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12 août 2023 6 12 /08 /août /2023 08:31

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                               Saint-Maur et Jean Cocteau                                         

 

Samuel Saint-Maur est né à Bordeaux en 1906 d’un père médecin de campagne dans le Berry et d’une mère décédée jeune. Dès sa plus tendre enfance, il éprouvera une vocation impérieuse, celle de l’art, si bien que cet élève de l’école d’hydrographie, lieutenant au long cours à l’âge de 20 ans, la choisira-t-il bientôt comme voie étroite et chemin aride. Pourquoi ? Sans doute parce que la lecture de Rimbaud vient de le marquer d’un sceau impérissable. Poète, il eut aimé l’être. Mais cette muse n’était pas la sienne. Qu’à cela ne tienne, il sera peintre, alchimiste, poète à ses heures, délivré des amarres, libre. Et il tint promesse. Epris d’espace et d’aventure, dans le sens le plus noble du terme, Saint-Maur ne conçoit l’homme que pétri d’absolu, ange blessé et captif qu’on a, un instant, détourné de son rêve. Aussi l’œuvre conjuguera-t-elle toujours deux impératifs : en cherchant à toucher chacun d’entre nous dans ce qu’il a de plus intime, il tentera de l’atteindre dans ce qu’il a de plus universel.

 

Son père lui ayant coupé les vivres à la suite de sa rupture avec la marine alors qu’il est marié et qu’une petite fille vient de naître, il installe son atelier sur une péniche, la première galerie flottante de Paris et va connaître avec sa jeune femme des années de misère. Celle-ci mourra d’ailleurs d’épuisement peu de temps après la naissance de leur seconde fille. En 1935, Saint-Maur fonde l’association de l’Art Mural, dont il sera le président à vie, de façon à replacer l’artiste au centre de la société, et sera également l’initiateur de la loi du 1%, loi qui ne sera votée qu’après la guerre sous le ministère d’André Malraux et permettra à nombre d'artistes de se voir confier la décoration de bâtiments publics. Par l’art mural, Saint-Maur cherchait à transmettre aux hommes de toutes races et de toutes conditions un message métaphysique grâce à un langage simple et universel. Selon lui, l’art devait être rédempteur et atteindre l’esprit par le cheminement des sens et l’impact de la sensibilité. « Malheureusement - soulignera-t-il - la plupart des artistes ne surent réaliser ce genre de travail, tant ils étaient habitués à la cuisine de la peinture de chevalet ». Déjà, par la rigueur de ses compositions et l’importance des œuvres entreprises, le sculpteur se devinait sous les traits du peintre, mais il faudra attendre encore vingt ans pour que cette seconde vocation se précise. En 1938, devenu veuf, Samuel part pour l’Inde, puis prolongera son séjour en Indochine et en Chine où il sera retenu par la déclaration de guerre de 1939. Ce très long séjour en Asie sera pour lui l’occasion de renouveler l’art de la laque et son inspiration : «  Le dessin chinois étant métaphysique, il suffit à exprimer tous les états d’âme avec un seul trait, ce qui est le summum de l’art graphique. » - écrira-t-il.

 

 

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Ainsi le peintre tend-t-il désormais vers l’épure. A Hanoï, il crée une laquerie et renouvelle cet art millénaire par l’apport de nouveaux pigments au coromandel. Comme l’influence de Rimbaud avait défini l’orientation de sa vie, l’art de la Chine l’initie à un graphisme dépouillé de tout vain bavardage, expression du signe pur et essentiel. Cette période chinoise est certainement l’une des plus sereines de sa vie, celle où son talent s’exprime avec le lyrisme le plus chaleureux et le plus délicat ; il est vrai qu’auprès de ses compagnons chinois ou indochinois, il rencontrait une intuition de l’art extraordinairement précise et juste, et un respect de l’artiste qui le réconfortait.

 

Après avoir été professeur d’histoire de l’art à l’université de Calcutta, il rentre à Paris en 1946 et expose ses laques au musée Cernuschi. En 1949, il participe au 4ème salon de l’Art Mural au Palais des Papes en Avignon. Dès lors, il aborde l’abstraction lyrique, puis constructiviste qui le conduit peu à peu vers la sculpture et la recherche d’un matériau alliant tradition et modernité. Novateur et pionnier, il intègre à l’art les polyesters chargés et colorés qu’il nomme "polybéton", matériau plastique composite qu’il utilise à la manière d’une argile synthétique afin de modeler ou habiller ses structures. Voici que l’alchimiste rentre en symbiose avec l’artiste pour dépasser les limites de son art : fusionner avec la matière afin de mieux la domestiquer. Ainsi le polybéton devient-il sculptures, bas-reliefs, meubles ; la mousse de polyuréthane, sculptures habitables, véhiculant une pensée philosophique et cosmique qui s’articule autour de deux pôles : matière et esprit, énergie et sensibilité, être et univers, l’ensemble souligné par une écriture qui ne cesse de se dépouiller au service d’un message profondément social et humain. C’est en 1969, sur le thème de la Science au service de l’Art qu’il crée en huit jours, devant la télévision, la première sculpture habitable, réalisation qui en surprend plus d’un et sera suivie de conférences et démonstrations aux Etats-Unis, au Canada et au centre Le Corbusier de Zurich. Toujours dans le souci de lier l’art à la vie quotidienne de l’homme et afin de répondre aux besoins urgents des logements par une architecture de consommation, il étudie avec des industriels différents projets de bungalows et d’îles artificielles. Sa grande idée était que l'on puisse adapter son habitat à ses nécéssités propres et que toutes les formes deviennent possibles sans les contraintes inhérentes au béton. Il aura de nombreux imitateurs.

 

 

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Jusqu’à la fin de sa vie, Saint-Maur travaillera sans relâche avec l’application d’un artisan et la fièvre du créateur harcelé par sa création. Il avait élu domicile sur une péniche ancrée près de Louveciennes et y avait érigé son habitacle en polyuréthane que les japonais se plaisaient à photographier. Inventif comme peu d’être le sont, il fut souvent jugé inconstant car il se diversifiait sans doute trop, débordé par son imagination, assailli par ses idées. Au retour d’un séjour aux îles Comores, il sera victime d’une terrible crise de paludisme, paludisme qu’il avait attrapé en Indochine, et décédera le 7 décembre 1979. En un parcours artistique de 60 années, il aura presque tout abordé sans jamais être l’homme d’aucune école : les arts plastiques, les décors de scène, la peinture murale et de chevalet, la calligraphie, la laque, la sculpture, l’architecture dans une œuvre pleine et généreuse et un souci constant d’humanisme.  Cette œuvre qui a su user du vide et de la transparence n’en est pas moins traversée par une formidable énergie. Elle ne cesse de rendre témoignage d’un monde en mutation, d’interpeller notre regard et notre intelligence, de circonvenir nos habitudes, afin de nous conduire à plus de transcendance. Elle est de tous les âges et de tous les lieux et pose toutes les interrogations. A elle s’adressent les paroles du poète Yves Bonnefoy :

 

Regarde, diras-tu, cette pierre.

Elle porte la présence de la mort.

Lampe secrète c’est elle qui brûle sous nos gestes,

Ainsi marchons-nous éclairés.

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Magnifique laque réalisée lorsque Saint-Maur était en Indochine.

Magnifique laque réalisée lorsque Saint-Maur était en Indochine.

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7 août 2023 1 07 /08 /août /2023 08:48
Il voulait peindre la nuit de Paul G. Dulieu

 

Marcel Faureuve, photographe dans une agence de communication sise dans une bourgade à l’est de la Belgique, est remercié avant d’atteindre l’âge de la retraite qui était pourtant assez proche. Il est l’une des victimes de la fameuse transition numérique. Il ne s’insurge pas contre cette mesure, l’accepte et pense au temps dont il va disposer pour s’adonner à sa passion : la peinture. Géraldine, son épouse, repasseuse dans une entreprise spécialisée dans l’entretien du linge, est plus inquiète, elle pense qu’elle va le voir, chaque jour, tourner en rond dans la maison, critiquant tout, laissant ses tableaux qu’elle n’aime pas et son matériel encombrer son espace. Leur couple se délite de jour en jour, Marcel n’aime plus sa femme, ou bien peu, et se concentre sur sa peinture à laquelle il s’adonne chaque nuit parce qu'il veut peindre la nuit avec ses différentes intensités de noir et les étoiles lorsqu'elles sont visibles. 

 

Géraldine, se détachant de plus en plus de son mari, finit par céder aux avances d’un géomètre, délaissé lui aussi par son épouse, qui lui confiait ses chemises comme client de la société et voudrait désormais lui proposer un statut plus intime, loin de son mari qui ne l’aime plus et ne la respecte même pas. Aussi décide-t-elle de quitter Marcel après avoir passé tout un week-end avec son amant. Il l’a reçue durement lorsqu’elle est rentrée, aussi a-t-elle bouclé ses valises pour rejoindre l'homme qu'elle aime désormais. "Alors il avait conscience d’être congédié de son entreprise, éconduit de sa relation avec Géraldine", relégué au rang de quantité négligeable.

 

C’est l’histoire de nombreux couples qui, lorsque les enfants sont élevés et entrés dans la vie active, restent seuls face à face sans un boulot qui les occupe et les sépare une partie de la journée. Comme le dit Géraldine, elle a fait la première partie de sa vie pour avoir des enfants, les éduquer, les élever et leur trouver une place dans la société ; désormais elle est seule avec un mari qui ne la considère plus, alors elle veut vivre cette seconde vie pour elle, avec quelqu’un qui l’aime. L’allongement de l'existence, le confort matériel, les conditions de vie permettent désormais aux retraités d’avoir une seconde vie quand la carrière professionnelle arrive à son terme. C’est le sujet de ce livre mais pas seulement.

 

L’auteur a voulu, au travers des mésaventures de ce couple de retraités, évoquer les principaux problèmes qui affectent la société actuelle : la surconsommation qui engendre des problèmes écologiques, énergétiques, éthiques, ce qui soucie de nombreux citoyens ; la production industrialisée qui favorise le rendement en détériorant la qualité et la fiabilité des produits ; la pollution résultant de la course à la productivité et la consommation ; la déforestation conséquence de ce qui précède et une urbanisation de plus en plus importante qui génère les maux que l’on sait. Ce texte est un véritable inventaire des calamités provoquées par l’homme au détriment de la planète et de ses occupants. Il remonte même à la colonisation imposée par Léopold II aux Congolais. Marcel détruit sa vie, tel un Don Quichotte émigré en Belgique,  en de vaines tentatives pour lutter contre les effets néfastes de l’activité humaine tout en se réfugiant dans les étoiles. Géraldine a compris qu’une autre vie était possible, alors…


Denis BILLAMBOZ

 

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31 juillet 2023 1 31 /07 /juillet /2023 08:45
Autrefois le rivage de Paul Yoon

Pour héberger les histoires de ce recueil, Paul Yoon a inventé une île comme toutes celles qui sont dispersées à l’est de la Corée, qui ont longtemps balancé, au gré des aléas de l’histoire, entre ce pays et le Japon. Ses nouvelles racontent la vie des îliens de Sola, le plus souvent des gens de la terre qui sont, comme tous les îliens, fascinés par l’étendue de la mer et ce qui se cache derrière l’horizon.

 

Les textes de l’auteur sont empreints d’une grande sensibilité, ils évoquent ce qui touche les êtres, souvent des femmes fragiles en rupture avec leur milieu, abandonnées par des maris partis et parfois restés à la guerre, des femmes qui ont déjà vécu, au plus profond de leur intimité, à la limite du conscient et du subconscient, parfois même aux confins de la folie quand le réel s’évapore pour laisser place à l’imaginaire et aux fantasmes. L’auteur saisit toujours ses héros, plus souvent ses héroïnes, au moment où ils sont en équilibre entre un monde difficile mais supportable et un état nouveau provoqué par un drame imprévu, souvent la mort d’un être cher qui vient tout bousculer dans leur existence déjà  précaire.

 

J’ai eu l’impression, à la lecture de ces nouvelles, que Paul Yoon cherchait à faire revivre des gens qu’il n’a pas connus mais qu’il aime profondément. En effet, il est né en 1980 aux Etats-Unis où il a suivi son cursus scolaire et universitaire, et il raconte souvent des histoires qui concernent des gens qui vivaient avant sa naissance, des îliens  marqués par la guerre du Pacifique ou sa suivante, celle de Corée. J’ai ainsi eu le sentiment que ce jeune homme voulait rendre un hommage à ses ancêtres en leur adressant des textes qui évoquent, avec une touchante nostalgie, le pays d’origine où il n’est pas né, les ancêtres qu’il n’a pas connus, et les racines culturelles qu’il cultive dans son œuvre littéraire. Son écriture, même si elle est marquée par sa culture américaine, m’a rappelé des auteurs coréens dont j’ai lu les œuvres il y a plusieurs années : Yi Munyol, Cho Sehui, Ch’oe Inho, des auteurs qui s’expriment souvent, comme lui, à travers des nouvelles d’une grande sensibilité, des textes un peu elliptiques où la chute est souvent remplacée par des points de suspension imaginaires, un silence en suspens laissé à la disposition du lecteur. Ces nouvelles rappellent la fragilité et l’éphémérité de la vie de ces héros simples et innocents, suspendus en équilibre très précaire, exposés à des aléas brutaux et imprévus que l'on ne peut anticiper, surtout pas ces pauvres îliens coincés entre terre et eaux, entre Corée et Japon, entre rêve et réalité, quantité négligeable devant l’histoire et les éléments, l’eau, la terre et le feu qui jouent un rôle important dans chacun des textes.

 

Denis BILLAMBOZ

 

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L'auteur

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12 juillet 2023 3 12 /07 /juillet /2023 09:04
Marcel Proust et la Méditerranée de Dane McDowell

Gageure qu’un tel sujet puisque Marcel Proust ne s’est jamais aventuré au bord de la Méditerranée ! Dès le dix-huitième siècle, l’éducation de tout gentilhomme de l’Europe du Nord – et Proust ne peut l‘ignorer ! - s’achève par le Grand Tour. Ce périple obligé l’emmène en Italie, en Toscane et en Vénétie, puis l’entraîne jusqu’à Naples et Pompéi, où il découvre les beautés de la Rome antique. Ces paysages sublimes, Proust les connaît à travers la peinture, la lecture et des études fondées sur les humanités grecques et latines. Ce voyage qui s’étire sur plusieurs mois ou parfois plusieurs années en compagnie d’un tuteur se termine généralement sur la Riviera italienne et française dont le climat est recommandé pour les phtisiques. Il arrive aussi que des poètes et des écrivains, à l’instar de Lord Byron, Shelley, Nietzsche, Katherine Mansfield, D. H. Lawrence, élisent domicile en chemin, dans un village perché, un port de la Ligurie ou de la France méridionale. 

 

Lancé en 1864 par la PLM après le rattachement du comté de Nice à la France, le train transforme le paysage et la vie de toute la côte. Certes les Anglais et les Russes ont déjà colonisé ce coin de paradis mais, grâce au chemin de fer, les Européens fortunés leur emboîtent le pas et affluent vers le sud pour profiter de la douceur hivernale. Dès lors, l’aristocratie côtoie les grands noms de la finance internationale. Le train arrive en gare de Monaco en 1868.  Le casino de Monte Carlo, érigé par Charles Garnier, attire une foule cosmopolite où les Grands Ducs parient leurs derniers roubles tandis que les millionnaires américains font sauter la banque. Le long de la Riviera, palaces et somptueuses villas poussent comme des champignons. Rivalisant avec son voisin, le roi Léopold II de Belgique, qui s’approprie presque toute la presqu’île du Cap Ferrat, Béatrice Ephrussi de Rothschild y fait bâtir un palais vénitien tandis qu’au bord de la baie de Villefranche, son cousin par alliance l’helléniste Théodore Reinach, concrétise sa passion pour la Grèce antique avec la reconstitution d’une villa de l’époque de Périclès. Les impératrices Eugénie et Élisabeth d’Autriche choisissent un décor plus classique au Cap Martin pour mieux s’abandonner à la mélancolie alors que la reine Victoria reprend goût à la vie à Nice. L’agrandissement du port de Cannes contribue au développement de la mode des régates. Le duc de Vallombrosa, le duc de Brabant, Léopold II, bien sûr le prince de Galles, le futur Édouard VII, et l’excentrique patron de presse américain, James Gordon Bennett, multiplient les compétitions à bord de leur yacht.

 

 Bien avant 1900, la Riviera italienne et française a gagné ses lettres de noblesse. C’est là que la bonne société se doit de passer l’hiver. Comment imaginer que Marcel Proust, durant sa période mondaine, n’ait pas été tenté par la fréquentation de ces cercles privilégiés, des palaces et des rivages enchantés ? Et pourquoi n’a-t-il pas pris le train jusqu’à Cannes, Nice ou Monaco, lui qui considérait ce moyen de transport comme un espace amovible propice à la rêverie et à la galanterie ? A-t-il jamais eu envie de comparer le vert de la Manche, les « sommets neigeux de ses vagues en pierre d’émeraude », qu’il décrit dans À l’Ombre des jeunes filles en fleurs, à la gamme infinie de bleus qu’offre la Méditerranée ? Comment expliquer ce délaissement par cet amoureux de la couleur bleue, symbole d’amour courtois, de noblesse d’âme et de spiritualité ? Bleus le manteau de la Vierge et les vitraux de l’église de Combray, bleues, la robe de mousseline de la mère du Narrateur, la robe de Fortuny offerte à Albertine et les fresques de Giotto qu’il découvre à Padoue lors de son voyage en 1900. Bleus aussi les yeux d’Oriane de Guermantes et de son sémillant neveu, Robert de Saint-Loup. Bleu, l’herbier sentimental de sa jeunesse où fleurissent myosotis, bleuets, pervenches, campanules, cinéraires et iris. Le Bleu Méditerranée, ce bleu cobalt, profond, intense, ce bleu qui a ébloui Matisse et hanté Yves Klein, n’aurait-il pas émerveillé Marcel Proust ? Pourquoi donc l’auteur de La Recherche a-t-il boudé la Grande Bleue ? Certes, l’hiver était la saison obligée pour descendre sur la Riviera alors que l’été était réservé aux stations balnéaires de la Normandie, Deauville, Trouville et Dieppe. Mais, comme dirait Sarah Bernhardt qu’il admirait tant, « Quand même » !

 

Curieusement, Proust refuse de prestigieuses invitations, celle de Madame Anatole Catusse, l’amie de sa mère, qui propose de lui louer sa villa de Nice puis, la même année, en 1919 lorsqu’il obtient le prix Goncourt, celle du comte Pierre de Polignac, époux de Charlotte Grimaldi, petite fille du prince Albert de Monaco. À plusieurs reprises, il envisage de faire une croisière sur le Nil et de se rendre en Algérie mais la maladie et l’habitude ont raison de ses projets. Certains « Proustologues » arguent que Proust s’est aventuré dans le monde méditerranéen en allant à Venise. Cette ville portuaire, une cité-état située entre la Méditerranée orientale et occidentale sur les rives du golfe de l’Adriatique fait partie du monde méditerranéen. Mais Proust la considère-t-elle ainsi ? Il y est allé deux fois en 1900, d’abord en avril, en compagnie de sa mère, pour retrouver Reynaldo Hahn, compositeur, amant puis ami de cœur, et la cousine anglaise de celui-ci, Marie Nordlinger, puis seul en octobre. Peut-être parce qu’il s’y rend par le train qui traverse la plaine lombarde et évite la côte, la Sérénissime n’a rien, pour Proust, d’une ville de la Méditerranée. Son premier séjour est consacré à découvrir les sites décrits par John Ruskin dans son ouvrage Les Pierres de Venise. Parfaite linguiste, Madame Proust traduit ce magnifique traité d’esthétique à son fils. Grâce à elle, il signe la traduction de la Bible d’Amiens et de Sésame et les Lys. La journée, tous deux répertorient églises et musées et se partagent leurs impressions. Mais le soir, Marcel échappe à la tutelle maternelle et erre dans les ruelles, en quête d’aventures. Avec ses façades de marbre rosies par le soleil couchant ou noyées dans la brume nocturne, la Venise de Proust est une cité fantôme qui se mire dans les eaux troubles de la lagune. C’est une rêverie orientale. 

« Ma gondole suivait les petits canaux ; comme la main mystérieuse d’un génie qui m’aurait conduit dans les détours de cette ville d’Orient, il semblait au fur et à mesure que j’avançais, me pratiquer un chemin creusé en plein cœur d’un quartier qu’ils divisaient en écartant à peine, d’un mince sillon arbitrairement tracé les hautes maisons aux fenêtres mauresques ». 1*  

 

Cette première visite est marquée par la mésentente et le deuil, Madame Proust a perdu sa mère et tente en vain de cacher son chagrin pour ne point gâcher le plaisir de son fils. Après une dispute, elle décide de partir mais Marcel, qui avait décidé de rester, la rejoint, honteux et repentant, sur le quai de la gare. Le deuxième séjour reste plus secret. Il faudra attendre quinze ans lors qu’il rédige Albertine disparue et La Fugitive pour qu’il évoque son expérience vénitienne. Le récit prend un ton ambigu et parfois morbide car, au souvenir de la mort de sa grand-mère, le Narrateur ajoute la fuite, puis la mort d’Albertine. Ce qui correspond aux deux décès survenus dans la vie de Proust : celui de sa mère en 1905 puis celui d’Alfred Agostinelli en 1914. Proust qui a lu et aimé Loti et les « Mille et une Nuits » est séduit par l’orientalisme de Venise.  Toutefois, lorsqu’il repense à son séjour, le Narrateur est partagé entre la jalousie et la souffrance. La Sérénissime reflète alors le décor de son drame intérieur : dans un cadre mouvant d’une beauté fantomatique, l’espoir déçu succède à l’échec des rencontres et au rêve de liberté contrarié. Venise n’est pas une ville réelle, c’est un lieu de mémoire qui, par intermittence, lui rappelle combien Combray lui manque sans lui avoir permis de s’affranchir du joug maternel, tant il a peur de ne plus être aimé. 2**   

 

Dans le salon des Proust, dont la laideur surprend Oscar Wilde, règne une solide moralité bourgeoise. Pragmatique, le docteur Adrien Proust estime que la villégiature, surtout en hiver, est un plaisir par trop aristocratique. Il recommande les cures thermales, particulièrement à Évian, qui sont bénéfiques à toute la famille et surtout à son fils asthmatique. Son épouse Jeanne ne peut qu’agréer. Elle se méfie certainement de la Côte d’Azur, lieu de rendez-vous des princes déchus, des invertis, des opiomanes, des escrocs, des joueurs et des courtisanes. À ce milieu interlope et toxique, elle préfère l’atmosphère saine, rustique et prévisible de la Normandie. Les préjugés familiaux et certains événements, des déceptions et des chagrins amoureux, donnent peut-être l’explication de l’aversion de Proust pour le Sud de la France et la Méditerranée. En 1895, grâce à Reynaldo Hahn, qui est reçu tous les jeudis chez les Daudet, il fait connaissance de Lucien, le fils du célèbre écrivain. Ce jeune homme d’une beauté nerveuse et délicate écrit et peint avec talent. Jules Renard le décrit dans son Journal, le 2 mars 1895 : « Un beau garçon, frisé, lingé, pommadé, peint et poudré, qui parle avec une toute petite voix de poche de gilet. » Touché par sa sensibilité et sa conversation brillante, Proust voit en lui un disciple potentiel. Ils partagent le même goût pour les plaisanteries, les «louchonneries». Proust est accueilli chaleureusement par toute la famille qui se passionne pour les Belles Lettres. Ce qui n’est pas pour déplaire à Marcel Proust, qui ferme les yeux sur leur antisémitisme notoire. En 1896, il n’a publié qu’un ouvrage à compte d’auteur  "Les Plaisirs et les jours" et brûle d’impatience de se faire un nom dans la littérature.

 

Il entame alors une liaison avec Lucien, de sept ans son cadet, et s’éloigne de Reynaldo, tout en conservant un droit de regard sur leur relation. Or, les rumeurs de l’idylle entre Lucien et Marcel parviennent aux oreilles de Jean Lorrain, célèbre critique littéraire, romancier, dramaturge, qui s’en fait l’écho dans sa chronique très lue et fort redoutée du Journal. Lorrain est l’une des figures les plus hautes en couleurs du Paris de cette époque. Outrageusement maquillé, éthéromane, il affiche son homosexualité et son goût pour la décadence tout en étant l’ami et confident de nombreuses célébrités. Proust provoque Lorrain en duel et la rencontre a lieu au bois de Meudon, le 5 février 1897, un échange courtois de tirs sans égratignure à vingt-cinq pas de distance, et le comble de l’hypocrisie puisque les intervenants, tous deux invertis, se battent au nom d’une morale qu’ils défient. Après cet incident tragi-comique, qui intensifie les commérages, Jean Lorrain s’installe à Nice et poursuit son œuvre de romancier. Son roman le plus célèbre, Monsieur de Phocas, est publié en 1901. Même si les deux écrivains se partagent de nombreux amis, dont Edmond de Polignac, Marcel Proust continue à détester son ancien adversaire et associe Nice à l’homosexualité triomphante et la dépravation de Lorrain. 

 

Rien d’étonnant à ce que Proust fasse naître Odette de Crécy à Nice. Alors qu’elle est adolescente, sa mère la vend à un Anglais. Perdant son innocence mais non son sens pratique, couronnée Miss Sacripant, elle monte à Paris pour y monnayer ses charmes. De la «dame en rose» qui rend visite à l’oncle Adolphe, elle convole en justes noces avec un vieillard infirme le comte de Crécy, prend goût à la liberté, séduit Swann mais part en croisière sur le Nil avec le comte de Forcheville qu’elle épouse avant de devenir la maîtresse du Duc de Guermantes.

 

Proust n’est pas au terme de ses malheurs avec Lucien Daudet. Leur liaison, qui a duré dix-huit mois prend fin peu après le duel, mais ils continuent à se fréquenter de loin et à correspondre. Les lettres de Marcel témoignent de l’affection et de la tendresse un peu trop protectrice qu’il porte à son jeune ami, même si, lui écrit-il, il n’apparait pas sous la forme d’un personnage de La Recherche : « Vous êtes absent de ce livre. Vous faites trop partie de mon cœur pour que je puisse jamais vous peindre objectivement. Vous ne serez jamais un personnage, vous êtes la meilleure partie de l’auteur mais quand je pense que bien des années de ma vie ont été passées « du côté de chez Lucien », de la rue de Bellechasse, les mots de « Temps perdu » prennent pour moi des sons bien différents, bien tristes, bien beaux aussi. » 3 ***

Quand en 1913 parait "Du côté de chez Swann", Lucien est le premier à publier une critique fort élogieuse dans Le Figaro et c’est grâce à Léon, le frère aîné de Lucien, connu pour son antisémitisme virulent, que Proust obtient le Prix Goncourt, six ans plus tard. Entre temps, Lucien s’est épris d’un écrivain, de onze ans son cadet, un feu follet aux multiples talents, Jean Cocteau. Proust l’a rencontré vers 1908 et lui a fait une cour pressante. Après une phase de séduction initiale, Cocteau s’est dérobé, peut-être parce que Lucien l’a mis en garde : « Marcel est génial, mais c’est un insecte atroce ». 4****Dépité et jaloux de l’idylle entre les deux jeunes gens, Proust va se montrer redoutable.

 

Né à Paris en 1889, Cocteau est issu de la grande bourgeoisie. Couvé par sa mère, tout comme Proust, il est plus hardi que celui-ci et se sauve à quinze ans de chez lui pour rejoindre le port de Marseille – du moins s’en vante-t-il - où il s’acoquine avec des marins. Rentré au bercail, il publie ses premiers poèmes et devient la coqueluche du Tout-Paris. Grâce aux Daudet, il découvre les Ballets Russes, la célèbre compagnie dirigée par Serge Diaghilev, et propose sa collaboration. En 1912, il crée un ballet en un acte, "Le Dieu Bleu", que Reynaldo Hahn met en musique. Autant de couleuvres à avaler pour Proust qui reste dans l’ombre. Il est très affecté quand il apprend que Lucien et Jean ont fait une escapade sur la Côte d’Azur en 1911, puis un voyage en Afrique du Nord en 1912. Sans doute est-il touché par la campagne que mène Cocteau en faveur de son livre, quand parait le premier tome de "La Recherche" en 1913. Mais il n’en ressent pas moins de l’animosité qu’il va traduire en transposant Cocteau dans le personnage d’Octave. Celui-ci est un fils de famille prétentieux et détestable qui, par son entregent, devient un auteur dramatique reconnu. Toutefois, Proust continue à recevoir Cocteau et lui lit des passages de son œuvre mais ne supporte ni l’idée d’un rival, ni l’influence d’un autre écrivain sur Lucien, ni le succès de scandale que Cocteau obtient en 1917 avec le ballet Parade. Inutile de préciser que la relation entre Cocteau et Proust est houleuse ; c’est une « inimitié particulière » selon le mot de Claude Arnaud, attisée par les ragots, les mensonges et ce « monstre aux yeux verts », la jalousie. 

 

N’ignorant pas que Cocteau se déclare méditerranéen dans l’âme, Proust se sent trahi par cette Méditerranée trop exotique, trop séduisante, trop érotique. C’est la nouvelle Sodome, un espace de transgression, de luxure et de perfidie. Par la lecture de Gide qui se rend en Afrique du Nord à maintes reprises entre 1899 et 1906, il sait que cette terre du sud, adulée par les peintres, de Delacroix, Renoir, à Matisse, offre des débordements de sensualité. Cette quête de plaisirs interdits ne peut qu’inquiéter et effrayer Proust qui préfère se réfugier sur les plages de Trouville et de Cabourg avant de s’enfermer bientôt à Paris dans une solitude misanthropique. Pourtant, en 1907, pour satisfaire sa curiosité esthétique et parfaire "Impressions de route en automobile", les articles qu’il écrit pour Le Figaro, Proust loue les services d’un chauffeur Alfred Agostinelli. C’est un monégasque de dix-huit ans aux yeux noirs et aux belles joues qui apprécie les extravagances de son patron et fait du zèle pour les satisfaire, connaissant sa munificence. Attendri par le visage imberbe du jeune homme, Proust est émerveillé par sa dextérité à manier le volant et les changements de vitesse. À bord d’un taxi Unic, ils parcourent la campagne normande, s’arrêtent pour admirer le paysage ou le porche d’une église que le chauffeur éclaire avec ses phares quand le soir tombe. Le charme de cet ingénieux « mécanicien » opère et, quatre ans plus tard, en 1913, quand celui-ci sollicite de nouveau un emploi, Proust l’engage comme secrétaire, acceptant d’accueillir également Anna, sa compagne. Dans un premier temps, Agostinelli, vénal et menteur, se soumet à la tyrannie amoureuse de Proust puis se rebelle. Il quitte l’appartement du Boulevard Haussmann, ce huis-clos où il se sent prisonnier, puis il revient. Pendant quelques semaines, il cède aux demandes de son patron, plus jaloux que jamais, et se plie à ses longs interrogatoires. De nouveau, la jalousie de Proust se déchaîne.  « Presque toujours, rappelle Nicolas Grimaldi, la jalousie est comme l’ombre de l’amour. Elle le double, elle l’accompagne, elle le suit ». 5 ***** Passionné d’aviation, Agostinelli se livre au chantage et obtient de son maître la promesse de lui acheter un avion avec, en prime, des cours de pilotage. Mais ulcéré par son manque de liberté, il repart. Proust mène en vain des enquêtes intensives pour le retrouver. Trop tard, il apprend le décès tragique de son secrétaire. Agostinelli s’était inscrit à l’école des frères Garbera à Antibes sous le nom de Marcel Swann, et malgré les conseils de son moniteur, il s’est envolé en solo au-dessus des eaux bleues de la Méditerranée le 30 mai 1914. À la suite d’une erreur de manœuvre, l’avion s’est abîmé en mer et Alfred s’est noyé. Son corps est retrouvé peu après au large de Cagnes-sur-mer. Le chagrin de Marcel Proust est immense. Il confie à Reynaldo Hahn qui est resté son confident : « Ce n’est pas assez dire que je l’aimais, je l’adorais ». Il est incapable de travailler et de corriger les épreuves que son éditeur Bernard Grasset lui envoie. C’est à Lucien Daudet qu’il confie son désespoir : « Moi, qui avais si bien supporté d’être malade, qui ne me trouvais nullement à plaindre, j’ai su ce que c’était, chaque fois que je montais en taxi, d’espérer de tout mon cœur que l’autobus qui venait allait m’écraser. » 

 

À partir de cette tragédie, Marcel Proust associe la Méditerranée à la source de ses malheurs. C’est une mer cruelle, vengeresse et assassine, qui lui a pris l’être qu’il aimait. Après des mois de désespoir, il s’enferme dans sa chambre et, grâce au dévouement de sa gouvernante Céleste Albaret, se remet au travail. Il transpose sa relation avec Alfred en créant le personnage d’Albertine Simonet. Avec une étrange lucidité, il retranscrit la liaison douloureuse et malsaine que le Narrateur entretient avec une jeune femme volage, bisexuelle et inconstante, qu’il tient prisonnière afin de contrôler son emploi du temps. Tout en la couvrant de cadeaux, il ne lui fait aucune confiance et c’est uniquement lorsqu’elle est endormie à ses côtés qu’il peut apprécier sa présence et savourer l’emprise qu’il a sur elle. Sa passion qui n’est autre que de la jalousie exacerbée, une psychopathologie de l’imaginaire, redouble quand Albertine prend la fuite et meurt à la suite d’une chute de cheval. Sa mort réveille la frustration et les angoisses qu’il avait ressenties, enfant, lorsque sa mère semblait le négliger. Lorsque Proust connaît enfin la gloire, après 1913, son obsession pour l’aristocratie du Faubourg Saint-Germain s’est estompée. D’ailleurs les portes, qui lui étaient fermées, s’ouvrent enfin pour lui. Désormais, il a de nombreux amis qu’il reçoit chez lui, sous l’œil sévère de Céleste. Il sort de moins en moins mais, en 1915, fait la connaissance d’un fringant diplomate, Paul Morand, et n’hésite pas à frapper à sa porte en pleine nuit. Cet homme à femmes cultivé, amateur de vitesse, brillant causeur, le fascine. Il le juge d’ailleurs fort bien : « C’est un « homme doux comme un enfant de chœur, raffiné comme un Stendhal et un Mosca et en même temps âpre et implacable comme un Rastignac qui serait terroriste ». Pour se rapprocher des êtres dont il est tombé amoureux, il reprend la technique triangulaire dont il s’est servi auparavant : il fait une cour assidue et respectueuse à leur fiancée qu’il couvre de fleurs et d’attentions pour mieux s’introduire dans l’intimité du couple. Dans le cas de Morand, il s’agit de la fameuse princesse Hélène Soutzo, une riche divorcée roumaine. En l’absence de son amant, la princesse s’ennuie dans la suite qu’elle occupe au Ritz mais Proust y multiplie les dîners pour attirer sa bienveillance et s’incruster. Il en profite aussi pour soudoyer le maître d’hôtel, Olivier Dabescat, et faire son miel avec les détails qu’il obtient sur les comportements des habitués.

 

Paul Morand est un sportif et un excellent nageur qui, dès sa prime jeunesse, adore la Méditerranée. Depuis Villefranche-sur-mer, il pilote son canot à moteur, baptisé "La Chouette", vers tous les ports de la côte. Dans La Recherche, Proust reporte sur le personnage d’Albertine l’importance de la pratique des sports de plage. Fasciné par la grâce et la vitalité des corps athlétiques, le Narrateur est déconcerté par leur dynamisme puisqu’il ne partage pas cette nouvelle mode culturelle et redoute son pouvoir d’émancipation. Morand, l’auteur de "Méditerranée, mer des surprises" et de "Bains de mer" concilie élégance aristocratique, modernité, indifférence et mondanité, une conjonction des contraires qui ne peut que plaire à Proust.  Pourtant, celui-ci ne partage pas la vénération que Morand affiche tout au long de sa vie pour la Méditerranée, « une mer de paix et d’union, une eau-mère chargée de sel qui est un symbole non de stérilité mais de durée, un bain miraculeux d’où nous sortons guéris, lavés de nos ulcères moraux après chaque immersion. » 6******

 

Proust choisit d’ignorer Jean Cocteau qui avait pourtant défendu la publication de Du côté de chez Swann et il préface le premier ouvrage de Morand "Tendres Stocks", un recueil de nouvelles publié en 1921. Quand Morand, grand voyageur, s’éloigne de Paris trop longtemps, il se plaint à la princesse Soutzo :« Comment va Morand ? Je n’ai aucune nouvelle de lui et aimerais en avoir par lui ou par vous, car je l’aime de plus en plus ». Puis : “J’aime mon mal, j’en veux mourir.” Et encore : « Je pense à lui sans cesse et je voudrais bien savoir ce qu’il devient ». Ces incessantes récriminations importunent Hélène qui quitte Paris sans avertir Proust. En 1919, Proust quitte le Boulevard Haussmann pour la rue Hamelin où, à part de brèves sorties, il va vivre comme un reclus. Il poursuit la retranscription de son expérience intérieure, juxtaposant le pur et l’impur, le sublime et le burlesque, le sacré et le profane, le souvenir et la réminiscence involontaire, dissolvant temps et espace à partir de fragments, de détails et de rencontres, accumulant les contradictions et les intermittences du cœur et de l’esprit. En travaillant avec acharnement et abnégation, en sacrifiant sa santé, il veut prouver que l’art transcende la vie et s’inscrit dans l’éternité. Certes, il se sait condamné mais il lui faut terminer son œuvre. Quand les forces commencent à l’abandonner, il fait part à Céleste de ses dernières volontés. Il souhaite que son ami l’abbé Mugnier, l’aumônier des gens du monde, vienne réciter une prière et bénir sa tombe. D’autre part, il demande qu’une fois mort, on lui place entre les mains le chapelet que Lucie Faure, sa camarade d’enfance, avait rapporté de Jérusalem. Une requête qui n’est pas sans évoquer la médaille que, dans La Recherche, Odette de Crécy porte toujours sur elle. Ce bijou miraculeux provient de Notre-Dame-de-Laghet, un sanctuaire et centre de pèlerinage entre Nice et Monaco. Simple superstition ? Conversion ? Bien avant de connaître l’abbé Mugnier, Proust a toujours été un fervent défenseur de l’église catholique. Il a signé des ouvrages sur les cathédrales et s’est opposé par deux fois à la séparation des églises et de l’État. L’abbé, qui est parvenu à convertir Huysmans, lui a sans doute rappelé les origines méditerranéennes du christianisme. C’est peut-être aussi l’enthousiasme de Paul Morand, qui l’a persuadé de changer d’avis en lui parlant des petits ports de pêche et des champs d’oliviers, des temples grecs, des mosquées bleues qui voisinent avec des églises byzantines. Il est probable qu’à l’heure de sa mort Proust perçoive la Méditerranée sous un autre angle et reconnaisse son rôle fondateur dans l’histoire de la civilisation occidentale. Ce qui importe, c’est que, désormais, il va penser au monde méditerranéen sans amertume et sans ressentiment. Il promet à Céleste Albaret d’aller enfin sur la Côte d’Azur. C’est du moins les paroles qu’elle rapporte dans son beau recueil de souvenirs. « Vous verrez, chère Céleste…Quand j’aurai écrit le mot « fin », nous partirons pour le Midi. Nous irons nous reposer, oui, nous prendrons des vacances. Nous en avons besoin tous les deux. » 7 *******

Après avoir été une zone de turbulences et de vice, une source d’abandon, de trahison et de mort, la mer et les rivages de la Méditerranée sont devenus une terre promise, une terre sainte, un paradis perdu et, qui sait, bientôt retrouvé.

 

Dane McDowell    (Mai 2023)

 

Notes explicatives :

 

1* Marcel Proust. Albertine disparue, Gallimard, 2003, chapitre III, p. 207.  
 

 

2** Armelle Barguillet Hauteloire. Proust et le miroir des eaux. Éditions de Paris, 2006.  Chapitre : Les Eaux crépusculaires.
 

 

 3***Marcel Proust. Mon cher petit. Lettres à Lucien Daudet. NRF, 1991, p. 144.

 

4**** Claude Arnaud. Proust contre Cocteau. Grasse. 2013, p. 58.

 

5*****Nicolas Grimaldi. Essai sur la jalousie, PUF. 2010, p. 8. 

 

6*******Paul Morand, Méditerranée, mer des surprises. Editions du Rocher, 1990, p 31. 

 

7****** Céleste Albaret. Monsieur Proust, Robert Laffont. 1973, p. 392.

 

 

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Toile de Turner. Venise, canale grande

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5 juillet 2023 3 05 /07 /juillet /2023 08:24

 


photo fonds

 

En classant des papiers l'autre jour, j'ai retrouvé, au hasard d'une pile, un texte que j'avais commis à l'âge de 18 ans - j'étais alors élève à l'école du journalisme - à l'occasion d'un concours de bibliophilie qui me valut d'obtenir un second prix. Ma participation à ce concours n'avait d'autre raison que celle-ci : mon père, bibliophile, m'avait donné très tôt le goût des livres, si bien que j'avais eu la chance inouie de trouver à portée de main, dans la bibliothèque paternelle, les ouvrages les plus divers et les mieux à même de m'enrichir. La plupart étaient des éditions originales, superbement reliées, que j'avais l'obligation de lire...avec des gants. On ne dira jamais assez le soin dont les bibliophiles entourent leurs précieux ouvrages. De nos jours, cette noble passion me semble toujours d'actualité, c'est pourquoi je retranscris le texte d'hier, espérant qu'il suscitera des vocations chez quelques-uns de mes visiteurs. D'autre part, sa ré-actualisation sur mon blog me permet de rendre, par-delà la mort, un hommage à un père qui a si bien su éveiller ma curiosité à toutes les formes d'art et de culture.

 

 

                             CONCOURS DU BIBLIOPHILE EN HERBE


                        

Grâce aux livres, la pensée humaine a survécu à l'oubli du temps. Depuis que l'homme pense, il a cherché le moyen de fixer sa pensée afin qu'elle puisse se transmettre aux générations futures. Il a donc commencé par l'inscrire dans la pierre et laissé ainsi, au bord des routes, son message dans l'idée d'enrichir le capital humain du fruit de son expérience. Echelonné dans le temps, chaque siècle a bénéficié de nouveaux apports dans les domaines les plus divers et, dès que l'imprimerie a été inventée, les livres ont eu pour vocation d'être les dépositaires privilégiés de la pensée sous sa forme la plus intelligible. Ainsi s'est perpétué de génération en génération un incomparable héritage. Il est émouvant de recueillir les témoignages des temps révolus par le biais de ces oeuvres imprimées à l'époque même de leur création, d'où la nécessité de sauvegarder ce patrimoine dans les meilleures conditions possibles. Les Etats et les municipalités se sont employés à créer des bibliothèques à cet usage, mais le rôle du particulier n'en est pas moins primordial, car l'individu, mieux qu'aucun organisme social, est enclin à user d'attention et de dévouement pour réunir et préserver de tels documents. Ces deux formes de conservation, collective et individuelle, présentent une utilité majeure : l'accès aux sources de la culture devant être garanti à chacun.
Malgré les procédés mécaniques de reproduction dont nous disposons actuellement, la possession du manuscrit original ou de l'édition princeps est d'autant plus importante qu'elle est une preuve irréfutable d'authenticité. Tout ce qui se pare d'un caractère unique d'originalité, tant en textes qu'en images, acquiert pour l'avenir une valeur incomparable. Le bibliophile est l'homme attaché à la protection de ces valeurs. Son amour pour les témoignages du passé est encore renforcé lorsque la présentation s'enrichit de recherches artistiques : ainsi l'illustration qui complète les mérites du texte et la reliure qui donne élégance et beauté au livre, faisant de cet objet une véritable oeuvre d'art.

 

Il arrive néanmoins qu'une réédition soit supérieure au premier tirage pour les motifs suivants : l'illustration d'un artiste qui a embelli l'ouvrage ou bien  les corrections que l'auteur a souhaité apporter en prévision des tirages ultérieurs. Je citerai, pour exemple, la 2eme édition du Génie du Christianisme qui comporte des corrections de Monsieur de Chateaubriand et sa dédicace au Général Bonaparte ; celles-ci ne figurant plus ensuite dans aucune autre édition. Il s'est créé ainsi un classement des ouvrages anciens de librairie selon l'importance sentimentale qu'ils revêtent aux yeux de l'amateur et selon leur état de conservation. Par chance, la bibliophilie n'est pas une passion égoïste. Le bibliophile accapare rarement les livres pour son seul profit ; il les prend en charge et les garde dans le souci constant de n'être que momentanément le dépositaire d'un trésor. Il peut d'ailleurs, à l'occasion d'expositions, prêter et communiquer certains d'entre eux ou les léguer plus tard à une collectivité. Les facteurs déterminants de leur valeur sont d'une part la qualité du texte, d'autre part  la notoriété de l'auteur. Les classiques forment assurément le fond de toute bibliothèque qui se respecte. Mais, à partir de là, le choix des oeuvres est largement ouvert ; chacun ayant à coeur de se spécialiser dans une époque, un style, des sujets qui le touchent ou le concernent plus précisément, en vue de composer un ensemble cohérent. Après le texte, la présentation est l'élément qui, en général, détermine une acquisition. Elle consiste dans la qualité de la typographie et du papier. Il est intéressant de noter que l'époque romantique a souffert d'une insuffisance dans la fabrication du papier, aussi les ouvrages du XIXe sont-ils souvent marqués de rousseurs et de piqûres. C'est pour cette raison que ceux, parvenus jusqu'à nous dans un état satisfaisant de conservation, sont particulièrement prisés.


Depuis le Moyen-Age,  l'homme a pris goût à enjoliver ce qu'il y avait d'un peu trop abstrait dans la pensée écrite. Ainsi les manuscrits se sont-ils enluminés et enrichis d'admirables miniatures ; puis, avec la découverte de l'imprimerie, apparurent la gravure sur bois, puis sur cuivre et sur pierre, enfin la photographie. Il est évident que le travail accompli manuellement l'emportera toujours sur les procédés mécaniques. De grands artistes se sont consacrés à l'illustration des livres et en ont fait un art original et raffiné. De telles réussites ont marqué à jamais l'alliance d'un texte et d'une iconographie de haute qualité. Ces ouvrages rares sont appréciés des bibliophiles,  moins pour leur valeur numéraire que pour leur richesse artistique et intellectuelle.

 

L'habillage du livre, c'est-à-dire la reliure, couronne l'ensemble. C'est là aussi un art à part entière. Le relieur a le devoir d'harmoniser son travail avec la teneur du sujet auquel il se voue. Il est préférable que la reliure ait été réalisée peu de temps après la publication, l'ensemble représentant, dans ces divers domaines, le témoignage d'une époque. Cette collaboration dans le temps justifie les soins et l'amour que les bibliophiles portent aux livres anciens et, à travers eux, l'hommage silencieux qu'ils rendent à la pensée et aux travaux de leurs aînés dans ce qu'ils ont fait de meilleur et de plus remarquable. Les objets du passé ont toujours eu un attrait irrésistible pour ceux qui se plaisent à découvrir la mystérieuse poésie du souvenir.


La haute bibliophilie ne se conçoit pas uniquement comme une quête de livres anciens réputés, mais s'attache à exhumer des exemplaires rarissimes qui portent les traces de l'histoire. C'est ainsi que des livres, annotés de la main de grands écrivains et porteurs de dédicaces que les épreuves du temps ont rendu attachantes, revêtent une valeur de culte pour les bibliophiles. Nul doute que cette noble passion grandisse l'homme qui s'y consacre car, à l'effort de recherche et de culture qu'elle suppose, se joignent des qualités de coeur et de sentiment. Puissent naître de nouvelles générations de bibliophiles qui s'attacheront à veiller, dans les siècles à venir, sur le patrimoine de la pensée et souhaitons qu'une capitale, comme Paris, reste le centre mondial d'une telle activité !
 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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Bibliophilie ou la passion des livres
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3 juillet 2023 1 03 /07 /juillet /2023 08:12
Maître Eckhart : du détachement et autres textes

Trouver ce livre dans ma pile a été un vrai plaisir et un moment de nostalgie, il m’a rappelé l’époque où, à l’université, j’étudiais la réforme et la contre-réforme dans le cadre d’un certificat de licence d’histoire. Je me souviens avoir, à cette occasion, présenté un exposé sur les mystiques rhénans dans lequel j’avais été amené à considérer le mouvement mystique depuis ses origines, Saint Paul notamment auquel Maître Eckhart se réfère souvent, tout comme Denys l’aréopagite – en fait le pseudo Denys – et Saint Augustin. Bien qu’il ne l’évoque jamais dans ce recueil, Eckhart a certainement eu connaissance des écrits d’Hildegarde de Bingen décédée environ un siècle avant sa naissance.

 

Eckhart est un moine dominicain né en Thuringe vers 1260, au cœur du XIIIe siècle flamboyant, il appartient à un ordre créé au début de ce siècle, peut-être pour contrebalancer la puissance économique des Cisterciens qui avaient étendu leur puissance sur l’ensemble de la chrétienté. Les Dominicains, tout comme les Franciscain créés à la même époque, étaient un ordre séculier dit mendiant parce que leurs moines vivaient dans le siècle au contact des populations auxquelles ils demandaient l’aumône et non un ordre régulier comme les Cisterciens qui vivaient cloîtrés selon une règle et se nourrissaient du fruit de leur travail. De moines mendiants dénués de tout bien matériel, les dominicains ont rapidement évolué, leur mission de répression des hérésies les a vite conduit vers d’autres tâches moins nobles et plus sévères. Leur expertise de la répression des hérésies a fait que les autorités religieuses leur ont vite confié la mission de conduire l’Inquisition, tâche qu’ils ont assumée avec un zèle tout particulier et une violence souvent exacerbée. Eckhart fut lui-même traduit par ses pairs devant leur tribunal mais il décéda avant d’être condamné formellement en 1329. Il a été réhabilité sous Jean Paul II grâce à l’intervention du Cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI.

 

Maître Eckhart, comme il est couramment dénommé, se situe ainsi à la naissance du mouvement des mystiques rhénans qui ont été très actifs aux XIIe et XIVe siècles. Il a certainement inspiré la béguine anonyme qui a rédigé « La Perle évangélique », texte mystique publié en 1535, et autres tendances se réclamant notamment d’Hildegarde de Bingen qui sont encore actives aujourd'hui. Dans le texte proposé par Louis Bottu, l’éditeur a regroupé des sermons de Maître Eckhart notamment « Du détachement à l’anéantissement » éponyme de ce recueil. Dans ce premier texte, Eckhart explique comment le détachement qui « veut n’être rien » conduit à l’anéantissement total car seul Dieu, qui vit en l’homme dans l’espace le plus infime, peut exploiter cet espace laissé par l’anéantissement. Il convient donc de n’offrir qu’un espace minimum en son sein pour que nulle autre force puisse se glisser en l’être pour concurrencer Dieu. Il faut donc tendre à l’anéantissement absolu pour que seul Dieu puisse se glisser en l’être. Dans les autres sermons, il explique comment la retraite spirituelle peut-être conduite et comment une vraie possession de Dieu repose dans le cœur ; comment il faut comprendre la béatitude dans la fameuse expression « heureux les simples en esprit », comment atteindre la perfection de l’âme, arriver à la plus haute perfection de son être et à la contemplation de Dieu, à la vraie connaissance de Dieu par une réelle compréhension de la Sainte Trinité, compréhension qui conduit à l’appréhension de l’union de Dieu et de l’âme, à la fusion de l’homme en Dieu. Ce recueil se clôt sur un sermon sur les justes et la place qui leur est réservée auprès du seigneur.

 

Ce recueil ne comporte que des textes d’une pure spiritualité, d’une mystique exacerbée. Si le reste de son œuvre est de la même nature, je comprends un peu pourquoi sa hiérarchie l’a condamnée, il n’évoque jamais le clergé ni aucune hiérarchie séculière. Pour lui la religion catholique n’est qu’un rapport direct entre Dieu et les hommes où seuls les saints peuvent s’immiscer. Le pape pouvait difficilement accepter que son propre rôle, ses fonctions, son pouvoir et son infaillibilité soient mis directement en cause. Maître Eckhart n’a certainement pas la postérité qu’il aurait méritée quand on considère l’influence qu’il a eu sur ceux qui lui ont succédé. Dans un texte servant d’introduction à ce recueil, on peut lire que Maître Eckhart trouve ainsi sa place aux côtés des écrivains chrétiens déjà publiés aux Editions Louis Bottu, Péguy et Bernanos, et d’un texte non moins singulier attribué à L’Ecclésiaste. J’ajouterai que, pour ma part, je pense qu’il n’est certainement pas totalement étranger au panthéisme élaboré par Jean-Jacques Rousseau.

 

Denis BILLAMBOZ

 

 

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Maître Eckhart

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28 juin 2023 3 28 /06 /juin /2023 07:28
UNE JEUNESSE A L'OMBRE DE LA LUMIERE de JEAN-MARIE ROUART

Une jeunesse sous le signe d’un profond mal-être : c'est le roman autobiographique d'un jeune homme pauvre dans une famille riche, allergique à la peinture et vivant au milieu des tableaux de Manet, de Berthe Morisot, de Degas qui forment son cadre journalier. Malheureux et sombre, errant parmi les souvenirs de ces peintres de la lumière, cultivant une névrose d'échec face à des artistes statufiés par la gloire, il se sent menacé par « l'aile noire de la folie ». Cette mélancolie le jette dans les bras des psychanalystes qui voient en lui un gibier de choix. Échec amoureux, social, scolaire, tentation du suicide, Jean-Marie Rouart nous livre son inappétence au bonheur. Il nous la fait même partager sans en omettre un seul détail. Les filles, la drogue, tout y passe de ce garçon pourtant gâté par les dieux : beau, d’une famille célèbre, adoré par sa mère, mais dont le père n’a pas su ou pu conserver le  train de vie de ses prédécesseurs.

 


C'est à travers la figure d'un peintre du début du XIXe siècle, Léopold Robert, mélancolique, suicidaire, amoureux d'une princesse Bonaparte qui se moque de lui et en qui Jean-Marie Rouart a reconnu son double, que l'écrivain nous entraîne dans ses quêtes imaginaires et ses voyages pour tenter de se délivrer de ses démons. S'interrogeant sur le mystère d'une destinée qui le conduit au naufrage, il brosse une fresque de la grande famille de l'impressionnisme qui compose son prestigieux arbre généalogique. Ses vagabondages ne sont-ils pas une façon d’échapper à soi-même ? Ainsi visitons-nous en sa compagnie Noirmoutier, Venise, Samos, Ibiza. L’auteur semble aimer les îles - ces terres qui sont comme des sanctuaires secrets – et cherchons-nous à ses côtés, dans ce récit  un peu brouillon, les clés perdues de sa vie sentimentale et le chemin de son labyrinthe intérieur, cet inconscient qui le harcèle et lui mène la vie dure mais l’ouvre aussi aux méditations profondes. Incontestablement, le livre est empli d’un charme particulier. Il est semé de détours qui nous reconduisent à l’essentiel. L’élégance de l’écriture rend ce pèlerinage intérieur attractif, même si cette souffrance semble entretenue avec une incontestable complaisance. Le lecteur plonge ainsi dans les affres d’un écrivain romantique qui gratte ses plaies avec auto-satisfaction. Il y a dans le livre de Jean-Marie Rouart cette coquetterie littéraire suscitant, lors de maints passages, un égotisme qui prête à sourire. Mais l’auteur a une façon gracieuse d’évoquer les lieux, les paysages, les parfums, les chagrins d'une plume délicate qui touche juste. Voilà un enchanteur qui, certes,  parle trop de lui mais en parle bien, ménage habilement ses effets et vous embarque dans ses délires et ses excès  avec des mots envoûtants. Oui, étrange cette jeunesse vécue comme un drame. Alors que Jean-Marie Rouart avait tous les atouts en main. Heureusement, la chance n'a cessé de le poursuivre : le Figaro, l'Académie française, des prix littéraires parmi les meilleurs. Pas mal pour un ancien candidat au suicide.

 

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

 

 

 

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UNE JEUNESSE A L'OMBRE DE LA LUMIERE de JEAN-MARIE ROUART
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26 juin 2023 1 26 /06 /juin /2023 07:57
Ozu de Marc Pautrel

 

Le 1e septembre 1923, Ozu est à son bureau dans les studios de cinéma où il travaille quand le fameux tremblement de terre du Kantô, qui détruisit une grande partie de Tokyo, secoue la ville pendant quatre longues minutes. Il échappe à la mort mais la ville et ses studios sont la proie des flammes pendant deux jours entiers. Ozu se reconstruit, comme la ville, et refait sa vie de cinéaste qui prend une nouvelle saveur avec la naissance de son neveu qui, hélas, décède bien trop vite pour le grand malheur de la famille. Sa vie continue avec la même alternance de deuils et de catastrophes violents et douloureux et de périodes de reconstruction. A travers cette existence, on peut voir un symbole de la précarité de la vie au Japon toujours exposé aux cataclysmes : tsunamis, tremblements de terre, décès et disparitions de tout ce auquel on tient et qu’on aime. « Mais le Japon est le Japon, il se reconstruit sans cesse . » Et Ozu recommence à faire des films car il faut procurer des émotions aux spectateurs pour qu’ils surmontent ces événements destructeurs. « Je veux que le spectateur ressente la vie » - répète-t-il chaque fois qu’on l’interviewe.

 

Comme Kawabata, il est fasciné par le spectacle des cerisiers en fleurs, il éprouve de fortes émotions devant les miracles que la nature met en scène tout aussi joliment dans certains quartiers de Tokyo qu’à Kyoto. Cette émotion, il voudrait la capturer pour la mettre dans ses films et l’offrir aux spectateurs qui, comme lui, subissent toutes les catastrophes que le Japon endure régulièrement. A cette fin, il crée avec son complice Noda, son fidèle scénariste, un style bien personnel qui ne fait pas immédiatement l’unanimité. Son regard sur le Japon contemporain ne fait pas plus l’unanimité. "Les japonais pensent qu’il montre un pays trop occidentalisé et les Occidentaux trouvent qu’il montre la quintessence du Japon traditionnel." Ozu a compris à travers les épreuves de sa vie que le Japon est éternel, qu’il renaitra toujours de ses cendres mais que, pour revivre encore plus fort, il devra s’en donner les moyens en utilisant les techniques mises au point par les Occidentaux.
 

Il faudra attendre la fin de sa vie pour que l’Académie japonaise reconnaisse son talent, bien après les spectateurs qui lui ont fait un triomphe longtemps avant, et il faudra attendre encore plus longtemps, après sa mort, pour que le monde découvre ses œuvres et lui réserve un accueil enthousiaste. Je ne sais pas si Marc Pautrel est très fidèle à la biographie d’Ozu mais il a su, à travers un excellent texte, sobre, clair, épuré, nous faire ressentir la violence des émotions que ce géant du cinéma a pu ressentir au long de sa trop courte vie pour nourrir ses films, il est décédé le jour de son soixantième anniversaire. Je pense que de nombreux lecteurs se souviendront de « Voyages à Tokyo » qui a connu un réel succès en France comme partout ailleurs. Et, le livre de Marc devrait, lui aussi, connaître un joli succès car l’auteur a su décrire les émotions et motivations du cinéaste dans un texte aussi passionnant qu’un bon roman.

 

Denis BILLAMBOZ

 

 

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24 juin 2023 6 24 /06 /juin /2023 07:41
LES ETATS GENERAUX DE NOS AMIS LES ANIMAUX - FABLE

 

 

Un jour qu’au centre de la forêt,

Se tenaient les Etats généraux de nos amis les animaux,

Les uns et les autres se plaignirent

Qu’à leur égard les humains affichaient trop de dédain.

Ecoutez plutôt ce que le tigre, le premier,

Vint raconter à l’assemblée.

Bigre ! dit-il non sans courroux, ne sommes-nous pas traités de jaloux

Par des quidams qui le sont bien davantage que nous ?

Jaloux comme un tigre, disent-ils.

 

Ah ! Ah ! s’exclama une oie, qui se trouvait à passer par là,

A votre tour comprenez mon émoi quand je surprends, alentour,

Des propos fort discourtois.

Il me revient aux oreilles que l’on traite telle jouvencelle

De bête comme une …

 

Ces ragots sont intolérables, s’indigna le chimpanzé.

Heureusement que j’ai la chance d’être mieux considéré.

Ne voyez pas d’irrévérence si je vous confie, mes amis,

Que l’on me subodore plus malin que bon nombre de pékins.

Suffit ! répliqua le corbeau qui, du haut de son perchoir,

Drapé dans sa houppelande noire,

Jouait, non sans morgue, au tribun vénérable.

Malin comme un singe, dites-vous ?

Voilà un compliment qui recèle plus de fiel que de miel.

A votre place, mon cher, je ne serais pas si fier

Qu’on me flattât de cette manière.

 

C’est alors qu’entra en scène sa majesté le lion.

Sa présence suscita une vive émotion.

Vous parlez à tort, dit-il, plus sentencieux encore que le docte corbeau.

Les hommes, comme nous autres, n’ont jamais respecté que la loi du plus fort.

Aussi, ne soyez pas étonnés si je passe pour bien né.

Ils m’ont proclamé roi et sachez que chez eux

Ce titre-là est prestigieux.

Hélas ! gémit la colombe, d’une voix d’outre-tombe,

N’arrive-t-il pas que, parfois, au milieu de leur peuple en liesse,

On coupât la tête des rois ?

 

Certes, certes, poursuivit le lion, les hommes ne sont pas des agneaux,

Ils ont même tant de défauts qu’ils nous les mettent sur le dos.

Les doléances n’en finissaient pas.

C’est ainsi qu’une tortue se plaignait qu’on la jugeât lente,

Qu’un renard se demandait s’il devait se vexer qu’on le prit pour rusé,

Alors que dans l’hémicycle, un paon protestait contre ceux

Qui osaient lui reprocher d’être un brin vaniteux.

 

Pour clôturer le débat, une couleuvre demanda :

Qui de moi ou de la gente humaine, qui me juge paresseuse,

Vous semble la plus venimeuse ?

La réponse allait de soi. Les hommes, qui ne sont pas charitables,

A trop médire, ne retirent que des succès peu louables,

Tant il est vrai que l’on est plus enclin à rire des autres que de soi.

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE   - La ronde des fabliaux -

 

 

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LES ETATS GENERAUX DE NOS AMIS LES ANIMAUX - FABLE
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21 juin 2023 3 21 /06 /juin /2023 08:43

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Depuis la mort de Georges Braque en septembre 1963 célébrée par Malraux comme rarement ce le fut avec un tel éclat pour un autre artiste, le peintre allait tomber dans une relative indifférence. Peu d’expositions, peu de publications lui donnaient la place qu’il méritait dans le panthéon de la peinture française. Il semblait que l’on eût oublié ce que Malraux proclamait de sa voix sépulcrale dans la cour Carrée du Louvre devant le cercueil de Braque : «  Sans doute le caractère le plus pénétrant de son art est-il de joindre, à une liberté éclatante et proclamée, une domination des moyens de cette liberté, sans égale dans la peinture contemporaine. » Ou encore : «  Enfin, ces tableaux exprimaient la France à l’égal de ceux de Corot, mais plus mystérieusement car Corot, lui, l’avait beaucoup représentée. Braque l’exprimait avec une force de symbole si grande qu’il est aussi légitimement chez lui au Louvre que l’ange de Reims dans sa cathédrale. »

 

Deux ans plus tôt, Braque avait orné d’un grand oiseau héraldique le plafond des salles étrusques du Louvre et, en 1961, pour la première fois, un peintre vivant avait été convié à rassembler son œuvre à proximité de ses maîtres, au cœur même du musée. Certes, les honneurs n’avaient pas manqué à Braque à la fin de son existence mais, depuis lors, un silence anormal, comparé aux trompettes de la renommée qui n’ont cessé de retentir pour Pablo Picasso, s’était-il abattu sur lui, à l'exception d'une remarquable rétrospective que lui consacrera le Grand Palais en 2014. L’ultime toile qu’il a laissée sur son chevalet se nomme  «La sarcleuse» et représente, à la tombée de la nuit, cet objet, emblème du travail des hommes, soudain immobilisé sur une terre épaisse, obscurcie par un ciel lourd et ouvert, qui laisse pénétrer le mystère comme le souhaitait le peintre. Poésie muette, paysage où visiblement la mort est présente, lucide et calme.

 

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C’est en tant que paysagiste que Braque avait débuté sa carrière, influencé par les artistes postimpressionnistes. Né au Havre en 1882, il s’était très vite trouvé un maître, Cézanne, et avait rejoint le groupe des fauves de Matisse à Derain. La lumière enthousiasmait sa jeunesse et les couleurs vives exaltaient le jeune homme de 23 ans qui, descendu dans le midi, s’apprêtait à peindre des paysages euphoriques et colorés, simplifiant les formes afin d’élargir un espace profond et structuré. L’horizon du paysage n’est pas l’horizon du peintre, l’espace délimité par la nature n’est pas celui délimité par le peintre. L’art de celui-ci n’est autre que de briser le miroir et de reconstituer le monde à sa façon et selon des critères qui lui sont personnels.

 

Mais sa rencontre avec Picasso va marquer un tournant décisif dans sa vie. Auprès de cet espagnol flamboyant, Braque va inventer le cubisme. Après le fauvisme, qui pétrit la matière et imprègne la glaise molle de la volonté « du pouce créateur », le cubisme disloque le réel et, depuis ses débris épars, le recompose selon des lois qui ne sont plus celles de la logique et de la rationalité mais une nouvelle  harmonie qui propose un nouvel univers à l’univers trop arbitraire de la réalité. En effet, le poète, qui sommeillait en lui, n’avait rien à voir avec la raison pure, il était par conséquent nécessaire de lui chercher une équivalence dans les signes abstraits, instinctifs ou mieux intuitifs.

 

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Si Braque a été, au départ, un gentil fauve, il va devenir un génial cubiste, l’ordonnateur d’un cubisme repensé selon les attentes et les rejets du XXe siècle. Ainsi ses toiles se hérissent-elles de fines arêtes et de lumière opaline ou cristalline liés à une composante rocailleuse que certains jugeront inutilement austère. Il est vrai que Braque n’est pas Picasso. Le havrais n’est pas un taureau fougueux, un artiste tapageur, fulgurant et médiatique. Alors que l’un surjoue son égo, l’autre se consacre à une œuvre plus secrète, plus équilibrée mais en métamorphose constante. On le compare volontiers à un artisan solitaire qui s’inscrit naturellement dans la tradition ancienne et élabore une œuvre de longue haleine où les ingrédients restent conformes au classicisme français : l’équilibre et l’harmonie en référence constante avec le modèle grec et latin. Son ami Apollinaire disait à propos de lui : «  Braque atteint la beauté sans effort ». L’une de ses grandes découvertes sera les collages et l’intrusion des lettres dans la peinture. Il s’agit de faire signifier les formes et les choses autrement et en-dehors de leur usage et de leur aspect habituel.

 

Mais la guerre de 14 est déclarée et, officier de réserve, Braque part au front immédiatement. Il sera blessé le 11 mai 1915, abandonné sur le champ de bataille, trépané et entrera dans une longue convalescence qui l’éloignera des mois et des mois de son atelier et de son chevalet. Il ne reprendra ses brosses qu’en 1917 et signe alors «  La grande musicienne » qui annonce un retour progressif à la couleur et se présente comme une œuvre majeure où l’angularité s’accentue et se durcit, ne laissant découvrir que peu d’indices figuratifs. L’exposition du Grand Palais, qui eut lieu 2014, a permis de cheminer dans l’univers du peintre qui n’a cessé d’évoluer, de s’approfondir. La virtuosité de Braque ne se contente pas de donner vie à l’inanimé dans ses très nombreuses natures mortes et de faire tanguer les tables, elle s’accompagne d’une fantaisie, d’une poésie de l’instant et de la chose regardée et toujours magnifiée que l’on surprend rarement, sinon plus tard chez un Odilon Redon. Faisant référence au monde de la musique, l’artiste joue des effets de transparence et de matière et superpose les plans tout en laissant deviner l’entre-deux. L’ajout de sable, les pâtes plus épaisses de la fin de sa vie procurent aux formes leur densité et une stylisation très particulière à l’époque. Puis, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Braque va explorer de nouveaux thèmes, souvent empreints d’inquiétude. C’est à ce moment qu’apparaissent les oiseaux et que le questionnement méthodique du peintre rejoint l’idée que des hommes de lettres comme Paulhan, Saint-John Perse, René Char se faisaient de la littérature. L’art n’est pas là pour suppléer au réel mais pour le réinventer, pour le délivrer de la pesanteur. Braque partageait avec eux ce crédo : ouvrir le monde au mystère plutôt qu’à l’utopie, ne pas céder au romantisme pleurnichard ou à l’émotion émolliente mais structurer les énergies, se rapprocher de ce qui élève et délivre, initier le poème dans l’image. Car exister, n’est-ce pas être là simplement – le mode de l’explication et de la raison n’est pas celui de l’existence – aussi est-ce le devoir de l’artiste, quel qu’il soit, de le composer selon ses vœux et de tenter non seulement de l’éprouver mais de le décrire, afin d’aboutir à ce que fut par excellence la vocation de Braque : placer l’intime dans l’universel.

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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