« On a eu notre chance, on l’a gâchée », Renaud Cerqueux semble catégorique, l’humanité pouvait créer un monde idyllique, elle n’a rien fait pour éviter de le précipiter vers son déclin et sa fin probable et plus rapide que beaucoup le pensent.
Afin que rien ne change
Bruno Cerqueux
Dès les deux ou trois premières pages de ce livre, j’ai immédiatement pensé au Baron Empain enlevé en 1978 par des malfrats qui espéraient récupérer une énorme rançon, mais à cette époque Renaud Cerqueux n’était peut-être même pas né. Et pourtant son héros subit le même sort que le célèbre baron belge, propriétaire comme lui d’une immense fortune, enlevé et détenu dans des conditions très pénibles. Mais contrairement au baron, celui qui le séquestre ne cherche nullement à l’échanger contre une rançon, il semble avoir des motifs beaucoup plus politiques, moraux et peut-être même revanchards.
Emmanuel Wynne, le héros de cette triste aventure, est condamné à empiler à longueur de journée des sucres pour faire des tours, des tours qui seront vendues selon le principe qui est utilisé pour vendre les produits parfaitement inutiles qui vident le portefeuille de très nombreux consommateurs sur l’ensemble de la planète. « Nos tours ne servent à rien et ne sont pas données, mais grâce à une campagne marketing savamment orchestrée, adossée à des recherches en neurosciences et à l’analyse de big data, ainsi qu’à la participation grassement rétribuée de quelques célébrités, nous avons réussi à générer une demande, voire un véritable engouement pour nos produits que la clientèle s’arrache ».
Renaud Cerqueux, prolongeant dans ce roman les nouvelles qu’il a publiées début 2016 dans son recueil « Un peu plus bas vers la terre », ne tente pas de raconter l’histoire arrivée à un individu malchanceux mais cherche à démontrer comment le système économique et financier actuel contribue à n’enrichir qu’une très faible partie de la population au détriment de l’autre, au risque même de provoquer un cataclysme définitif plus rapidement que les scientifiques le prévoient. Il explique comment quelques profiteurs dénués de tout scrupule s’enrichissent toujours davantage, quels que soient les régimes politiques qui gouvernent le monde. « Ils ne se salissent jamais les mains. Ils délèguent la violence. Après des années d’hystérie, même le FMI a reconnu que le ruissellement vers le bas des capitaux était un mythe de l’économie néolibérale, que les riches ne font pas le bonheur de tous ».
« Afin que rien ne change » n’est pas un livre pour attirer l’attention des citoyens, les inviter à agir vite, très vite ; non, il semble que son auteur pense qu’il est déjà trop tard, que les dés sont jetés et que les petits-enfants des papas de sa génération subiront les affres des modifications climatiques générés par les abus des générations précédentes sous la houlette des grandes fortunes qui gouvernent la planète. « On a eu notre chance, on l’a gâchée. On a tout foutu en l’air. Après des millions d’années d’évolution, on lutte toujours pour notre survie, comme des bêtes sauvages ». L’espoir semble bien mince de voir reculer l’échéance fatale.
Denis BILLAMBOZ
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