
Avec une oeuvre riche d'une trentaine d'ouvrages, de multiples récompenses dont le Nobel 2010 de littérature, une carrière de cinq décades, maints combats politiques et engagements qui vont du tiers-mondiste à l'ultra libéralisme, Mario Vargas Llosa, qui vient de mourir, est un écrivain incontournable de la littérature internationale, traduit dans presque toutes les langues et auteur d'une oeuvre solidement ancrée dans la réalité politique sud-américaine. Cette oeuvre, avait-il avoué devant les jurés de Stockholm - " exalte la résistance de l'individu, de sa révolte à son échec " - et prend sa source au plus intime de son auteur.
Né en 1936 dans la ville d'Arequipa au Pérou, l'écrivain avait passé la plus grande partie de son enfance en Bolivie auprès d'un grand-père qui aura la bonne idée de l'initier à la lecture - " ce qui m'est arrivé de plus important dans ma vie" - confiera Llosa, reconnaissant à cet ancêtre éclairé. Mais en 1948, sa mère avec laquelle il vit - son père étant resté au pays auprès d'une autre femme - s'installe à Piura au Pérou et c'est alors que la figure paternelle réapparait et que ce père inscrit son fils, qui lui semble trop confiné dans son imaginaire, au collège militaire de Leoncia-Prado, où l'adolescent va vivre un véritable enfer. Après cette expérience douloureuse, Llosa prend son destin en main et choisit l'université et des études littéraires pour lesquelles il se sent depuis toujours une vocation. Très vite, encouragé par la lecture de Sartre, il rejoint l'organe clandestin du Parti communiste et devient un militant de gauche qui combat la dictature du général Odria, expérience qui nourrira l'un de ses grands romans "Conversation à la cathédrale". Puis, il part pour l'Europe afin de rédiger sa thèse de doctorat, lit Flaubert, Sartre et Camus, ce dernier l'éloignant progressivement du dogmatisme sartrien. C'est à Paris que naît son amitié pour des écrivains comme le Colombien Gabriel Garcia Marquez, l'Argentin Julio Cortazar et le Mexicain Carlos Fuentes.
Son premier roman "La ville et les chiens" sera publié en 1963, vision sombre du Pérou d'alors à travers la description d'un collège militaire où le jeune homme avait passé tant d'heures difficiles. Ce premier ouvrage sera salué d'emblée par la presse qui le considère d'ores et déjà comme un novateur. Cela grâce à une construction rigoureuse et au don de conteur de Mario Vargas qui sait utiliser à bon escient les techniques modernes. A 30 ans à peine, le voilà salué comme le chef de file de la littérature sud-américaine. Fort de cette notoriété naissante,Vargas se retire quelques années dans son pays natal et y rédige "La maison verte" ( 1966 ), récit touffu qui lui vaut néanmoins son premier prix, l'international de littérature Romulo-Gallegos. C'est à l'occasion de son discours de réception qu' il définit sa conception de la littérature : - "La littérature est feu, cela signifie non-conformisme et rébellion ; la raison d'être de l'écrivain est la protestation, la contradiction et la critique." Il ne dira pas davantage, ni mieux, 43 ans plus tard à Stockholm : - " Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du progrès, n'existerait même pas." -
Lors d'un voyage à Cuba, l'affaire Padilla, du nom d'un poète cubain emprisonné pour ses écrits subversifs contre le totalitarisme de Castro, lui fait prendre conscience de l'anormalité de la situation et le décide à rompre avec son engagement castriste. A la suite de cet événement, sa conscience politique évolue à la faveur de faits marquants, ainsi le Printemps de Prague ( 1968 ), la lecture de "L'Archipel du goulag" de Soljenitsyne ( 1973 ), les analyses politiques d'un Aron et d'un Revel, ces maîtres en lucidité, et il reconnaîtra bien volontiers ses propres erreurs de jugement en écrivant " que l'intelligentsia occidentale semblait alors, par frivolité ou opportunisme, avoir succombé au charme du socialisme soviétique ou, pis encore, au sabbat sanguinaire de la révolution culturelle chinoise." Aveu courageux que tous les acteurs de cet opportunisme ou cet aveuglement n'ont pas formulé.
C'est probablement avec "La guerre de la fin du monde" que Mario Vargas Llosa atteint le sommet de son art romanesque. Pour la première fois, celui qui se définit comme agnostique, aborde un thème religieux et décrit un épisode fascinant que les historiens nomment la guerre des Canudos (1896 -1897), où une poignée de chrétiens défie la République brésilienne et édifie une communauté ascétique, qui n'est pas sans rappeler ce que fut chez nous la guerre de Vendée. De retour au Pérou, l'écrivain quitte l'ambiance feutrée des salons littéraires pour se jeter dans l'arène politique et se confronter aux rudes réalités de son pays alors en pleine déroute économique. Il fonde le mouvement "Liberté" et présentera sa candidature à l'élection présidentielle de 1990. Battu au second tour de scrutin, il s'estime humilié et s'expatrie cette fois définitivement. En 1997, il publie Les Cahiers de Don Rigoterto où il résume sa philosophie au travers de propos tenus par son personnage Ayn Rand : " Tout mouvement qui prétendrait transcender ou reléguer au second plan le combat pour la souveraineté individuelle, en faisant passer d'abord les intérêts de l'élément collectif - classe, race, genre, nation, sexe, ethnie, église, vice ou profession -, ressortirait à mes yeux à une conjuration pour brider encore davantage la liberté humaine déjà bien maltraitée." Profession de foi qu'il reprendra et réaffirmera dans "La fête du bouc" paru en 2000. Ainsi, non content d'être un conteur, un passeur, Mario Vargas Llosa, tout au long d'une oeuvre pleinement engagée, s'est-il voulu porteur de flambeau.
L’écrivain péruvien rejoindra Jean d’Ormesson parmi les auteurs pléiadisés de leur vivant. À 80 ans, il ne boudera pas son plaisir : « La Pléiade, c'est le rêve de toute ma vie d'écrivain. Un miracle français qui me permettra désormais d'être lu en tout temps et dans tous les pays. C'est plus important que le Nobel ». Nobélisé en 2010, il boucle la boucle. Les deux volumes, qui furent publiés dans la célèbre collection, regroupent dans une nouvelle traduction quelques-uns de ses meilleurs romans comme "La Ville et les Chiens" (paru en 1963) et "Conversation à La Cathédrale", tous deux classés parmi les 100 meilleurs romans en espagnol du XXe siècle. Mais aussi "La Fête au Bouc" et "Le Paradis un peu plus loin", qui connurent au tournant des années 2000 d'immenses succès publics en France.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
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