époque classique que l’on étudiait particulièrement, car le Moyen-Age proposait une langue que l’on jugeait  trop obscure et que le XVIIIe siècle était encore empreint de revendications révolutionnaires. Ainsi, Marcel Proust se livre-t-il volontiers à un dialogue intérieur entre histoire et littérature. Le monde décapité par la Révolution incite à la nostalgie et la dernière décennie du XIXe et la première du XXe siècle sont friandes de ce mélange entre culture et impressions vécues. C’est un vague à l’âme évident, une sorte de grand effeuillage des choses, nous dit Proust. Versailles évoque en continu un monde disparu et englouti depuis la mort de Louis XVI. Paul-César Helleu a peint une toile de l’automne à Versailles toute empreinte de la mélancolie d’une saison qui jette ses derniers feux. Versailles est la matrice des épisodes relatifs à la mémoire. Séjour dans l’obscurité de la chambre où Proust rédige ses carnets et note ses impressions. Les pavés du palais des Guermantes lui ont peut-être été inspirés par ceux de l’hôtel des Réservoirs ou mieux encore par la cour d’honneur  du château lui-même. Ainsi le veut l’univers d’une conscience isolée de tous.
 

La résurrection du domaine doit beaucoup à Pierre de Nolhac, le conservateur de l’époque, qui se consacre à rendre au château sa vocation première de demeure royale. Il s’attachera à libérer les espaces historiques et à restituer ceux qui avaient été malmenés au temps de Louis-Philippe. Aussi, rien de surprenant à ce que l’importance accordée par le conservateur au décor du grand siècle, trouve chez Proust, Montesquiou et les Cercles d’esthètes qu’ils fréquentaient, un accueil favorable. D’autant plus que Proust ouvrira lui aussi de nouvelles perspectives et les réserves, qui les alimenteront, ne seront autres que ses Cahiers. Il est le Pierre de Nolhac de son propre monument, son œuvre littéraire. Mais davantage encore que le château, le parc exerce sur l’écriture une fascination évidente. Les allusions y sont nombreuses dans sa correspondance comme dans son oeuvre et révèlent à quel point les promenades en ces lieux, comme hors du temps, favorisent les aspirations de l’écrivain et nourrissent son imagination et sa sensibilité. Le sentiment monarchique existait chez lui, souligne Stéphane  Chaudier, car  « dans le monde proustien, l’esprit ou l’imagination des hommes ne peut pas travailler sans se doter d’un point de perfection que circonscrit précisément la notion de royauté. (…) Mais pour Rousseau comme pour Proust, c’est le cœur qui juge. Que le cœur défaille et tout l’édifice vacille. »
 

Alors Versailles est-il le paradis ? – interroge Jean-Yves Tadié dans le dernier chapitre de l’ouvrage. Probablement non, puisqu’il est dans l’œuvre proustienne le royaume d’Albertine et celui de l’homosexualité historique. Ainsi le passé royal est-il confronté - précise-t-il - à la modernité symbolisée par le passage d’un aéroplane aperçu lors d’une promenade avec la jeune femme et nous savons combien l’avion est lié à la personne du principal modèle de l’héroïne, Agostinelli, mort en avion. « Si je viens avec vous à Versailles comme nous en avons convenu, je vous montrerai le portrait de l’honnête homme par excellence, du meilleur des maris, Choderlos de Laclos, qui a écrit le plus effroyablement pervers des livres, et juste en face de celui de Mme de Genlis qui écrivit des contes moraux et ne se contenta pas de tromper la duchesse d’Orléans mais la supplicia en détournant d’elle ses enfants » - écrit-il dans « La Prisonnière ». Aussi, insiste le professeur Tadié, «dans ce dernier trait d’érudition, né du double visage de Versailles, Proust a mis toute sa conception des relations entre la biographie et l’art » - ce qui nous rappelle combien la symbolique de Versailles est  présente dans l’ensemble de son œuvre.


Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


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Proust et Versailles
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9 mai 2019 4 09 /05 /mai /2019 08:46
Un printemps sur la colline
Un printemps sur la colline

Lorsque nous avons quitté la région parisienne pour venir habiter Trouville-sur-Mer, mon mari travaillait encore et il n'était pas question pour lui de se consacrer au jardinage. Mais lorsqu'il a pris sa retraite, la vision affligeante de l'arrière de notre immeuble a commencé à le titiller. Et pourquoi, nous disions-nous, ne pas aménager cette colline couronnée d'arbres en un jardin à l'anglaise où arbustes et fleurs remplaceraient les ronces et les orties qui ne cessent de l'envahir ? Les copropriétaires ne voyaient aucune raison valable d'empêcher l'un des leurs de fleurir les lieux, à la seule condition que cela ne leur coûte pas un iota. C'était d'ailleurs ce que nous envisagions, les frais seraient à notre charge. C'est ainsi qu'Yves a pris goût à ce second violon d'Ingres : après la voile, le jardinage.

Débroussailler fut son premier souci. Il fallait rendre cette colline, penchée au-dessus de notre immeuble, plus attrayante, plus aimable, et se rappeler que, jadis, des poètes, peintres et écrivains s'étaient promenés en ces lieux et s'étaient inspiré de leur charme bucolique. Yves a donc peu à peu planté des  rhododendrons, des azalées, un seringa, un forsythia, un ajonc, un arbre à papillons, des camélias, des bruyères mauves et blanches, des pivoines, des giroflées, des capucines, des pensées, des pièris, des campanules, sans compter la jolie allée d'hortensias qui jette sa note de couleur de fin juin à fin août et les aubépiniers, lauriers, noisetiers qui nous séparent harmonieusement du manoir voisin, où Madame Straus, l'amie de Marcel Proust, l'a reçu en maintes occasions dans son jardin de roses.

Un printemps sur la colline
Un printemps sur la colline
Un printemps sur la colline
Un printemps sur la colline

Désormais sous nos fenêtres, voilà un joli fouillis floral que les oiseaux n'ont pas tardé à investir pour en faire leur cour de récréation. Visiblement ils s'y plaisent autant que nous et nichent dans ce coin de verdure avec une évidente satisfaction.

Au tout début, il y eut les moineaux bavards et enjoués qui occupent les taillis et volettent en groupe  autour de notre demeure. Puis vinrent les mésanges charbonnières et les mésanges bleues tout aussi vives et primesautières qui ont pris d'assaut les trous d'arbres de la colline en guise de logement, enfin le merle dont le répertoire de vocalises, les variations mélodiques et les improvisations ne peuvent laisser aucune oreille indifférente. En cas de danger, il alerte les alentour en émettant des "poks, poks " très reconnaissables. C'est signe qu'il y a du rififi dans l'air. Les pies se sont bientôt jointes à eux, un couple surtout qui a bâti son nid au sommet d'un conifère, nid architecturé avec soin et embelli par des objets brillants car la pie cède volontiers au bling bling. N'oublions pas les pies-verts plutôt discrets et les ramiers à col blanc dont l'un d'eux, une certaine "Collerette", s'est imposé d'emblée comme la reine du territoire, se haussant volontiers du col et se déplaçant d'une démarche élégante et un rien précieuse. C'est un oiseau  sédentaire dont le vol lourd se charge de surprendre un chasseur embusqué et de détourner son tir car nous savons combien les palombes font les choux gras de nombreux gourmets ... Pour compléter le tableau, nous avons aussi un couple de tourterelles adorablement fines et gracieuses.

 

moineau

moineau

Collerette

Collerette

Une mésange charbonnière

Une mésange charbonnière

Dans cette cour de récréation animée, chacun a trouvé sa place et une bonne entente règne dans notre jardin. Il arrive parfois que notre petit écureuil Rocco vienne se joindre à la gente ailée et partage quelques graines avec elle. Son plus grand plaisir est d'user de la pelouse comme d'une salle de sport et d'exécuter, sous nos yeux admiratifs, une série de prouesses acrobatiques qui ne sont pas sans me rappeler celles de mon petit poisson Nautilius.
 

Lorsqu'Yves descend avec son sac de victuailles, l'ensemble des oiseaux est suspendu à ses gestes. On ne perçoit plus un ramage, un pépiement, mais derrière la feuillée les yeux sont braqués sur lui. "Allez à table les petits" ... dit-il à la cantonade. Les premiers à se lancer, audacieux de nature, sont les moineaux et les mésanges, suivis de près par les merles, les pies, Collerette et sa bande de copains, les tourterelles et le reste de la colonie. Rubis, notre adorable rouge-gorge et sa compagne, attendront que le calme soit revenu pour s'aventurer sur le terrain et satisfaire leur appétit. Car le rouge-gorge, considéré comme l'ami du jardinier, aime la solitude. L'agitation des moineaux lui altère l'humeur et il lui arrive de piquer une colère lorsque les bavardages incessants troublent sa tranquillité. Sa face, sa gorge et sa poitrine sont d'un beau rouge orangé bordé de gris sous le ventre et le front et ses yeux vifs d'un noir profond. Son chant mélodieux est ravissant. Il amorce ses trilles dès le levée du jour, à peine la chouette hulotte l'a-t-elle prévenu qu'elle partait se coucher et lui laissait le "champs" libre. Rubis se charge dès lors à réveiller la nature, à sortir de sa léthargie nocturne le monde des bois et des champs. Une lumière rose pose un éclat poudré sur le ciel et peu à peu la vie s'anime, les moineaux et les mésanges bavardent dans les ronciers, les ramiers lustrent leurs plumes, les insectes émettent un bourdonnement sourd et persistant. Le soir, face à la mer que l'on voit depuis l'autre façade de l'immeuble, il se plaira à célébrer les couchers de soleil spectaculaires de sa voix de ténor. Il est le représentant de la troisième génération de rouges-gorges depuis que mon mari s'est saisi de la bêche et du râteau. Son grand-père avait une voix stupéfiante. Rubis tient de lui la sienne qui est exceptionnelle par sa densité et sa diversité. Il gratifie Yves de son chant lorsque celui-ci travaille au jardin et lui tient compagnie des heures entières. Il arrive aussi qu'il nous suive en promenade et nous surprenne alors que nous ne n'y attendions pas, car il est malicieux.

Ainsi vivons-nous le printemps sur notre colline.

 

Armelle BARGUILLET

 

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Rubis sait où se trouve la réserve de graines et se fige devant la jardinerie pour rappeler à Yves qu'il est temps d'en distribuer.
Rubis sait où se trouve la réserve de graines et se fige devant la jardinerie pour rappeler à Yves qu'il est temps d'en distribuer.

Rubis sait où se trouve la réserve de graines et se fige devant la jardinerie pour rappeler à Yves qu'il est temps d'en distribuer.

Rocco saisi par l'objectif lors de ses chorégraphies.
Rocco saisi par l'objectif lors de ses chorégraphies.

Rocco saisi par l'objectif lors de ses chorégraphies.

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