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9 novembre 2018 5 09 /11 /novembre /2018 09:12
Photos Yves Barguillet

Photos Yves Barguillet

Lac d'Emosson

Lac d'Emosson

Il y avait longtemps que je n’avais pas revu les paysages alpins, renoué avec l’atmosphère très particulière de la haute montagne, les villages accrochés aux pentes herbues ou neigeuses selon la saison, les sonnailles qui  font vibrer  les alpages en été et au début de l’automne, les parfums  de mousse et l’air vif qui pique le visage et nous investit d’un sentiment irrésistible de liberté. On se sent d’autant plus libre en altitude qu’il n’y a jamais foule et que vous tracez votre route dans un silence majestueux. Comme le disait le général de Gaulle : « Regardez vers les hauteurs, il n’y a pas d’encombrement. » Rien n’est plus grisant que ces cimes qui se détachent sur le ciel, ces volumes qui se succèdent les uns les autres, leur architecture élégante, leur splendeur altière qui nous procure une sensation de grandeur. « Que la montagne est belle ! » chantait  Jean Ferrat et c’est vrai. La montagne est d’autant plus belle qu’elle reste, la plupart du temps, inaccessible à l’homme.
 

L'automne en Suisse
L'automne en Suisse
Vues depuis le Moleson

Vues depuis le Moleson

Le retour à cet environnement alpestre a été un vrai bonheur. Pour avoir vécu huit ans à Annecy, j’ai  d'autant plus apprécié la présence du lac, son élégance au cœur de cet écrin de hauts sommets, la diversité des lumières qui le pare d’éclats vifs ou caressants, les ombres qui l’embrument, le tracé des bateaux qui griffe sa surface, enfin les innombrables  oiseaux qui le peuplent et complètent cette alliance de l’eau et de la rive. Lausanne est un lieu qui concentre la beauté à un haut degré de perfection. On comprend que l’existence y soit agréable et qu’il y ait comme une grâce qui  imprègne l’air que l’on respire. Au lac d’Emosson, site grandiose à 2000m d’altitude, ce début d’automne avait paré les arbres d’un éclat empourpré qui a su impressionner la pellicule et offrir à notre regard une vue époustouflante sur le Mont Blanc, tandis que le Moleson, tout aussi haut (2008 m), atteint grâce à un funiculaire d’abord et un téléphérique ensuite, ouvre un panorama splendide sur les sommets des Alpes françaises et italiennes, tandis que le village de Gruyères, qui a conservé son atmosphère médiévale, permet de renouer avec le passé  dans un cadre délicieusement bucolique. Quant à Montreux, il fait bon y  flâner comme aimait à le faire l’impératrice Elisabeth de Habsbourg, appelée familièrement Sissi, qui oubliait ici les exigences de la couronne d’Autrice-Hongrie. Elle est morte assassinée à Genève le 10 septembre 1898, à l’âge de 60 ans, de la main d’un jeune anarchiste Luigi Lucheni, alors qu’elle embarquait sur le bateau qui devait la ramener à Montreux, station qu’elle affectionnait et qui semblait avoir été créée pour le bien-être  et la détente. Autres personnalités qui ont apprécié cette cité, Jean-Jacques Rousseau, Lord Byron, Hemingway et, plus récemment, le musicien Freddie Mercury.

 

Village de Gruyères

Village de Gruyères

Le lac Léman à Montreux à la tombée du soir.

Le lac Léman à Montreux à la tombée du soir.

Autre qualité de la Suisse, en dehors de ses paysages, de ses fromages et de son souci du confort et du détail, elle est un haut lieu de la démocratie. Probablement le pays d’Europe où le peuple est le plus impliqué dans le processus décisionnel. Ce pays s’étant refusé à cantonner le citoyen au seul rôle d’électeur, lui a proposé  une démocratie qui l’investit pleinement dans la vie politique du pays. Le président suisse, dont le rôle est honorifique, est élu pour un an parmi les sept conseillers fédéraux. Et ce qui diffère la Suisse, de la plupart de ses voisins européens, est le recours intensif à la démocratie directe, soit la possibilité pour chacun d'entre eux de s’exprimer par de fréquents référendums sans passer par le truchement des représentants. Pour preuve, le référendum a été utilisé 9 fois en France depuis 1958 et près de 400 fois chez les Suisses dans le même laps de temps. Ceci explique sans doute cela ... la Suisse préfère se gérer sans autre recours qu'elle-même.
 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Le lac à Lausanne

Le lac à Lausanne

Le port de Pully à Lausanne

Le port de Pully à Lausanne

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13 octobre 2018 6 13 /10 /octobre /2018 08:35
Le goût des lendemains

 

Hier, comme aujourd'hui, nous naviguons au gré des flots sur une mer houleuse, au milieu d'innombrables écueils. Mais les citoyens que nous sommes en ont vu d'autres. Et ils sont toujours arrivés à se sortir des mauvais pas de l'histoire si, malheureusement, ils n'ont pas toujours su en tirer les leçons qui s'imposaient. Car l'histoire est un éternel recommencement, les épreuves d'hier aidant rarement à se prémunir des erreurs de demain. Si bien que les hommes, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, s'adaptent. A tout : aux  pandémies, aux conditions météorologiques, aux menaces de guerre, aux krachs financiers, aux famines, au terrorisme, aux révolutions. Ils enterrent leurs morts, relèvent leurs ruines, comblent leurs déficits et repartent. Le courage, certes, les abandonne rarement. Besogneux, résistants, fatalistes, ils avancent contre vents et marées. Ce qui leur manque le plus est probablement la sagesse et le discernement, ces deux vertus qui permettent de voir mieux et plus loin. Car, ils ont toujours eu le tort d'avancer le nez sur le guidon. C'est le Général de Gaulle qui disait : "Visez les hauteurs, il n'y a pas d'encombrement".

 

 

Il faut admettre aussi que nos leaders ont rarement été des éclaireurs. A l'exception d'un Churchill qui avait eu le courage de promettre aux Anglais, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, " du sang, du labeur, de la sueur et des larmes", les autres ont largement contribué à nous endormir et à taire les dangers, afin de mieux assurer leur propre survie. Mais à force de jouer avec le feu et de faire l'autruche, à force de n'aspirer qu'au gain immédiat et à la seule satisfaction matérielle, le dieu profit se retourne contre nous. Oui, le veau d'or au pied d'argile, que depuis la nuit des temps l'homme a toujours été enclin à vénérer pour la bonne raison qu'il est sensé satisfaire ses désirs immédiats, s'effondre sur lui-même. Mais, en tombant, il ne manque jamais d'écraser quelques innocentes victimes.

 

 

Il est à remarquer également que depuis quelques décennies, les valeurs sûres sont en berne. A l'instar  de l'ange qui fait la bête, " le meilleur des mondes" s'avère le pire des mondes. Dans leur ouvrage précis et tonitruant - en référence au livre d'Aldous Huxley - "Résistance au meilleur des mondes", Eric Letty et Guillaume de Prémare soulignent un curieux paradoxe : l'utopie progressiste fait des ravages dans notre univers à mesure qu'elle signe son échec : 

"Nous vivons une époque paradoxale, tandis que la révolution technologique ouvre à l'homme des horizons de progrès qu'il ressent comme illimités, nous assistons à la fin de l'idéologie du progrès, qui veut que le monde avance continûment du bien vers le mieux. Démentie par les faits, cette forme de matérialisme historique est un échec. L'homme occidental a cru qu'il était inscrit dans l'histoire que chaque génération vivrait mieux que la précédente ; il a cru que la civilisation du loisir et de la consommation ouvrait une ère nouvelle d'accomplissement de soi, d'épanouissement individuel, en un mot de bonheur. Or, les promesses de la modernité ne sont pas tenues, ni celle du progrès matériel continu, ni celle du bonheur croissant."

 

 

Et les auteurs d'énumérer quelques-uns des stigmates du progrès en cours : effacement des nations et des corps intermédiaires dans la perspective d'une gouvernance mondiale, ébranlement des fondations de la famille, négation de l'identité des individus, production artificielle de l'être humain, transhumanisme, contrôle mondial des naissances et eugénisme. Il en résulte bien que le citoyen du meilleur des mondes est avant tout un consommateur atomisé en voie de robotisation. Pour traverser une crise, quelle qu'elle soit, la priorité serait de revenir à la vérité, au courage et à l'action. Le temps n'est plus aux discours lénifiants, aux mensonges et aux dissimulations qui ont sapé la confiance des peuples. L'honneur de la politique n'est-il pas d'apporter la preuve qu'il y a encore des moyens d'agir et la force des Nations de s'unir pour mieux résister ?  Le ferons-nous ou continuerons-nous à danser sur des volcans ? Probablement ! Et c'est ce qui fait qu'en permanence nous naviguons entre illusion et désenchantement. 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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4 octobre 2018 4 04 /10 /octobre /2018 09:13
Marcel Proust du côté de Cabourg de Dominique Bussillet

Voilà un ouvrage délicieux qui peut ouvrir à des lecteurs, impressionnés à l’idée de se lancer dans le grand œuvre de Marcel Proust ( plus de 3000 pages, pas moins de 1 300 000 mots), une voie d’accès que Dominique Bussillet nous propose comme une promenade au côté d’un écrivain qui se cherche lui-même et nous convie à l’accompagner dans un parcours de vie dont l’essentiel se situe dans les impressions indicibles et les réminiscences de l’enfance. Ainsi … du côté de … est-il une destination énigmatique avec toutes les bifurcations que l’auteur ne va pas tarder à créer et dont le mérite est une oeuvre éminemment littéraire et un cheminement où la mémoire involontaire nous ouvre des perspectives quasi illimitées qui président à la construction des aspirations les plus hautes.  Travail de forçat - écrit Dominique Bussillet - qui va l’enchaîner à son lit jusqu’à sa mort, lui apportant en échange la plus formidable entreprise de libération de soi jamais tentée, car elle a cela de remarquable que, au contraire d’une psychanalyse, elle est révélée à tous par le biais de l’écriture et de la publication, laissant à chacun le choix de son interprétation, de son appréciation ou de son indignation. »

 

Il est vrai que Proust n’impose rien, il invite simplement le lecteur à le suivre pour se mieux comprendre et se mieux accepter, éclairer ses propres zones d’ombre, en quelque sorte s’aimer davantage. Lui-même n’a jamais cessé de faire face à l’angoisse, à cette angoisse qui nous menace, nous interpelle : oui, qui sommes-nous ? Proust ne mettra pas moins de 3000 pages pour tenter de l’apprendre et nous offrir, par la même occasion, une lampe ou plutôt un phare qui a charge d’éclairer notre monde intérieur hérissé de récifs. Ce que Freud nommait en allemand « das unheimliche » et qui signifie « l’inquiétante étrangeté ». C’est ce que chacun de nous est tenté de refouler ou de faire semblant d’oublier et que Proust nous incite à déchiffrer et à apprivoiser de façon à mieux saisir le mystère de la personne.

 

Si Dominique Bussillet nous donne quelques-unes des clés qui ouvre les premières pages de cette œuvre immense, elle nous parle également de Proust à Cabourg, lieu où de 1907 à 1914 il a pris ses quartiers d’été au grand-Hôtel, parcouru la région et initié une partie de son œuvre où se respire une atmosphère pleine de poésie, de saveurs et d’odeurs, villégiature autant observée que rêvée avec délectation. Désormais, durant ces huit étés vécus dans un bien-être estival au cœur de la Normandie, va-t-il réfléchir à l’élaboration de son œuvre où « le temps est distendu, étiré à l’infini, sur le rythme de la paresse et des loisirs » - précise madame Bussillet. Cabourg joue ainsi, dans l’existence proustienne, le rôle de la ville irréelle et idéale, l’endroit de nulle part, un peu comme un paradis envisagé, une enfance réécrite par l’imagination. C’est ainsi qu’il crée  Balbec « comme dans ce jeu ou les Japonais s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables. » - souligne Marcel Proust dans La Recherche.  

Le Grand-Hôtel et la Promenade des Anglais de Cabourg à la fin du XIXe siècle.
Le Grand-Hôtel et la Promenade des Anglais de Cabourg à la fin du XIXe siècle.

Le Grand-Hôtel et la Promenade des Anglais de Cabourg à la fin du XIXe siècle.

Odilon Albaret et Alfred Agostinelli seront ses chauffeurs qui, à bord de leurs taxis de la Compagnie Unic dirigée par le fils de Madame Straus, Jacques Bizet, lui permettent de visiter Caen, Bayeux, Falaise, Lisieux, les abbayes de Jumièges et de Saint-Wandrille, Dives-sur-Mer, Trouville, autant de lieux qui lui inspirent des descriptions enthousiastes et où il rend compte de l'agrément procuré par ce moyen de transport personnalisé : "Non, l'automobile ne nous menait pas ainsi féeriquement dans une ville que nous voyions d'abord dans l'ensemble que résume son nom, et avec les illusions du spectateur dans la salle. Il nous faisait entrer dans la coulisse des rues, s'arrêtait à demander un renseignement à un habitant. Mais comme compensation d'une progression si familière, on a les tâtonnements mêmes du chauffeur incertain de sa route et revenant sur ses pas, les chassés-croisés de la perspective faisant jouer un château aux "quatre coins" avec une colline, une église et la mer, pendant qu'on se rapproche de lui, bien qu'il se blottisse vainement sous sa feuillée séculaire" - écrit-il dans la Recherche. Soulignons que l'Académie française avait décidé, à l'apparition de l'automobile, que le mot serait masculin, ce qu'il est resté jusqu'en 1914. Dominique Bussillet nous rappelle également les grands moments de Cabourg-les-Bains à la fin du XIXe siècle et au début du XXe qui fut le Cabourg de Marcel, du premier Casino en bois, des représentations théâtrales, du kiosque, de la promenade des Anglais, aujourd'hui "Promenade Marcel Proust", des maisons d'alors qui privilégiaient la munificence extérieure au confort intérieur, le rallye-paper à bicyclette du 13 août 1911, la fête enfantine des Fleurs du 8 août 1912, enfin cette ambiance élégante qui faisait de la Côte fleurie un paradis de détente et de loisirs.

 

Le kiosque à musique et le perron du Grand-Hôtel au temps de Proust.
Le kiosque à musique et le perron du Grand-Hôtel au temps de Proust.

Le kiosque à musique et le perron du Grand-Hôtel au temps de Proust.

Il est néanmoins un domaine où Marcel Proust, en ce qui concerne les progrès  de son époque, se montre circonspect, c'est celui de la médecine. On sait qu'à ce sujet, il n'a pas manqué de régler quelques comptes envers son père et son frère, tous deux médecins, ce que François-Bernard Michel nous rappelle dans son excellent ouvrage "Le professeur Marcel Proust" paru l'an dernier chez Gallimard. En effet, Proust fait preuve d'un humour caustique à travers le personnage de Cottard dont la plupart des pronostics tombent à côté de leur cible. Pour Marcel, les innovations importantes se révèlent plus passionnantes et justifiées dans les visions fugitives qui sont celles dévoilées par les phénomènes de la mémoire involontaire, soit dans le domaine de l'inconscient qu'à la même époque Freud découvre à Vienne en Autriche. Son dernier séjour à Cabourg se fera durant l'été 1914 en présence de Céleste Albaret entrée à son service depuis le départ de son mari pour le Front. Elle restera auprès de lui jusqu'à sa mort, devenant au fil des années une confidente et une amie, une mère de substitution en quelque sorte. Bien entendu, en cet été-là, Cabourg traverse des heures d'angoisse comme le pays tout entier. C'est la nostalgie qui envahit soudainement la plage et la jolie station balnéaire. Le Grand-Hôtel est bientôt réquisitionné pour recevoir des soldats mais Marcel obtient la faveur de rester au dernier étage qu'il ne quittera qu'à la fin du mois de septembre pour ne plus jamais revenir, la suite de la guerre, l'élaboration de son oeuvre et sa santé, qui ne cessera plus de se dégrader, ne lui permettront plus. Ce dernier voyage de retour sera particulièrement éprouvant car les médicaments ont été laissés au fond d'une valise, valise placée dans le wagon à bagages et Marcel est pris alors d'une terrible crise de suffocation qui fait craindre pour sa vie. Jusqu'à ce que Céleste parvienne à récupérer les précieuses pilules et que le voyage se termine à peu près normalement. Dans "A l'ombre des jeunes filles en fleurs", le narrateur fait une description emplie de mélancolie de ce que fut la fin de la saison à Balbec : " Puis les concerts finirent, le mauvais temps arriva, mes amies quittèrent Balbec, non toutes ensemble, comme les hirondelles, mais dans la même semaine. Albertine s'en alla la première, brusquement, sans qu'aucune de ses amies eût pu comprendre, ni alors, ni plus tard, pourquoi elle était rentrée tout à coup à Paris, où ni travaux, ni distractions ne la rappelaient."

 

Quant à Proust, qui ne reverra jamais plus ni la Normandie, ni Cabourg, le Balbec de son imagination, il consacrera désormais ses journées, et surtout ses nuits, à user de sa sève intérieure pour nourrir son inspiration, cela jusqu'à sa mort survenue le 18 novembre 1922, si bien que les paysages visités et réanimés par ses mots ont-ils créé le pays magique et immortel du temps perdu et retrouvé.


Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

Petit livre que l'on peut mettre dans sa poche lors des itinéraires normands qui nous entrainent sur les traces de Proust, il est joliment illustré de nombreux documents de la collection personnelle de Madame Busillet. Edition : Les cahiers du temps (2002) Réédité en 2017


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Le Grand-Hôtel vu de la ville et la gare de Dives.
Le Grand-Hôtel vu de la ville et la gare de Dives.

Le Grand-Hôtel vu de la ville et la gare de Dives.

La plage et la salle-à-manger du Grand-Hôtel au temps de Proust.
La plage et la salle-à-manger du Grand-Hôtel au temps de Proust.

La plage et la salle-à-manger du Grand-Hôtel au temps de Proust.

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25 septembre 2018 2 25 /09 /septembre /2018 08:23
Le Rondonneau dans les années 1950

Le Rondonneau dans les années 1950

Le Rondonneau aujourd'hui

Le Rondonneau aujourd'hui

Il y a de cela plus de 70 ans, mes parents firent l'acquisition de ce que l'on nomme toujours "Le château de Rondonneau" et qui n'est qu'une simple gentilhommière. J'avais alors 9 ans et mon enthousiasme, à la vue de ce décor boisé, avait, parait-il, joué un rôle dans leur décision de devenir les propriétaires de cette jolie demeure et de son parc où serpentait la rivière des Mauves. Mon grand-père maternel venait de mourir et ma mère souhaitait investir son héritage dans une résidence secondaire qui permettrait à notre famille de s'évader de Paris le plus souvent possible, Meung-sur-Loire n'étant jamais qu'à 150 kms de la capitale. Tout me plaisait au Rondonneau : son cadre romantique et la campagne qui lui servait de toile de fond, l'enveloppant dans un univers champêtre où se voyaient encore quelques semeurs dont la beauté du geste m'émerveillait. D'ailleurs tout m'émerveillait dans cet environnement où je gagnais une liberté nouvelle, celle de vagabonder au gré de ma fantaisie, de découvrir la nature dans sa diversité, celle des végétaux bien sûr, mais également le gibier très abondant, les oiseaux si nombreux, les insectes innombrables, même les araignées que j'apercevais terrifiée certains soirs sur le mur de ma chambre. Oubliés les tenues citadines et l'uniforme qui sera le mien quelques années plus tard chez les dominicaines et bienvenue à la salopette, au vieux pull et aux sandales plus propices à affronter les chemins que les vernis parisiens dont s'était moquée, le premier soir, la dame de la ferme chez qui j'étais allée chercher le lait : "En voilà d'une petite parisienne !"  Si je voulais me faire adopter par mes nouveaux voisins, il fallait me couler dans le moule de cette paysannerie si authentique, de ces gens accueillants dans la mesure où vous-même vous pliiez à quelques règles élémentaires. Dès le début de notre installation, je fus frappée par les réalités de la terre auxquelles ils étaient quotidiennement astreints. Je me plaisais à entendre passer les charrettes, puis les tracteurs qui, tôt le matin, se rendaient sur les lieux pour les innombrables travaux des champs. Oui, tout me surprenait de cette vie agreste où les temps consacrés à l'agriculture fractionnaient leur existence de façon immuable. Moi-même je me sentais devenir autre, plus sensible aux bruits, aux odeurs et à cette horlogerie secrète qui est celle du sol, du ciel et des vents. 
 

Le parc dans les années 1950
Le parc dans les années 1950

Le parc dans les années 1950

Le parc aujourd'hui, toujours aussi romantique.
Le parc aujourd'hui, toujours aussi romantique.

Le parc aujourd'hui, toujours aussi romantique.

C'est au Rondonneau, lors de mes fréquentes rêveries dans l'une des petites îles que la rivière des Mauves compose dans le parc, que j'ai pris goût à écrire et que naquit ma vocation pour la poésie. Il est vrai que le cadre se prêtait aux évasions imaginaires ; n'y avait-il pas autour de moi un décor harmonieux, empli d'une solitude propice à la méditation où je ne cessais d'être requise par la profondeur du silence et l'empreinte puissante que la nature imprimait en moi ! 

Saint-Exupéry a écrit : "On est d'une enfance comme on est d'un pays" et il est vrai que le Rondonneau et ses environs ont été une terre initiatrice, celle où je me suis construite, où j'ai fait la lente expérience de la vie, la découverte des impressions les plus fondamentales. Les enfants d'alors avaient de l'imagination que la nature environnante ne cessait de solliciter, les invitant à varier leurs jeux ou mieux à les inventer, à créer des personnages, source imaginaire de communication. Les parties de croquet ou de cache-cache, les jeux de société, ainsi que les spectacles que nous montions ensemble, comblaient nos journées, éveillaient nos esprits, nous incitaient à observer le monde des hommes et la divine nature et à tirer les enseignements bénéfiques à notre apprentissage. Aujourd'hui, je perçois  encore le chant de la rivière des Mauves, son bruit furtif sur les pierres. 

 

 

La cabane dans les années 50. Elle se serait peu à peu écroulée sous le poids des ans et  n'existe plus.

La cabane dans les années 50. Elle se serait peu à peu écroulée sous le poids des ans et n'existe plus.

Avec ma cousine sur l'une des deux barques.

Avec ma cousine sur l'une des deux barques.

Les Mauves aujourd'hui.

Les Mauves aujourd'hui.

Lors de l'emménagement, qui avait succédé à  l'achat de la propriété, ma mère avait souhaité, avant toute autre chose, à disposer d'un piano dans le salon afin de pouvoir travailler son chant durant les vacances, d'autant qu'elle ne risquait pas de gêner les voisins comme à Paris. Et elle s'était empressée de faire la connaissance des musiciens de la région dont une certaine Marguerite Boucher qui tenait l'orgue de la collégiale Saint Liphard de Meung-sur-Loire et s'était révélée être une musicienne accomplie. Une plaque a d'ailleurs été apposée à l'entrée de sa maison qui rappelle le rôle éminent qu'elle a tenu pour remettre en état l'orgue et éveiller la sensibilité musicale de la ville. Si bien que le Rondonneau allait devenir le rendez-vous privilégié de ses amis musiciens. Il n'était pas rare que l'on sorte le piano sur la terrasse pour des concerts improvisés les soirs d'été, lorsque la lumière déclinait et posait mollement  ses dernières lueurs sur la canopée.

 

Plus tard, lorsque je suis partie habiter Annecy, mes parents ont vendu cette propriété et le portail s'est refermé sur les années exceptionnelles où ce lieu a été l'épicentre familial, le havre où nous aimions nous retrouver en famille ou entre amis. Puis le temps a passé. Il y eût les années à Louveciennes avec les enfants qui grandissaient, puis celles que nous vivons mon mari et moi depuis 1991 à Trouville, face à la mer, site choisi qui nous a apporté son lot de bonheur, d'accomplissements, de peines aussi. Mais le Rondonneau est resté pour toujours dans ma mémoire auréolé d'une poésie prégnante, d'un  charme indéfinissable. Revenant sur ces terres en pèlerinage pour y retrouver mes souvenirs et mes amis d'autrefois, jamais revus depuis plusieurs décennies, ces derniers se sont débrouillés pour que je puisse revisiter mon ancienne demeure au bout de la plaine qui prend, à la belle saison, le ton chaud des blés. Le portail s'est entrouvert sur le parc solitaire et silencieux, jardin enclos dans sa douce mélancolie, son décor champêtre et son exubérance végétale. La façade de la maison, désormais laurée de lierre au point qu'il enguirlande les fenêtres, a conservé son élégance et domine toujours la terrasse et la pelouse qui s'inclinent en pente douce vers la rivière. En sorte qu'il n'y aura jamais eu d'adieu, seulement un "au revoir".

Le hangar à bateaux, toujours là en 2018.

Le hangar à bateaux, toujours là en 2018.

"Sous le hangar, la barque est toujours amarrée et l'excursion permise pour les plus audacieux que les Mauves lisses et brillantes chargées d'un épais silence et que les terres nocturnes n'effraient pas. Ils reprennent le voyage interrompu là où la roue du moulin des Touanes interdit le passage. De nouveau, la remontée lente avec le seul objectif de cette initiation, écoulement de l'onde par delà le temps et la mort, comme une mélodie troublante dont on perçoit à peine l'écho mais qui obsède parce qu'en chacun de nous l'incertitude persiste ... en son jardin clos."

(Extraits de mon roman "Le jardin d'incertitude")


Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


Pour prendre connaissance des articles concernant mes souvenirs du Rondonneau, cliquer ci-dessous sur leurs titres :

 

Mon père, retour sur le passé
Ma mère à la lumière des souvenirs
Mon grand-père Charles Caillé ou l'art des jardins

Arthur, mon arrière grand-père, une histoire simple
Renée ou l'enfance réenchantée

Les Pâques de mon enfance au Rondonneau

Les chiens de mon enfance
Le cercle de famille
Chers disparus

 


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Avec mes amis au Rondonneau. Ils étaient nos voisins à l'époque. Toute une enfance partagée.

Avec mes amis au Rondonneau. Ils étaient nos voisins à l'époque. Toute une enfance partagée.

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14 septembre 2018 5 14 /09 /septembre /2018 08:25
Marcel Proust et le labyrinthe

Le thème du labyrinthe a été maintes fois évoqué au sujet de l’œuvre de Marcel Proust que certains lecteurs considèrent comme un auteur chaotique et obscur, œuvre emplie de digressions dans laquelle il est parfois difficile de cheminer et dont la lecture est un véritable trajet initiatique, en quelque sorte une démarche labyrinthique. Ce qu’il ne faut pas dissocier d’une évidente quête de soi et quête de sens. Le thème du labyrinthe se retrouve dans toutes les civilisations et apparaît, dès le XIIe siècle, dans le Christianisme avec l’évocation de la Jérusalem céleste, voie proche du labyrinthe et de l’épreuve d’initiation. On voit d’ailleurs un labyrinthe dans la cathédrale d’Amiens et un également dans la cathédrale de Chartres. Certes le labyrinthe égare. On s’y sent enclos. Il faut de l’opiniâtreté pour tenter d’en sortir. Et pour lire l’œuvre de Proust, il en faut aussi. Chaque phrase étant une unité de sens, perdre le début de l’une d’elles – et certaines sont très longues – équivaut à perdre le fil et prouve combien Marcel Proust a souvent  des phrases labyrinthiques. N’a-t-il pas l’art de nous faire voyager avec ses phrases qui n’en finissent pas et ses propositions juxtaposées ? De même que se mêlent dans ses pages le sacré et le profane. Voilà un écrivain qui ne redoute pas les accumulations graphiques et les phrases à rallonge. Un univers se déplace dans une seule page. Proust a également recours aux oxymores et tente de saisir toutes les dimensions du monde.

 

A travers les textes des sept romans qui composent « La Recherche », l’auteur use de séquences narratives qui se révèlent être des successions d’épisodes et développent ainsi les grands thèmes où l’on rencontre des passages satiriques, des considérations plus intimes, des descriptions, des dialogues, des réflexions philosophiques, psychologiques ou littéraires et de remarquables analyses des diverses couches sociales. Déjà l’écrivain devinait l’existence de l’inconscient qu’à Vienne Sigmund Freud, qu’il ne connaissait pas, percevait lui aussi et dont il établissait les bases. En définitive, quelle histoire nous conte « La Recherche » ?

 

Le premier trajet est celui de la découverte des salons aristocratiques et bourgeois et le décryptage des êtres humains passés littéralement au scanner. Mais l’illusion de l’approche se changera vite en désillusion. Les fêtes somptueuses laissent au narrateur l’impression du néant. Les gens du monde se montrent peu à peu décevants et illettrés, n’ayant qu’un vernis de surface. L’amour est, par ailleurs, une expérience redoutable. On le voit dans l’échec du narrateur avec Albertine qu’il croit aimer dans un premier temps, cet amour se révélant bientôt impossible et source de souffrance. Si bien, que se référant à Proust, on peut conclure que la jalousie et la détresse composent l’enfer du sexe.

 

Paris est une ville maudite à ses yeux, malgré ses innombrables beautés, nous pourrions ajouter pour ses fallacieuses tentations, au point que l’hôtel de Jupien, qui reçoit des homosexuels et des sadomasochistes, évoque à l’auteur Sodome et Gomorrhe. Il y a partout, autour de nous, le mal à voir et à combattre. D’autant plus que la vie est continûment traversée par la mort : celle de la grand-mère et de Bergotte, celle de Saint Loup à la guerre de 14/18 et la disparition d’Albertine lors d’un accident de cheval. L’auteur pointe du bout de sa plume l’apparition permanente du non-sens, cette difficulté à trouver un sens vrai à son existence, à la stabiliser dans une orientation précise et immuable. Depuis le début, il ne sait pas quelle est sa véritable vocation, si bien que « La Recherche » est la mise sur orbite d’une œuvre et d’une vocation tardive.

 

Quand rien n’a de sens, que faire ? – s’interroge Proust. Il y a le refuge de la peinture évoqué par Ver Meer et le personnage d’Elstir, celui de la littérature avec Bergotte et Dostoïevski, joie artistique que l’on ne peut connaître qu’en créant et qui est la voie royale, la seule qui donne sens, celle du salut, dont les réminiscences se révèlent être une grâce, l’apparition d’un temps prolongé à l’infini. En définitive, le labyrinthe conduit au centre de soi, c’est le parcours long et épuisant que nous devons emprunter pour tenter d’atteindre le sanctuaire caché et personnel qui donne existence à l'art et, pour Marcel Proust, à cette cathédrale de mots de son oeuvre, dominée par la haute flèche du « Temps retrouvé ».

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Le labyrinthe de la cathédrale d'Amiens

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Labyrinthe végétal

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29 août 2018 3 29 /08 /août /2018 09:12
Le retour aux sources ou l'art de s'émerveiller

Un peu lasse d'un été chargé, j’aspirais à un moment de détente, un temps de méditation où se retrouver soi-même,  savourer  le silence, ce qui nous manque le plus aujourd’hui. C’est ainsi, qu’en compagnie de mon mari, je suis partie me réfugier au plus profond de la campagne dans un coin de verdure ignoré par le bruit, en ce pays d’Auge collineux et bucolique qui prête à la Normandie ce caractère bocager tellement séduisant. Autour, ou proche de nous, un étang qui dort, des herbages entourés de haies vives, des pommeraies et des troupeaux paissant calmement sous un ciel parcouru de nuages nomades. Une terre paisible et attentive et des cieux voyageurs qui laissent dans l’atmosphère une brume bleutée. Voilà posé un décor de rêve, empreint de paix et de joie tranquille. Les rares bruits sont le bêlement des moutons, le mugissement des vaches et surtout le chant discret des oiseaux à cette saison où ils sont tentés de se taire. Ainsi, tout est-il propice à l’émerveillement. D’ailleurs, «S’émerveiller» est le seul livre que j’ai emporté avec moi, réflexions philosophiques où l’auteure Belinda Cannone nous propose une analyse fine et poétique de cette faculté que nous avons de saisir la beauté dans son expression la plus simple et la plus quotidienne. Belinda a rédigé cet ouvrage dans le pur présent, lors d’événements inattendus et intimes qui surviennent en nos vies comme des épiphanies. Il est vrai que la vie heureuse est celle vécue dans l’immédiateté, ce sont ces instants où un pigeon roucoule, où le paysage s’élabore dans son élégance spontanée, où les arbres déploient leurs bruissements mélodieux, que le bonheur s’invite à notre table et que nous sommes totalement solidaires de ce présent qui semble subitement s’immobiliser.

Le retour aux sources ou l'art de s'émerveiller

Alors, l’émotion devient naturelle. C’est une émotion tendre et enfantine, celle de l’oiseau qui picore à deux pas, de l’ombrage familier, du ciel qui s’empourpre à l’heure du soir et prête aux lointains une fulgurance wagnérienne, du vent qui se lève subitement et fait ondoyer la canopée ou ce parfum de pomme qui nous saisit et nous procure un avant-goût de tarte tatin. Qu’il est bon de se délester des soucis quotidiens, d’abandonner le courant de la vie ordinaire pour  mieux se rassembler en soi, revenir à l’essentiel et à ce qui compose nos aspirations les plus chères, faisant taire, pour un moment, l’agitation du monde. Un monde qui ne sait plus s’écouter, prendre recul et hauteur, se complaisant dans une permanence brouillonne. « Le risque de l’enténèbrement a frappé notre époque » - écrit Belinda Cannone qui sait si bien s’émerveiller de l’ordinaire des choses, des gestes les plus humbles, des actes les plus anodins, ceux qui édifient la matière du monde. Oui, il y a danger à aller progressivement vers la perte du désir vital, vers un refoulement de l’humain. Alors que le bonheur est si présent lorsque nous nous éloignons de l’actualité internationale et que nous le percevons proche du regard, de la main et du cœur comme un rappel de ce qui comble l’âme et rend la merveille possible !

 

J’aime ces heures qui s’écoulent lentement, qu’on laisse glisser en appréciant leur goût parfait, leur composition simple, leur enchantement subit. Vivre a alors un sens profond, une sorte de continuité dans l’élaboration de notre relation envers les autres, vers toute existence qui accompagne et cisèle une famille, une communauté, une nation, si tant est que cela soit possible ! Il est vrai que le possible n’est pas toujours du domaine du réel, tant ce réel a été malmené, tant notre quotidien a été maintes fois entaché et blessé. Au mieux, pouvons-nous remailler le présent, tenter de renouer les fils qui lâchent, refuser les actes qui portent atteinte à la plénitude de la vie humaine. Souhaiter simplement caresser de la paume l'agneau qui bêle, des yeux la fleur qui s'ouvre, le matin qui se lève, saluer le voisin, le passant, protéger le faible, respecter la nature.

 

L’émerveillement n’est pas l’éblouissement, il est plus secret, plus humble et peut s’éprouver à tout instant : la saveur d'un fruit, la surprise d'un paysage, d'un envol d'oiseau, d'un éclairage sur la campagne ou sur la mer. Pourquoi sommes-nous si fréquemment dans l’attente, l’agitation, le souci du lendemain ? Notre regard ne sait-il plus s’attarder, se reposer sur les choses dans notre souci permanent d’autre chose ? C’est de cela dont nous devons guérir. Réapprendre à goûter l’instant, à contempler une nature qui s'empresse à nous quérir et n’est-ce pas ce que je suis venue chercher au cœur d’un pays d’Auge pastoral où le temps prend son temps et nous réhabitue à voir et à aimer ? Je crois bien que oui …
 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


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Le retour aux sources ou l'art de s'émerveiller
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17 août 2018 5 17 /08 /août /2018 09:13
Un été avec Homère de Sylvain Tesson

Selon moi, voici un livre que l'on garde volontiers à portée de main pour la simple raison que l’on relit L’Iliade et l’Odyssée éclairé par un témoin de notre temps qui nous remet en phase avec Homère. Pour mieux retrouver le poète et le philosophe, Sylvain Tesson n’a pas hésité à se rendre sur une île grecque afin de partager les mêmes paysages, les mêmes bruits, et surtout les mêmes silences, d’autant que les îles, ne communiquant pas, leur diversité impose à chacun de conserver sa singularité. Toute affaire cessante, il est parti rejoindre Homère, ce vieux compagnon d’aujourd’hui, dit-il, qui nous offre une conduite, nous propose une modernité éclectique et nous donne à lire un poème grandiose qui a su tout conter et tout revendiquer et permet aux humains du XXIe siècle de mieux comprendre comment ils sont devenus ce qu’ils sont.

 

Message d’Homère pour nos temps actuels : « La civilisation, c’est quand on a tout perdu ; la barbarie, c’est quand on a tout à gagner ». Se souvenir d’Homère à la lecture du journal du matin, nous rappelle Sylvain Tesson, voilà un sage conseil. Et souvenons-nous que tout assiégeant peut devenir un futur assiégé. Dans l’Iliade, nous apprenons beaucoup de choses, par exemple que l’homme est une créature frappée de malédiction. Ce n’est ni l’amour, ni la bonté qui mènent le monde mais la colère, soit l’hubris. En effet, ouvrir l’Iliade, c’est recevoir la gifle des tempêtes et des batailles et ces tempêtes et batailles n’ont cessé de tailler à vif dans l’histoire des hommes. Homère nous invite à  une réflexion sur notre condition où se dessine la trilogie victorieuse de l’Antiquité à nos jours : la ruse, la constance et la souveraineté.

 

Quant à l’Odyssée, il est le poème du retour : retour à soi et chez soi, livre d’autant plus utile à notre époque que nous sommes de moins en moins chez nous et de moins en moins … en nous. Or il ne s’agit pas de transgresser la mesure de ce monde, nous rappelle-t-il, soulignant qu’Ulysse n’est pas seulement l’homme de l’éternel retour mais celui du retour impérieux. Parce qu’aucun homme ne vient de nulle part. La révélation moderne n’avait pas encore consacré le règne de l’individualisme, dogme qui nous réduit à être des nomades, sans racines ni ascendance. On ne saurait se montrer fier de son  propre reflet si  on ne peut pas se prétendre de quelque part – souligne Sylvain Tesson à la suite du poète antique. 

 

« Il n’y a rien pour l’homme de plus doux

Que sa patrie et ses parents. » - disait Ulysse aux Phéniciens  (Odyssée, IX, 34-35)

 

Homère ne cesse d’exhumer les invariants de l’âme et de rappeler les hiérarchies profondes des structures du vivant. Aussi est-il pour nous un merveilleux miroir, le poète de la lucidité et le premier artiste à savoir que la pensée peut s’incarner. La malédiction de l’homme ne consiste-t-elle pas à ne jamais se contenter de ce qu’il est ! Selon Homère, c’est la conséquence du bouleversement de l’ordonnancement d’un jardin idéal. Parce que l’hubris se saisit des héros combattants et circule en fluide entre les hommes et qu’elle est dans leurs cœurs un feu qui ne s’éteint jamais. « Ce que veulent les hommes, ce n’est rien de moins que tout » - écrivait Simone Weil qui avait lu Homère, et il est vrai que nous ne cessons de mener une guerre de Troie contre la nature et contre nous-même ? Nous avons soumis la terre à notre bon vouloir, bientôt nous augmenterons l’homme prédisent les laborantins de la technoscience. Quel étrange phénomène ! - souligne Tesson, qui s’éclaire à la bougie homérique avec raison. N’assistons-nous pas, en ce début de XXIe siècle, au désir de créer une autre réalité au fur et à mesure que la réalité immédiate se dégrade autour de nous et n'envisageons-nous pas, froidement, une modification du réel inédite dans l’histoire de l’humanité ?

 

Avec Homère, nous sommes tout ensemble dans la sacralité d’un texte et dans la poésie pure. La beauté de ses images indique que tout aveugle qu’il fût, le poète n’en était pas moins un amoureux des collines, un jouisseur, un arpenteur du sol, un dormeur des nuits de grand vent. L’usage des comparaisons était pour lui  l’occasion de rappeler que le monde ne se réduit pas à une dalle de ciment où il serait inconvenant qu'une tête dépasse et où tout se vaudrait, en fonction du hideux principe de l’égalité. Ainsi, pour les animaux  comme pour les hommes, chacun tient-il sa place dans l’édifice, comme le firent Hector, Agamemnon, Hélène, Achille, Ulysse, Priam, Pénélope, Patrocle, le vieux porcher et le chien Argos, en ce temps de la restauration et de la douceur du renouement. Mon été avec Homère est le plus beau et le plus sage qui soit parce que le poète antique a pris date avec le monde, le nôtre, et que sa pensée ne cesse d’éclairer notre présent grâce à cette mise en perspective que Sylvain Tesson offre à notre discernement et à notre mémoire, en un tournoi artistique entre imagination et réalité. Magistral.


Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Un été avec Homère de Sylvain Tesson
Les ruines de l'ancienne ville de Troie.
Les ruines de l'ancienne ville de Troie.

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13 août 2018 1 13 /08 /août /2018 12:51
Marcel Proust, de la rédemption de l'homme à la résurrection du temps

 

D'emblée, posons-nous cette question : de quelle façon Proust concevait-il la littérature ? Selon lui, une oeuve ne prenait sens qu’au moment où elle s’affranchissait de l’ordre du temps et de la vie et se métamorphosait en une substance modifiée qui est celle de l’art. A l’art revient la mission de ré-imaginer la réalité, de la ré-inventer, de chercher à apercevoir « sous de la matière, sous de l’expérience, sous des mots quelque chose de différent » - écrivait-il, de manière à ce que cette réalité ne soit ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, ainsi que peut l’être un paysage reflété qui, soudain, n’est ni tout à fait réel, ni tout à fait vrai. Et comment entendait-il transformer cet insaisissable, ce fugitif, cet inconstant en une œuvre stable, en une pierre d’achoppement capable de fixer  tant soit peu l’image de soi-même ? Oui, comment souhaitait-il appréhender, à travers le hasard des sensations et les résurgences du passé, sa permanence ? Pour Proust, pas de tergiversation possible, sa permanence ne serait autre que celle de son œuvre. Il l’avait portée, elle le portait, il l’avait édifiée, elle l’édifiait. C’était l’arche dans laquelle il convoquait les lieux et les paysages, les brassées d’aubépines et les pommiers en fleurs, les berges de la Vivonne et les clochers de Martainville, les illusions de l’amour et les intermittences du cœur, les jeunes filles et les courtisanes, les princesses et les liftiers, les artistes et les hobereaux, les vices et les vertus, les joies et les douleurs, pour une traversée du temps qui verrait se succéder un passé chargé d’avenir et un avenir embrumé de passé.

 

Il  est certain que l’être humain ne peut se résumer à ses instincts, ses pulsions et ses humeurs, ce qui le condamnerait irrémédiablement à une existence fragmentaire dans tous les sens du terme. Selon Proust, l’homme est habité de songes, d’impressions, d’émotions qui se conservent intacts et que la mémoire peut réactualiser à volonté, aussi est-ce notre intuition et notre capacité de ressouvenance qui éclairent notre conscience et nous aident à défier le temps. Dès les premières lignes de « Jean Santeuil », les dés sont jetés : deux grands thèmes vont orienter son œuvre qui n’est alors qu’à l’état d’ébauche : l’art est supérieur à la vie et notre mémoire nous permet de devenir les maîtres du temps. Proust a fondé sur cette simple constatation une part de sa philosophie. Selon lui, les choses quittées prennent subitement une importance extraordinaire puisqu’elles nous apprennent que le temps peut renaître à tout moment mais hors du temps. Etrange et formidable paradoxe qui avise le lecteur qu’il n’y a, en définitive, d’autre permanence que celle du passé. Aussi rejoignons Proust par cette voie qui est en quelque sorte l’envers du réel et la seule, selon l’écrivain, à nous permettre d’atteindre l’essence des choses. Proust ne nous apprend-il pas que la pérennité du souvenir est notre éternité et qu’il n’y a rien d’éphémère que nous ne soyons en mesure de faire revivre, si bien que nous possédons, en dépit de nos insuffisances et de nos faiblesses, le pouvoir de rendre au passé la fraîcheur et la réalité du présent, de le faire réapparaître dans une plénitude plus parfaite et mieux accomplie, comme si les événements et les scènes de jadis revenaient à nous dans l’éclat d’un jour meilleur, comme si les chemins, que nous empruntons, convergeaient soudain afin de nous convaincre que la vérité ne parvient à maturité que longtemps après avoir été vécue, comme le font la plupart des fruits exotiques, longtemps après avoir été cueillis.

Je ne vous surprendrai pas en vous disant que La Recherche  est une lecture ni facile, ni innocente, et que nombreux sont ceux qui la délaissent dès le premier tome, parfois les premières pages, parce qu’ils ne voient en cette suite de romans et d’analyses qu’une fastidieuse introspection, une maniaque quête de soi. Ils vous diront que Balzac avait conduit une semblable démarche mais en élargissant le spectre à tous les milieux sociaux, que Saint Simon l’avait fait également mais en y incluant un fantastique témoignage historique. Mais Proust ? Le milieu étroit où il situe La Recherche, ce parisianisme mondain de la fin du XIXe et du début du XXe siècle méritait-il autant de pages, de patientes descriptions et un inventaire aussi scrupuleux des faiblesses humaines ? Il est vrai que les personnages sont désespérément banals, mais n’est-ce pas parce qu’ils le sont et que les plus menus soucis les agitent qu’ils nous semblent si vrais ? En définitive, rien ne va plus loin que ce subit ralentissement où Proust plonge son action, comme si, avec sa plume, il agissait à la façon d’un cinéaste qui projetterait son film à une vitesse inférieure à la normale, aménageant ainsi chaque scène, chaque geste, fractionnant le temps qui ne cesse de revenir sur lui-même, si bien que le lecteur, comme le spectateur, est happé par ce temps tellement décalé que, grâce à ce subterfuge, il est convié à vivre hors du temps ou plus exactement dans une autre sorte de temps : un temps re-créé.

 

Le temps s’écoule, on le subit,

Le temps s’arrête, on le contrôle,

Le temps recule, on le domine. »  - écrivait Proust dans "Sodome et Gomorrhe"

 

 Il est vrai que l’écrivain joue avec l’illusion en prestidigitateur : tout en usant des outils les plus tangibles, des faits les plus concrets, il a, grâce à la cadence qu’il adopte, modifié notre perception. Sa recherche, bien que privée d’action, est en définitive une épopée de l’âme. Nous sommes en transhumance dans des steppes de perplexité et de solitude, nous avons l’impression que pèse parfois un ciel d’apocalypse, nous surprenons le rire d’une jeune fille qui confine au désespoir et l’on se sent d’autant plus humain que l’humain semble s’y briser … On ne peut nier l’influence que Proust exerce sur son lecteur. Peu d’écrivains ont suscité un tel engouement pour la simple raison que sa phrase ne cesse d’éveiller en nous un surprenant écho, comme si l’auteur renvoyait à chacun de ses lecteurs, grâce à un jeu de miroir subtil, une image plus fine, plus pénétrante de lui-même. On rejoint là cette communion des esprits à laquelle il croyait et, qu’en avance sur son temps, il pensait scientifiquement possible. Il devinait que le néant contient toujours quelque chose. Aussi, je suppose que les découvertes de la mécanique quantique l’auraient passionné et conforté dans cette idée que la pensée a assez de force pour animer la matière et lui donner un sens. Rien d’étonnant que des créateurs tels que lui, dont l’esprit est si fécond, produisent bien après leur mort un réseau d’ondes pensantes qui nous prouvent que l’univers rêvé peut s’établir en une unité plus probante que la réalité perdue. C’est donc que La Recherche  sort victorieuse des ornières du temps. Elle ne s’y est pas enlisée à l’exemple d’autres romans encombrés d’un réalisme pesant. Rien ne pèse dans l’univers proustien. D’autant moins que ce qui compte pour l’écrivain, c’est que l’art libère les énergies, transgresse les frontières, éclaire les ténèbres et passe outre aux servitudes chronologiques.

 

Dès sa petite enfance, Marcel avait manifesté son goût d’écrire et il nous l’apprend dans « Du côté de chez Swann », où il insère une page descriptive qu’il rédigea vers sa douzième année et à laquelle il n’apportera que peu de modification. C’est aussi durant ses années les plus tendres qu’il sut d’instinct emmagasiner ses impressions comme autant de joyaux, en dresser l’inventaire, afin que, le moment venu, il soit en mesure d’en découvrir le sens caché, ainsi que l’invisible fil d’Ariane qui les liait ensemble.

 

«  C’est de ces promenades solitaires que je fis à l’automne du côté de Méséglise que date une des lois vraiment immuable de ma vie spirituelle. Tout d’un coup, tandis qu’une image passait sous mes yeux ou dans ma pensée, je  sentais à un plaisir particulier, à une sorte de profondeur, qu’il y avait quelque chose sous elle, une réalité profonde. Je ne savais quoi. Je gardais précieusement l’image dans ma pensée, je marchais avec précaution comme de peur de la faire envoler. Quelquefois, je me persuadais que ce n’était qu’à la maison, devant mon papier, que je pourrais l’ouvrir avec sécurité et trouver son contenu intellectuel. C’était un clocher que j’avais vu filer dans le lointain, une fleur sauvage, une tête de jeune fille. Je sentais que là-dessous, il y avait une impression, et je revenais à la maison, rapportant mon impression vivante, cachée sous cette image qui la signifiait, comme on rapporte sous l’herbe qui la garde fraîche une carpe qu’on a pêchée. » - écrit-il dans la première version de Swann – cahier 26)


 

Grâce à ces lignes, on comprend mieux que, dès l’adolescence, l’auteur ne se proposait pas seulement de faire renaître le passé par un quelconque souci de poésie ou par nostalgie en projetant sur lui comme une brume qui le transfigurerait, mais qu’il s’agit de tout autre chose, d’une démarche cohérente pour traiter, ce qui ne l’avait encore jamais été de cette façon, les interférences du temps et le travail de la mémoire involontaire sur notre être intérieur.

 

« De même ceux qui produisent des œuvres géniales ne sont pas ceux qui vivent dans le milieu le plus délicat, qui ont la conversation la plus brillante, la culture la plus étendue, mais ceux qui ont le pouvoir, cessant brusquement de vivre pour eux-mêmes, de rendre leur personnalité pareille à un miroir, de telle sorte que leur vie, si médiocre d’ailleurs qu’elle pouvait être mondainement et même, dans un certain sens, intellectuellement parlant, s’y reflète le génie consistant dans le pouvoir réfléchissant et non dans la qualité intrinsèque du spectacle reflété. »

Et quelques pages plus loin, toujours dans « A l’ombre des jeunes filles en fleurs », il écrit :

 

« Peut-être n’est-ce que dans des vies réellement vicieuses que le problème moral peut se poser avec toute sa force d’anxiété. Et à ce problème l’artiste donne une solution non pas dans le plan de sa vie individuelle, mais de ce qui est pour lui sa vraie vie, une solution générale, littéraire. Comme les grands docteurs de l’Eglise commencèrent souvent, tout en étant bons, par connaître les péchés de tous les hommes, et en tirèrent leur sainteté personnelle, souvent les grands artistes, tout en étant mauvais, se servent de leurs vices pour arriver à concevoir la règle morale de tous. Ce sont les vices (ou seulement les faiblesses et les ridicules) du milieu où ils vivaient, les propos inconséquents, la vie frivole et choquante de leur fille, les trahisons de leur femme ou leurs propres fautes, que les écrivains ont le plus souvent flétris dans leurs diatribes sans changer pour cela le train de leur ménage ou le mauvais ton qui règne dans leur foyer. Mais ce contraste frappait moins autrefois qu’au temps de Bergotte, parce que d’une part, au fur et à mesure que se corrompait la société, les notions de moralité allaient s’épurant, et que d’autre part le public mis au courant plus qu’il n’avait encore fait jusque-là de la vie privée des écrivains… »

 

L’art allait constituer pour Marcel Proust une forme de salut. Sachant combien la souffrance aura, sur sa vocation d’écrivain, une influence profonde, posons-nous la question : la créativité est-elle fille de la douleur ? Au fil du temps, nombreux sont ceux à avoir affirmé: « Si vous voulez mon génie, prenez aussi mes névroses, mes fêlures, mon infortune.» Dans  La Recherche, Marcel Proust assure que tout ce que nous connaissons de grand nous vient des nerveux.

« Ce sont eux et non pas d’autres qui ont fondé les religions et composé les chefs-d’œuvre. Jamais le monde ne saura tout ce qu’il leur doit ni tout ce qu’eux ont souffert pour le lui donner. Nous goûtons les fines musiques, les beaux tableaux, mille délicatesses, mais nous ne savons pas ce qu’elles ont coûté, à ceux qui les inventèrent, d’insomnies, de pleurs, de rires spasmodiques, d’urticaires, d’asthmes, d’épilepsies, d’une angoisse de mourir qui est pire que tout cela

 

Et dans  « Le Temps Retrouvé », il écrit de nouveau ceci :

« Les années heureuses sont les années perdues, on attend une souffrance pour travailler. L’idée de la souffrance préalable s’associe à l’idée du travail, on a peur de chaque nouvelle œuvre en pensant aux douleurs qu’il faudra supporter d’abord pour  l’imaginer. Et comme on comprend que la souffrance est la meilleure chose que l’on puisse rencontrer dans la vie, on pense sans effroi, presque comme à une délivrance, à la mort. » 

Oui, la souffrance sera en quelque sorte l’ultime requête qui l’incite à pénétrer les régions les plus profondes du cœur où l’impression la plus infime est douleur mais douleur qui éclaire l’esprit, en fait l’œil de l’artiste, le regard de l’initié.

 

« Quant au bonheur, il n’a  presqu’une seule utilité, rendre le malheur possible. » - écrit-il et il poursuit : «  Il faut bien que dans le bonheur nous formions des liens bien doux et bien forts de confiance et d’attachement pour que leur rupture nous cause le déchirement si précieux qui s’appelle le malheur. »

 

Ici Proust répète Blaise Pascal et rejoint Baudelaire qui ne concevaient l’absolu que dans le sacrifice. Ainsi s’approche-t-il de la joie par la souffrance, comme il aborde le bien par le mal. Parce qu’elle n’est pas une fin mais un moyen, l’instrument privilégié de l’ascèse, la douleur permet l’accession au monde supérieur. Autant qu’une  influence chrétienne, on perçoit chez Proust une résonance platonicienne. Puis intervient l’amour. L’amour qu’a décrit l’écrivain, l’amour, qui torture et obsède, devient, de par la souffrance qu’il engendre, son propre purificateur. Capable de plonger l’homme dans les affres les plus noires et de l’inciter aux pires égarements, il a aussi le mérite d’agir comme la grâce en grandissant tout ce qu’il touche. Ce que le rêve d’un jaloux peut créer d’innombrables suppositions, déployer dans son imaginaire en un labyrinthe infernal, multiplie encore la souffrance. Si bien qu’aux tortures de  l’amour succède, comme une aggravation, l’effacement de l’amour, au point que dans « Albertine disparue » la tristesse devient, en quelque sorte, l’âme même de la tristesse.
 

« Peu de personnes comprennent le caractère purement subjectif du phénomène qu’est l’amour et la sorte de création que c’est d’une personne supplémentaire, distincte de celle qui porte le même nom dans le monde et dont la plupart des éléments sont tirés de nous-mêmes. Aussi y a-t-il peu de gens qui puissent trouver naturelles les proportions énormes que finit par prendre pour nous un être qui n’est pas le même que celui qu’ils voient. »

 -Un amour de Swann –

 

Ainsi montre-t-il combien l’amour, comme les autres sentiments, est une construction imaginaire, une illusion. Mais une illusion bienfaitrice qui enrichit, éclaire notre vie. En quelque sorte, l’amour est une transgression du cœur : « L’être aimé – dit Proust - est un être de conventionune poupée intérieure » et l’amour n’est autre, selon lui, qu’un « état mental ». La disparition de l’amour apparaît alors comme un affaiblissement de soi, aussi n’est-il pas surprenant que l’écrivain nie toute possibilité de bonheur dans l’amour. « Le bonheur ne peut jamais avoir lieu » - conclut-il dans « Les jeunes filles en fleurs » Et il souligne : 

 

« C’est notre nature qui crée elle-même nos amours, et presque toutes les femmes que nous aimons, et jusqu’à leurs fautes … On est toujours détaché des êtres qu’on aime, on sent que cet amour ne porte pas leur nom, pourra dans l’avenir renaître, aurait même pu, dans le passé, naître pour une autre et non celle-là … L’image de notre amie, que nous croyons ancienne, authentique, a été en réalité refaite pour nous bien des fois … »

Nous comprenons mieux ce que Proust entend par les intermittences du cœur. En effet, nous ne sommes sûrs de rien, ni de personne, pas plus des autres que de nous-même. Ainsi qu’une solution chimique ne cesse de modifier le corps qui y est plongé, notre imagination modifie continûment les êtres qui nous entourent, les amoindrit ou les magnifie à la faveur de nos passions ou de nos habitudes, pire de notre indifférence. Et il est vrai que peu d’œuvres littéraires trouvent à ce point leur origine dans le regard intérieur et l’imaginaire que celle de Proust. N’est-ce pas grâce à l’illusion de nos sens et de nos sentiments que nous rehaussons le quotidien car «  ce que l’on sait, n’est pas à soi, c’est l’illusion qui est importante » - écrit-il. « Cette perpétuelle erreur qui est précisément la vie »  - poursuit-il. Proust revient souvent sur cette constatation. Il considère que « ne peut-être beau que ce qui porte la marque de notre choix, de notre goût, de notre incertitude, de notre désir et de notre faiblesse ».
 

Puis Proust, usant d’une vue plus aiguë, devient visionnaire. Après avoir accommodé son regard à celui d’un Monet, il se laisse finalement envahir par la vision intérieure d’un Rembrandt. Comme chez Rembrandt, l’obscurité féconde une zone immense d’où jaillissent les images qui hantent l’esprit. Il affirme dès les premières lignes de « Du côté de chez Swann » : «  Une obscurité douce et reposante pour mes yeux mais peut-être plus encore pour mon esprit ». En effet, l’écrivain cherche à établir un réseau, un quadrillage afin de cerner la réalité qui n’en finit pas de se dérober. Son œuvre, dont on a souligné qu’elle était vide de Dieu et de préoccupations religieuses, n’est autre qu’une quête mystique ou mieux un itinéraire spirituel. Au-delà de la recherche du temps perdu se devine une autre perspective, celle que la pensée, pour atteindre l’homme, doit s’incarner afin de donner substance et vie à son message. Proust avait l’intuition d’une inéluctable union des esprits et de la réalité morale et physique de l’univers spirituel. Il s’est approché du mystère à la manière d’un enquêteur, d’un  analyste, persuadé de la religiosité des choses, (religion vient du mot latin : religare soit relier) qui sont des signes et des repères, et du rôle dévolu à l’art de transmettre cette part essentielle qu’est le monde invisible, monde, où ce que nous avons vécu dans la hâte, et de façon anecdotique, atteint sa plénitude. L’art se bâtit sur des impressions et percevoir c’est aussi interpréter, édifier l’invisible grâce à l’intelligence et à la sensibilité. Proust professait que « le monde est soumis à des lois et qu’il existe un lien entre l’intelligence humaine et l’univers. » Cette intuition cosmique faisait de lui un précurseur. Touché par cet universalisme de la pensée, il résumait ainsi sa propre métaphysique : « Le monde extérieur existe mais il est inconnaissable ou connaissable partiellement, le monde intérieur est connaissable mais il nous échappe sans cesse parce qu’il change et se transforme.  Seul le monde de l’art est absolu. »

 

Alors qu’il avait vécu son inversion, contrairement à Gide, comme un drame, l’ascèse qu’il s’impose après la disparition de sa mère en 1915 dans le seul souci d’édifier son œuvre, constituera à ses yeux une sorte de rédemption, ou plus exactement le rachat moral et intellectuel du temps perdu en mondanités et en plaisirs immédiats. Les artistes, les peintres, les poètes et les musiciens jouent dans cette religion de l’art le rôle qui est celui des saints dans la vie chrétienne. Proust est allé jusqu’au renoncement de l’anachorète, il a quitté peu à peu les biens de la terre, ou du moins s’y est-il employé, et il a appelé lui-même la fin de sa vie une « adoration perpétuelle ». Ce devait être le titre du Temps Retrouvé, ce temps où il glorifie, dans ses mystères, les phénomènes de la mémoire involontaire. Si nous le considérons en tant que moraliste et philosophe, nous pouvons dire qu’il a donné un magnifique exemple de méthode et d’ascèse pour apprendre à l’homme le moyen d’échapper à l’incohérence vitale où il se disperse et pour tenter d’atteindre son unité créatrice. Dans la perspective d’une philosophie de l’esprit, la métaphysique proustienne se définit par son impuissance à sentir la continuité de l’être et à l’effort qu’elle doit fournir pour associer cette stabilité à une perspective du monde et de l’homme orientée vers le devenir. Jean Guitton souligne dans son ouvrage  Le travail intellectuel  : « Ce qui est extraordinaire dans l’œuvre de Proust, c’est le caractère si dénué d’intérêt de ce qu’il transfigurait : des souvenirs comme en ont tous les enfants sensibles, des propos de mondains désoeuvrés … Son ingéniosité a été de comprendre que, plus la matière serait banale, plus le talent apparaîtrait et qu’un écart si visible rendrait sensible au lecteur l’opération même de l’art, qu’il est si agréable de voir palpiter sous une œuvre, comme sa respiration. »

 

D’autre part, on ne peut manquer d’associer son désir de transfiguration à celui de Baudelaire qui écrivait : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or. »

« Je vois clairement les choses qui sont dans ma pensée jusqu’à l’horizon, mais celles-là seules qui sont de l’autre côté, je m’attache à les décrire » - confie Proust. Des termes empruntés à l’âge d’or des cathédrales font resplendir sur ses écrits l’éclat de l’enluminure. De son texte Proust fait un ostensoir : par la littérature, il atteint l’extra-ordinaire et sublime le quotidien. De plus fragile de corps et démesuré d’esprit, ne tolérant guère le poids matériel des choses – souligne André Maurois dans « A la recherche de Marcel Proust », il est un homme exalté. Bénir et maudire lui sont habituel. Une sorte de piété donne à ses textes la gravité des formules saintes. Le baiser de sa mère le pacifie, il le reçoit comme un sacrement : «  Elle avait penché vers moi sa figure aimante et me l’avait tendue comme une hostie pour une communion de paix où mes lèvres puiseraient sa présence réelle. »- écrit-il dans « Du côté de chez Swann ».

Son âme transcende ses impressions et ses rapports avec le monde invisible rehaussent ce qu’il éprouve. Dès son existence terrestre, il a vécu son paradis et son enfer. Ses amours sont des dévotions et il n’y a rien de petit qu’il n’ait mêlé intimement à ce qu’il y a de plus grand. Ainsi l’appartement de Swann est-il un sanctuaire, sa salle-à-manger un temple asiatique, son porte-manteau un chandelier à sept branches, le corps de la maîtresse de Saint-Loup un tabernacle, les maîtres d’hôtel de Balbec, lorsqu’ils découpent les viandes, des sacrificateurs et la désignation de temple de l’impudeur élève le plaisir le plus sordide à la dignité d’un culte. Chez lui, la notion du mal apparaît constante et la transgression ne fait que rendre plus évidente ses frontières avec le bien ; Proust n’a-t-il pas ressenti au plus haut point la notion de faute et de souillure ? « Tandis que les crimes du Golo me faisaient examiner ma propre conscience avec plus de scrupules » - est une des premières phrases du Temps perdu. Et ce qu’il a été petit garçon, Proust l’est resté toute sa vie, appartenant à cette famille de poètes dont on sait qu’ils sont les ultimes habitants de leur enfance. Par ailleurs, sur les mauvais arbres il a fait mûrir de bons fruits et, inversement, au pire furent mêlées des parcelles du meilleur. Cela était conforme à sa nature, mais probablement prit-il un certain plaisir à aggraver cette propagation du bien et du mal. Il écrit à propos de son amour pour Albertine : « Que le désir physique a un merveilleux pouvoir de rendre des bases solides à la vie morale. » Si on se place, même sans l’approuver, dans l’optique de Proust «  sans les vices, l’histoire des vertus serait pauvre, la médiocrité s’infiltrerait partout ». De ces demi-mesures, rien de grand ne jaillirait. L’un éclaire l’autre et le rend concevable. Le mal a, en quelque sorte, un pouvoir rédempteur, car il faut être tombé pour être relevé, il faut avoir commis une faute pour être pardonné. Que Proust ait eu à cœur d’élever l’homme n’est pas douteux. Sa ferveur nous apprend à le devenir : « à prendre les choses au sérieux, à arracher les mauvaises herbes du scepticisme, de la légèreté et de l’indifférence » - écrit-il dans Le Temps retrouvé. Il y a chez lui de l’Orphée et du grand prêtre : Orphée, pour descendre au plus profond de soi en quête du déchiffrement des secrets enfouis, et du célébrant afin que les mythes restent vivants et nous conduisent, au-delà des classifications, vers les symboles essentiels.


 

« Des impressions telles que celles que je cherchais à fixer ne pouvaient que s’évanouir au contact d’une jouissance directe qui a été impuissante à les faire naître. La seule manière de les goûter davantage, c’était de tâcher de les connaître plus complètement, là où elles se trouvaient, c’est-à-dire en moi-même, de les rendre claires jusque dans leurs profondeurs. (…) Et repensant à cette joie extra-temporelle causée, soit  par le bruit de la cuiller, soit par le goût de la madeleine, je me disais : « Etait-ce cela, ce bonheur proposé par la petite phrase de la sonate à Swann qui s’était trompé en l’assimilant au plaisir de l’amour et n’avait pas su la trouver dans la création artistique, ce bonheur que m’avait fait pressentir comme plus supra-terrestre encore que n’avait fait la petite phrase de la sonate, l’appel rouge et mystérieux de ce septuor que Swann n’avait pu connaître, étant mort comme tant d’autres avant que la vérité faite pour eux eût été révélée ? D’ailleurs, elle n’eût pu lui servir, car cette phrase pouvait bien symboliser un appel, mais non créer des forces et faire de Swann l’écrivain qu’il n’était pas. »

 

Toute rédemption, de quelque nature qu’elle soit, ne peut s’envisager que si elle parvient à triompher de l’implacable érosion du temps. On avait d’abord cru Marcel Proust occupé à décrire des femmes à la mode, à étudier à la loupe les sentiments les plus anodins, alors que l’élève de Darlu et de Bergson s’attachait à exprimer, dans un roman, une philosophie. Il a avoué dans une lettre à la princesse Bibesco « Que son rôle était analogue à celui d’Einstein » et il est vrai que le travail colossal de La Recherche s’apparente à celui d’un savant et a nécessité des qualités identiques aux siennes : le don d’observation, la volonté de découvrir des lois et la probité devant les faits, si bien que l’expérience de Proust n’est nullement celle d’un passé enseveli sous le présent, dont d’infimes morceaux se laisseraient entrevoir, mais celle d’un resurgissement de ce passé, en dépit du présent et à l’égal de lui.

 

« Comme il y a une géométrie dans l’espace, il y a une psychologie dans le temps, où les calculs d’une psychologie plane ne seraient plus exacts parce qu’on n’y tiendrait pas compte du temps et d’une forme qu’il revêt : l’oubli » écrit-il dans « Albertine disparue».

Pour Marcel Proust, ce n’est que par la création que l’homme meurtri par la réalité, déstabilisé par les mouvements désordonnés de la vie, tente de sauver quelque chose du naufrage et de le fixer dans l’œuvre d’art. Dès lors, il faut cesser de vivre pour mieux exister … N’est-ce pas pour cette raison que Proust s’est enfermé dans une chambre tendue de liège et a placé, au sommet de l’échelle humaine, les poètes et les artistes, car leur combat est de chercher l’absolu hors du monde et du temps, et, grâce à l’art, seul en mesure de permettre cette gageure, d’en sortir vainqueur. A ce propos, il est intéressant de souligner que Baudelaire plaçait les hommes dans un ordre assez semblable : « Il n’y a de grand parmi les hommes que le poète, le prêtre et le soldat, l’homme qui chante, l’homme qui bénit, l’homme qui sacrifie et se sacrifie. Le reste est fait pour le fouet » - écrivait-il dans « Mon cœur mis à nu ».

 

Proche de Henri Bergson, qui avait épousé l’une de ses cousines mademoiselle Neuberger, il était inévitable que Proust se passionne pour le temps, ce temps sur lequel s’édifie notre vie et qui assure la survivance de l’artiste et du créateur. Mais si le temps bergsonien est continu et forme la trame de la vie personnelle, le temps proustien est discontinu et dessine continuellement le moi. Est-ce la raison pour laquelle Proust considérait qu’il ne faut pas écrire ses livres avant d’être en mesure de procéder à la synthèse de ses divers moi (s). Chez lui, la recherche du temps perdu est en quelque sorte la recherche du moi égaré ; le moi retrouvé étant pour chacun de nous la possibilité de sauver quelque chose de soi-même grâce à la création. Il semblerait que nous ayons affaire ici à un moi superficiel et ondoyant qui se disperse dans des futilités mondaines ! Or, il n’en est rien car, derrière cette apparence trompeuse, se cache un Proust tragique qui se cherche, soit dans l’intensité de la sensation esthétique, soit grâce aux révélations successives que suggère la mémoire involontaire.

« La durée, - dit Bergson - est chose réelle pour la conscience qui en conserve la trace, tandis que la durée où nous nous regardons agir et où il est inutile que nous nous regardions est une durée dont les éléments se dissocient et se juxtaposent. » Et il conclut : «  En dehors de nous, extériorité réciproque sans succession ; au-dedans, succession sans extériorité réciproque ».

 

Il est significatif que Proust, comme Bergson, ait insisté sur la difficulté qu’il y a à s’emparer d’une forme quelconque du temps, tel qu’il se manifeste dans l’art et le souvenir spontané, échappant ainsi à l’emprise de l’intelligence et de la raison. Il nous faut donc aller, par-delà les apparences et la temporalité, conquérir, comme le propose Bergson dans « L’évolution créatrice », la véritable durée et ce que l’auteur de La Recherche nomme « un peu de temps à l’état pur ».


« En somme, dans un cas comme dans l’autre, qu’il s’agît d’impression comme celle que m’avait donnée la vue des clochers de Martinville, ou de réminiscence comme celle de l’inégalité des deux marches ou le goût de la madeleine, il fallait tâcher d’interpréter les sensations comme les signes d’autant de lois et d’idées, en essayant de penser, c’est-à-dire de faire sortir de la pénombre ce que j’avais senti, de le convertir en un équivalent spirituel. »

Le Temps Retrouvé


Il semble que, pour le Bergson de « Matière et Mémoire » comme pour le Proust de « La Recherche », soit dévolu à l’art un rôle privilégié qui peut se définir d’un mot, celui de révélateur, et que le problème posé soit celui de l’élargissement de la perception. Révélation et également traduction de l’impression, telle est la vocation de l’homme qui a décidé de conformer sa vie à l’authenticité d’une vérité intérieure, si bien qu’il y a dans La Recherche, comme dans la philosophie bergsonienne, un mode d’emploi et une éthique pour s’en approcher.


 

« Je m’apercevais que pour exprimer ces impressions, pour écrire ce livre essentiel, le seul vrai livre, un grand écrivain n’a pas, dans le sens courant, à l’inventer puisqu’il existe déjà en chacun de nous, mais à le traduire. Le devoir et la tâche d’un écrivain sont ceux d’un traducteur. » 

Le Temps Retrouvé


On sait aussi l’importance que Proust attachait à l’érosion du temps et les analyses qu’il a faites, notamment à propos de l’amour, des transformations que celui-ci inflige aux êtres et aux objets qui nous entourent. L’écrivain montre que l’individu, plongé dans le temps, se désagrège. Nous verrons successivement, dans le roman, Swann, Odette, Bloch, Saint-Loup, Gilberte, la duchesse de Guermantes, madame Verdurin passer devant des projecteurs qui, impudiquement, dévoileront leurs âges et leurs sentiments. Ne suffit-il pas de contempler la lumière du soleil, se déplaçant sur un paysage, pour se rendre compte que celui-ci ne cesse de changer comme si nous tournions autour. Et ce ne sont pas seulement les paysages qui se modifient selon les éclairages, mais l’âme de l’homme qui varie à la faveur des événements. Et que sera le roman de Proust pris dans sa totalité, sinon cela : un paysage immense dont la lumière tournante nous dévoile tour à tour des aspects multiples, sans cesse changeants, reliefs qui surgissent de l’ombre et s’aiguisent avant d’y replonger «  si bien que le déplacement sinueux, qui change constamment l’éclairage, n’est pas une caractéristique fortuite ou une négligence, c’est une méthode au sens le plus cartésien du terme, c’est-à-dire un ensemble de démarches raisonnées pour appréhender la réalité » - précise André Maurois.

 

Proust, réaliste et scientifique, constate et enregistre les métamorphoses et les destructions que le temps inflige aux êtres, tandis que le philosophe, qu’il est également, se refuse à accepter la mort lente de ses personnages qu’il a animés et aimés, parce qu’en des moments rares, l’intuition de lui-même l’a révélé comme « un être absolu ». Cette certitude, il est vrai, Proust ne l’a éprouvée qu’en de brefs instants où, soudain, une part du passé redevenait présente par le seul pouvoir de la mémoire et que les sentiments, qu’il croyait assoupis, voire annihilés, réapparaissaient au plus profond de lui en des flashs bouleversants. C’est ainsi que la saveur de la petite madeleine, que l’enfant Proust trempait autrefois dans la tasse de thé ou de tisane de sa tante Léonie, fait remonter à la surface de la conscience de l’homme adulte, non seulement des souvenirs mais également des vies mortes, ensevelies au plus secret du cœur. Grâce au souvenir involontaire, nous ne participons pas seulement à une renaissance ou re-création d’instants subitement  resurgis dans la mémoire, mais à la résurrection d’une part perdue de nous-même. « Le génie, »  - a écrit Charles Baudelaire – «  c’est l’enfance retrouvée à volonté. »

Ainsi Proust rend-il au temps sa plénitude et à l’homme son éternité intérieure, contrairement aux auteurs du Nouveau Roman qui, quelques décennies plus tard, confineront leurs personnages dans un réel fragmenté. Faisant fi de l’imagination qui a le pouvoir de contraindre ou de magnifier le temps à volonté, l’écrivain Proust, que l’on croyait occupé à décrire une époque, ses petitesses et ses grandeurs, ses vices et ses vertus, se consacrait à tout autre chose, tant il est vrai que la réalité n’existe pas en tant que telle, parce qu’elle se confond en permanence avec la vie intérieure et devient dès lors une réalité subjective. C’est aux fins de dissoudre le réel que l’auteur a  eu recours  à la métaphore, instrument idéal pour refonder la pensée sans risquer de la dénaturer. Chateaubriand écrivait déjà dans « La vie de Rancé » : «  Le cœur se brise à la séparation des songes, tant il y a peu de réalité dans l’homme ». Proust avait compris ce que d’autres avaient supposé avant lui que le temps épisodique, sporadique, est un temps perdu et que le temps retrouvé est celui que l’esprit recompose et réactualise grâce à sa force imaginante et à la seule puissance de la pensée créatrice.

 

« La grandeur de l’art véritable, au contraire de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c’était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d’épaisseur et d’imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans l'avoir connue, et qui est tout simplement notre vie. La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature ; cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu’ils ne cherchent pas à l’éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d’innombrables clichés qui restent inutiles parce que l’intelligence ne les a pas développés. Ressaisir notre vie, et aussi la vie des autres ; car le style pour l’écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s’il n’y avait pas l’art, resterait le secret éternel de chacun. Par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et, autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infini et, que bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont il émanait, qu’il s’appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial.

(…) Ce travail qu’avaient fait notre amour-propre, notre passion, notre esprit d’imitation, notre intelligence abstraite, nos habitudes, c’est ce travail que l’art défera, c’est la marche en sens contraire, le retour aux profondeurs où ce qui a existé réellement gît inconnu de nous, qu’il nous fera suivre ».

LE TEMPS RETROUVE

 

Proust a souvent repris certaines métaphores utilisées par les poètes antiques. Enfin et surtout, sous les choses, l’écrivain décèle ce que Jung nomme les archétypes. Au-delà d’Oriane de Guermantes, n’y a-t-il pas Geneviève de Brabant, au-delà des Trois arbres, le vague souvenir des sortilèges anciens, de sorte que leurs branches semblent des bras qui se tendent en une mystérieuse supplication ? Il est vrai que l’écrivain use de l’image en virtuose et qu’il  ne s’est pas contenté de rédiger ses textes en musicien soucieux de l’harmonie des mots, mais qu’il les a conçus en peintre qui sait que, ce qui compte, ce n’est pas le modèle tel qu’il est, mais tel que le voit le regard de l’artiste. L’art permet à l’intemporel d’entrer dans le quotidien et au quotidien de s’introduire dans l’intemporel. C’est pour cette raison que Marcel Proust s’est plu à évoquer le réel par le biais de l’œuvre d’art afin que, ce qu’elle a magnifié, vienne se réincarner à nouveau, cycle accompli des métamorphoses que Proust a su traiter avec une formidable maîtrise. Il est amusant aussi de relever les passages où une foule de Paris lui évoque les cortèges de Gozzoli, où le nez de M. de Palancy lui rappelle un portrait de Ghirlandajo et, ce qui semblait s’être absenté du réel pour exprimer un réel différent, s’y replonge afin de mieux traduire les correspondances de l’intemporel et du quotidien.


 

Proust se sentait également proche des impressionnistes qui, en tant que peintres, avaient tenté une expérience similaire, comme il l’était d’un Gabriel Fauré ou d’un César Franck qui, en musique, avaient su atteindre l’originalité native des sons. « La musique n’est-elle pas l’exemple unique de ce qu’aurait pu être la communication des âmes » - se plaisait-il à dire. Par ailleurs, il est intéressant de souligner, à propos de son œuvre, que Proust a poussé certains traits de ses personnages au-delà de la caricature, jusqu’aux limites d’eux-mêmes, c’est-à-dire jusqu’à une forme de monstruosité. C’est le cas de Charlus. Les monstres, il est vrai, nous découvrent d’étranges perspectives sur des abîmes insondables que nous ne pourrions soupçonner sans eux. « Seuls Shakespeare, avant lui, avait orchestré d’aussi magiques dissonances » - relève André Maurois. Ces allégories, ces images qui s’achèvent en bouffonnerie, ces jeux de lumière et de perspective, ces liens tissés entre les êtres et les choses évoquent l’atmosphère shakespearienne. « La Recherche se termine comme « La Tempête » de Shakespeare » - souligne encore André Maurois : «  Le jeu est fini, l’Enchanteur a livré son secret ; le voici qui remet dans leurs boîtes ses marionnettes et comme Prospero il pourrait dire : nous sommes faits de la même étoffe que les songes et notre petite vie est bouclée par le sommeil ». Les Guermantes et les Verdurin se sont évanouis, tandis que dans la mémoire du narrateur tinte encore, à la porte du jardin de l’enfance qu’il n’a point refermée, la petite cloche qui annonçait la visite de Swann et que ce passé, qui descendait si loin, est enfin retrouvé. Le temps, comme une sphère qui tournerait sur elle-même, est revenu à son point de départ. Tout part et tout revient, et derrière un objet captif, n’est-ce pas le temps que nous retenons prisonnier ? Il n’est pas innocent que Marcel Proust ait voulu donner le titre de « L’adoration perpétuelle » au Temps Retrouvé. Il est vrai qu’il a accompli sa tâche en état d’extase, extase, que les privations, qu’il s’imposait, rendait plus facile. Selon lui, la vie d’un artiste est consacrée à l’égale de celle d’un religieux. En effet, cette aspiration à l’abnégation de soi sous-tend une volonté d’offrande et de sacrifice offerte au culte de l’art. Oui, l’écrivain a en quelque sorte exercé un sacerdoce littéraire. D’autre part, l’idée si présente que l’artiste entre en éternité grâce aux nombreux lecteurs qui prolongeront sa vie, par l’intercession de son œuvre, suppose la communion des esprits dont je parlais plus haut. Il est vrai aussi que pour Proust, la vie est avant tout une re-création de l’intelligence et que la vraie réalité est celle que notre imagination recompose et transcende. N’est-ce pas la force de notre esprit qui est en mesure de surmonter nos tares, n’est-ce pas la puissance de notre pensée qui nous délivre de notre enfermement psychique et nous permet de passer outre aux contraintes de l’espace et du temps ? En définitive, la découverte proustienne la plus considérable est celle d’une faculté supra-sensible en soi : le fait de constituer un « être extratemporel » et de pouvoir le penser. Par ailleurs, le sublime instant survenu en nous grâce au phénomène de la mémoire involontaire, permet de rendre « sensible une finalité tout à fait indépendante de la nature » - affirme l’écrivain. Il s’agit, en conséquence, d’une intuition neuve et souveraine de nous-même. Si bien que ce sont ces  minutes affranchies de l’ordre du temps qui  fondent  À la recherche du temps perdu. Ressenties à plusieurs reprises par Marcel Proust, ces révélations correspondent à des « fragments d’existence soustraits au temps », que l’écrivain évoque dans le Temps retrouvé et dont la cause initiale a été illustrée par les trois expériences vécues en l’hôtel de Guermantes : les pavés inégaux de la cour, puis dans le petit « salon-bibliothèque » le choc de la cuiller contre l’assiette, enfin la sensation suscitée par la serviette empesée. Chacun de ces instants devient alors le site temporel de ce que Jean-Yves Tadié  a nommé les « extases de mémoire », extases qui assignent un point final au "Temps Retrouvé" et fixent le lieu d'accomplissement de l'oeuvre où la précarité temporelle de l'homme est, en quelque sorte, en mesure de générer sa propre éternité.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

Texte de la conférence que j'ai  donnée le 6 août 2018 à la mairie de Cabourg, dans le cadre des conférences d'été du Cercle littéraire proustien de Cabourg-Balbec.

 

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Marcel Proust, de la rédemption de l'homme à la résurrection du temps
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11 août 2018 6 11 /08 /août /2018 08:39
Silencieux tumultes d'Edmée de Xhavée

Dans ce quatrième roman d'Edmée de Xhavée, le personnage principal n'est ni un homme, ni une femme, ni même un animal, mais une maison. Elle est l'épicentre de cette histoire de famille qui s'écoule de l'année 1928 à l'année 2009 et voit ainsi passer, entre ses murs, quatre générations avec leurs drames, leurs inquiétudes, leurs joies, leurs deuils et leurs naissances, leurs alliances et leurs ruptures. Au fil des pages, cette demeure dévoile ses charmes, joliment décrite par l'auteure qui se plaît à en détailler chaque pièce, la véranda enguirlandée de vigne, le jardin ombragé, l'azalée rose et les rhododendrons, mais également la décoration raffinée des salons et des chambres, l'élégance des meubles, les objets personnels, la vaisselle aux accents de vacances, les belles nappes ouvragées, la desserte à roulettes laquée rouge. Le mérite de ces objets est celui de se fondre dans un décor qui accompagne des vies successives, de surprendre, posés sur eux, tant de regards, de connaître d'innombrables secrets et de composer avec les lieux un ensemble inoubliable, une sorte de scène où les événements se déroulent dans l'intimité de leur présence.

 

Cette petite société, à l'abri des clôtures de son jardin, cette bourgeoisie de bon aloi, sachant sa mort annoncée, a su faire de ses usages son dernier pré-carré. Les mariages sont davantage des alliances que des coups de coeur, des placements que des emballements subits. Ici règne une hiérarchie implacable entre les gens de maison, soit les domestiques, et les maîtres des lieux, hommes et femmes qui se lient sans passion et se supportent sans acrimonie. L'essentiel reste caché, les drames - si drame il y a - doivent se circonscrire entre ces murs et ne point prendre la liberté d'en sortir.

 

D'ailleurs, il ne se passe pas grand chose dans leurs existences, surtout celles des femmes, emmurées en quelque sorte dans leur nid douillet, sinon les fêtes familiales : anniversaires, baptêmes, communions et mariages, si bien que le temps est rythmé par ces événements et l'intimité discrète dans laquelle s'immergent les générations toutes en provenance du même moule.

 

Edmée connaît bien le coeur féminin et en parle avec réalisme, trempant sa plume dans une encre qui sait débusquer les secrets et ne s'accorde aucune concession dès qu'il s'agit de narrer ceux trop bien enfouis et de brosser ainsi un tableau véridique d'un monde voué à la disparition. Si bien que cette maison se fait l'écho des voix qui se sont tues et des dernières scènes d'une famille qui repose à tout jamais dans le cimetière des illusions perdues.

 

"Cette belle maison est un temple des souvenirs, des souffrances, des espoirs, des secrets, des silencieux tumultes. Elle le sait. Les murs ont des yeux et des oreilles mais ne parlent pas, trop occupés à protéger leurs habitants.

Qui d'autre, le front appuyé contre une vitre ou dans les mains, a pleuré d'amour ou de haine dans ces pièces, ou a trahi ? Qui a donné ou repris son corps, son coeur, sa parole, sa confiance ?

Ces objets remisés et oubliés au grenier ont aussi leur mémoire, qu'ils ne rendront pas."  (Page 193)


Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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L'auteure avec son précédent ouvrage.

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2 août 2018 4 02 /08 /août /2018 07:37
L'enfant qui de Jeanne Benameur

Voici un livre délicat, rédigé en une sorte d’apnée, comme si  les vies décrites, non enracinées, étaient celles d’êtres imaginaires dont l’auteure nous rappelle que leur mystère est comme une seconde présence et  leur étrangeté ce qui, en eux, est le plus intime, enfin que la seule liberté dont ils disposent est celle de tracer leur itinéraire dans la forêt obscure d’un inconscient qui les déborde. Oui, l’inconnu est sans doute leur seul possible. Le titre l’évoque d’ailleurs : « L’enfant qui … », celui-ci n’est-il pas au carrefour de toutes les routes, prisonnier de l’indéfini, à la lisière d’un ailleurs qui n’a pas encore livré ses secrets ?

« Reste immobile, n’aie pas peur du gouffre. Le temps va passer. Tu peux te balancer lentement, doucement. La lumière n’entrera dans la cuisine qu’en plein midi, jusque-là tu peux rester dans la clarté tamisée par les grands arbres, avec encore quelque chose de la nuit autour de toi, qui t’apaise. Je te vois, debout devant la fenêtre, le regard perdu, ou à la table, assis, devant ton petit bol bleu.

Tu es seul comme peut l’être quelqu’un dans un tableau.

Je voudrais poser ma main sur tes cheveux. Si je ferme les yeux, je peux  les sentir très doux, même si aucun peigne n’a raison de tes boucles emmêlées. La paume de ma main les effleure. Tu peux croire que c’est juste de l’air qui passe par les vitres mal jointes. »

 

Dans cet ouvrage, trois destins s’entrecroisent : celui d’une grand-mère qui s’est définitivement immergée dans son passé, celui un père veuf qui n’a pu se délivrer d’un désir qui encombre sa mémoire et celui d'un enfant, le fils de cet homme et le petit-fils de cette grand-mère, dont la mère a disparu et n’a eu que le temps de le guider à pas lents vers l’affranchissement et le périlleux voyage de la vie.
 

«  Aujourd’hui tu revois son visage quand elle s’était tournée vers toi. Le visage de ce jour-là. Lavé de tout, juste empreint de  son amour infini pour toi. Ce visage-là t’accompagnera toute ta vie. Garde-le en toi et oublie tout le reste. Tu le retrouveras dans le visage de chaque madone sur les tableaux. Garde-le. Toi tu sais que les mères qui ont ce visage-là sont celles qui ont su un jour retenir leur pas. Un enfant comprend tout. Le pas en arrière, c’était le pas de ta vie. Car tu l’aurais suivie. Et elle le savait. »

 

Le récit poétique de Jeanne Benameur reprend les mythes qui traitent autant du monde des morts que du monde des vivants et dispersent leurs itinéraires à travers notre propre forêt intérieure. Quant à l’écriture, elle est sobre et belle et comme suspendue au-dessus de l’incarnation du sens ainsi qu’est la vie et le risque permanent de s’y perdre. L’écrivaine ne cesse de convoquer les sensations enfouies et les émotions latentes pour composer ce chant qui a vocation à exprimer ce qui, en chacun de nous, est le plus  intime, employant à cette fin une langue dont elle dit elle-même qu’elle est la langue d’avant toutes les langues.

« Les mots sont inconnus. C’est une langue du dessous des choses. La langue du corps de la mère. Une langue qui a roulé sous les pas de tous ceux qui marchent sur les routes, dans leur sang, sous leur peau et sous les pierres. Cette langue-là est vieille et obscure. Tu l’entends. Elle dit le dedans et le dehors, la peau entre les deux. Fragile. Vivante. Elle œuvre. »

 

Malheureusement, Jeanne Benameur n’a pas su conclure son ouvrage. Tout à coup, la route bifurque et l’enchantement se dissout comme la brume si douce qui nous enveloppait. Ce qu’elle racontait, avec le velouté des mots, est remplacé soudain, dans les toutes dernières pages, par les conseils bienveillants d’une psychologue éclairée se substituant à la fée qui nous conduisait dans des chemins creux, encombrés de bruyères. Quel dommage ! Un tel conte envoûtant méritait une plus belle fin.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Jeanne Benameur

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