Ce livre est en totale phase avec l’actualité qui met souvent en cause les prisons, véritables usines à terroristes. Sylvie Dazy formule un avis sur cette question en regardant les choses de l’intérieur d’une grande prison. Un véritable choc !
Métamorphose d’un crabe
Sylvie Dazy
Ni roman, ni témoignage, ce texte est l’histoire d’un gars qui incarne la vie d’un crabe, d’un maton, d’un gardien de prison, perdant progressivement la petite vie confortable de fonctionnaire qu’il s’est construite à l’ombre des murs de la Santé et l’idéal ethnographique qu’il pensait pouvoir concrétiser au contact des détenus.
Christo, né à Bapaume, à l’ombre du Centre de Détention, titulaire d’une « inutile licence d’anglais », décide de passer le concours de l’administration pénitentiaire car elle semble bien nourrir son homme et que les gardiens de prison de la ville paraissent plutôt heureux quand ils boivent un coup dans les bistrots du centre-ville. Admis au concours, il est affecté à la Santé où il trouve de nombreux « pays » qui l’adoptent vite mais il a du mal à se fondre dans la masse, il est plus intellectuel que les autres, il cherche à comprendre les détenus et leur milieu, il se voudrait l’ethnologue de la Centrale. Aussi, les autres s’éloignent-ils progressivement. Son supérieur lui propose alors de passer le concours de brigadier, qu’il réussit, et devient, en un temps record, un gradé respecté des gardiens comme des détenus.
Absorbé par le prestige dont il est investi à l’ombre des murs de la Santé, il délaisse son épouse, qui l’abandonne, le mettant en difficulté vis-à-vis de ses collègues et surtout des détenus pour qui la perte de la femme est une tare, car en milieu carcéral, « …la femme qui part ne prête pas à rire. C’est l’angoisse de tous les prisonniers : un autre homme est entré dans l’arène, profite de votre faiblesse, et puis plus de linge propre, de visites, de mandats. » Christo se replie de plus en plus sur lui-même avec son indic comme meilleur ami. Et en prison, « Les alliances ici obéissent à des règles simples : du plus fort au plus fort. »
Sylvie Dazy a travaillé elle aussi à la Santé comme éducatrice chargée de la réinsertion des prisonniers, elle connait bien l’étendue de la tâche et tous les pièges qu’elle comporte. Elle cherche à décrire, à travers la destinée de ce crabe, la micro société qui se crée à l’ombre des murs des prisons, notamment de celle de la Santé. A contre-courant des nombreux auteurs, qui dénoncent les difficiles conditions de détention, elle évoque la situation intenable du personnel qui travaille au sein de la prison, la ligne ténue qui sépare le détenu du gardien, la violence qui affecte aussi bien l’un que l’autre, les pressions, le chantage subis des deux côtés des barreaux, l’enfermement qui, parfois, afflige davantage le crabe que le prisonniers. « Toute une grammaire des corps s’apprend à la va-vite, des postures sans dérogation possible font de nous, plus que l’uniforme ou le droguet, un surveillant ou un détenu. »
Outre les détenus et leurs gardiens, il y a beaucoup de monde en prison, beaucoup de gens et de choses circulent. « On vit mal en prison, il y a trop de gens en prison, trop de gens non recensés. Tout le monde s’en fout. On vaque. » Et tout le monde est à la merci d’un dérapage. Ainsi, l’auteure dénonce-t-elle tous les dysfonctionnements du monde carcéral qui transforment des jeunes gens déterminés et idéalistes en maris taciturnes et indifférents... ça sonne tellement juste qu’on a l’impression que l’auteure aurait elle-même partagé un bout d’intimité avec l’un de ces jeunes gens victime de la métamorphose carcérale.
« La taule, c’est la mort des sens. »
Denis BILLAMBOZ
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