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18 novembre 2015 3 18 /11 /novembre /2015 10:08
Madame Vigée-Lebrun

Elisabeth Louise Vigée, née à Paris en 1755 sous le règne de Louis XV et morte à Paris en 1842 sous celui de Louis-Philippe,  semble parée, dès sa plus tendre enfance, de tous les dons, particulièrement celui de dessiner et de peindre qui lui méritera d’avoir, au cours de sa longue existence, réalisé plus de 660 toiles que s’arrachait l’Europe entière à des tarifs bien supérieurs à ceux de la plupart de ses confrères masculins. Le Grand Palais a su réparer en 2015 une injustice faite à cette artiste remarquable qui peignait avec assurance et une étonnante maturité dès l’âge de 15 ans des portraits, l’exercice considéré comme le plus difficile, et ajoutait à cela l’art de la conversation, une grande culture et une beauté reconnue de tous. Cette injustice était d’autant plus impardonnable que nous avons peu de femmes peintres parvenues à cette maîtrise, à cette légèreté de touche, à cette élégance et à ces jeux de lumière qui signent définitivement son style.

 

 

Par chance, dès son enfance, son père découvre ses dons, l’encourage et la fait entrer dans l’atelier de Joseph Vernet qui l’incite à copier les anciens, à faire ses gammes en quelque sorte. A 12 ans, à la mort de son père, sa mère se remarie et son beau-père a la bonne idée d’exposer ses  premières œuvres dans la vitrine de sa joaillerie. Sans tarder les commandes affluent, mais le beau-père, peu scrupuleux, s’empresse de faire main basse sur les émoluments, si bien que la jeune fille épouse en 1776 un certain Monsieur Le Brun qui a l’avantage d’être bien né et beau garçon. On sait combien il était difficile à une femme de l’époque de vivre sans mari, mais fine mouche Elisabeth Louise a donné son cœur à un marchand de tableaux de renom européen, si bien que ce galeriste avisé parachèvera son éducation de peintre et fera monter sa cote avec habileté et un incontestable savoir-faire.

 

 

L’art du portrait, qu’elle maîtrise parfaitement, lui vaut des commandes en grand nombre, ses clientes appréciant qu’elle les pare de glacis aux mille grâces et les hommes qu’elle sache souligner leur virilité et leur caractère de manière réaliste. Sa réputation revient bientôt aux oreilles de la cour de France et la jeune Marie-Antoinette, qui n’apprécie aucun des portraits que l’on a  réalisés d’elle jusqu’à présent, sollicite ses bons offices. Entre les deux jeunes femmes, le courant passe immédiatement. Lors des longues séances de pose, Madame Vigée-Lebrun anime la conversation et distrait son royal modèle grâce à sa culture et son sens inné de la répartie. Sa position de peintre officiel de la reine est dès lors assurée. Le seul privilège qu’elle sollicitera auprès de Louis XVI sera de la faire entrer à l’Académie royal où ne siégeaient alors que quatre femmes. D’emblée, elle s’imposera par une toile osée qui prouve son audace et sa modernité : des nus féminins.

 

 

En 1789, menacée à cause de son amitié envers la reine, elle doit s’exiler sans plus tarder. Cet exil ne durera pas moins de treize années et la mènera à travers toute l’Europe. Elisabeth s’installera provisoirement à Rome, Saint-Pétersbourg, Vienne, Londres où les monarques la reçoivent avec les égards qui sont dus à son talent et à sa notoriété. Néanmoins, lorsqu’on lui demandera de faire poser la princesse Murat, sœur de Napoléon, capricieuse et imprévoyante qui la faisait attendre des heures, elle aura ces mots : « J’ai peint de véritables princesses qui ne m’ont jamais tourmentée et ne m’ont jamais fait attendre ».

 

 

Ses goûts, ses amours, ses tendresses resteront liés à l’ancien régime dont elle gardera éternellement la nostalgie. « Mon cœur a de la mémoire » - avouait-elle. Sa seule enfant, sa fille Julie avec laquelle elle ne s’entendra jamais, mourra dans la misère après un mariage malheureux ce qui lui causera un immense chagrin. Mais avait-elle eu le temps d'être mère ?  Sûrement pas, requise en permanence par son art et ses innombrables commandes…

 

 

Elisabeth Louise aura eu la chance de connaitre tous les grands noms de son temps : Madame de Staël, lady Hamilton, Chateaubriand, l’amiral Nelson, Hubert Robert, les rois et les reines d’Europe et tant d’autres avec lesquels elle partageait les mêmes convictions. Rentrée en France en 1809, Madame Vigée-Lebrun achète une maison à Louveciennes, car elle aime la campagne, et s’entourera de nombreux amis, tout en rédigeant ses mémoires, ayant rencontré tant de personnalités et connu tant d’événements ! Elle s’éteint paisiblement à Paris à son domicile de la rue Saint-Lazare le 30 mars 1842, à l’âge de 87 ans, et sera enterrée au cimetière de Louveciennes après une longue existence vécue à un train d’enfer, de façon très autonome, entre pinceaux, plumes et voyages.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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Marie-Antoinette et la duchesse de PolignacMarie-Antoinette et la duchesse de Polignac

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Julie et Madame de StaëlJulie et Madame de Staël

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Hubert Robert

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6 novembre 2015 5 06 /11 /novembre /2015 09:03
Charles Mozin, le peintre de Trouville

 

Entre Trouville-sur-Mer et Charles-Louis Mozin, ce fut une véritable histoire d’amour, un coup de cœur qui a su se prolonger. Bien que né à Paris en 1806 dans une famille de musiciens, le jeune homme découvrira très tôt sa vocation de peintre au contact de la Normandie. C’est au sein de l’atelier de Xavier Leprince qu’il se formera à son art. Ce dernier, peintre paysagiste, a notamment séjourné à Honfleur en compagnie d’Eugène Isabey. Il a également réalisé « Embarquement des bestiaux » à Honfleur », tableau auquel le jeune élève a participé comme petite main. La première cliente de Charles Mozin n’est pas une inconnue puisqu’il s’agit de la duchesse de Berry, la mère du comte de Chambord. Elle assure à Mozin la célébrité dans la capitale française. Louis-Philippe reconnaît également ses talents de peintre de marines en lui commandant une série de batailles navales destinées au château de Versailles.

 

 

Mais Mozin va bientôt partir sous d’autres cieux. C'est par une journée de l'été 1825 qu'il arrive de Honfleur, à marée basse, par le chemin de grève et que, charmé par le paysage qu'il découvre, il installe son chevalet et son parasol sur les bords de la Touques. Il résidera d'abord à l'auberge du Bras d'or. Bien que celle-ci ne soit pas particulièrement confortable, le lieu l'enchante et il ne se lasse pas de dessiner Trouville sous toutes ses facettes : ses collines verdoyantes, ses pêcheuses sur la plage, ses barques, son estuaire au flux et au jusant et, par-dessus tout, les ciels qui varient de couleur et d'intensité à chaque heure du jour. Mozin vient de lancer Trouville sans le savoir. Il a alors 19 ans et, dès 1829,  il se fait construire une maison place de la Cahotte. Il participera donc activement au développement de la ville en en faisant la promotion dans ses œuvres exposées dans les Salons parisiens et en entrant au conseil municipal en 1843.

 

 

Au cours du XIXe siècle, les touristes anglais viennent sur les plages normandes pour pratiquer une toute nouvelle activité, les bains de mer, attirant à leur suite l’aristocratie et la bourgeoisie de la monarchie de Juillet, puis de l’Empire. A Trouville, on sait accueillir, notamment depuis la création du casino en 1838, le premier de la région, sans oublier les salles de spectacle et les grands hôtels, et on le fait avec un savoir-faire certain. « C’est en 1825 que je découvris cette terre promise ; son aspect a bien changé aujourd’hui, et si le touriste y trouve maintenant un certain confort auquel j’ai contribué bien malgré moi, il a perdu la partie pittoresque » - confiera-t-il avec un indiscutable regret. Ses toiles se plairont d’ailleurs à évoquer, en un émouvant réalisme, la beauté sauvage de la côte normande et sa campagne. Les falaises des Roches noires sont l’un des endroits emblématiques de la région entre Trouville et Villerville où Mozin posait volontiers son chevalet et qui étaient prisées des notables. Ils édifièrent, le long de cette plage, d'élégantes demeures et Mozin, lui-même, fera bâtir la tour Malakoff, toujours présente à Trouville de nos jours.

 

 

Passionné de bateau, il lui arrivait de monter à bord des embarcations de pêche afin de mieux dessiner les navires de commerce évoluant au large, toutes voiles dehors. Du rivage, il ne serait pas parvenu à réaliser des portraits au crayon ou à la plume avec autant de réalisme et de poésie. Artiste et marin, il s'appliquait à représenter les bateaux de toute nature sans omettre le moindre détail technique, aussi pouvons-nous accorder une entière confiance à l’exactitude pointilleuse de son travail. D’autre part, à côté des bateaux eux-mêmes, il n’oublie nullement les marins et leurs familles. Le monde des pêcheurs l’inspire et aux paysages côtiers, aux marines, s’ajoutent les humbles intérieurs des familles normandes et les spectacles de la vie quotidienne. Il faut rappeler que, dès 1846, il y avait un service de navigation entre Trouville et Le Havre qui assurait le passage de juillet à septembre deux fois par semaine. Il devint ensuite quotidien. Les bateaux qui assuraient la liaison étaient propulsés par des roues à aubes, ensuite des hélices. En 1883, une société anglaise obtiendra l’autorisation de construire une jetée promenade au pied des Roches noires. Cet ouvrage permettait aux bateaux, venant du Havre, d’aborder à Trouville quelle que soit la marée. Sur cette jetée-promenade, on construira un café-restaurant, des buvettes et des boutiques de souvenirs. Elle sera détruite en 1942 par les Allemands qui redoutaient un éventuel débarquement des alliés et ne fut jamais reconstruite.  Quant à Charles Mozin, il s’éteindra à Trouville à l’âge de 56 ans, dans cet environnement qu’il avait tant aimé et si bien su décrire, le 7 novembre 1862 et repose au cimetière de Montmartre à Paris. Il laisse une oeuvre abondante et de grande qualité qui mériterait d’être mieux connue.

 

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Trouville et les bords de la Touques
Trouville et les bords de la Touques

Trouville et les bords de la Touques

La sortie du port

La sortie du port

Charles Mozin, le peintre de Trouville
Charles Mozin, le peintre de Trouville
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30 octobre 2015 5 30 /10 /octobre /2015 09:08
L'été indien

Le mois d’octobre ne cesse de réserver des surprises, de belles surprises, qui confèrent à l'automne son éclat particulier, une douceur inhabituelle et une palette de couleurs qui transforme les végétaux en de flamboyantes torchères, en des oriflammes carminés et en une pluie d’écus qui parsème le sol de leur irradiation. Quelle beauté ! s’écrie-t-on, subjugué par un spectacle dont on ne se lasse pas. L’automne triste selon certains ? Certes non ! L’automne est probablement la saison la plus fastueuse, celle où les couleurs se marient avec le plus de volupté, où les lumières, bien qu’adoucies, font retentir leurs accords somptueux.

 

 

Pas un chemin creux qui ne soit inondé de reflets végétaux, pas un jardin qui ne voit se poser des éclairs iridescents, pas un bosquet qui ne jette au loin des lueurs délicates. Et pas une prairie qu'une palme colorée ne vienne raviver. Où que l’on regarde, on ne peut manquer de s’extasier devant le peintre génial qui pare nos paysages de ces nuances subtiles. 

 

 

D'octobre à la mi-novembre, nos provinces nous réservent de radieuses perspectives. Entre campagne, forêt, montagne, plaine ou colline, les randonnées se déclinent à l’infini, les horizons s’harmonisent avec les reliefs, s'attribuent les uns, les autres, une partition botanique. Oui, octobre nous étourdit, nous suffoque, nous ébaudit, nous  sidère, dans le seul souci de susciter une émotion. N'est-ce pas  la symphonie fantastique de l'automne.

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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L'été indien
L'été indien
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28 octobre 2015 3 28 /10 /octobre /2015 10:12
L'ombre du silence

 

 

Si les jours deviennent lourds à porter

Que rien n’apparaît pour nous émerveiller

Le songe nous prendra dans sa flamme

Et la réalité s’effacera peu à peu.

J’ai entendu frapper, est-ce toi ?

Dans le murmure du songe

Est-ce nous si jeunes encore ?

Nous savions nous parler dans les salles oubliées

Où l’ombre du silence

Dessinait en hâte nos silhouettes.

Nous savions les mots qui consolent et apaisent

Et éclairent les chambres

De leurs lueurs hantées.

Oui, nous connaissions les formules

Qui libèrent les cœurs,

Affirment les esprits.

Tout mouvement de l’âme

Aimante la lumière

Et tisse la vérité de  fils invisibles.

 

 

Reconnais-moi

D’entre toutes et tous

Le souvenir s’émeut d’une voix

Qui évoque le passé,

dessine le présent avec des mots d’amour.

N’oublie pas le jour

Où se sont croisés nos regards et nos attentes

Et nos peines si longues à consoler.

L’avenir fleurait le parfum des ancolies,

Epousait les courbes du bel azur,

Nos corps se nouaient alors

Comme le ciel et la mer

Et l’ardeur fixait les heures

Sur l’horloge du temps.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE  ( inédit - Octobre 2015 )
 

 

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16 octobre 2015 5 16 /10 /octobre /2015 08:22
Villequier et la maison Hugo-Vacquerie  et l'abbaye de Saint-Wandrille
Villequier et la maison Hugo-Vacquerie  et l'abbaye de Saint-Wandrille

Villequier et la maison Hugo-Vacquerie et l'abbaye de Saint-Wandrille

Au moment où la saison devient plus intime et que les lumières commencent à se voiler comme une lampe sous son abat-jour, j'avais envie d'une promenade en Normandie et pourquoi pas à Villequier où, dans une boucle harmonieuse de la Seine, la famille Vacquerie possédait une résidence entourée d'un jardin, lieu devenu plus romantique le jour où la famille Hugo s'était jointe à la leur à l'occasion des épousailles de la jeune Léopoldine, fille aînée de Victor, avec Charles Vacquerie. Marié en février 1843, le jeune couple se noie le 4 septembre de la même année lors d'une promenade en barque aux alentours de leur maison. Celle-ci, neuve et mal lestée, s'était retournée et Léopoldine ne savait pas nager. Malgré les efforts de son mari pour tenter de la sauver, ils sombrèrent tous les deux. Ce drame liera étroitement les deux familles et Madame Hugo viendra souvent séjourner auprès de ses amis avec ses quatre enfants, d'autant que Léopoldine et son mari sont enterrés dans le cimetière voisin. Hugo, dont c'était sans doute l'enfant préférée écrira :

 

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends,
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne,
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

La maison Hugo-Vacquerie, le village et les tombes de la famille Hugo
La maison Hugo-Vacquerie, le village et les tombes de la famille Hugo
La maison Hugo-Vacquerie, le village et les tombes de la famille Hugo

La maison Hugo-Vacquerie, le village et les tombes de la famille Hugo

Ici, tout est beau. Le silence de ce petit village avec sa rue parallèle au fleuve ; la Seine, au loin, déroulant son lent et long ruban gris ou bleu selon les endroits, cela dans une immuable douceur de vivre ; son église avec sa nef en coque de navire et ses vitraux du XVIe siècle, enfin son cimetière qui la ceint comme une couronne et où reposent, non seulement Léopoldine et son époux, mais Adèle Foucher, la femme de Victor Hugo, et sa plus jeune fille morte en 1915 dans un asile où elle était internée depuis de longues années. On aime à s'attarder sur un banc pour voir couler le fleuve aux courbes paresseuses avec, à l'horizon, quelques falaises blanches et les hêtraies touffues appuyées à des vallons qui forment depuis la nuit des temps un paysage inchangé.

 

Non loin se trouve l'abbaye de Saint-Wandrille, haut lieu touristique, fondée au VIIe siècle par un ministre du roi Dagobert épris de solitude, qui souhaitait se retirer en un endroit propice au recueillement et à la prière. Il fixera son choix sur ce paysage de prairies et forêts où tout semble s'harmoniser pour transmettre à chacun la plus parfaite sérénité. Au XIIIe siècle, l'abbaye connut son apogée et il n'y avait pas moins de 300 moines à partager leur existence entre la prière, le travail  manuel et culturel. (Aujourd'hui l'abbaye compte trente moines )

 

Promenade normande : Villequier et Saint-Wandrille
Promenade normande : Villequier et Saint-Wandrille

L'abbatiale, comme celle de sa voisine Jumièges, était alors une véritable cathédrale qui sera peu à peu démantelée à la Révolution par des hommes qui feront de cette merveille une carrière de pierre. Les moines en reprendront possession en 1894. En 1969, après bien des vicissitudes et des difficultés administratives, la communauté monacale acquiert une ancienne grange seigneuriale qui, démontée et remontée pièce par pièce, devient la nouvelle église, superbe par ses proportions et sa simplicité, où l'on peut admirer une descente de croix médiévale d'une extrême beauté. De même que le cloître, splendide dentelle de pierre mi-gothique, mi-Renaissance, dont les remplages assurent un décor toujours différent. Les lumières du soir donnent à ce paysage de pierre certi dans un décor bucolique une splendeur exceptionnelle qui incite à la contemplation. Il y a ainsi, autour de nous et proche de nous, des lieux élus qui nous rappellent qu'il arrive à l'homme de composer avec Dieu.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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L'ancienne abbatiale et le cloîtreL'ancienne abbatiale et le cloître

L'ancienne abbatiale et le cloître

La nouvelle église et la descente de croix
La nouvelle église et la descente de croix

La nouvelle église et la descente de croix

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3 octobre 2015 6 03 /10 /octobre /2015 07:56

BeauneHotelDieu.jpg

        L'Hôtel-Dieu de Beaune ( cour intérieure du XVe siècle )

 

Le début de l'automne est sans doute la période de l'année qui sied le mieux à la Bourgogne, l'ancien duché de Philippe le Hardy, de Jean sans Peur et de Charles-Quint qui a vu l'histoire s'écrire avec un grand H. Oui, les premières teintes de la saison la parent d'un charme enchanteur. Les toits multicolores et la végétation s'harmonisent soudain, mêlant les tons d'or et de rouille, les verts profonds et les incarnats. Ici, on pénétre dans l'une des plus vieilles terres d'Occident qui doit presque toute sa configuration au lent et patient travail de l'homme. Aussi y a-t-il urgence à prendre le temps de goûter à la douceur des paysages, à la saveur des fruits, à l'arôme des vins et à s'émerveiller de ce que le Moyen-Age chrétien a inspiré aux tailleurs de pierre et aux architectes. La Bourgogne doit son nom au peuple scandinave des Burgondes qui fixa ici, au Ve siècle, sa longue errance. Ensuite, les moines assurèrent la relève ; aux vignes et aux pâturages, ils ajoutèrent des millliers d'abbayes et de prieurés qui furent des relais pour la foule des Croisés et que scandaient les huit offices quotidiens. Plus tard, la haute magistrature édifiera un admirable décor urbain. Ce seront Auxerre la joyeuse que chanta la poétesse Marie Noël et Dijon, la ville "énigme", attachante et auguste avec sa place d'Armes que domine la statue équestre du grand roi, ses palais, ses loges, ses forges, sa chapelle des Elus où se tenaient les séances solennelles de l'Assemblée bourguignonne. Des ducs aux rois, le pouvoir était symbolisé par les palais et les tombeaux, si bien que la grandeur subsiste comme rassemblée dans une piété minérale.

 


tournus_et_philibert.jpg   Tournus

 

 

 

Partout est présente la mémoire des pierres. Sur le sol de ce vieux pays se déroule un long chapelet de basiliques, monastères, paroisses, oratoires qui surent résister aux méfaits révolutionnaires et conserver leur authenticité. Nous en aurons l'assurance en revisitant Vézelay, temple des récits bibliques, maison très sainte érigée très près du ciel. En ce lieu s'attardèrent Philippe-Auguste, Richad Coeur de Lion, Saint Bernard qui y prêcha la seconde croisade et Saint Louis en route pour la Terre Sainte, ainsi que quelques autres icônes de l'histoire européenne. A l'heure de la prière du soir, la basilique s'ouvre à vous dans son recueillement majestueux après que vous ayez passé le tympan qui a fixé l'éternité dans la pierre. Vézelay est incontestablement l'une des merveilles de l'Occident, car, nulle part ailleurs, l'art roman n'a mieux maîtrisé ses techniques et son inspiration. Tout, dans ce haut lieu, est cohérence, simplicité, dépouillement et grandeur. A la sortie, un peu de temps est nécessaire pour revenir à la réalité des choses, peut-être en parcourant à pied l'esplanade et les remparts qui cernent la colline afin de contempler la lumière s'éteindre progressivement sur les reliefs environnants en se laissant pénétrer par le silence qui veille ainsi qu'un dieu bienfaiteur.

 


Basilique_de_Vezelay_Narthex_Tympan_central_220608.jpg   Vézelay

 

 

Le lendemain, nous nous rendons à Bazoches, qui n'est éloigné de Vézelay que d'une dizaine de kilomètres, château familial de Vauban où l'élégance n'a d'égale que l'harmonie. C'est à Bazoches que s'arrêtèrent Philippe-Auguste et Richard Coeur de Lion en partance pour Jérusalem. On les imagine soupant et dormant dans cette demeure qui jouit d'un panorama unique sur le Morvan. C'est en 1675 que le Maréchal de Vauban en fit l'acquisition grâce à une gratification que Louis XIV lui avait accordée à la suite du siège de Maestricht. Entre deux voyages, il appréciait de venir s'y reposer auprès de sa femme et de ses enfants, d'autant que la demeure à taille humaine, aux pièces claires et bien distribuées, offrait toutes les commodités. Aujourd'hui, elle est occupée par ses descendants qui l'entretiennent avec un soin jaloux et proposent, à qui le souhaite, de venir s'y marier ou d'organiser une fête.  C'est également dans ce château que Vauban élabora une partie de ses études et les plans de plus de 300 ouvrages et échafauda les méthodes d'attaque et de défense des fortifications et places fortes qui firent de lui le maître incontesté de l'architecture militaire. Enfin, c'est dans cette sobre et belle demeure qu'il composa et rédigea ses réflexions sur les sujets les plus divers que, non sans humour, il appelait "ses oisivetés". Il repose sous une simple dalle dans la modeste église du village auprès de sa femme morte peu de temps avant lui, de l'une de ses filles et d'une petite fille décédée en bas âge. Voilà le tracé de vie d'un des plus grands serviteurs de la France.

 


France--Bazoches-du-Morvan--Chateau--12eme-.jpg eglise-et-vaches.jpg

    Le château de Bazoches et le village

                                                      

 

Mais la Bourgogne n'est pas seulement admirable pour sa romanité, ses villes et villages, ses basiliques, monastères et habitations anciennes, elle l'est également pour ses voies d'eau qui la sillonnnent et l'imbibent d'une fraîche clarté. Réunir les fleuves fut une grande ambition ébauchée dès le XVIe siècle et que réalisera le XVIII ème en entreprenant des travaux gigantesques afin de favoriser le commerce fluvial. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui ont choisi la péniche ou le bateau habitable pour s'offrir une croisière et se laisser doucement porter au fil de l'eau et du temps. Rives ombragées, forêts de hêtres, chasse aux libellules et aux papillons, cueillette des champignons, passage des écluses, les minutes s'égrennent. Il y a celles de l'émerveillement, celles de la méditation dans un silence de cathéadrale que composent les ormes et les saules. Pour nous, ce ne sera que quelques balades à pied le long du rivage, puisque nous sommes descendus chez des amis qui restaurent un château médieval et ont ainsi privilégié l'intemporel à l'éphémère.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Château de Bazoches
Château de Bazoches

Château de Bazoches

Intérieur du château et portrait de Vauban
Intérieur du château et portrait de Vauban

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25 septembre 2015 5 25 /09 /septembre /2015 09:46
La conscience de soi : individu ou personne ?

 

« Je pense donc je suis » - disait Descartes. Mais que suis-je ou qui suis-je ? Je suis d’abord un organisme, un animal très évolué dont la première caractéristique est l’unité organique. Je suis un individu semblable à des millions d’autres et néanmoins unique car je n’ai pas mon pareil. Avoir conscience de soi, c’est en un sens avoir conscience de son corps, mais pas seulement. D’autant que je ne l’ai pas choisi, aussi je me définis davantage et mieux par mes sentiments, mes pensées, mes convictions, mes goûts, ma volonté. Tout cela entre dans l’idée de personne et me permet de ne ressembler à nul autre. Cependant, la conscience de soi exige, pour se développer, la vie en société car que serais-je sans l’autre ? Le petit enfant prend d’abord conscience du nom par lequel on l’appelle, il commence par parler de lui à la troisième personne en se nommant. Quand, vers ses trois ans, il parvient à dire « je », il éprouve le besoin de s’affirmer face aux autres par des refus. Par la suite, le travail scolaire, le rôle qu’il tient dans les jeux, les responsabilités qui lui sont attribuées développeront le sentiment de sa personnalité. Ce sentiment s’épanouit chez les adolescents dans toute sa plénitude et suscite une exigence d’affirmation qui s’accompagne souvent d’originalité et d’esprit d’opposition. Quant à l’adulte, il s’identifie selon son statut social faisant siens les avantages qui lui sont donnés à sa naissance, ses succès personnels ou les circonstances heureuses de sa vie, enfin, naturellement, il se définit par son sexe, sa nationalité, son âge, sa profession. Il est fréquent que la personne se confonde avec sa fonction et il n’est pas rare qu’un désarroi dramatique atteigne celles et ceux qui sont soudain dépossédés de leur assise sociale et de leur renom.

 

 

Blaise Pascal rappelait aux grands de ce monde que leur corps et leur âme « sont d’eux-mêmes indifférents à l’état de batelier ou à l’état de duc » et «qu’il n’y a nul lien naturel qui les attache à une condition plutôt qu’à une autre ». Jean-Paul Sartre, ardent défenseur d’une liberté humaine absolue, affirmait, quant à lui, que se confondre avec son personnage serait abdiquer sa liberté et accepter « d’être une essence ». « Je ne suis pas ce que je suis, parce que je ne suis jamais quelque chose » – écrivait-il dans « L’Etre et le Néant ». Bien sûr, tout choix exige des renoncements et la personnalité de chacun est toujours plus riche que les choix définis.

 

 

Et notre caractère, nous est-il donné ? Dépend-t-il de notre choix ? Probablement pas, puisque nous voulons presque toujours être autrement que nous sommes, mais on ne change pas plus le caractère que l’on ne change le tempérament. Il serait irréaliste de nier le donné caractériel auquel nous avons à faire, aussi irréaliste que de nier la nature humaine. Toutefois, notre liberté nous autorise certains aménagements et il est évident que nous évoluons avec le temps et selon les événements auxquels nous sommes confrontés.

 

 

Avec la notion de personne, nous sommes conscients de cerner une réalité importante qui n’est pas de nature matérielle et échappe ainsi à l’observation scientifique. A cette notion de personne se sont attachés progressivement celle de la réalité dans l’ordre de l’être, c’est-à-dire une réalité métaphysique. Au IIIe siècle, les philosophes néo-platoniciens parlaient volontiers de « singularité substantielle » comme on a parlé plus tard du « principe ultime d’individuation ». Ces définitions sont imparfaites et ont fait dire au philosophe Merleau-Ponty que « l’être-sujet est peut-être la forme absolue de l’être ».

 

 

Chez Emmanuel Kant, la personne a une grande importance en tant que sujet moral et « fin en soi », ce  qui suppose sa valeur absolue. Kant justifie une idée qui s’est imposée fortement à la mentalité moderne, celle du respect de la personne humaine. C’est le point de départ de la justification philosophique des droits de l’homme sur lesquels un accord presqu’universel s’est établi de nos jours. Or, face à la notion de personne, nous avons le sentiment d’être à la recherche d’une réalité qui est au-delà des apparences et qu’il est quasi impossible d’atteindre. C’est pour cette raison que l’idée de personne a été critiquée par les philosophes empiristes, en particulier David Hume, qui la considérait comme purement imaginaire. Chez Hegel, l’individualité n’est qu’un moment du développement de l’esprit universel, ce qui a influencé profondément le marxisme, celui-ci se refusant à la notion de personne et privilégiant celle d’individu plus facilement malléable.

 

 

Aujourd'hui, face aux problèmes politiques et scientifiques auxquels nous sommes confrontés, l’idée de personne comme réalité métaphysique est appelée à jouer un rôle essentiel. Dans les rapports entre l’Etat et les citoyens, dans l’organisation de la société, l’idée de personne permet de reconnaître en chaque homme  un être absolument respectable qui ne peut être utilisé comme « moyen », ni sacrifié à des fins collectives, pire mercantiles. Dans le domaine de la médecine, l’abus des médications psychotropes aussi bien que les manipulations génétiques  doivent trouver leur réglementation et leur limite afin de présever l’intégrité de la personne et la sauvegarder sans l’altérer.

 

 

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12 septembre 2015 6 12 /09 /septembre /2015 08:09

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L'amour hantait nos jours et les accomplissait
Et l'ardeur ne cessait d'environner nos coeurs
Ce fut un bel été, grisant plein de douceur,
Dans l'ivresse partagée de nos corps vivants.
 
 
Mais la lune, déjà, s'écaillait dans les branches
Et la nuit désolait nos trop vives attentes
Tant proche est le sommeil qui décolore les rêves
Et fatale la douleur de notre esseulement.
 
 
Jamais plus une chambre ne nous accueillera
Errance, tu es au loin la flamme qui se fait cendre,
Nulle aube ne verra le temps recomposer
Cette image tremblante et comme découronnée.
 
 
La lune, l'autre soir, était à la fenêtre
Aussi ronde, aussi pleine qu'en cet été normand
Où, tous deux enlacés, nous regardions le ciel
Décliner nos destins de funeste façon.
 
 
 
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE ( Extraits de "Poèmes à l'absent" - PROFIL DE LA NUIT)

 

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5 septembre 2015 6 05 /09 /septembre /2015 08:50
Ma mère à la lumière des souvenirs

Lorsque j’étais enfant, l’autorité était exercée par ma mère. Dans le domaine de l’éducation et de la relation parentale, mon père s’en remettait à sa femme comme s’il souhaitait s’investir le moins possible dans ce rôle. Ne l’était-il pas tout entier dans celui d’époux ? Ma mère tenait ce privilège d’une main ferme et transigeait rarement lorsqu’elle avait pris une décision qui, souvent, était celle que je redoutais le plus. Parce que ma grand-mère s’était séparée assez tôt de son mari, ma mère considérait que l’autorité – qui lui avait manqué –devait s’appliquer pleinement à mon endroit. Fillette, puis adulte capricieuse, elle supportait mal ce défaut chez les autres et surtout chez sa fille, si bien que j’avais très vite cessé de me montrer exigeante tant j’avais besoin d’être appréciée de mes parents, leur estime étant ce qui me souciait le plus. Je les admirais si totalement que l’idée de leur déplaire m’était insupportable.

 

Ma mère était de taille moyenne, fine et élégante, avec un visage à l’ovale parfait, une abondante chevelure et un sourire empreint de charme. Autant elle pouvait me tétaniser par sa sévérité, autant elle savait me séduire dès qu’elle se montrait compréhensive et bienveillante à mon égard. Elle avait rencontré mon père lors d’une fête de famille à Nantes, celui-ci ayant été invité parce qu’il était le cousin à la mode de Bretagne du tout nouveau mari de ma tante, sœur aînée de ma mère. Les deux sœurs avaient toujours été très courtisées pour la simple raison qu’elles appartenaient à une famille en vue à Nantes et que, malgré le divorce de leurs parents, elles avaient un carnet d’adresses bien pourvu. Mon père était tombé sous le charme dès le premier regard et, ce, d’autant mieux, que l’on avait prié ma mère de chanter. Elève au conservatoire de Nantes, elle avait une voix délicieuse, fraîche et expressive qui avait achevé de le subjuguer. Mon père s’était immédiatement empressé auprès de ma grand-mère sachant qu’il était de bon aloi de gagner ses faveurs s’il voulait avoir quelque chance de figurer parmi les prétendants.

 

De famille modeste, mon père devait à l’obtention d’une bourse d’avoir poursuivi ses études et d’être diplômé de l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris. Son diplôme sous le bras, il avait effectué son service militaire au Maroc et était entré ensuite dans un cabinet de courtiers en matières premières qui lui promettait un bel avenir. La vie lui souriait enfin après une enfance difficile auprès d’une mère veuve de guerre qui avait dû se mettre à travailler pour assurer leur quotidien.

 

Les jeunes gens s’étaient écrits, revus, et le sérieux de mon père, la ferveur de ses sentiments avaient su opérer et gagner les faveurs de la dulcinée, si bien qu’un an plus tard ils se mariaient. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes si des bruits de bottes ne commençaient à se faire entendre, si bien que la belle lune de miel, ainsi que les deux premières années à Paris dans l’appartement que ma mère se plaisait à aménager, allaient se conclure par l’exode pour l’une et le départ à Vitry-le-François pour l’autre, mobilisé dans les transmissions. Les dés étaient jetés et ma malheureuse grand-mère pouvait trembler en imaginant que ce nouveau conflit avec l’Allemagne risquait de lui enlever son fils unique comme elle lui avait enlevé en 14 son mari et son frère. 

 

Mon père ayant regagné ses foyers après l’armistice, mes parents traversèrent les années de guerre à Paris, subissant les privations qui étaient celles de tous les citadins qui n’avaient pas la chance d’avoir un jardin, une vache, une chèvre, des poules et quelques arbres fruitiers. Les pommes de terre, le rutabaga, les navets et autres courges composaient leur menu journalier et, l’hiver, le froid était certainement ce qui était le plus difficile à supporter avec un seul poêle à sciure dans la chambre familiale. Mais, peu importait, le foyer était clos sur leur amour et celui d’avoir vu naître leur premier (et seul) enfant. Lors des alertes, qui étaient nombreuses, nous descendions dans la cave avec les autres résidents de l’immeuble, moi emmitouflée dans une couverture et tremblante encore d’avoir été réveillée en sursaut par le hurlement sinistre de la sirène.

 

Soucieux de me voir rachitique pour cause de privations alimentaires, mes parents me conduisirent en 1945 dans le Limousin rejoindre ma grand-mère maternelle chez des cousins qui avaient un potager et un verger, quelques poules et une chèvre, et nous étions descendus à bicyclette, moi assise sur le vélo de mon père, et en camions quand ceux-ci acceptaient de nous faire faire une partie de la route. La campagne m’avait enchantée. Bien que la nourriture fut encore sommaire, j’avais gagné quelques kilos et des joues roses et pris goût à entendre chanter les oiseaux et s’épanouir les fleurs car nous étions au printemps. Paris libéré, mes parents étaient venus me chercher toujours à vélo avec quelques trajets en camions et nous avions fait le parcours inverse de la même façon. Cela m’amusait beaucoup, n'était-ce pas une aventure où nous croisions beaucoup de monde, des gens qui regagnaient leurs foyers, des soldats, des prisonniers ! La France se réanimait, la vie reprenait, au fil des mois, une existence presque normale malgré les tickets d’alimentation et les nombreuses villes sinistrées.

 

Pour mes parents, qui avaient peu goûté aux années folles, ce furent certainement les années durant lesquelles ils furent les plus heureux. Ma mère avait repris la musique avec sa fidèle accompagnatrice et donnait parfois un concert ; ils avaient acheté « Le Rondonneau » une propriété où nous passions une partie des vacances et m’avaient inscrite chez les dominicaines, à 400 mètres de notre domicile, où j’allais effectuer une scolarité corsetée dans une implacable discipline qui laissait peu de loisir aux vagabondages de quelque nature qu’ils soient.

 

Ma mère a toujours été de santé fragile et petite fille la peur de la perdre ne cessait de me hanter. Elle me laissait assez souvent seule avec mon père et ma grand-mère pour faire des cures à Plombières-les-Bains, ce qui provoquait chez moi des chagrins incontrôlables. Il m’arrivait de sangloter dans sa garde-robe en respirant son parfum et les repas, pris seule avec mon père, avaient tout de veillées funèbres. Avec le recul, je crois que ma mère a été la victime des médecins qui lui préconisaient des régimes contraignants et probablement peu adaptés à son cas puisque, dès qu’il s’agissait de projeter un voyage ou de vivre un événement qui la captivait, elle était d’une résistance à toute épreuve. Néanmoins, cet état égrotant a contraint mon père à une sorte de religiosité à son égard, tant il redoutait qu’une contrariété ou un désagrément ne suscite une réaction néfaste et contraire à sa santé. C’est cependant lui qui a eu les plus gros pépins dans ce domaine : une sévère hépatite et un infarctus dont il s’est sorti de façon quasi miraculeuse. Curieux, qu'ayant en horreur les médications, il ait laissé sa femme vivre sous leur emprise, mais il était de ceux qui avaient un grand souci de la liberté d'autrui, si bien que pour rien au monde il ne se serait opposé à la volonté de son épouse et à ses décisions personnelles.  C’est ainsi que ma mère a souvent été rejoindre une amie en Sicile, en Grèce, en Italie, alors que mon père, plus casanier, préférait rester reclus dans sa bibliothèque. Son évasion, il la trouvait dans les livres, ma mère dans les voyages. C’était également une conductrice hors pair. Elle adorait s’évader en automobile et nous avons fait ensemble quelques charmantes cavales en France et en Italie.

 

Auprès de mes parents, les soirées étaient toujours culturelles. Je me souviens des moments inoubliables passés tous les trois à écouter les premiers 33 tours de musique classique ou les émissions de radio consacrées à l’interview d’écrivains comme Mauriac, Giono, Léautaud, moments inoubliables s’il en est. En effet, l’un comme l’autre n’admettaient pas que l’on puisse perdre son temps. Il était hors de question de traîner dans son lit tard le matin. Ainsi le dimanche partions-nous visiter une exposition ou un monument, le samedi soir il y avait la messe et en semaine les devoirs, sans compter le samedi matin la couture et l’enseignement religieux au collège. Peu de place pour le farniente. Cette éducation vous donnait le goût de la rigueur et une exigence naturelle. Le plaisir, c’était plutôt le samedi soir, une boum ou une sortie au cinéma. Lors des soirées dansantes, mon père arrivait à minuit pile pour me chercher, Cendrillon ayant l’obligation de rentrer au bercail sans atermoyer. Et vous pouviez être sûr, qu’après le passage du commandeur, la soirée avait du plomb dans l'aile. Par la suite, je fus moins invitée…

 

Est-ce la raison pour laquelle je me suis mariée tôt ? Sans doute ! Je m’ennuyais un peu à la maison. Mes parents vivaient l’un pour l’autre, j’étais l’élément perturbateur et un peu encombrant avec l’âge. Les disques yé-yé de « Salut les copains » n’étaient guère à leur goût et je réalisais qu’ils comprenaient mal la jeunesse d’alors qui commençait à s’émanciper. Ainsi, ai-je quitté le foyer parental pour créer le mien. Mal m’en a pris, trop jeune, trop inexpérimentée, je divorçais 3 ans plus tard. Mes parents se sont montrés alors très compréhensifs. Ils m’ont accueilli chez eux avec ma petite fille, ce qui m’a permis de reprendre mes études et de travailler un peu avant de refaire ma vie. Chers parents !

 

Il est vrai qu’ils auront toujours été au centre de mon existence, de mon amour. Lorsque j’habitais Annecy, nous nous écrivions trois fois par semaine, ensuite nous avons toujours été extrêmement proches. Lorsqu’ils furent âgés, ils ont demandé à mon mari et à moi de venir les rejoindre à Trouville et, comme cela était possible, ce fut chose faite et j’ai été à leur côté lors de leurs dernières années de vie. Les accompagner me semblait tellement naturel. Maman est partie la première d’une crise cardiaque. Souffrant d’angine de poitrine, elle est morte un soir dans les bras de mon père alors qu’ils dînaient. Ils avaient fêté quelques mois plus tôt leurs soixante ans de mariage. Papa l’a suivie quinze mois plus tard. Il ne pouvait envisager la vie sans elle, le veuvage n’est pas taillé à mes mesures, me disait-il.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Mon père, retour sur le passé

Mon grand-père Charles Caillé ou l'art des jardins

Arthur, mon arrière grand-père - Une histoire simple

Le Rondonneau, retour à ma maison d'enfance

Les Pâques de mon enfance au Rondonneau

Les chiens de mon enfance

 

Chère tante Yvonne

 

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Ma mère avec sa soeur aînée et lors de sa communion
Ma mère avec sa soeur aînée et lors de sa communion

Ma mère avec sa soeur aînée et lors de sa communion

La maison familiale à Nantes et le mariage de mes parents
La maison familiale à Nantes et le mariage de mes parents

La maison familiale à Nantes et le mariage de mes parents

avec ma mère lors d'un mariage.

avec ma mère lors d'un mariage.

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2 septembre 2015 3 02 /09 /septembre /2015 08:23
Mozart à l'heure du requiem

                      

 

En juillet 1791, Mozart absorbé par les répétitions de La flûte enchantée, inquiet pour la santé de sa femme Constance, alors en villégiature à Baaden, reçoit la visite d'un inconnu à l'étrange allure, maigre, vêtu de gris, ne voulant pas dire qui il est et qui l'a envoyé. Ce mystérieux messager lui remet une lettre anonyme qui comporte trois questions : Mozart consentirait-il à écrire la musique d'une Messe de Requiem ? Quel délai demanderait-il pour achever le travail ? Et quel en serait le prix ? Mozart accepte cette proposition d'autant plus volontiers qu'il se sent tout disposé à contribuer au renouvellement d'un art religieux qui semble vouloir revenir aux anciennes formes liturgiques. Seul point de litige possible : il se refuse à donner un délai pour l'achèvement de l'oeuvre. Le messager revient peu après porter un premier versement d'argent. Il renouvelle sa demande que le secret demeurât absolu quant à la personnalité de celui qui a fait la commande et qu'il serait vain de rechercher, car on ne pourrait, de toutes façons, le découvrir - assure-t-il. La raison est simple : l'auteur de la demande souhaite se faire passer pour l'auteur dudit Requiem. A l'époque, de hauts personnages, férus de musique et connaisseurs, ne dédaignaient pas de laisser croire qu'ils avaient en outre du talent, mais les musiciens étaient rarement dupes. D'ailleurs, lorsque le Requiem fut interprété pour la première fois en 1792, chacun savait ce qui était de la main du maître et ce qui avait été complété, après sa mort, par son jeune élève François Xavier Süssmayer.

 

 

La partition originale de Mozart et les morceaux écrits par Süssmayer sont bien remis à la personne qui en a fait la commande. On prétend même que l'écriture de l'élève était si ressemblante à celle du maître que tous croyaient avoir sous les yeux la partition d'un seul auteur. Ce fut la veuve qui finit par remettre les choses en ordre et stoppa une controverse qui allait en s'envenimant et n'aboutissait qu'à une confusion de plus en plus inextricable. La publication devenant imminente, l'inconnu se décida à dévoiler son identité. Il s'agissait du comte François Walsegg zu Stuppach. Ce dernier avait perdu sa femme en février 1791 et, par l'intermédiaire de son intendant Leutgeb, avait passé la commande de ce Requiem, afin de célébrer la mémoire de la défunte.

 

 

En possession du manuscrit, le comte n'hésita pas un instant à le parapher de son nom et à apposer le titre suivant : Requiem composto del comte Walsegg. Il fit ensuite copier l'oeuvre en parties séparées et la dirigea en personne lors d'un concert qui eut lieu en son château le 14 décembre 1793. Ce subterfuge fut de courte durée et relève de l'anecdote amusante. Mais,  à propos de la part qui revient à Mozart et celle qu'il faut attribuer à Süssmayer, Gottfried Weber, le plus ardent adversaire de Mozart, auteur de fulgurants articles pour contester l'authenticité du Requiem, au point de provoquer l'intervention de l'abbé Stadler - le plus vénérable des amis de Mozart, - Weber admet que ce qui est authentique dans la Messe des Morts du maître " ce sont précisément les morceaux composés avec des bribes et des incipit de Mozart par Süssmayer ". Aussi entre les dires de la veuve qui affirmait que Mozart avait eu le temps d'achever pratiquement tout son Requiem et le rapport du jeune élève qui tendait à s'attribuer un rôle prépondérant dans l'accomplissement de ce travail, il y avait une juste mesure à respecter. Il est dangereux de côtoyer le génie de trop près et de parachever son travail. Une oreille avertie fait assez vite la part des choses. Il n'est pas douteux que Mozart a bien composé son Requiem, qui fut terminé selon ses indications, tant son extrême profondeur est là pour prouver, si besoin était, qu'en le rédigeant, il a eu le pressentiment de sa fin.

 

 

Nous sommes sans aucun doute en présence de l'une des plus émouvantes confidences qu'un artiste ait jamais pu faire. Elle nous dévoile jusqu'au plus intime de son être, de sa croyance au surnaturel, de ses tendances innées au mysticisme. On ne peut écouter ce chant mêlé d'espoir et de désespoir sans être totalement bouleversé par cette tendre supplication devant l'inéluctable, cette foi inébranlable dans la miséricorde divine, cette humilité face à la Toute Puissance de Dieu. Mozart, dans ce Requiem, n'est autre qu'un enfant qui sanglote et supplie, saisi par le sentiment de cette Majesté infinie qui inspire tout ensemble la crainte et la reconnaissance. Mozart était de taille à charger sa musique d'une réelle puissance cosmique pour nous donner la notion de la fin du monde. Il avait déjà mis en oeuvre ces moyens, qui traduisent le destin de l'homme confronté à l'au-delà, dans le dernier acte de Don Juan. L'Opéra baigne dans cette même tonalité en ré mineur, dans une semblable harmonie sourde et contenue qui procure au drame humain une consonance funèbre.

 


C'est, par conséquent, avec une extrême dignité que s'ouvre cette oeuvre posthume, qui n'est autre qu'une prière de caractère universel. Il en résulte une impression de douleur, de souffrance déchirante qui est celle éprouvée depuis des millénaires par l'humanité aux prises avec la mort. Mais Mozart y ajoute le concours orchestral des violons qui fait songer à des sanglots difficilement étouffés. Puis, quand l'heure du jugement approche où chacun doit rendre compte de son existence de pécheur, on entend la foule crier son imploration avec une sorte d'exaltation. Mozart suggère l'idée d'un vent irrésistible, d'un tourbillon qui balaie l'univers. Tout tremble de fièvre et d'impatience, la tempête survient, les voix se haussent afin de dominer le tumulte et exprimer l'angoisse qui sévit dans les coeurs sur un ton assez proche de celui de la Passion selon St Mathieu de J.S. Bach.

 

 

Avec le sublime lacrimosa débute la prière la plus poignante jamais exprimée. Aucune faiblesse de composition dans cette lumineuse montée chromatique qui est peut-être l'une des plus grandioses de toute la musique. Parvenu à ce degré de perfection, Mozart cesse d'écrire, simplement parce qu'il va cesser de vivre. Il a laissé le soin d'achever l'ouvrage à son élève le plus proche. Mais avec, ou malgré cela, Mozart reste présent dans le Requiem et tout entier devant nous, au point que sa prière nous apparaît aussi innocente que certaines de ses compositions enfantines. C'est probablement le miracle de sa musique : cette fraîcheur, cette douce résignation mozartienne qui nous permet d'atteindre des cimes apaisées, d'approcher une lumière surnaturelle. Il est vrai que peu de compositeurs ont traité avec autant d'émotion, de souffle, de grandeur, la liturgie des fins dernières de l'homme. Mozart est mort obscurément à Vienne le 5 décembre 1791, d'une mort que nous ne sommes pas parvenus encore à élucider. Nul autre artiste, parmi les plus grands, n'aura vécu une telle vie : sous sa médiocrité, sa misère se cache le signe d'une prédestination unique. Ame toute emplie d'amour et de compassion pour les hommes, de saine grandeur morale malgré les faiblesse habituelles de la nature, de simple et candide bonté de coeur, de pure sérénité qui, en se répandant sur notre monde ravagé, y jette en permanence une lueur consolatrice.


Ce Requiem est donc la dernière page de musique qu'il ait rédigée. Jamais son écriture n'a été plus ferme et plus précise. Elle marque, avec ses croches et ses silences," les pas d'un géant ressuscité d'entre les morts, gravissant la pente qui mène à l'ultime sommet, comme surchargé du fardeau de nos douleurs"? *

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

* Georges de Saint-Foix
 

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Mozart à l'heure du requiem
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