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16 mai 2022 1 16 /05 /mai /2022 08:23
Le serment de l'espoir de Parme Ceriset

 

En décembre dernier, j’ai eu la chance de lire le très joli recueil de poésie de Parme dans lequel elle évoque sa maladie, sa lutte, ses espoirs et le souffle retrouvé après une lourde intervention chirurgicale. Ce combat, elle le fait raconter par Rose dans un texte autobiographique très poignant. Rose et ses parents découvrent très tôt dans son enfance qu’elle est atteinte d’une maladie rare qui lui détruit les poumons, les médecins sont formels son espérance de vie est  limitée mais ses parents ne veulent pas baisser les bras, ils entendent se battre encore et encore, dénicher et tester tous les traitements possibles pour la maintenir en vie jusqu’à ce qu’une greffe lui rende le souffle et la vie. Après avoir triomphé du mal, elle souhaite témoigner, raconter son histoire, ses souffrances, sa vie entourée de l’amour de ses proches, de son petit frère adulé, de son ami d’enfance, celui avec lequel elle a construit sa vie et mené son combat. « J’ai grandi avec une maladie pulmonaire grave mais l’espoir m’a toujours accompagnée comme un ami fidèle. Lui et moi avions fait le serment que je réussirais à accéder au bonheur ». 

 

Pour simplifier cet article, j’ai découpé le récit en trois parties : une première très poétique, bucolique, enjouée, en mode majeur, dans laquelle l’auteure décrit son enfance dans la joie de la famille régulièrement ébréchée par ses crises, ses visites à l’hôpital, les divers soins et toutes les contraintes que sa maladie l’oblige à accepter. Elle évoque aussi son adolescence plus sereine au cours de laquelle la maladie se fait moins prégnante et lui laisse beaucoup de temps pour vivre de belles aventures en famille avec son frère et Adrien, l’ami du frère, qui devient progressivement son amoureux, son ange gardien, son tuteur… Mais, à vingt-trois ans, une mauvaise grippe l’éprouve gravement et accélère l’évolution de sa maladie, elle veut encore se battre mais à vingt-cinq ans le médecin est formel : il faut penser à la greffe et, à l’approche de la trentaine, elle est inscrite sur la liste des patients en attente. Vient alors le moment de la greffe : les examens préliminaires, l’attente du greffon, l’intervention, mais surtout la longue, très longue, période de réanimation et de rééducation avec tous les incidents, aléas, arias et problèmes divers qui l’accompagnent. Dans cette partie du récit, Rose prend un ton plus direct, moins poétique, plus technique, plus réaliste, plus pragmatique afin de conter cette étape pleine de doutes et d’espoir, de souffrances et de complicité avec son entourage. Le combat est sans pitié, les rejets et effets secondaires  tapis dans les moindres recoins de son organisme.

 

Un jour, néanmoins, le médecin décide qu'elle doit rentrer à la maison pour parfaire sa rééducation. Commence alors une nouvelle existence avec un  souffle nouveau. Une vie où elle retrouve la poésie mais cette fois une poésie en mode mineur car il faut payer le prix de ce nouveau souffle, de cette vie à l’espérance tellement plus grande. Elle doit  accepter désormais de voir s'éloigner ceux qu’elle aime, alors qu’elle n’y avait jamais songé. Ce sont les grands parents, les oncles et les tantes, des amis qui cèdent leur place à une nouvelle génération, des deuils à faire. Le combat contre la maladie a aussi transformé les protagonistes comme la paix relègue les meilleurs combattants au rang de citoyens lambda et même parfois inutiles (Je me souviens du Capitaine Conan dans le roman de Roger Vercel). C’est peut-être le passage le plus difficile, le plus cruel : la séparation d’avec le mari qui l’a accompagné depuis l’enfance jusque à la résurrection. Il faut un jour aussi qu’elle voie mourir son petit chien adoré, compagnon essentiel des jours sans souffle, acteur fondamental de son long combat.  Ce texte est un témoignage bouleversant sur la résilience face à la maladie, le courage pour affronter le mal et la lourde intervention chirurgicale, la capacité à croire toujours et encore à la vie, mais aussi un témoignage lucide et pragmatique sur le parcours d’un greffé. Parme a exercé la médecine, elle sait de quoi elle parle, c’est un acte de foi dans la vie, un message d’espoir, un véritable don du souffle pour ceux qui subissent une maladie lourde mais aussi une prise de conscience sur le prix à payer pour vivre encore et encore à pleins poumons. J’ai reçu ce texte comme un message d’empathie, j’ai accompagné la patiente tout au long de ses épreuves, espérant et souffrant avec elle, la soutenant comme tous ses proches l’ont épaulée, portée au propre comme au figuré. Il faut bien accepter de payer le prix de la vie mais certaines dépenses sont plus difficiles à accepter que d’autres et je ne suis pas convaincu que Rose n’éprouve pas encore une certaine douleur en pensant à certaines séparations. J’ai relu les quelques lignes que j’avais écrites après ma lecture de son recueil de poésie, je crois que je conserverai ce passage dans son intégralité après la lecture de ce récit autobiographique :

« Parme, elle est eau, elle est ciel, elle est paysage, elle est flore, …, elle est courage, elle est résilience, elle est émotion, elle est sensibilité, elle est sensualité, elle est la vie, elle est l’amour qui la sauvera. Elle snobe la maladie, la combat, l’ignore, la rejette, la repousse loin … « J’ai un compte à régler avec la vie », « J’ai encore foi en la vie, en l’espoir, et en moi » ».


Denis BILLAMBOZ


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Parme Ceriset

Parme Ceriset

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3 mai 2022 2 03 /05 /mai /2022 08:54
Marcel Proust, esthétique et mystique, de Paul Mommaers

Mieux vaut avoir goûté à « La Recherche » avant de se plonger dans l’ouvrage de Paul Mommaers « Marcel Proust, esthétique et mystique » qui nous livre une étude savante et approfondie, mais parfois un peu hermétique, de l’inspiration et de la méthodologie proustienne. D’où vient la lumière créatrice propose l’auteur de l’ouvrage et n’est-ce pas l’accès à la réalité intérieure qui permet de découvrir la réalité de la nature qui est en nous et de nous éprouver dans la durée ? C’est, par ailleurs, l’art d’analyser qui permet à l’artiste de faire d’une simple expérience une réalité mystérieuse. En effet, chez Proust, le monde intérieur et le monde extérieur s’imbriquent mais n’existent que par la grâce d’une expérience à deux composantes. Pour la première, il s’agit du rôle de la mémoire involontaire dont les manifestations servent à la construction du récit ; pour la seconde, de la « félicité » incomparable qui envahit le narrateur lorsque resurgissent en lui les moments perdus. Dans cette révélation de son moi profond – souligne-t-il – « il lui est donné de ne plus s’éprouver comme un être médiocre, contingent, mortel. » Paul Mommers s’emploie ainsi à approfondir la nature de cette expérience quasi sacrée qui ouvre sur une réalité autre et sans lien avec une simple perception, mais se fonde sur une réalité incomparable, débordant largement la seule esthétique pour aboutir à la propre création de beauté du narrateur. La genèse de l’oeuvre fait alterner la narration proprement dite et l’explication de la gestation d’une vocation d’écrivain qui s’actualise comme par miracle et s’éprouve comme un moi amplifié grâce aux phénomènes de la mémoire involontaire. Celle-ci voile non une sensation d’autrefois mais une vérité nouvelle.

 

Au chapitre IV de son livre, Paul Mommaers s’interroge à propos des caractéristiques de l’expérience mystique qui adhérent au coeur de l’expérience habituelle et déterminent différemment le destin du narrateur. Certes, il y a des ressemblances indéniables mais il suffit d’en considérer quelques-unes pour s’apercevoir qu’il ne s’agit pas d’extase mais d’attention, d’une attention intense et spécifique provoquée par le souvenir involontaire. Néanmoins, souligne Mommaers, nous pouvons dire qu’il y a entre l’expérience mystique et l’expérience du narrateur une ressemblance frappante, peut-être même une parenté. En quelque sorte, pour Marcel Proust, le monde qui nous entoure ne prend sa vraie valeur et sa vraie authenticité que lorsque nous le recréons, lorsque nous faisons de la réalité, une réalité autre.
« La véritable réalité n’étant dégagée que par l’esprit … nous ne connaissons vraiment que ce que nous sommes obligés de recréer par la pensée, ce que nous cache la vie de tous les jours. » Sodome et Gomorrhe

 

Reste à définir le caractère propre de l’art, celui du musicien, du peintre et de l’écrivain, afin de faire entrer l’Expérience dans la vie et de lui donner un aspect sensible et intelligible. L’incompatibilité qui apparait dans le monde avec ce qui se manifeste dans l’Expérience est telle que le narrateur a « cru irréalisable » l’idée de faire en sorte que, dans un art qui s’y conforme, l’Expérience puisse prendre forme. Ainsi Proust tente-t-il de fixer ce qui « ne dure pas » et d’attribuer un caractère permanent à ce qui ne se présente que par intervalles, incorporant ainsi quelque chose de perpétuel dans ce monde qui s’écoule et fuit. Si bien que « la vraie vie, c’est la littérature. » En effet, si Marcel Proust s’est attaché à réaliser littérairement l’Expérience, c’est afin de changer sa fugacité en un trésor durable, et s’il s’exerce à rendre la complexité des impressions immédiates, c’est encore parce qu’il espère leur conférer une existence permanente. « On ne connait les autres qu’en soi. » - précise-t-il dans " Albertine disparue".


Que l’Expérience soit ainsi reconnue comme « la matière première » de La Recherche n’implique pas que soient réduits à des à-côtés les autres éléments que le narrateur considère comme « la matière de son livre ». En effet, deux thèmes sont étroitement liés à celui de l’Expérience, soit « la sensation du temps » auquel s’ajoute la question du « moi individuel » et permanent. Si bien que le lecteur ne peut que rester pensif quand, sous la plume de Marcel Proust, apparaissent les paroles évangéliques « car si le grain de froment ne meurt après qu’on l’a semé, il restera seul, mais s’il meurt, il portera beaucoup de fruits » - conclut Paul Mommaers qui nous livre là une étude qui décrypte l’essentiel et nous fait entrer plus profondément encore dans l’imagerie féconde de la réalité intérieure proustienne.


Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


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19 avril 2022 2 19 /04 /avril /2022 08:06
Que l'immensité ouvre ses livres et ses grimoires !
Que l'immensité ouvre ses livres et ses grimoires !

Ils étaient hommes de labeur, sur l’oratoire des eaux
pour la première aurore.
Quelle fuite, à peine feinte, a fiché sa foëne en leur cœur !
Quelles ramures jointes par l’écho ont orné la voûte de feuilles de silène !
L’immensité ouvre ses livres et ses grimoires et c’est le néant qui dégorge,
mieux qu’une gargouille, son trop plein de savoir.
Ah ! que d’archives empoussièrent leurs cénacles,
que de dossiers encombrent leurs prétoires ! Assez ! Assez !
Que cette aire soit libre et ouverte sur la tranche
en l’honneur … d’une race à naître.
Poème à leurs lèvres profanes né de la phrase et de la vague,
dans le même ressac. Et l’élite des mots pour le métissage des eaux !


Partout la clameur s’amplifie
et c’est l’élocution et le récitatif pour une grandeur à venir.
Hommes de fier lignage sous l’apostrophe divine,
la face offerte aux alizés et à l’aquilon,
l’acuité de leurs regards anticipe les échéances prochaines.
J’ai trop de charges à leur soumettre
pour que cette rigueur ne soit pas lourde à leurs reins.
J’entends leurs souffles de garde-freins,
j’entends les cantilènes de leurs femmes,
mais à la vigilance de leurs rives,
je préfère la faction feuillée des agaves.


La mer en  ses  euphémismes,
initiatrice et belle diseuse d’énigmes,
voie  d’un seul jet jusqu’aux lisières de l’invisible.
Les hommes regardent approcher la mort,
non en voleuse de jours mais en donneuse de promesses
sur cet océan blanchi par le soleil,
sur cette mer équarrie aux quatre points du globe,
la mort ainsi qu’un porche gothique ouvert sur l’élégie marine.
Les larmes des enfants ameutent les colonies  d’oiseaux,
les pluviers, les sternes, les puffins, les labbes prédateurs,
ceux qui, avec les vents, tracent dans les plis hercyniens de leurs ailes,
les pistes des grandes migrations.


A  la métrique de la stance, l’allégeance des hautes voiles en mer,
au pays lointain des ibis et des caïmans,
des crabes arboricoles et des cycas nains.
Entendez-vous les fleuves souterrains
conduire la strophe sémantique,
entendez-vous la voix du vieux monde qui se déplace
et psalmodie la prière  de l’ermite ?
Sur le forum des eaux se perpétue l’éloquence des tribuns,
tandis qu’en son hypogée de sel, en ses prairies de diatomées
veille le poème  informel.


La terre en croix vogue à la dérive.
Ah ! que le temps sur elle n'ait plus jamais pouvoir !
Venu des profondeurs aquatiques, un étrange froissement d'épave
et une lame aiguisée par l'écume qui hausse le débat !
Le lamparo du poète répond aux présomptions du jour.
L'espèrance est sur ses cils comme une fleur ombellée.
Des jetées luminescentes se dessinent sur le ciel.
N'est-ce pas l'Esprit qui repose,
n'est-ce pas la dynastie des hommes qui navigue
au plus près du mystère ?
Les vents ont cessé leurs outrances. 
Un souffle, à peine, fait naître de légers plis à leurs fronts.
L'eau tiède des moussons étanche leur soif
et l'ascèse des flots mène à son terme leur destin d'apatrides.
Au passage des hémisphères s'est révélé l'autre face du monde,
le revers du réel.
L'attente dresse sa flamme arborescente.
Là se joignent les pôles en leur nombre radiant.
Là, dans le bleu aigu des glaciers,
s'abolit toute chose consommable.


Le poète, à la proue, porteur du Verbe
et le peuple debout dans les bras de la croix
qui scrute les faveurs d'une constellation.
Est-ce le songe de l'homme qui s'achève
et tourne ainsi sur son socle comme rose des vents ?
Exorcisme du thème qui fut votre gréement
et d'aventure vos coeurs d'affamés pour des jeûnes mystiques.
C'est là que l'eau insubmersible, cataracte à face de Gordone,
établit ses frontières.
Et ce nectar encore à vos lèvres
et votre défaite comme un sanglot de mer !

 

Armelle BARGUILLET  HAUTELOIRE   
 

 (Extaits de "Cantate pour un monde défunt " - Librairie Bleue - Prix Renaissance 1993 )
 


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Remise de mon Prix Renaissanc de poésie en juin 1993 par madame Brigitte Level

Remise de mon Prix Renaissanc de poésie en juin 1993 par madame Brigitte Level

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12 avril 2022 2 12 /04 /avril /2022 07:59

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Il y a l'art d'écrire mais il y a aussi l'art de lire ou du moins le goût de lire qui remonte le plus souvent à l'enfance et que l'on s'exerce à cultiver à l'âge adulte avec plus ou moins de talent et de passion. La plupart des écrivains ont été de bons lecteurs, des lecteurs assidus qui se sont formés au beau langage en découvrant celui des autres. La plupart en ont parlé avec sensibilité et nous ont permis de découvrir dans des pages émouvantes comment tel ou tel auteur avait su éveiller leur esprit à la poésie et à la littérature. Ce fut le cas de Mauriac, de Julien Green, de Julien Gracq, de Proust, qui a rédigé sur la lecture une page inoubliable. Ce l'est également d'auteurs contemporains comme Jean d'Ormesson  qui dans " Saveur du temps" évoque avec humour et tendresse aussi bien Chateaubriand que Plutarque, Soljenitsyne et l'obscur Nicolas Fromaget et se plaît à rappeler que la culture, c'est d'abord le plaisir. Il y a nouvellement sorti des presses le dernier Déon " Lettres de château", où l'académicien parle de la littérature d'une plume délicate et élégante comme à son habitude. Il nous entretient de ses compagnons de voyage qui ne sont autres que Stendhal, Larbaud, Toulet ou Conrad et nous donne, à travers ses lignes, l'envie irrépressible de les relire ou de les découvrir. Car c'est l'art même de l'écriture de faire naître celui de la lecture et vice et versa. Ces écrivains ne seraient pas ce qu'ils sont s'ils n'avaient un jour découvert des auteurs capables de leur inspirer leur vocation. Le troisième est un philosophe Alain Finkielkraut, dont l'ouvrage récent "Un coeur intelligent" a le don de rendre le nôtre meilleur et plus perspicace. Ce lecteur-là est un apprenti sorcier qui pose sur notre temps un regard sans complaisance avec un discernement inquiet.



Nous vivons aujourd'hui un déclin de la lecture - dit-il - qui me semble irréversible. Dans un époque qui bouge, et qui bouge trop et tout le temps, les lettres, elles, sont en repos dans le livre. Or, l'écran met fin à cette immobilité. Il est par ailleurs symptomatique qu'on parle de plus en plus de "pratiques culturelles". Des pratiques culturelles ! Le meilleur moyen d'effacer la différence entre la culture et l'inculture. Parmi ces pratiques : le copier/coller, le picorage, la communication. Tout ce qui relève de l'immédiateté et de l'impatience. Alors, quelle place le monde d'aujourd'hui, et à fortiori le monde de demain, fera-t-il à la lecture, activité ruminante et méditative ? La question est posée. La lecture et, par voie de conséquence la culture, sont-elles réellement en danger ? Il semblerait qu'il y ait quelques bonnes raisons de s'inquiéter, sans pour autant désespérer, car nous ne sommes pas en panne d'auteurs mais plutôt de lecteurs. Et le philosophe poursuit à propos de la lecture : " Je persiste dans mon inquiétude. Les jeunes lisent de moins en moins de livre. Et il est peu probable qu'ils liront plus tard. Car ils ont changé d'élément : ils vivent dans le numérique. Dans le numérique, la lecture littéraire est un anachronisme. Elle se raréfiera donc inexorablement. En revanche, il y aura pléiade d'écrivains. Toujours plus de livres publiés, en effet, et dans ces livres, toujours plus de pseudo-romans, qui ne sont que des autobiographies déguisées. Certes, l'autofiction peut produire de vraies oeuvres, mais la plupart se placent sous ce que Renaud Camus appelle le  soi-mêmisme. Aujourd'hui il faut être soi-même. Parce que paraître, c'est mentir. J'ai en mémoire la scène d'un film récent ""de Danièle Thompson. Auteur d'un best-seller, l'une des héroïnes du film est invitée dans une émission littéraire par Guillaume Durand, qui lui demande comment elle s'y est prise pour écrire son roman. Sa réponse est extraordinairement révélatrice : " Je me suis débarrassée de la dictature des apparences et j'ai décidé de mettre mes tripes sur la table". Si la littérature, c'est mettre ses tripes sur la table, autant passer à autre chose ! Si le soi-mêmisme s'empare de la littérature même, alors vraiment nous sommes dans une très mauvaise passe. Socrate disait qu'une vie qui n'est pas examinée ne mérite pas d'être vécue. Et nous pensons que c'est par le détour de la culture qu'on arrive à examiner sa vie. Mais est-ce qu'on devient meilleur ? Il est très difficile de répondre à une telle question."

 


Et Finkielkraut poursuit : "Toujours est-il que la beauté des découvertes adolescentes, c'est de rencontrer des livres qui nous dépassent. C'est pour cela que je n'aime pas l'idée de la littérature pour la jeunesse. Il est merveilleux de lire à 14ans, 15 ans, des romans qui ne vous sont pas destinés. Quand j'ai lu "Les Carnets du sous-sol" de Dostoïevski à 15 ans, j'ai été bouleversé. Et l'ayant relu récemment, le choc a été le même ". Aujourd'hui notre société est davantage portée à la dérision qu'à l'admiration. Et ne serait-ce pas là le grand mal du XXIe siècle naissant, ce goût de la dérision, ce refus à toute référence admirative ? Oui -  répond Alain Finkielkraut -  la dérision est un sujet en soi. Nous vivons de nos jours sous le régime cauchemardesque de l'hilarité perpétuelle. Une hilarité qui accompagne l'actualité et même la préempte. Le rire léger de l'humour porté par la littérature est détrôné par le rire-massue de l'incivilité. Un nouvel usage est entré en vigueur sur les antennes du service-public : quelques minutes avant d'arriver dans le studio où elle a été invitée, une personnalité se fait tailler en pièces par un professionnel de la dérision. Ce lynchage est devenu systématique et vise de plus en plus de personnalités du monde culturel. A la radio ou ailleurs. C'est là que se fait jour l'horreur de notre société, qui est le ressentiment démocratique. Il y a, dans les temps d'égalité, une joie mauvaise à voir quelqu'un tomber de son piédestal et mordre la poussière. Ce fut le cas pour l'affaire Polanski. Ce déchaînement m'épouvante. Parce que la démocratie a deux possibilités. Soit elle se rêve comme une aristocratie universelle, soit elle passe son temps à décapiter Marie-Antoinette.



La lecture a du moins le mérite de nous isoler un moment de toute pression environnementale. C'est un retour à la vie secrète de nous-même, une plongée dans un monde imaginaire qui parfois charrie plus d'audace, de vérité et de valeur que celui où nous vivons quotidiennement. Et puis, n'est-ce pas le monde où nous évoluons en toute liberté et où cette liberté est la plus précieuse ? Proust, dans son texte consacré à la lecture publié en préface à l'ouvrage de John Ruskin " Sésame et le lys ", notait  : " Il n'y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré". Et quelques pages plus loin : " Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l'auteur finit, et nous voudrions qu'il nous donnât des réponses, quand tout ce qu'il peut faire, est de nous donner des désirs". Quant à Julien Gracq, il  n'hésita pas à faire le procès du mercantilisme et de la mondanité qui affligent la République des Lettres  dans un ouvrage " La littérature à l'estomac" dont le titre annonce la couleur et dans lequel il fait une analyse fine et d'une actualité vibrante du mal-être de la culture et de la littérature d'aujourd'hui. En son âme et conscience, il part en guerre contre une soi-disant élite qui ne lit pas ( ou pas vraiment ) et se permet des jugements que la foule reçoit comme parole d'évangile. De sa plume exceptionnelle, il fustige le bruit, le mauvais bruit qui alimente les discussions marchandes de certains intellectuels, journalistes et critiques et lutte ainsi contre l'air du temps et le goût du jour qui faussent l'un et l'autre la donne et encensent un écrivain par rapport à un public et non par rapport à son oeuvre. Alors que la lecture relève d'une autre audience et que le vrai lecteur - celui qui ne se laisse pas influencer par la rumeur -  saura découvrir les oeuvres capables de susciter en lui " l'extase littéraire".

 

« A partir du moment où il existe un public littéraire (c’est-à-dire depuis qu’il y a une littérature) le lecteur, placé en face d’une variété d’écrivains et d’œuvres, y réagit de deux manières: par un goût et par une opinion. Placé en tête-à-tête avec un texte, le même déclic intérieur qui joue en nous, sans règle et sans raisons, à la rencontre d’un être va se produire en lui : il «aime» ou il «n’aime pas», il est, ou il n’est pas, à son affaire, il éprouve, ou n’éprouve pas, au fil des pages ce sentiment de légèreté, de liberté délestée et pourtant happée à mesure, qu’on pourrait comparer à la sensation du stayer aspiré dans le remous de son entraîneur; et en effet, dans le cas d’une conjonction heureuse, on peut dire que le lecteur colle à l’œuvre, vient combler de seconde en seconde la capacité exacte du moule d’air creusé par sa rapidité vorace, forme avec elle au vent égal des pages tournées ce bloc de vitesse huilée et sans défaillance dont le souvenir, lorsque la dernière page est venue brutalement «couper les gaz», nous laisse étourdis, un peu vacillants sur notre lancée, comme en proie à un début de nausée et à cette sensation si particulière des «jambes de coton». Quiconque a lu un livre de cette manière y tient par un lien fort, une sorte d’adhérence, et quelque chose comme le vague sentiment d’avoir été miraculé: au cours d’une conversation chacun saura reconnaître chez l’autre, ne fût-ce qu’à une inflexion de voix particulière, ce sentiment lorsqu’il s’exprime, avec parfois les mêmes détours et la même pudeur que l’amour: si une certaine résonance se rencontre, on dirait que se touchent deux fils électrisés. C’est ce sentiment, et lui seul, qui transforme le lecteur en prosélyte fanatique, n’ayant de cesse (et c’est peut-être le sentiment le plus désintéressé qui soit) qu’il n’ait fait partager à la ronde son émoi singulier; nous connaissons tous ces livres qui nous brûlent les mains et qu’on sème comme par enchantement – nous les avons rachetés une demi-douzaine de fois, toujours contents de ne point les voir revenir. Cinquante lecteurs de ce genre, sans cesse vibrionnant à la ronde, sont autant de porteurs de virus filtrants qui suffisent à contaminer un vaste public: il n’y faut que quelques dizaines d’années, parfois un peu plus, souvent beaucoup moins: la gloire de Mallarmé, comme on sait, n’a pas eu d’autre véhicule – cinquante lecteurs qui se seraient fait tuer pour lui. » *  


 * Julien Gracq - La littérature à l'estomac - Ed Corti

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Le goût de lire
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28 mars 2022 1 28 /03 /mars /2022 08:50
L'heure des olives de Claude Donnay

 

Nathan simule un burn out pour quitter son job et retrouver sa liberté car sa femme est en train de le quitter et qu'il se sent un peu coupable. Il ne veut plus de cette vie avec une belle famille qui ne connait pour seule préoccupation que le pouvoir et l’argent, une sœur qu’il ne voit presque plus et un job qui ne le passionne nullement. Il rêve d’une vie simple et authentique, il ne veut plus des faux semblants et des artifices. Sa sœur réussit à l’emmener à la campagne pour un week-end de détente où il rencontre Alex, une femme plus âgée que lui qui l’attire franchement, elle l’entraîne en balades dans la campagne où ils finissent par se séduire mutuellement. 

 

Il a menti à Alex, Alexandra lui a menti elle aussi, ils ont inventé des personnages compatibles pour vivre une aventure en cachette, loin de leur monde réciproque. Mais leur histoire bascule quand Nathan, voulant en savoir plus sur sa belle, découvre qu’elle est avec sa collègue une égérie du monde parisien de l’édition, qu’elles font et défont les carrières littéraires des plus grands auteurs. Alors, pour l’épater et redorer son image personnelle, il lui dit qu’il écrit et le prouve en lui adressant, sous son nom, le manuscrit que son père a rédigé. Hélas pour lui, ce texte est très bon, il est promis à une belle carrière éditoriale. Nathan bascule alors dans une double vie, dans un imbroglio insoluble dont il ne pourra sortir qu’à l’aide d’une écrivaine qui le confie à son père.

 

Ce texte d’une très grande richesse comporte plusieurs entrées, c’est tout d’abord une réflexion sur le mensonge, le mensonge provoqué par les vices de notre société où il faut souvent mentir pour ne pas perdre la face et tout ce qui s’en suit. Nicole trompe Nathan qui le quitte, Alex ment à Nathan sur sa double vie, mais c’est surtout Nathan qui ment à tout le monde (employeur, épouse, famille) en laissant croire qu’il souffre d’un « burn out » et aussi à son père à qui il a volé son manuscrit pour le faire éditer sous un pseudo personnel. Donnay semble se demander comment est-il possible de vivre dans notre monde en disant toujours la vérité ? Est-elle seulement bonne à être dévoilée ? C’est aussi un livre militant où, à travers le récit escroqué au père qu’il plonge en abyme dans l’histoire de Nathan - ou peut-être est-ce l’histoire de Nathan qui tombe en abyme dans le récit paternel,  l'auteur défend farouchement la cause de ceux qui aident les migrants à trouver une meilleure vie dans un univers où ils sont contraints de se réfugier sans y être acceptés.

 

On peut y voir aussi une belle image de la femme moderne, libre, indépendante, chargée de hautes responsabilités : Nicole est une executive woman, Pénélope et Jasmine règnent sur le monde littéraire germanopratin, Pénélope et Nicole ont des amants de passage, Ludmilla et Ingrid sont des artistes reconnues. Toutes sont des femmes séduisantes et entreprenantes qui n’hésitent pas à séduire quand elles en ont envie, ce sont elles qui décident.  Ce livre est aussi un « témoignage » sur l’écriture et le cahoteux parcours que doivent emprunter ceux qui veulent recevoir la reconnaissance de l’édition qui n’est hélas, pour bon nombre, qu’une illusion éphémère. Mais, à mon avis, ce roman est avant tout un grand texte sur l’amour, pas toujours possible, mais l’amour sous toutes ses formes : Nicole et Nathan aurait pu construire un bon couple mais la barre parentale était trop haute, Pénélope a aimé John, Ludmilla aime Ingrid, Côme tombe amoureux d’une migrante, et l’amour n’est pas que sexuel, il existe aussi entre le père et le fils, le frère et la sœur, et il peut se muer en amitié comme celle de Nathan et d'Anton. Cet ouvrage est avant tout un grand roman d’amour impossible, une histoire d’amour comme il n’en existe que dans les grandes œuvres littéraires qui surpassent le temps.


Denis BILLAMBOZ


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L'auteur

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25 mars 2022 5 25 /03 /mars /2022 09:31
Lorsque la poésie se pare des traits de la jeunesse - Isabelle Prêtre

On me croit solitaire, mais tu es toujours là,
vivant comme un dieu fou au plus profond de moi.
Mon amour insensé et déjà trop lointain
n'a pas voulu mourir quand j'ai lâché ta main.

 

Dis-moi, homme cruel, quel est ce sortilège
qui a su faire de moi ton jouet à tout jamais,
le jour où j'ai quitté ton beau pays de neige,
tu riais de mes larmes et moi je t'adorais.

 

Quand lasse de pleurer, enfin je suis partie,
j'ai cru avoir détruit ce fol amour de femme,
mais je ne savais pas, ce jour où je t'ai fui,
que tu continuerais à habiter mon âme.

 

Il me semble souvent qu'au fond de mon regard,
tous ces gens qui me croisent pourraient t'apercevoir.
Plus puissant que la vie, que la mort, que l'oubli,
ton amour m'a menée au bord de la folie.

 

Aucun homme jamais n'aura eu ton pouvoir,
tu n'as aucun rival, je n'ai aucun espoir.
Les  hommes les plus beaux s'effacent devant toi,
au-delà de l'absence, tu gagnes à chaque fois.

 

Ils t'envient, ils t'admirent, bien sûr ils te haïssent,
mais toujours ils ignorent que tu es mon complice.
Je te parle tout bas, j'entends encore ton rire,
et je préfère t'aimer, ne pouvant te maudire.

 

On me croit solitaire, mais tu es toujours là,
vivant comme un dieu fou au plus profond de moi.
Mon amours insensé et déjà trop lointain
n'a pas voulu mourir quand j'ai lâché ta main.

 

 

Isabelle Prêtre - fille du grand chef-d'orchestre Georges Prêtre  -  a une vingtaine d'années lorsqu'elle publie son premier ouvrage chez Jean Grassin avec une préface d'une personnalité qui, à l'époque, anime une émission très écoutée sur le poésie : Jean-Pierre Rosnay. Sans doute par discrétion, et parce que elle ne sait pas très bien comment ses parents prendront la chose, elle se choisit un nom d'emprunt Isa Kerlaine, sans toutefois oublier de dédicacer l'ouvrage à ce père si admiré. Le tour est joué, voici cette toute jeune et ravissante jeune fille entrée dans le monde de l'édition grâce à des poèmes que Jean-Pierre Rosnay qualifie ainsi dans sa préface  : "Comme d'autres tricotent - un point à l'endroit un point à l'envers - ajustant bien ses mots, Isa projette de poème en poème, toute la magie de sa féminité. La boucle d'or est bouclée. Isa est poète, mais aussi poème et c'est comme si, tout à coup, par miracle, des lys et des coquelicots surgissaient entre les pavés du présent." 
Elle est par ailleurs très souvent invitée à participer à l'émission qu'anime Rosnay "Le club des poètes" dans les années 1970. Malgré le succès de ce premier ouvrage, Isabelle Prêtre cesse de publier cette poésie si ardente que lui a inspiré ses années de jeunesse pour se consacrer à des études de philosophie, devenant professeur et également auteur de plusieurs ouvrages. ( Voir mes articles consacrés à deux d'entre eux)

 

Onze leçons de philosophie pour réussir sa vie       


Les lumières de Saint Augustin                                                               

 

 

J'ai connu Isabelle Prêtre lors d'une conférence que je faisais sur Marcel Proust à la mairie de Louveciennes. A la suite de cette rencontre, nous avons noué une amitié animée par notre amour de la littérature et de la poésie. Comme elle, j'ai débuté  jeune dans l'édition ; j'avais vingt ans également lors de la publication de mon premier recueil "Terre promise", si bien que nous  trouvions en permanence des sujets d'entente et de compréhension, de sensibilité et de partage. J'ai lu son recueil avec un réel plaisir. Il est d'une telle fraîcheur, d'une telle qualité dans la musicalité des vers, dans l'expression, que l'on est non seulement charmé mais émerveillé par ce don d'écriture si évident.

Lorsque la poésie se pare des traits de la jeunesse - Isabelle Prêtre

Depuis lors, Isabelle Prêtre a changé de registre, peut-être parce qu'elle pensait que la poésie ne pouvait exprimer que des sentiments d'une haute intensité. Elle s'est tournée alors vers la philosophie qui nous guide et nous interpelle tout au long de notre existence et s'alimente à l'aune de l'expérience et de la réflexion. Professeur et auteur, elle n'a cessé de nuancer et d'adapter ses propos  avec intelligence et conviction.


Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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L'un de ses poèmes et Isabelle Prêtre à 20 ans.
L'un de ses poèmes et Isabelle Prêtre à 20 ans.

L'un de ses poèmes et Isabelle Prêtre à 20 ans.

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15 mars 2022 2 15 /03 /mars /2022 08:47
Peinture de Véronique Heim

Peinture de Véronique Heim

 

 

J’ai à vous narrer l’histoire d’un peuple
qu’une lune maussade défigurât.
Epopée grandiose qui court à la surface des choses dérisoires.
C’est ainsi qu’il faut entrer dans la conscience des vivants …
Voyez combien nos pensées ont fière allure
quand elles avancent à pas de géant dans les plaines et les lagunes
avec le glissement sourd de l’engoulevent,
l’envergure altière des milans !
Fière allure ! Mais la demeure des sages
ne s’est pas échouée comme un panthéon d’immortels
à la cime de quelque mont Ararat !
L’intelligence referme son tabernacle.
Ce peuple s’affranchira des dieux, son instinct le guidera.
Il sera nomade et voyagera avec les vents. 
Ha ! qu’un souffle détende le front des eaux et ils traceront leur route
dans la mouvance craintive des herbages,
au long des sentes oisives des steppes et de la pampa,
quelque part sur l’étendue inconnaissable
où une chimère comme eux s’attarde.


Oui, je  vous parlerai d’un peuple à nul autre semblable,
peuple pétri de glaise et nourri de froment
que l’étincelle du silex, un jour,
mit en marche vers le ponant.
Solitude de l’homme en l’homme,
terre sans partage, hamada d’un cœur qui ne prend, ni ne donne,
vacance de l’espace.
Ensemble, nous parlerons de leur passé qui stratifie le temps,
car ils sont, gerbes de couleurs et de races,
des hommes d’écriture et de langage,
vague humaine qui se détache,
haute vague, houle insécable de pensée et de mémoire.
Puissance qui se disperse et s’élance à l’assaut
d’un donjon, d’un rempart ou d’une médina,
croisade au pieux visage,
les serfs ont dérobé le sceptre et l’étendard,
un clerc a donné ordre que brûlent nos vaisseaux.
De quelque lieu qu’elle soit,
la volonté des hommes fixe les héritages.

 

Il y avait longtemps que leur mémoire les avait trahis,
qu’ils ne forgeaient plus le métal, ne taillaient plus la pierre,
ne bâtissaient plus de cathédrales.
Le temps filait entre leurs doigts sans laisser la moindre trace,
coulée de vent sur la chair vivante de l’espace.
Rives dolentes, monde futile,
ils y épanouissaient leurs coroles et fanaient en une nuit.
Néanmoins, ils savaient qu’ils étaient hommes de labeur
et de peine ! Jusqu’aux confins des mers,
le retour et l’accord de leurs pas sur la plaine,
quand l’aube minérale disperse ses fanaux.
La pierre à vif, le trumeau et l’ogive
poinçonnaient le silence.
Eux, se souvenaient de ces lents convoyages qui,
des siècles passés aux siècles à venir,
dévidaient le temps et illustraient l’histoire.


J’irai où bon me semble,
les vents sont avec moi.
Je détourne ma reine,
je recule mon fou, j’avance quelque pion …
Des roseaux blonds se penchent,
l’onde coule majestueuse sous l’arche d’un vieux pont.
Les fils d’argent se croisent sur l’étoffe de tussah,
l’un se mêle à l’autre, gaves, ravines, affluents,
c’est un jeu tumultueux que se livrent les eaux.
Venues des couches profondes ou des grands promontoires,
toutes s’affrontent et s’écoulent,
toutes dévalent ensemble.
Chant mémoriel de l’homme,
chant souverain de l’âme,
des sages eaux fluviales aux tourmentes océanes.
Ainsi vide de sang, vide de forces vives,
la terre, épave grise de poussière et de cendre,
écluses rompues, vannes levées, cède aux cris sourds,
épeurés des haleurs.



A peine, les flammes scellaient-elles l’enceinte de mortier
Que, remontant des contrées plus anciennes,
les routes s’égaraient, menées en pure perte
dans la touffeur des halliers.
Soudain, le mouvement dans l’argile,
la matière transmuée qui s’oppose à l’ardente quête du sourcier.
Et l’eau coulait, elle s’épandait,
c’est toute la terre qui s’en allait dans un délire.
La main pressentant la douleur
cherchait là où le sang affleure cette forme indécise
qui est l’offrande d’un dieu muet.



Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE  (Extraits de « Cantate pour un monde défunt »
Prix Renaissance 1991)

 

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4 mars 2022 5 04 /03 /mars /2022 09:37
L'autorité est-elle toujours légitime ?


Autorité, du mot Auctoritas, vient du verbe augere qui signifie augmenter. Elle est la capacité de se faire obéir avec le consentement de celui qui obéit. L'idéal est d'obtenir cette obéissance sans menace et de ne l'exercer que dans le but de sécuriser. Car le vide d'autorité engendre vite l'affolement et le désarroi. Or, en ce début de XXIème siècle si prompt à tout remettre en cause, posons-nous la question : l'autorité a-t-elle conservé sa légitimité, est-elle toujours recevable, est-elle toujours d'actualité ? Nous ne sommes plus, en effet, en un temps où le peuple, illettré et privé de savoir, reconnaissait volontiers son incompétence et acceptait d'être dirigé par les puissants de ce monde. Là où la société d'antan se fondait sur l'obéissance, celle d'aujourd'hui privilégie la concertation et l'autonomie individuelle. Ainsi a-t-on transposé peu à peu, dans la réalité quotidienne, le principe d'égalité entre les hommes et le droit accordé a chacun d'accéder, selon ses mérites, aux fonctions les plus hautes, sans discrimination d'origine et de race. Les idées démocratiques ont fait leur chemin et le droit de vote n'est pas autre chose que la participation du peuple aux affaires de l'Etat. Car nul n'est définitivement soumis au cours inexorable de l'histoire : les hommes peuvent toujours, grâce à leurs actions, changer le monde. Pour reprendre un propos d'Hannah Arendt: "Chacun a le droit d'exercer sa liberté en participant au pouvoir politique".
 


D'où la difficulté de l'exercice pour ceux qui sont mandatés : politiques, magistrats, enseignants. Car, peut-on soumettre à l'autorité un homme qui, par essence, est libre ? Cependant, aussi libre soit-il, il n'en est pas moins intégré dans un tissu social, une communauté d'appartenance et se doit d'agir de façon telle qu'il ne puisse nuire à la liberté d'autrui. C'est ce que nous pourrions considérer comme une astreinte normale au bien public. Aussi, n'y a-t-il aucune raison probante d'envisager la disparition de l'autorité et de supposer que nous sommes parvenus à un moment de l'histoire où elle ne serait plus bénéfique à la société des hommes. De toute évidence, non ! l'autorité est encore et toujours nécessaire, parfois même souhaitée. Parce que l'homme vit en communauté et que cette communauté a besoin d'un chef comme l'enfant d'un maître, quelqu'un qui, avant d'être celui qui commande, est celui qui réfléchit, juge et décide pour le bien des autres. C'est ainsi que l'on fait régner l'ordre et, par voie de conséquence, la paix. Il n'y a pas d'accomplissement humain sans une part d'autorité admise et reconnue. L'autorité nous autorise à être et à faire être ceux qui nous sont proches. C'est alors que l'autorité bien comprise et bien exercée devient service. On remplit une fonction et les responsabilités qui s'y rapportent ; on assume une charge et les conséquences qui s'en suivent. Et l'autorité est d'autant mieux exercée qu'elle est consentie.
 


Il ne faut pas oublier non plus qu'il y a plusieurs formes d'autorité : de l'autorité personnelle, parentale, éducative à l'autorité politique, morale, spirituelle, et qu'il est préférable de remettre chacune d'elles à sa place avant de les distinguer dans leur singularité. Il appartient, en effet, à chaque époque de réorganiser les autorités qui lui sont propres. L'erreur serait de réduire l'autorité à un pouvoir, ce pouvoir à une  autocratie, cette autocratie à une tyrannie illégitime et abusive. Pour que l'acte d'autorité soit accepté, encore faut-il qu'il soit appliqué de façon exemplaire ; c'est seulement dans ces conditions que l'autorité se justifie et s'accrédite par sa capacité à produire et maintenir des normes de comportement reconnues de tous. L'autorité est admise alors comme une règle qui fait autorité et référence, pose sa légitimité comme un droit. Cela permet d'établir aux yeux de chacun un critère de valeurs, une hiérarchie entre ce qui est bien et ce qui ne l'est pas, entre l'usage supérieur et l'usage inférieur de l'action, de l'intelligence, du langage, de la force, entre ce qui est acceptable et ce qui ne peut être accepté. 
 


L'autorité a donc obligation de refaire sans cesse la preuve de sa légitimité. Mais on ne peut s'en passer, car, en face d'une absence de repères, l'homme est pris de vertige. Une route non balisée risque fort de ne mener nulle part. L'autorité implique évidemment le respect du groupe, du système et des liens qui se tissent à l'intérieur de cette collectivité afin de former le tissu social. Les émeutes de banlieue, les règlements de compte inspirés par la tentation de disqualifier ce qui est en place, signent la perte de la croyance dans le bien-fondé de l'autorité et cette perte de respect débouche fatalement sur une perte du respect de soi. C'est alors que la morale a toutes les chances d'être désirée et de nous sembler bonne et ce, d'autant plus, si l'homme s'emploie à la promouvoir avec sagesse et équité. "Une âme juste est guidée par sa connaissance du Bien ; cette disposition consiste à se gouverner selon la raison ; par suite, une âme juste maîtrise ses passions ; enfin, une telle âme peut être dite harmonieuse, belle, forte et en bonne santé, parce qu'elle se tient à l'écart de l'injuste et du dérèglement des passions" - écrivait Platon. Qui pourrait remettre en cause une aussi belle profession de foi ? Foi en l'homme, foi en l'exercice d'une autorité au service du citoyen et de la nation. Le mieux serait que cette autorité suscite non l'obéissance mais le consentement, s'organise autour de références qui permettraient à l'individu de se réaliser dans un environnement favorable, contribueraient à accroître ses facultés et justifieraient parfaitement le sens premier du mot autorité : celui  d'augmenter, ce qui exhorte à la promotion et à la régénérescence d'un idéal. Il semble, hélas, que l'idéal platonicien soit loin des réalités d'aujourd'hui.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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2 mars 2022 3 02 /03 /mars /2022 09:47
L'urgence approche avec ses feux

Alors que tu dormais, le ciel s’était enflammé.
Je murmurais contre ton oreille un aveu impossible à entendre,
une promesse impossible à tenir.
Eveille-toi ! L’urgence approche avec ses feux.
Ce sont des navires qui partent,
ne sachant plus rien des terres où nous sommes,
ce sont des villes qui sombrent en nos mémoires.
Avancer … et l’eau porteuse jusqu’à ses rives succinctes,
qui viendraient comme d’une nébuleuse,
jusqu’à  ses seuils qui s’affranchiraient comme d’un deuil.
Il faut le temps du passage pour que le mystère se décèle,
une porte inaccessible pour qu’il pénètre en nous.
Et sur les eaux fatales, que cette voix d’ombre s’époumone
afin de redonner vie à la vie, frontières humaines au monde.

 

Si le ciel vire ses voiles,
tu sauras que les navires partis au crépuscule
ont ouvert des voies d’eau sur l’infini,
que les hommes voguent vers la haute mer,
qu’ils reposent au fond des cales sous des bâches,
la tête pleine de chimères.
Tu connaitras l’angoisse, l’obsession, quand tout se tord et se tend,
que tout s’exaspère, que les cordages lâchés se lovent sur les ponts.
L’air saturé d’étoiles est un miroitement sans fin.

Dans cette pénombre des signaux brefs nous disent
qu’ailleurs est un espace familier et meilleur.
Au loin, alors qu’un cap se profile,
notre faim s’accroît d’un dernier désir.
Les marins, l’oreille en alerte, surprennent le bruit sourd des vents
qui remontent à leur base. Désormais, il n’y a plus d’attente à espérer ?
Ce continent nous restera-t-il inconnu ?
Où mener notre course sans céder, sans faiblir trop vite ?


Ecoutons respirer les éléments, voyons le ciel se mouvoir.
Qui s’avance, qui va dans la nuit ?
Il y a mieux à faire que de dormir. Veillons !
Tenons-nous à la proue, droit, le visage impérieux.
Force nous est de scruter, d’imaginer des contrées
où s’honoreraient des bêtes mythiques.
L’oiseau passe qui annonce un continent proche, une terre sauvage.

Reflet qu’un chemin de solitude propage.
Demain nous apprendra que la fin est proche,
que le jour tarde à se lever.
Il hésite à la frontière des mondes.
N’est-ce pas des galaxies qui neigent dans l’univers,
n’est-ce pas l’éclipse qui s’accomplit avec majesté ?
Il faut se refuser à la médiation, accepter que la route aboutisse
ou bien reprendre l’océan. En Atlantique, rien ne meurt vraiment.
Il y a une vérité à comprendre, un chemin de halage à emprunter.
J’ai soif ! Le désert est immense, quel océan pour m’abreuver,
quelle terre pour, à son terme, accueillir mon voyage ?
Je ne connais que l’illusion de l’apparence, que son destin tragique.

 

La nuit sur tous les fronts. Elle gave la terre.
Un limon putride tapisse les ruisseaux.
Le ciel germe ses feux, l’éclosion d’une flamme assemble les cris.
On brise les sceaux de tout un peuple, on saccage les villes bâties à la hâte
sur des éperons rocheux. L’Atlantique est une contrée au-delà du possible.
D’étranges choses s’y passent. On ne hisse pas les voiles,
on ne lève pas l’ancre pour s’affranchir, mais pour se porter secours.
Celui qui revient porte son deuil.
De là ou je suis, je prends en compte l’éternité.
Avec  elle je dérive, je l’étarque fort,
je la mène vers ce point que je refais chaque jour,
à  chaque heure, un point qui sursoit à ma vision.


Cet exode fut long, cependant ne crois pas que j'en revienne.
On ne revient pas de nulle part. Je me tiens au milieu de l'océan.
Je suis un point fixe ainsi qu'une étoile.
Si l'étoile est illusion, j'en suis une aussi. J'écris sur un cahier blanc.
Chaque lettre porte les couleurs de l'esprit,
chaque mot esquisse une trajectoire.
Je suis bien. Ici il n'y a pas de route, pas de cité.
Dans le clair-obscur d'alentour,
je vois les lourdes charpentes de l'univers s'abattre.
Quelle erreur de le dire immortel.
De l'immortalité, on s'en retourne plus mortel encore.


Tu me demanderas : que faisais-tu ?
Patiente, je t'écrivais une lettre sans point, sans finalité.
On ne peut enclore la vie.
Avide, je cherche des signes, des points de ralliement.
J'entretiens ces feux.
J'écris parce que les mots garde intact le pouvoir de ranimer nos légendes,
qu'ils tissent les fils qui, lentement, me reconduiront à toi.
Il y a tant à voir, tant à louer.
Je me rappelle de la périssoire, l'étrave soulevait l'embrun,
la carène modelait l'eau. L'arche se dévoilait dans sa pure beauté,
arabesque de lumière, long effilage des palmes.


Il me faut cette soif, cette faim pour tenir. 
Ailleurs le provisoire, l'inaccompli, l'astre qui clôt la nuit de son avènement.
Hier, le divin couvrant nos fronts de sa vie obscure.
Lorsque nous aurons saisi l'énigme, le rivage refluant,
nous quitterons les môles où nichent des colonies d'oiseaux.
Sourciers, sorciers pour l'ultime écoulement vers une terre absente.
Ainsi l'image du premier jour,
ainsi l'eau à la proue parée pour le passage,
ainsi l'hésitation au bord de la houle qu'affranchira le temps.
J'ai peur, parce que l'odeur de paille n'éveillera pas le grillon,
que le coq s'est tu, que la cloche ignore le tintement qui l'ébranle.
Je sais que le continent brûle d'un feu dissipé,
que le ciel brille d'un éclat perdu.
S'éloigner n'a plus le même sens que jadis.
Chacun porte en soi son nouveau monde.
Les lèvres sèches, on contemple une ligne
qui n'est pas l'horizon mais une trace originelle.
La matière s'estompe enfin. A l'avant, il n'y a plus que l'absolu à distinguer.


Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE  (Extraits de Profil de la nuit - Je t'écris d'Atlantique)


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L'urgence approche avec ses feux
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18 février 2022 5 18 /02 /février /2022 09:09
Jacques-Emile Blanche et Jean Helleu (enfant)
Jacques-Emile Blanche et Jean Helleu (enfant)

Jacques-Emile Blanche et Jean Helleu (enfant)

 

Jacques-Emile Blanche est né le 31 janvier 1861 dans une famille de médecins aliénistes. Son grand-père, Esprit Blanche, avait fondé la maison de santé de Passy, très réputée, que son fils Antoine Blanche (1820–1893) continuera de diriger. Experts médico-légal, les docteurs Blanche soignaient les célébrités de leur temps comme le musicien Fromentin Halévy, le poète Gérard de Nerval et Guy de Maupassant qui finira ses jours dans leur clinique. La famille Blanche habitait rue de la Source à Auteuil une villa voisine de celle de Louis Weil, l’oncle de Marcel Proust, maison où l’écrivain naquit d’ailleurs et passa de nombreux séjours. Les deux familles se fréquentaient. Jacques-Emile était un riche héritier et avait déjà un pied dans cette vie mondaine à laquelle il s'initiera dès l’adolescence et qu'il conduisit avec élégance ; il en tirera la matière des quelques 1500 portraits réalisés tout au long de sa carrière. Mais son œuvre ne se circonscrit nullement dans le cadre étroit d’une simple chronique mondaine, elle est, de par sa qualité, une œuvre dans toute l’exception du terme, celle d’un artiste qui sut capter, comme le fera Proust avec sa plume, le moi profond et le mystère inhérent à chacun de ses modèles. Et ils seront nombreux.

 

Elève de Gervex et Humbert, Jacques-Emile a hésité un moment entre la musique et la peinture. Il est vrai que son père recevait de nombreux musiciens comme Gounod, Berlioz, Bizet et que le jeune homme fut très tôt un excellent pianiste. Mais l’amour de la peinture sera le plus fort et son admiration pour Manet et Whistler une probable incitation à opter pour le pinceau plutôt que pour le clavier. Blanche va très vite se spécialiser dans le portrait : «  Je ne suis qu’un portraitiste qui raconte ce qu’il voit » - dira-t-il. Il connaitra la célébrité en réalisant le portrait de Marcel Proust (celui du musée d’Orsay) dont l’ébauche avait été faite en 1891 au manoir des Frémonts, sur les hauteurs de Trouville, où le peintre et le futur écrivain  étaient les invités d’Arthur Baignières. Par la suite, Blanche fixera sur la toile les visages des personnalités les plus emblématiques de son temps : Montesquiou, Henri de Régnier, Anna de Noailles, André Gide, Jean Cocteau, Maurice Barrès, Henri de Montherlant, Mauriac, Stravinski, Bergson et quelques autres. Sa sensibilité s’exprimera également dans le pastel qu’il utilisera avec virtuosité, notamment dans ses portraits de femme dont le très beau qu’il consacrera à sa mère. De même que le délicieux portrait du fils de Paul-César Helleu, autre peintre qui résidait souvent sur son yacht à Deauville. Ce portrait de Jean Helleu enfant, en habit de pierrot, est d’une facture particulièrement délicate.

 

Jacques-Emile Blanche sera également un écrivain et un critique d’art avisé. Dans son ouvrage « Propos de peintre – de David à Degas », il rend compte et exalte les œuvres de ses contemporains et prédécesseurs d’une plume alerte et éprouvée. Marcel Proust, qui rédigera la préface, ne partageait pas son point de vue, considérant que l’œuvre est toujours supérieure à son auteur et ne l’explique nullement, si bien qu’il ne craindra pas de le contredire sur ce point précis  : «  Le défaut de Jacques Blanche critique, comme Sainte-Beuve, c’est de refaire l’inverse du trajet qu’accomplit l’artiste pour se réaliser, c’est d’expliquer le Fantin ou le Manet véritable, celui que l’on ne trouve que dans leur œuvre, à l’aide de l’homme périssable, pareil à ses contemporains, pétri de défauts, auquel une âme originale était enchaînée, et contre lequel elle protestait, dont elle essayait de se séparer, de se délivrer par le travail. » Tous deux se connaissaient bien et fréquentaient les mêmes salons, particulièrement celui de Madame Straus, née Halévy, et épouse en premières noces de Georges Bizet, qui aimait à poursuivre son salon de Paris à Trouville où, après avoir loué plusieurs années le manoir de « La Cour-Brûlée » à Madame Aubernon, fit construire le sien tout à côté : le Manoir des Mûriers ». Proust ira à plusieurs reprises la visiter, ainsi que Helleu, Blanche, Maupassant, Fauré … Blanche sera élu à l’Académie des Beaux-Arts en 1935.

 

Comme Marcel Proust, le peintre aimait la Normandie, ses jardins, ses chemins creux, ses champs quadrillés de haies vives, ses clochers qui pointent à l’horizon, ses lointains de mer qui semblent absorbés par le ciel et ses gris qui se déclinent en de multiples nuances et donnent une gravité lumineuse aux paysages. Quittant les mondanités parisiennes, il appréciait cette communion harmonieuse et vivifiante avec la nature. Après avoir séjourné de 1896 à 1901 au château de Tout-la-Ville entre Deauville et Pont-L’Evêque, lui et sa femme Rose louèrent le manoir de Tôt à Offranville, en Seine-Maritime, où ils aimaient à poursuivre à la campagne leurs relations urbaines avec les personnes les plus en vue du monde littéraire, artistique et politique d’alors. Les frères Goncourt, qui n’avaient pas la plume tendre, s’amusaient à dire que Jacques Blanche était susceptible et cancanier. Il n’y a qu’à lire « La Recherche du Temps Perdu » pour savoir que les propos aigres-doux étaient en vogue et animaient bien des conversations. La Normandie sera donc pour Jacques-Emile Blanche un lieu d’ancrage privilégié et est-ce ses liens particuliers avec le monde artistique et culturel qui offrent aujourd'hui à notre regard un ensemble de portraits qui nous assure que le temps … peut être retrouvé.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Quelques-unes des toiles de l'artiste.
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Présentation

  • : Le blog interligne d' Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • : Grâce au pouvoir des mots, une invitation à voyager sur les lignes et interlignes.
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Un blog qui privilégie l'évasion par les mots, d'abord, par l'imaginaire...toujours.

LES MOTS, nous les aimons pour eux-mêmes, leur sonorité, leur beauté, leur velouté, leur fraîcheur, leur hardiesse, leur insolence, leur curiosité, leur dureté, leur volupté, leur rigueur.
Différemment des notes et des couleurs qui touchent d'abord notre sensibilité, ils ont vocation à transmettre, informer, émouvoir, expliquer, séduire, irriter, formuler les idées, forger les concepts, instaurer le dialogue.
Ainsi nous conduisent-ils vers l'autre, l'absent, l'étranger, l'inconnu, l'exilé.

Parce qu'ils disent qui il est, comment est le monde, pourquoi est la vie, qu'ils gomment les distances, comblent les vides, dévoilent les énigmes, suggèrent le mystère, ils sont nos courroies de transmission, nos outils journaliers.

 

La vie doit être vécue en regardant vers l'avenir, mais elle ne peut être comprise qu'en se tournant vers le passé.

 Soëren Kierkegaard

 

Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche.

   Montaigne

 

Veux-tu vivre heureux ? Voyage avec deux sacs, l'un pour donner, l'autre pours recevoir.
   Goethe

 

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