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19 mars 2015 4 19 /03 /mars /2015 11:04
Les derniers mondains de Camille Pascal

Voilà un livre plaisant, rédigé par l’ancienne plume de Nicolas Sarkozy, dans un style alerte et un brin nostalgique, qui nous explique pourquoi et comment le pays des "Guermantes" existe toujours, comment le snobisme se porte bien et a encore de beaux jours devant lui, pourquoi l’argent a simplement changé de poche et les personnages changés de look. Ce recueil de portraits n’est ni plus, ni moins, un clin d’œil à Marcel Proust et à Saint Simon et on comprend mieux encore que l’homme sera toujours l’homme et que ce faubourg Saint-Germain, que l’on croyait à jamais disparu, n’a fait qu’entrer dans la clandestinité ; le nouveau ayant traversé la Seine et usant de codes différents ; tous deux, ancien et moderne, prouvant, si nécessaire, que la dualité continue sa permanence à travers le temps. Oui, n’est-ce pas un même petit monde qui, cent après Charlus et la duchesse de Guermantes, fait et défait les modes, les réputations, les usages, lance les idées, les coteries, oui, un monde qui a été régénéré par l’actualité et s’emploie, comme le précédent, avec moins de mesure et de subtilité, à régir nos coutumes et nos mœurs. Ce n’est en somme qu’un changement de perspective, peut-être une simple illusion d’optique…

 

Car, face à ces hussards de la mondanité nouvelle, survit tant bien que mal une société qui s’efforce à sauvegarder son art de vivre à la française, société composée d’un mélange de bon goût et d’extravagance dans le trait d’esprit, le comportement et l’éloquence. Ainsi coexistent deux mondes parisiens : l’ancien, où ce qui importe est d’être bien né et bien éduqué, monde sociétal qui évolue dans des décors somptueux mais souvent défraîchis et marqués par le passage du temps et, l’autre, une jet set bruyante et flamboyante, familière du pouvoir et de l’imprécation où l’on voit, attablés, hommes et femmes politiques, journalistes et acteurs devisant de conserve. Bien sûr, la vie est ailleurs : dans notre ruralité aux prises avec les véritables réalités.

 

L'ancien monde compterait entre 50 et 100 personnes descendantes de l’aristocratie de cour et de grandes fortunes du XIXe siècle. C’est un milieu qui se protège de l’extérieur et dans lequel l’actualité n’entre qu’à pas feutrés. On s'y entretient du passé, de l’Histoire avec un grand H qui semble un éternel recommencement. Les membres de cette petite communauté s’emploient, autant que faire se peut, à maintenir des rites immémoriaux et, principalement, l’art de la conversation désormais en déshérence. C’est un exercice subtil qui requiert des siècles d’expérience et d’éducation. Dans une époque éprise d’égalitarisme, certains intègrent de grandes entreprises ou la fonction publique, aussi leur position sociale, appuyée sur leur carrière, rend-t-elle leur relation ambiguë avec leurs aînés. "Le grand monde" est devenu une société secrète. On y croise des académiciens, des ambassadeurs, convives reçus avec infiniment de bienveillance comme les émissaires du monde extérieur. L’étranger y est le bienvenu également, à condition qu’il respecte les codes où la bonne éducation est essentielle.  

 

Quoi qu’il en soit, ce monde, qui apparaît si passéiste de nos jours, a contribué au rayonnement de la France de façon indiscutable. Ces hommes et femmes ont protégé les artistes, suscité des œuvres, lancé des projets, couvert nos villes de monuments magnifiques, entretenu leurs demeures que, dorénavant, ils font visiter et qui sont des témoignages de notre histoire. Voilà une société qui survit dans l’ombre face à ces nouveaux mondains qui occupent les lieux, les pages de nos quotidiens, défient souvent avec outrance les bonnes manières et l’élégance. Changement de valeurs, modification des goûts et des canons esthétiques, c’est encore et toujours les anciens contre les modernes…

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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14 mars 2015 6 14 /03 /mars /2015 08:42
Frédérick Chopin, une vie vécue comme un impromptu

      
A quoi ressemble Chopin ? A sa musique - déclarait le compositeur Moschelès. Une musique née d'une inspiration nourrie de dualités, dont celle de ses origines panachées entre Pologne et France. Aristocrate de petite noblesse par sa mère et petit-fils de charron du côté de son père, émigré lorrain, Chopin porte en lui, et dans son oeuvre, cette double ascendance paysanne et noble. Son père, arrivé en Pologne en 1787, deviendra un patriote polonais si convaincu qu' il participera au soulèvement contre l'autorité russe. Professeur de langue et de littérature française, il tient à Varsovie une célèbre pension et consacre son existence à l'éducation de jeunes gens, sans jamais mettre en avant son identité française.


Le jeune Fryderyk, né en 1810, grandit au milieu de ces fils de hobereaux fortunés avec lesquels il lie des amitiés souvent exclusives. De cette atmosphère emplie d'insouciance et de gaieté, le jeune homme conservera une profonde nostalgie que l'on retrouve plus tard dans sa musique. C'est sa mère qui l'initie au piano, dont elle joue volontiers, tandis que, dissimulé dans un coin, son fils de trois ans, transporté, n'a plus qu'un désir : l'imiter et jouer à son tour. Ses progrès sont rapides et surprennent son entourage. Commence alors l'itinéraire d'un enfant surdoué, que sa passion éloignera progressivement du commun des mortels. De salon en salon, sous le regard d'un père qui ne veut pas en faire un instrument à sa gloire, le jeune Chopin éblouit. On ne l'appelle plus que le petit 'Mozart'. Il surprend jusqu'au grand-duc Constantin, frère du tsar Nicolas. Ainsi peut-on lire dans le journal de Varsovie : "Sur notre terre aussi naissent des génies. Même la tsarine Maria Fiodorovna vient lui rendre visite dans sa classe de lycée." 
 
Lors de ses séjours à la campagne, il s'émeut du folklore polonais et en interprète les thèmes au piano, élevant ainsi à l' universel ces inspirations populaires. L'un de ses élèves dira un jour que Chopin a mis la Pologne en musique. Mais bientôt il se rapproche des milieux  progressistes et se refuse à jouer devant la famille royale. Sa volonté d'être libre le contraint à l'exil, décision d'autant plus difficile à prendre pour une nature aussi sensible que la sienne et attachée au milieu familial. Mais Chopin est atteint du mal du siècle, mal d'une génération qui oscille entre langueur et révolte. Le 2 novembre 1830, il quitte la Pologne en pleine insurrection et c'est à Stuttgart, où il a fait étape, qu'il apprend  la chute de Varsovie, écrasée par l'armée russe. Plongé dans le désespoir,  il entend que son oeuvre soit désormais l'expression de cet indicible malheur. "Grâce à lui" - écrira Norwid - " les larmes du peuple polonais dispersées parmi les champs furent rassemblées dans le diadème de l'humanité ".


Lorsqu'il arrive à Paris en septembre 1831, il est persuadé de n'être là que de passage, tant il se sent apatride, mais la capitale française aura le mérite de l'accueillir avec chaleur. Liszt, Hiller, Mendelssohn, Osborne, Berlioz deviennent ses amis et son premier concert à la salle Pleyel est un triomphe. "Paris, c'est tout ce que l'on veut" - écrit-il à sa famille. "A Paris, on peut s'amuser, s'ennuyer, rire, pleurer, faire tout ce qu'il vous plaît ; nul ne vous jette un regard car il y a des milliers de personnes qui y font la même chose et chacune à sa manière".


Très vite, il est admis dans les cercles fermés du faubourg Saint-Germain, où son physique aristocratique et son élégance hautaine ont le goût de plaire. On l'invite partout, partout on le sollicite et on le traite en prince, prince de la musique s'entend. Pour vivre, il donne des leçons de piano fort coûteuses - car il faut tenir son rang - à des jeunes filles qui s'amourachent de lui. Et puis sa musique, ses improvisations brillantes, sa courtoisie font merveille sur cette intelligentsia dorée. Si bien que ce milieu sulfureux, où seul l'art est sacré, finit par le séduire. N'y croise-t-il pas des personnalités qui ont pour noms Delacroix, le marquis de Custine, George Sand, dont les carnets d'adresses ont l'avantage de vous ouvrir les portes les plus hermétiques ?  George Sand ne tarde pas à le prier de venir la rejoindre à Nohant, en compagnie de Liszt et de Marie d'Agoult qui ont chez elle leurs habitudes. Sentant qu'il risque fort de devenir la proie de celle qui scandalise les parents de ses élèves, il décline l'invitation, avant d'y céder, bien entendu...


Sand sera, du moins dans les premiers temps, une mère pour lui. Un mère certes captatrice, mais qui va le protéger, le soigner, le chérir, et lui permettre de travailler, car si il y a quelque chose que l'écrivain respecte, c'est bien la créativité. Elle sera donc une protectrice tyrannique et éclairée. Dans l'utopie de leur idylle, ils partent à Majorque, pensant que la douceur du climat sera bénéfique à la santé fragile du musicien. Hélas, l'hiver 1838 -39  sera particulièrement froid et la Chartreuse de Valldemosa  peu confortable. George est dépitée et Chopin croit un moment mourir en terre espagnole. Mais il compose néanmoins dans cet isolement oppressant quelques-unes de ses plus belles oeuvres : les 24 préludes. Pendant ce temps, Sand gratte du papier, comme elle le fait en permanence, ayant la plume aussi altière qu'expansive. Et elle confie à propos de son compagnon d'infortune : " Ce Chopin est un ange, sa bonté, sa tendresse et sa patience m'inquiètent quelquefois, je m'imagine que c'est une organisation trop fine, trop exquise et trop parfaite pour vivre longtemps ".
 

Rentrés en France,  leur vie reprend son cours normal. Sand reçoit et  rédige lettres, articles, romans, contes, tandis que Chopin passe des heures devant son clavier, corrigeant  les morceaux, qu'il improvise avec une surprenante facilité, mais qu'il ne cesse de reprendre, de retravailler, étant envers lui-même d'une exigence implacable. Ce travail, qu'il assume dans un état de constante inquiétude, l'épuise et Sand se lasse peu à peu de le sentir si peu disponible et de vivre à ses côtés un amour de plus en plus chaste. " Je dois travailler - lui dit-il - je dois tirer des mazurkas de ce coeur déchiré ".

 
" Une affection si élevée devait se briser, et non s'user dans des combats indignes d'elle " - confiera-t-elle. Mère, Sand veut bien l'être, nonne, certes pas. " Il y a sept ans que je vis comme une vierge avec lui " - se plaint-elle. La rupture s'avère inévitable et se fera en juillet 1847, après neuf années de vie commune. Sand, dotée d'une solide santé, s'en remettra, Chopin, non. A partir de ce moment, la sienne ne cessera plus de s'altérer. Il a loué un appartement à Paris et repris, pour vivre, ses leçons de piano. Un voyage en Angleterre en 1848, avec deux de ses élèves, achève de consumer le peu de force qu'il lui reste. Au retour, il s'alite et ne se relèvera plus. " Lui - se souvient Norwid - dans l'ombre du grand lit à rideaux, appuyé aux oreillers, enveloppé d'un châle, était beau comme il l'avait toujours été dans les plus simples attitudes de la vie. Il avait ce quelque chose d'achevé, de monumental, que l'aristocratie athénienne aurait pu entourer d'un culte à la meilleure époque de la civilisation grecque. (...) Chaque fois et en quelque circonstance que j'aie rencontré Chopin, j'ai trouvé en lui cette perfection d'apothéose " .

 

Il s'éteindra le 17 octobre 1849, laissant derrière lui la plus belle oeuvre jamais écrite pour le piano et deux admirables concertos. Celui en fa mineur, opus 21, composé en 1829, dont l'adagio fut rédigé à l'intention de la jeune chanteuse varsovienne Konstanaja Gladkowska et l'ensemble dédié à la comtesse Delphine Potocka. Et le concerto en mi mineur, opus 11, composé en 1830, dont la première eut lieu le 11 octobre de la même année, à Varsovie, lors du concert d'adieu du musicien à son pays natal. Ce concert ne remporta pas le succès escompté, la capitale polonaise étant déjà en proie à l'effervescence suscitée par l'invasion russe.

 
 

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george-sand-maison-de-nohant.jpg Nohant, la maison de George Sand

 

 

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11 mars 2015 3 11 /03 /mars /2015 10:18
Je suis fou de toi - Le grand amour de Paul Valéry de Dominique Bona
Le 11, rue de l'Assomption et le château de Beduer
Le 11, rue de l'Assomption et le château de Beduer

Le 11, rue de l'Assomption et le château de Beduer

 

Ce livre en étonnera plus d’un parmi les admirateurs de Paul Valéry car l’ouvrage de la biographe/académicienne Dominique Bona sous le titre « Je suis fou de toi – Le grand amour de Paul Valéry » est l’histoire romanesque et douloureuse de l’amour impossible qui lia durant  5 ans  le philosophe/poète et une jeune femme de 32 ans sa cadette qu’il rencontra dans un salon et pour laquelle il éprouvera une passion dévorante et ravageuse, un amour fou dont il mourra, oui, vous avez bien lu…un amour brûlant qui consumera et son esprit et son corps. On sort de cette lecture avec des sentiments partagés : d’une part, on se désole qu’un si grand esprit se soit laissé embarquer dans une aventure avec une femme manipulatrice et aventurière et, d’autre part,  on se console en se disant qu’elle lui a inspiré des vers magnifiques et qu’elle a su ranimer la flamme de la poésie qui l’avait un peu quitté. Ainsi, cette femme, qui n’est guère sympathique,  aura-t-elle desservi l’homme mais servi l’art, alors ?

 

Quand Paul Valéry tombe sous son charme, il a déjà 67 ans et occupe dans la République des lettres une place enviable : académicien, professeur au collège de France, probable prix Nobel, écrivain lu et admiré par ses pairs comme le philosophe de la raison, homme éclairé s’il en est, il jouit de tous les prestiges. Aussi imagine-t-on mal ce bel esprit sombrant dans les eaux agitées d’une passion aveugle, alors qu’il est un homme vieillissant, un père de famille irréprochable et un travailleur acharné que l’on sollicite de toutes parts pour des conférences, des préfaces, des articles, des conseils. Un homme qui est une référence intellectuelle et morale. Et chose d’autant plus étonnante qu’à l’âge des premiers emballements amoureux, il s’était juré, après avoir été follement épris d’une femme plus âgée et mère de famille, Madame de Rovira, qu’on ne l’y prendrait plus et qu’il ne perdrait jamais plus la tête pour quelque enchanteresse que ce soit, qu’il s’en tiendrait dorénavant au rationnel et aux seuls pouvoirs de l’intelligence.

 

Bien qu’il ait  aimé à plusieurs reprises, entre autre la poétesse Catherine Pozzi, qui fut pour lui une partenaire intellectuelle de premier plan, mais une femme irascible et terriblement jalouse, il avait toujours conservé les distances nécessaires pour ne pas perturber son havre d’équilibre et de paix, sa famille « une serre de travail aussi favorable que possible » - disait-il, sur laquelle veillait son épouse Jeannie Gobillard, nièce de  Berthe Morisot et cousine germaine de Julie Manet/Rouart, excellente pianiste, qui lui assurait un foyer calme mais néanmoins joyeux autour de leurs trois enfants, équilibre qui lui était nécessaire et qu’il préservera malgré les tentations les plus érotiques. C’est cependant une certaine Jeanne Loviton qui fera sauter ce barrage affectif et démontrera que, hélas !, l’intelligence la plus rationnelle, les aspirations les plus sages, les sentiments les plus tendres peuvent céder lorsque la passion submerge les digues, rompt les amarres. Jeanne entre dans l’existence de Valéry en février 1938. Mais qui est cette jeune femme qui va lui inspirer un tel amour ? Une personne brillante sans nul doute, divorcée, libre, fière, mondaine, qui conduit sa vie avec brio, suscitant au passage bien des passions. Est-elle belle ? Pas vraiment : des yeux à fleur de tête, un long nez, des jambes lourdes mais de l’éclat, de l’entregent, des cheveux drus, un beau sourire, de l’élégance – elle s’habille chez les plus grands couturiers  - et une assurance rarement prise à défaut. Bien que née dans un milieu modeste, de père inconnu, elle a été adoptée à l’âge de dix ans par le mari de sa mère - une petite théâtreuse - qui lui donnera son nom, l’encouragera à faire de bonnes études et lui offrira un métier, des rentes et une belle maison, de même que les conditions nécessaires, après une enfance difficile, pour assumer sa vie avec panache. Et du panache, elle en a !

 

Mariée pendant 9 ans à un écrivain déjà traduit en quinze langues, Pierre Frondaie, auteur de « L’homme à l’hispano », « L’eau du Nil », « Deux fois vingt ans », la jeune avocate découvre en lui un noceur professionnel qui fréquente assidûment le milieu du théâtre, est acteur à ses heures et présente une personnalité à l’opposé de Paul Valéry – que Jeanne ne connait pas encore – épris de poésie pure, volontiers rêveur et mélancolique. Pierre Frondaie a, quant à lui, la séduction chatoyante et se plaît à vivre dans un luxe tapageur. Certes son allure, sa bonne santé, sa virilité en ont fait un auteur en vue, d’autant qu’il n’est pas dépourvu de talent, mais un époux difficile à garder que la jeune femme, exaspérée par ses infidélités, quittera afin de retrouver sa précieuse liberté et son autonomie, d’autant que ce mari volage a l’outrecuidance d’être ombrageux. Toutefois, gagnée par son influence, Jeanne écrira trois romans sous le pseudonyme de Jean Voilier «  Beauté raison majeure », «  Solange de bonne foi » et «  Jours de lumière » édités chez Emile Paul. « Jours de lumière », qu’elle rédige alors qu’elle commence à fréquenter Valéry, sera retenu pour le prix Fémina, grâce à l’influence de ce dernier,  mais sans succès, si bien que, déçue, Jeanne renoncera définitivement à l’écriture pour se consacrer exclusivement à sa tâche d’éditrice aux éditions Domat-Montchrestien, auprès de son père adoptif.

 

Ainsi est-elle libre lorsque le destin la met en présence du philosophe/poète et qu’elle le reçoit dans son ravissant hôtel particulier du 11, rue de l’Assomption. Celle qu’il appellera « Lust » soit désir en allemand, est devenue l’idéal, son idéal, sa déesse qu’il n’hésitera pas à comparer à Héra, l’épouse de Zeus, ce qui flatte évidemment le narcissisme de cette femme ambitieuse. Désormais le besoin qu’il a de la retrouver ne lui laisse plus de répit. Il a soif d’elle, faim d’elle, il est possédé, en état de vénération pour cette femme à l’intelligence pratique, dont la voix est agréable, qui s’assume seule, ne lui fait jamais de scène car elle-même est très occupée, et prend la vie avec optimisme et volupté.

 

Le dimanche devient le jour de « Jeanne ». Un rituel vite établi. Auprès de sa déesse, l’écrivain renoue avec sa vraie nature, légère, aérienne, se laissant aller à une fantaisie  qu’il bride si souvent face aux responsabilités d’un homme de lettres consacré. Jeanne achète alors le château de Béduer où elle recevra le Tout Paris, car cette mondaine aime à être entourée, adulée et a le goût du faste. Valéry ira la rejoindre à deux reprises mais souffre en silence de la savoir trop sollicitée. Entre leurs rencontres, il lui écrit d’innombrables lettres ( plus de mille ) et pas moins de 150 poèmes où les vers irradiés de ferveur font l’éloge de l’incomparable, de l’inspirante, en un chant d’amour total :

 

Puisse ton cœur, ce soir, silencieuse absente,

Te souffler de ces mots dont je t’ai dit plus d’un,

De ces mots dits si près qu’ils prenaient ton parfum

A même ta chair tiède et sur moi trop puissante.

 

En 1939, il lui avoue, célébrant leur communion de corps et d’âme :

 

L’heure de Toi, l’heure de Nous

Ah !... Te le dire à tes genoux,

Puis sur ta bouche tendre fondre

Prendre, joindre, geindre et frémir

Et te sentir toute répondre

Jusqu’au même point de gémir…

Quoi de plus fort, quoi de plus doux

L’heure de Toi, l’heure de Nous ?

  
Lui, qui s’était éloigné de la poésie revient à elle, inspiré par cette muse. Ce seront deux créations ambitieuses, tirées l’une de la mythologie, l’autre de la légende : un Narcisse, puis un Faust ! Et secrètement pour eux seuls les 150 poèmes qui seront vendus avec les 1000 lettres par Jeanne le 2 octobre 1982 à Monte-Carlo et dont le montant s’élèvera à un million et demi de francs, soit l’équivalent de 400.000 euros d’aujourd’hui, somptueux cadeau posthume, publiés de nos jours par les éditions de Fallois sous le titre « Corona & Coronilla. Poèmes à Jean Voilier ». Car Jeanne ne s’embarrasse pas de sentiment et de scrupule. Cette guerrière mène son existence au pas de charge, dans le luxe et les vanités du monde. Ses amants seront nombreux, qu’elle ménage avec habileté et diplomatie, afin qu’aucun d’eux ne sache qu’il n’est pas le seul. Elle éprouvera aussi un amour saphique pour Yvonne Dornès qui sera, tout au long de sa vie, l’amie parfaite et dévouée, Jeanne n’envisageant pas de vivre sans adulation, considérant que l’on se doit d'être à ses genoux comme l’ont été Valéry et son père adoptif Ferdinand Loviton. Giraudoux le sera lui aussi, Malaparte brièvement.

 

La guerre sépare Valéry et sa muse, puis la maladie. Chacun d’eux s’éloignant de Paris durant l’occupation, Valéry à Dinard puis au Mesnil dans la maison de Julie Manet et Jeanne dans son château de Béduer où elle poursuit sa vie brillante comme si de rien n’était. Valérie souffre mille douleurs et jalousies. Il ne sort plus guère, se languit d’elle : «  Tu es sourde à présent et insaisissable ». Le temps passe sans les rapprocher comme le philosophe/poète le souhaiterait. C’est alors que Jeanne lui apprend qu’elle va bientôt épouser l’éditeur Robert Denoël. Coup de grâce. Nous sommes en 1945, Valéry lui écrit encore : « Ma bien-aimée/ Ta bouche tendre/ Fit un poison/ De tout mon sang. »  Il mourra le 20 juillet de la même année…d’amour, dans les bras de sa fidèle épouse Jeannie, après avoir écrit ces derniers mots :

Je connais mon cœur aussi. Il triomphe. Plus fort que tout, que l’esprit, que l’organisme. Voilà le fait. Le plus obscur des faits. Plus fort que le vouloir vivre et le pouvoir comprendre est donc ce sacré C… »

 

Sur ordre du Général de Gaulle, il recevra de grandioses funérailles nationales dans le Paris livré à l’épuration, que Valéry déplorait en homme pacifique, soucieux d’unité. Jeanne fera envoyer une magnifique gerbe de glaïeuls de chez Lachaume et poursuivra une existence encombrée d’ombres. Alors que Valéry sera glorifié, admiré presque comme un saint laïque. Cela l’aurait amusé, lui qui notait pour Jeanne quelques mois avant de s’éteindre : «  Tu sais bien que rien au monde, rien de ce qu’il peut donner ne pesait à mes yeux ce que ta ferveur et ta tendresse m’étaient. Hélas ! »

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

Dominique Bona – Je suis fou de toi – Editions Grasset

 

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Deux soeurs

Berthe Morisot, le femme en noir 

Romain Gary

 

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1 mars 2015 7 01 /03 /mars /2015 09:05
Bonne-Maman, à la veille de son mariage

Bonne-Maman, à la veille de son mariage

Les grands-mères devraient être considérées comme des trésors par chaque famille tant elles sont la courroie de transmission du passé, de l’histoire vivante et vécue. Ne sont-elles pas nos  mémoires et pour cela méritent d’être entourées de tous les égards ! Je n’ai pas eu la chance de connaître mes grands-pères, l’un est mort victime d'une hémorragie cérébrale en 1913, l’autre en 1945 après avoir vu son patrimoine vendu pour la simple raison qu’il n’avait pas de fils pour succéder à des générations d’horticulteurs et d’architectes paysagistes, qui tous s’appelaient Charles, et avaient porté l’art des jardins à un degré incontestable d’excellence. Mais j’ai connu mes deux grands-mères. L’une était douce et effacée, je n’ai malheureusement d’elle que peu de souvenirs, car elle est morte jeune, aussi ai-je principalement celui douloureux de ses obsèques, du cercueil recouvert de fleurs, des larmes de ma tante et de ma mère, et de ma cousine et moi suivant le convoi funèbres à travers les rues de Paris dans nos tristes tenues marines.

 

 

Ma grand-mère paternelle était tout son contraire, une personnalité sans tendresse qui avait su s’imposer très tôt et s’assumer seule après avoir perdu en quelques années son frère, son mari et sa mère. Oui, la famille avait été décimée en moins de 4 ans par les combats de la Grande Guerre et la grippe espagnole. De telles tragédies vous forgeaient des caractères d’acier et une endurance à toute épreuve. A 25 ans, ma bonne-maman avait dû se mettre à travailler, alors qu’elle n’y était pas préparée et, ma foi, s’en était tirée avec panache, ayant eu ensuite une retraite confortable à l’abri du besoin. C’est cette grand-mère-là dont je me souviens : une  urbaine pur jus qui aimait aller au théâtre, avait son abonnement à l’Opéra et à la Comédie française, adorait le jazz et se montrait d’une modernité de bon aloi.  Elle venait à la maison tous les jeudis, c’était alors le jour de congé des enfants, et le déjeuner, une fois terminé, nous passions au salon où cette conteuse me tenait sous le charme pendant des heures. Elle me narrait sa vie à la Belle-Epoque, l’exposition universelle de 1900 où la planète avait paru se réunir toute entière sur les deux rives de la Seine, la fée électricité, la naissance de l’aviation, ses premiers bals,  puis les années tragiques de la guerre, son frère parti au front et mort dès les premiers combats et dont on n’a jamais retrouvé le corps, son mari, de quinze ans son aîné, victime d'un AVC à moins à 40 ans et sa mère, dont les cheveux tombaient jusqu’aux mollets comme l’impératrice Sissi, emportée en 1918 par la grippe espagnole. On passait ensuite à la drôle de guerre, à son angoisse lorsque son fils avait été appelé à son tour sous les drapeaux, les bombardements  des stukas et junkers qui avaient remplacé la grosse bertha, enfin de son garçon ( mon père ) qui ne lui avait donné que des satisfactions et qu’elle couvait d’un œil empli d’admiration. Elle me parlait aussi de de Gaulle traversant Paris, ce Paris libéré qui avait tremblé d’amour et de bonheur et qu’elle avait fêté elle aussi en agitant un drapeau. Avec elle, l’histoire prenait des couleurs, se parait d’intimité, s’inscrivait dans les souvenirs familiaux comme un zeste de nous-même, un roman partagé. Bien qu’elle n’ait jamais été une grand-mère gâteau et consultait mon livret scolaire avec plus de sévérité que mes parents, je l’aimais, je l’écoutais avec attention, elle me distrayait autrement plus que mes camarades d’école qui, encore privées de passé, n’avaient pas grand-chose à dire. Alors que cette grand-mère en était auréolée comme une madone.

 

 

Or, il m’apparaît aujourd’hui que les enfants ont les oreilles moins attentives que les nôtres, que les Anciens, surtout s’ils sont très âgés, ne jouissent plus du même prestige que ceux d’antan, ces sages que l’on entourait de beaucoup de respect et dont on sollicitait les conseils. Reclus, pour la plupart, dans des maisons de retraite, à l’écart des jeunes générations, ils souffrent de solitude et en meurent souvent à petit feu. Aussi, à l'heure où un certain égocentrisme pointe le nez, que soient bénies ces aînées qui dansaient sur les airs des Beatles et d’Elvis Presley, de Sinatra et Nat King Cole, portaient des robes en vichy et des cheveux en choucroute et dont les combats ont assuré une grande part des libertés d’aujourd’hui.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Bonne-maman et son mari peu de temps après leur mariage. Il avait 15 ans de plus qu'elle.

Bonne-maman et son mari peu de temps après leur mariage. Il avait 15 ans de plus qu'elle.

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27 février 2015 5 27 /02 /février /2015 10:27
Proust et les eaux frontalières - les deux côtés de la Recherche

En 1886, après la mort de sa tante Elisabeth ( décrite sous les traits de tante Léonie dans "La Recherche" ), un monde va disparaître pour le jeune Proust, alors âgé de quinze ans. C’est le paradis perdu de sa petite enfance, le jardin du Pré Catelan que son oncle Jules Amiot, horticulteur à ses heures perdues, avait dessiné et réalisé, et où il l’emmenait se promener parmi les myosotis, les volubilis, les buis et les catalpas, l’adieu aux aubépines, à la Vivonne et à ses nymphéas, aux lilas de Tansonville, à l’étang couleur d’opale, au potager de Françoise, aux déjeuners du samedi où l’on cuisinait un bon morceau de veau, aux heures de lecture solitaires qui lui faisaient éprouver les joies et les infortunes des personnages des romans ; c’était également l’adieu à un royaume dont il avait dressé la topographie et où l’élément frontière, représenté par les eaux du Loir devenues la Vivonne, séparait non plus la Beauce du Perche mais des contrées, ou plutôt des pays imaginés et dont l’importance était amplifiée par l’enfant.
 

 

L’un de ces côtés était celui de M. Swann, que les parents du narrateur ne voyaient plus guère depuis qu’il avait épousé une personne qui n’était pas de sa condition, une de ces femmes entretenues qui aimait à se faire remarquer avec son équipage avenue du Bois et que Swann avait connue dans le salon de Mme Verdurin. Cette cocotte allait cependant devenir son amour, celui pour lequel il sacrifierait sa réputation, sa position sociale, sa notoriété, peut-être même sa vocation, préfigurant ce qui serait advenu de Marcel s’il s’était laissé déborder par ses tentations et ses faiblesses. Le personnage attachant de Swann, amateur d’art, homme fin et délicat, d’un goût exquis, certes mondain mais intelligent, cultivé, raffiné, élégant, est lié au thème de la souffrance amoureuse que, plus tard, le narrateur connaîtra avec Albertine. Mais Swann est surtout celui que l’auteur charge de ses fautes et de ses irrésolutions, il est le reflet de ce que lui renvoyait de lui-même le regard de sa mère, et plus encore celui de son père que navrait son dilettantisme. Swann, c’est l’homme Proust avant la naissance de l’écrivain Proust, attaché à des amours qui ne sont pas de sa nature, à des plaisirs qui ne sont pas de sa condition, à une indolence et à une paresse qui sont indignes de ses aptitudes. Le narrateur fait travailler Charles Swann à une étude sur Vermeer qu’il ne parvient pas à terminer, comme lui-même n’avait  su achever son «Jean Santeuil », écrit à la hâte et jamais relu.
 

 

« Le côté de chez Swann » est, en quelque sorte, le côté familial de l’auteur, celui de son enfance, de la première apparition de Gilberte, la fille de Charles et d’Odette dans le parc de Tansonville, et dont le prénom – lors de cette rencontre – lui est révélé par «la dame en blanc», qui n’est autre que sa mère l’appelant par-dessus la haie de jasmin et de giroflées. C’est le côté qui lui inspire ses premiers émois, ses premiers désirs, celui, par exemple, de serrer dans ses bras une jeune paysanne aux joues fraîches ; c’est la maison de Montjouvain dans laquelle s’installe Mademoiselle Vinteuil qui conduit son buggy à trop vive allure, les rencontres avec M. Vinteuil, son père, le musicien génial et méconnu qui vit un véritable chemin de croix entre sa fille aux mœurs douteuses et les leçons qu’il donne en tant que professeur sans ressources, si bien qu’il n’a pas même le loisir de transcrire au net les œuvres de sa vieillesse qui seront fatalement condamnées à l’oubli. C’est encore le petit village de Roussainville qui sculpte sur le ciel "le relief de ses arêtes blanches", le peuplier de la rue Perchamps adressant à l’orage des supplications, le porche de Saint-André-des-Champs avec ses saints et ses patriarches, c’est enfin la mare de Montjouvain où le narrateur aime voir se refléter le toit de tuiles de la maison voisine. Dans "La Recherche", le mot mare n’est employé qu’ici, lié étrangement à l’évocation du lieu où demeure Mademoiselle Vinteuil. Cette jeune fille vient de perdre son père, l’organiste du village, le professeur besogneux, lorsque le jeune Proust, venu se promener seul et s’étant endormi dans le buisson d’un talus qui dominait la maison, est subitement le témoin involontaire d’une scène marquante dans le roman, celle où Mademoiselle Vinteuil, en compagnie d’une amie, se livre à des ébats saphiques, puis laisse son amie cracher sur le portrait du vieil homme en proférant des obscénités.

 

« Certes dans les habitudes de Melle Vinteuil l’apparence du mal était si entière qu’on aurait eu de la peine à la rencontrer réalisée à ce degré de perfection ailleurs que chez un sadique » - écrit le narrateur dans « Du côté de chez Swann ».
 

 

Le mot est lâché : sadisme, noirceur, vice, deuil, tout est noir dans ce passage où l’adolescent nous découvre la pente ténébreuse de ce côté de Méséglise. Ainsi la mal est-il présent au cœur même de ce paradis enfantin, au bord du chemin fleuri d’églantiers où, au-dessus de la barrière blanche qui ceint le parc de Tansonville, embaument les lilas. Toutefois, le mal, bien qu’il ne soit jamais éludé, n’est autre pour Proust que l’envers du bien, sa face négative, mais l’homme reste maître de son destin et l’intérêt de la vie réside justement dans son aptitude à progresser et à vaincre ces forces maléfiques qui sont en lui, co-existantes avec celles du bien. La mare est donc évoquée avec ses fonds de vase, ses reflets mornes, eau stagnante qui émet de sinistres plaintes, eau défunte qui suggère un univers englouti et, à la surface de laquelle, peuvent toujours remonter des images imprévues. Cependant, le narrateur prend soin – est-ce là par souci d’esthétisme moral ? – de souligner que la maison et la mare se trouvent un peu à l’écart du sentier que lui et sa famille empruntaient lors de leurs promenades, faisant de ce lieu maudit comme une excroissance, une verrue qui ne parviennent pas à défigurer le paysage familial. Proust parle en connaissance de cause, parce qu’il se sait atteint de deux maux : la paresse et l’attirance pour les jeunes hommes. Ce qu’il appelle et décrit sous le terme "d’inversion", qu’il semble préférer à homosexualité, est secret et intime – le mal aura toujours chez lui une connotation sexuelle – nous sommes loin du mal dépeint par Dostoïevski dans «Crime et châtiment», mais ne le tourmente pas moins cruellement, parce que ce fils, si attaché à ses parents, si pleinement fils qu’il ne sera jamais ni époux, ni père, ne doute pas un instant combien il les afflige. Si le sens du salut enlumine l’œuvre, c’est que la notion de faute y tient une place capitale. Proust, mort en 1922, n’a pas eu connaissance des camps d’extermination nazis, ni des goulags communistes, entreprises criminelles si effroyables qu’elles plaquent sur le XXe siècle un masque terrifiant. Nous sommes en droit de nous interroger sur les répercussions que de tels événements n’auraient pu manquer d’avoir sur un écrivain de cette sensibilité et à quelles descriptions apocalyptiques il aurait été enclin à se livrer pour exprimer cette horreur et tenter d’en comprendre les raisons. Sans nul doute, sa vision du mal s’en serait aggravée. Mais en ces années 1890-1914, le mal analysé dans "La Recherche" est lié principalement à la décadence, celle des mœurs d’une société saturée de bienfaits. Néanmoins, alors que la première guerre mondiale oppose l’Allemagne  à la France, l’auteur soucieux d’inscrire son œuvre dans l’Histoire ne manque pas de décrire le Paris de l’époque, l’atmosphère qui y règne, au point de comparer la capitale livrée aux tirs des canons ennemis à Pompéi en ses dernières heures. Il fait également allusion aux raides des Zeppelins, aux clairons qui ne sont pas tous pour la parade, aux vols des premiers avions militaires semblables à des constellations, aux pénuries d’essence, aux rares taxis qui circulent encore dans la nuit et aux militaires en permission qui animent les quelques bars ouverts, seuls points lumineux de la ville dans un océan de pénombre. Plus tard, on apprendra comment le neveu de M. de Charlus, Robert de Saint-Loup, mourra  avec courage à la tête de sa section et, avec quel esprit d’abnégation, des petits gars dévoyés iront au feu avec panache et offriront leur jeunesse aux balles ennemies par amour de leur nation, agissant de façon telle que leur rédemption est assurée par le don de leur vie.

 

Mais, revenons à Mademoiselle Vinteuil qui va également, comme les petits gars dévoyés qui partaient au feu, avoir sa rédemption, et à son amie profanant dans la petite maison sise au bord de l’eau d’une mare putride, le souvenir d’un père, cependant adoré, qu’elles vont ensemble, en proie à des pulsions incontrôlables, comme une malédiction, ravaler et souiller. Ce n’est que beaucoup plus tard que cette histoire sordide prendra tout son sens et, ainsi qu’une lueur rose se réfléchissant parfois dans la mare, une lumière sanctifiante va apparaître et traverser les épaisses ténèbres dans lesquelles les jeunes filles semblaient s’être plongées avec une volupté coupable. Ce sont elles qui finiront par déchiffrer les notations quasi illisibles de la fameuse sonate que Vinteuil avait laissée comme son chef-d’œuvre le plus pur.  Ainsi le pire peut-il produire le meilleur, les mauvais arbres donner de bons fruits, le salut naître de l’espérance.
 

 

L’autre côté est celui de Guermantes et il est tout différent. Celui de Swann avait le parfum des choses connues, aimées, choisies, il était emprunt d’abandon, alors que le côté de Guermantes est d’autre nature ; il ouvre sur l’inconnu, l’inatteignable, l’envoûtant et laisse longtemps persister dans le cœur son oppressante fascination. Qu’est-il donc, en définitive, pour l’enfant Proust ce côté de Guermantes ? Ce sera, porté à son paroxysme, celui de la transgression. Trois personnages vont tenir des rôles déterminants dans un milieu aristocratique que Proust va nous décrire avec une drôlerie, une verve, un regard froid d’entomologiste qui feront merveille. Ces personnages ne cesseront d’ailleurs de musarder tout au long de "La Recherche" jusqu’à la scène finale du "Temps Retrouvé" où le narrateur assiste, dans l’hôtel particulier des Guermantes, à une matinée donnée par la princesse : ce sont Charlus, de son prénom Palamède, la duchesse Oriane et Robert de Saint-Loup,  tous pointilleux quant à leurs préséances. Il n’en demeure pas moins que le côté de Guermantes procède du côté de Swann, car sans Charles Swann, le narrateur n’aurait pas fait la connaissance de Saint-Loup et de M. de Charlus et, par eux, de la duchesse de Guermantes. Swann et Charlus dominent le roman et se voient chargés des remords du narrateur. A travers Swann, Proust se reproche le temps perdu à des frivolités et montre du doigt son inconstance, sa paresse, son dilettantisme ; à travers Charlus, il stigmatise de façon terrible, presque dantesque, la faiblesse de la chair et son inversion. Par ailleurs «Le côté de Guermantes» développe deux idées fortes qui conduiront le narrateur à l’admirable conclusion du «Temps retrouvé». La première est que chaque principe héberge potentiellement son contraire ; la seconde, qu’il existe dans la société parisienne une véritable frontière ou mieux un barrage idéologique entre les milieux sociaux. C’est pour cette raison que l’enfant Proust considérait les deux côtés comme inconciliables et qu’il notait que prendre par Guermantes pour aller à Méséglise lui semblait être une expression aussi dénuée de sens que prendre par l’est pour aller à l’ouest. Ce n’était pas une simple rivière qui séparait l’un des côtés de l’autre, mais un fleuve immense qui, hors de la présence du Pont-Vieux, devait être impossible à franchir parce qu’agité de redoutables tourbillons. Il est vrai que tout parait plus grand que nature au regard d’un enfant et que l’adulte est souvent surpris de découvrir, quelques années plus tard, les modestes proportions de ce qu’il croyait être un château, un parc, une montagne.
 

 

Le souvenir se serait-il perdu en même temps que la réalité qui l’avait initié ? Le passé, réactualisé par la vision des paysages d’antan, ne semble pas bénéficier du même pouvoir d’évocation que la réminiscence capable de faire surgir d’une simple tasse de thé les nymphéas de la Vivonne et les bonnes gens du village et tout Combray et ses environs, enveloppant le souvenir dans une subjectivité empreinte de poésie, un peu de la même façon que la réminiscence platonicienne qui est la ressouvenance d’une connaissance acquise dans une vie antérieure, lorsque l’âme avait accès au monde sensible des essences et était en prise directe avec les Idées. Plus grand-chose ne sépare désormais le côté de chez Swann et le côté de Guermantes, et la Vivonne, qui apparaissait infranchissable à l’enfant, semble à l’adulte restreinte et banale. A ces eaux étroites succéderont des eaux marines, parfois violentes, puis des eaux mêlées, parfois troubles. Le miroitement baroque obtenu par le mélange des genres, des types, des thèmes, des rapprochements insolites, des hyperboles, voit se brouiller sous nos yeux les règles les mieux établies, et nous convainc du peu de réalité d’un monde sapé par l’inconstance. En définitive, rien ne dure, sinon l’art, ce germe d’éternité propre à féconder un surréel où les hommes tendent éperdument à se rejoindre et à se rassembler. Car l'eau ne se contemple pas seulement dans ses reflets mais dans sa profondeur. Nous n'avons plus affaire à la vision active qui éclaire ce qu'elle souhaite voir, mais à la vision volontaire où entre une grande part de subjectivité. La nature paraît elle-même s'ordonner autour de ses rives comme un immense jardin, s'en faire le miroir réfléchissant, l'oeil transfigurateur, celui qui change la vue en vision.
 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE  ( extraits de mon ouvrage  « Proust et le miroir des eaux » )

 

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Marcel Proust et l'Eau-mère
 

Proust et les eaux marines

 

Proust et les eaux familiales

 

Marcel Proust ou les eaux troubles

 

Proust et les eaux réfléchissantes

 

 

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25 février 2015 3 25 /02 /février /2015 10:20

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Il m'arrive de me demander si les Français aiment leur pays comme il le mérite. Cette France que chantait le doux poète Charles d'Orléans, lorsque prisonnier des Anglais, lors de la guerre de Cent ans, il soupirait : " De revoir France que mon coeur aimer doit " ou que Joachim du Bellay louait, lorsqu'il en était éloigné, en ces termes amoureux :  " La mère des arts, des armes et des lois, / Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle : / Ores, comme un agneau que sa nourrice appelle, / Je remplis de ton nom les antres et les bois ". Il est vrai qu'il y a quelques raisons à se laisser désenchanter par les déboires politiques actuels, l'aggravation du chômage, la vie chère, la perte d'influence de notre pays sur la scène internationale. Mais n'est-ce pas à nous de redresser la tête et de ne pas nous laisser accabler par une actualité peu souriante ? De tout temps, nos aïeux ont connu de dures épreuves et ont fait en sorte de redresser la barre, de recouvrer l'espérance.

Oui, cette France éternelle qui va de Du Guesclin, à Saint Louis, à Jeanne la pucelle, au fringant François Ier qui la couvrit de châteaux et eut l'intelligence d'y inviter Léonard de Vinci, au bon roi Henri IV et de sa poule au pot au solaire Louis XIV qui en fit, durant 72 ans, le royaume le plus admiré du monde, nous ne manquons pas de repères pour enfiévrer notre imagination et honorer une histoire qui de la Chanson de Roland à nos jours  vit notre patrie à la pointe des plus belles réalisations humaines. Artistes, savants, explorateurs, ingénieurs, maréchaux l'ont couverte de gloire et aidé à garder la tête haute aux heures les plus sombres de son destin. Et au-delà même de son histoire, elle est sans nul doute la nation la plus séduisante du monde. Une sorte de condensé à l'harmonie irréprochable de ce que la nature peut réaliser de plus pittoresque et de plus spectaculaire.


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Du nord au sud, les paysages se succèdent et s'accordent en une diversité qui ne cesse de surprendre : collines et vallons, gorges profondes, hautes futaies, villages en nids d'aigle, fleuves langoureux, calanques rubescentes, plateaux abrupts, cimes inviolées, lacs d'émeraude ; des montagnes les plus hautes au littoral le plus découpé, elle peut tour à tour évoquer l'Amérique ou le Tibet, l'Australie ou le Brésil, patchwork qui semble résumer à lui seul la terre entière.

Oui, je me pose souvent la question de savoir si nous sommes conscients de demeurer dans un pays béni des dieux qui n'ont pas lésiné à lui allouer une terre féconde, une façade maritime unique, des fleuves majestueux et permis que, comme la femme la plus belle et la mieux parée, elle ne soit jamais ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. C'est d'ailleurs pourquoi elle est si appréciée des visiteurs qui, débarquant sur ses rives ou traversant ses frontières, découvrent émerveillés un territoire somptueux et un art de vivre inégalé.


" Bois de chênes et tournesols, prés verdoyants et vignobles, la France est un rêve merveilleux " - écrit William Boyd, l'auteur britannique qui, après avoir découvert la France à l'âge de 17 ans, vit désormais une partie de l'année à Bergerac. Même enthousiasme chez Kenzo, le couturier japonais, qui se dit impressionné par la création française et son art de vivre ; chez l'actrice Kristin Scott Thomas qui a choisi d'épouser l'un des nôtres (un médecin en l'occurrence ), afin de quitter Londres pour Paris et la rue Saint-Benoît. Ou encore chez William Christie, chef d'orchestre franco-américain, pour qui la France est la quintessence du raffinement, alors que Peter Mayle, autre écrivain britannique, compare l'Hexagone à une femme choquante de beauté après qu'il ait assisté à un coucher de soleil au-dessus de Gordes dans le Lubéron. C'était beau comme la ville rose de Petra - avoua-t-il.

 

Hédonistes pour les uns, ingénieux pour les autres, bons vivants mais performants pour la plupart, les Français font des envieux et la France, que nous aimons trop souvent avec distraction ou désinvolture, est à leurs yeux, sans doute plus amoureux que les nôtres, un bijou précieux. Ne l'oublions jamais et remercions ces dieux de s'être montrés si généreux à notre égard. Doulce France !

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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1280599506_roussillon-village2__wince_.jpg     Village de Roussillon

 

1280594925_calanques_de_piana1__wince_.jpg      Les Calanques

 

 

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18 février 2015 3 18 /02 /février /2015 10:55
La confusion des valeurs met-elle le monde en péril ?

Dans quelques décennies, lorsque des penseurs analyseront notre époque, en dehors des avancées positives de la science, sans doute parviendront-ils à la conclusion suivante : que nous avons pratiqué à l'envi la confusion.
 

Et pourquoi ne pas l'admettre dès aujourd'hui,  en favorisant les idéologies  de toutes sortes et en abandonnant peu à peu nos valeurs et nos convictions, nous avons perdu  notre autonomie et notre force au point de gommer jusqu'à notre propre identité. Ceux qui s'y refusent sont traités de passéistes et de ringards et dûment moqués et ridiculisés. Je n'en veux pour preuve que l'aspiration à une politique mondialiste qui sous-entendrait une gouvernance planétaire, et à celle de l'homme nouveau qui déboucherait sur la promotion de l'homme standard, visant à la suppression progressive  de l'identité ethnique, religieuse et nationale. De même que les flux migratoires sont favorisés et parfois provoqués par des guerres indignes, dans le souci d'effacer ou de modifier le visage particulier et l'histoire fondatrice et formatrice de chaque pays. 


Plus de pays, plus de races, plus de cultures identitaires, plus d'individualité. A l'histoire serait préférée l'idéologie, à la religion, l'occultisme et l'ésotérisme, au patrimoine national, celui informel et universel qui, en appartenant à tous, n'appartiendrait à aucun. En quelque sorte, unifier, robotiser, simplifier, déshumaniser, niveler ; l'utopie parfaite de l'égalitarisme meurtrier.


Il faut reconnaître que l'homme a souvent eu ces sortes de folies. A une certaine époque, il eut le culte du surhomme et l'on sait  où cela a conduit. De nos jours, on envisagerait plus volontiers l'avènement du sous-homme, c'est-à-dire de l'homme réduit à sa plus simple expression, l'homme du supermarché, de la mal-bouffe, du prêt-à-penser, masse indistincte et consommatrice, manipulée et asservie par la synarchie du nouvel ordre mondial, déjà à l'œuvre, et qui sait fort bien nous désinformer, nous décerveler, nous orienter, nous endoctriner en nous faisant baigner à l’envie dans la violence, la drogue, le sexe, le consumérisme, soit la sous-culture. Croyez-moi, ils sauront nous dire ce que nous voulons entendre afin de mieux nous persuader de ce qu'ils veulent nous dire. Il suffit de remodeler nos consciences de façon à ce que cette nomenklatura, chapeautée par la Haute Finance et les Multi-Nationales, nous impose les nouveaux archétypes de la production mondiale, contrôlant, dans la foulée, ce qui a trait à la recherche, l'exploitation, la répartition des produits et matières premières  sur l'étendue de la planète.

  

En écrivant le mot planète, je ne peux m'empêcher d'y associer, par la force des choses, celui de planification. Mot aussi inquiétant que celui d'uniformisation. Cauchemar, peut-être, mais cauchemar plausible, envisagé d'ores et déjà par les hautes sphères qui détiennent les puissances de l'argent et, par voie de conséquence, le pouvoir temporel, principalement celui de manipuler l'opinion publique, proposant des styles de vie, lançant des modes, des slogans, créant des goûts, des habitudes et des modèles, suscitant des engouements, nous enlisant sous un flot d'informations dérisoires, sorte de bruit de fond continu capable d'occulter les vraies informations et nous condamnant à consentir ou à pâtir. Dictature douce, puis progressivement dure, où toute consultation des peuples sera exclue. De quelle année date notre dernier référendum qui, d’ailleurs, a été détourné ?


Et ce monde de demain, ou d'après-demain, taillé sur un modèle uniforme, quel sera-t-il ? Sans la pluralité des nations, des peuples, des coutumes, des croyances, des traditions, des styles, qu'adviendra-t-il ? Si l'Europe n'était plus l'Europe, ni l'Afrique, l'Afrique, ni les Amériques les Amériques, qu'est-ce qui nous dépayserait, nous enchanterait, nous captiverait ? Si de Singapour à Valparaiso, il y avait les mêmes usages, la même architecture, les mêmes modes, la même culture, c'est-à-dire plus de culture...la monotonie serait le sens commun et la mort du désir.

 

Et ne sourions pas. L'homme est sujet à des divagations de ce genre. La démence du pouvoir en a conduit plus d'un au bord du gouffre. Lorsque le bon sens nous quitte et que nous nous laissons gagner par la confusion des valeurs, les utopies les plus extravagantes peuvent séduire les esprits. Aussi ressaisissons-nous, les peuples ont encore leur mot à dire. Soyons des veilleurs attentifs, faisons appel à notre discernement, une valeur sûre, celle-là. A l'heure où notre environnement est en danger, nos nations en péril, la pauvreté omniprésente, des populations hagardes aux portes de nos frontières, les guerres en pleine expansion, nos équilibres de plus en plus instables, ce qu'il convient d'envisager, ce n'est pas de changer le monde mais de le sauver, en comprenant que le pire serait notre incapacité à réfléchir et à laisser l'émotion disposer de la raison.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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14 février 2015 6 14 /02 /février /2015 09:03
Stances à la bien-aimée

 

Maintenant que tu m’as quitté,
je vais te célébrer ô ma beauté,
mon épouse, ma bien- aimée,
de mon amer exil, je vais louer la grâce
dont je suis habité.
Mon chant sera mon effusion.
Par lui, j’accéderai à l’ultime langage
des anges et des étoiles
et toi, ma compagne, seras seule à comprendre
leurs mystiques fusions
et l'éther me rendra plus suave sa musique.
Voilà que devant moi l’horizon s’élargit,
que de multiples sphères déroulent leurs anneaux,
que l’espace se dévoile et s’ouvre et s’agrandit,
que j’entends murmurer de si étranges mots !
La poésie est devenue ma terre promise.
Elle fleurit sous mes pas.
Voyez les lys blancs et les jaunes narcisses
et voyez le feuillage de ce kaïcedrat !
Ma muse s’approche et me conduit,
vers quelle rémanence, vers quelle théophanie ?
D'elle s'exhale une douce,
une très douce odeur de pluie.
Et ce chemin qui va entre lilas et buis
où nous mènera-t-il ?
Vers quelle île de lumière, vers quel paradis ?
Mon chant a sur mes lèvres un goût de miel.

 


Je t’ai couchée ce soir dans ma mémoire
et ton sommeil oscille, douce lumière qui veille.
Tes paupières ont enclos l’infini sous leurs ailes,
je me délecte à la seule vue de ta beauté.
Sur ma vie, tu règnes plus faste qu’un été,
irradiant de fraîcheur une terre assoiffée.
Songeuse, tourne un peu ton visage.
Mais tu dors ? Oui, repose, qu’à tes pieds
je puisse, sans te faire de tort,
déposer mes présents de pure gratuité.
Quelle force tranquille a usé l'impatience
jusqu'à sa trame la plus intime,
qui a joint la tunique d'un seul fil-à-fil ?
Je ne connais plus la couleur de tes yeux,
ouvre-les un instant, un instant pour nous seuls,
que je m’y perde un peu et que je me souvienne.
Ton regard, rends-le moi, l’éternité y coule
lentement ses eaux bleues.
O ma femme, mon aimée,
pour un pacte d’amour qui n’a plus de durée,
je romps le cercle de servitude
où notre histoire s’enlise et où l’ingratitude
cueille les fleurs pauvres de l’infidélité.
Vers quelle source obscure en moi-même supposée
remonterai-je en vain ?
Quelque chose se déchire, se brise à tout jamais,
une écluse relève ses vannes de tristesse
et libère mon être d'un trop plein de pensée.

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

(Le Chant de Malabata – extraits de STANCES )

 

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30 janvier 2015 5 30 /01 /janvier /2015 11:16
11-15 rue de Constantinople

11-15 rue de Constantinople

Il y a cent ans, le 14 novembre 1913, paraissait le premier tome d' À la recherche du temps perdu, de l'écrivain Marcel Proust. Et c'est cette date symbolique qu'a choisie le bibliophile et propriétaire d'hôtels Jacques Letertre pour inaugurer l'hôtel Swann, à Paris, dédié à l'œuvre romanesque la plus singulière de la littérature française.
 

Rue de Constantinople, derrière la gare Saint-Lazare, l'établissement correspond en partie à ce que fut, au début du siècle dernier, le grand hôtel de l'Europe que fréquentait en voisin Guillaume Apollinaire. Il est également proche du boulevard Haussmann où Proust demeurera après la mort de sa mère en 1905, au numéro 102, et qu’il dût quitter lorsque sa tante mit en vente l’immeuble pour aller finir ses jours rue Hamelin, dans un incontestable inconfort. L’appartement se situait au second étage. C’est là que se trouvait la célèbre chambre tapissée en 1910 de plaques de liège afin d’atténuer les bruits du voisinage. Une grande partie de La Recherche y a été écrite. L’ensemble de l’appartement ne fut jamais aménagé, ce qui fit dire à l’écrivain Oscar Wilde : Que c’est laid chez vous ! En effet, les salons ressemblaient davantage à un garde-meuble qu’à des pièces de réception. Céleste était chargée d’y faire attendre les visiteurs que Marcel Proust acceptait de recevoir, le plus souvent dans son lit. Non loin se trouve le lycée Condorcet où Proust entra en classe de Cinquième en 1882, alors que l’établissement s’appelait encore lycée Fontanes. Dans ce lycée fréquenté par des enfants et adolescents de la bourgeoisie aisée, Marcel fit des études en dents de scie à cause de sa mauvaise santé et de ses absences, mais eut la chance d’avoir en terminale pour professeur Alphonse Darlu qui jouera un rôle décisif dans sa formation philosophique. C’est également avec les élèves de Condorcet qu’il noue des amitiés solides : ils ont pour noms Fernand Gregh, Paul Baignères, Horace Finaly, Robert de Flers, Jacques Bizet et Daniel Halévy. Ensemble, ils collaboreront à deux revues : la Revue de Seconde et la Revue Lilas. Ce quartier de la gare St Lazare et des Grands Boulevards est en quelque sorte le village parisien de l’écrivain. Moins encombré de voitures qu’aujourd’hui, on s’y promenait agréablement à pied ou en calèche, d’autant qu’il était à l’époque, grâce aux travaux colossaux du baron Haussmann, un environnement neuf, fonctionnel et cossu. Durant la guerre de 14/18, Proust fit de longues balades nocturnes dans la capitale livrée aux bombardements de la grosse Bertha, écrivant que  « le ciel ressemblait à une mer qui se retire » ou bien à  « Pompéi sous la lave du Vésuve ».

 

L'hôtel Swann, où l’écrivain est notre hôte imaginaire, compte 82 chambres réparties sur six étages, correspondant chacun à six univers du roman : Combray, Balbec, Faubourg Saint-Germain, Verdurin, Venise, et les peintres (tous mentionnés par Proust).

 

Les quatre-vingt une chambres en étage, car il y en a une quatre-vingt deuxième au rez-de-chaussée, celle du narrateur de La Recherche, portent le nom d'un personnage de l’oeuvre. Ainsi la 101 dédiée à Charles Hass, la 104 à Françoise et la 106 à Odette … Dans chacune d’elles, un texte en français (traduit en anglais), encadré et illustré d’une aquarelle, situe le protagoniste dans "La Recherche". Gravé sur la cloison vitrée des salles de bain, il y a le manuscrit d'une lettre de Proust et, sur les tables de nuit, l'une de ses plus célèbres photographies. Dans l'escalier, qui conduit au rez-de-chaussée, une pièce unique : le mantelet en perles de jais que portait la marquise d'Aligre  (elle est le modèle de Madame de Cambremer), vêtement dans un état de conservation parfait sur lequel Marcel Proust a posé les yeux lorsqu’il croisait la marquise à l’Opéra et qu'il décrit dans Sodome et Gomorrhe. Il a été acquis par Jacques Letertre, il y a deux ans, lors d’une vente aux enchères.

 

Le "lobby" de l'établissement a, quant à lui, été transformé en bibliothèque proustienne de 500 ouvrages (300 titres différents) dans toutes les langues, y compris le lituanien ! Étourdi par tant de «prousteries», on en oublierait presque que l’on se trouve dans un hôtel, si on n’entendait pas certains puristes, devant l'utilisation qui est faite de leur héros, crier au scandale, alors que d'autres, enchantés par cette évocation littéraire qui convie l’œuvre à leur table et dans leur chambre, n'avaient, à ce sujet, aucune raison de réprimer leur satisfaction ou de formuler un mécontentement. Le confort de ce 4 étoiles est, il est vrai, irréprochable : des lits doublés d'un surmatelas, des couettes moelleuses comme des nuages, un mobilier épuré, des éclairages dotés de variateurs, des écrans plats, des bases iPhone et des machines à café Nespresso dans toutes les chambres, voilà bien un confort que n’a pas connu Proust ! Pour autant, l’écrivain n'est jamais bien loin… sur la table de la chambre entre capsules de café ou de crème, le symbole proustien par excellence repose, enveloppé dans sa cellophane… une madeleine!

 

Le "Swann" est le premier hôtel littéraire entièrement consacré à l’écrivain. Au coeur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint-Augustin, il présente une prestigieuse collection d'oeuvres originales sur le romancier dont le souci est de faire découvrir et aimer Proust dans un cadre chaleureux et confortable. Une belle aventure d'une nuit ou plus, une immersion dans l'un des univers les plus exceptionnels de la littérature française. Le" Swann" est unique parce qu'il a été conçu par un amoureux de l'oeuvre, un érudit qui a imaginé cette nouvelle adresse parisienne afin de faire partager sa passion à tous ses visiteurs.

 

Depuis l'hôtel, les itinéraires les plus divers sont permis pour visiter cette capitale que Proust a su à tous moments transfigurer et réinventer et qu’un lecteur averti pourra, en prenant son temps, reconstituer le livre en mains, pèlerinant ainsi dans les dédales des rues, à l’ombre des églises, dans les salons de thé comme celui du Ritz qui vit tant de fois Marcel s’attabler seul ou avec des amis, n’oubliant jamais d’interroger Olivier Dabescat, le maître d’hôtel en chef, qui ouvrit à l’écrivain de nouveaux champs d’investigation sociologique. Interrogé à ce sujet des années plus tard, Dabescat devait confier : « Marcel Proust venait ici de façon très inattendue, cinq fois dans une semaine et disparaissait quinze jours qu’il passait couché, sans jamais que sa fenêtre fût ouverte. J’allais chez lui, plutôt vers minuit. Je restais là jusqu’à 3 ou 4 heures du matin sans m’en apercevoir, car son charme était tel. Il arrivait à vous tirer les vers du nez, et on le regrettait ensuite de lui avoir confié des choses à garder pour soi. Il ne parlait jamais de l’amour et des femmes. C’était un corps usé, un cérébral ; il était tout cerveau. Il n’a pu vivre que par le miracle de son cerveau. Son cerveau a seul soutenu cette chose abîmée, son corps, qu’il n’entretenait plus depuis longtemps qu’avec des litres de café, des litres par jour, surtout dans ces longs espaces où il ne mangeait pas ».

 

L’univers de "La Recherche" se prête particulièrement à ces déambulations au cœur de la capitale, et il est sympathique qu’un hôtel se soit ouvert comme un lieu d’accueil luxueux d’où rayonner dans ceux mythiques qui ont fait d’elle une œuvre d’art littéraire.

 

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Proust vous attend à l'hôtel Swann
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7 janvier 2015 3 07 /01 /janvier /2015 09:54

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On sait que les tortues sont lentes de nature.
Qu'à cela ne tienne, disent-elles,
Si les oiseaux vont à tire d'aile,
Il arrive que nous-mêmes fassions fortune autrement.
Il était donc une tortue qui vivait discrètement.
Son voisin de palier n'était autre qu'un flambeur de goéland.
Tout ce qui lui passait sous le bec, il l'avalait d'un coup sec,
Et se souciait comme d'une guigne des lendemains difficiles.

 

Il arriva qu'une famine tomba inopinément.
Aussitôt notre goéland de se vanter étourdiment
Qu'il irait tenter ailleurs une aventure meilleure.
Dame Tortue s'était tue. Bien lui prit. Voyez comment,
De son pas égal et lent, elle se mit à amasser
Ce qui risquait de lui manquer.
Le goéland, pour sa part, s'usait en mille voyages.
Mais, nenni, de près ou de loin, 
il n'y avait  en vue,  
Pas le moindre festin.

 

Le bougre s'en revint contrit loger auprès de sa voisine,
Espérant, que le destin, lui permettrait de mettre à mal,
Les économies de la dame.

Mais, supputant ces avanies, sous quelques arpents de gazon,
La tortue avait mis à l'abri les précieux fruits de sa moisson.
Elle avait engrangé tant de biens et mené une vie si rangée,
Qu'apprenez qu'elle vécut plus d'une centaine d'années.
Et le goéland ? Pauvre de lui ! Quand la famine fut finie,
Il banqueta tout à loisir et plus que de raison, semble-t-il.
C'est dans un état alarmant que dame Tortue le surprit.
Le soir, le mal s'aggravant, il se coucha sur le côté
Pour ne jamais plus s'envoler.

Ainsi fut-il la victime de son ultime goinfrerie.

 

Pour terminer ce récit, sur une note plus optimiste,
Osons cette conclusion : que ce ne fut pas sans raison,
Mais dans un souci de partage et pour sauver la morale,
Que l'oiseau eut à coeur d'assurer 
Le banquet de son semblable.
Si bien qu'un corbeau qui se trouvait là,
En fit, sans plus d'embarras, son menu de gala.

 


Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 


Cette fable est extraite de mon ouvrage pour enfants : "La ronde des fabliaux"

 

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